Présenté au milieu des années 80, le PPG Wave 2.3 est l’aboutissement de la célèbre série Wave 2 au son hybride, ajoutant deux cerises sur le gâteau : la multitimbralité et le MIDI. Alors, Kolossal ?
Wolfgang Palm a commencé à produire des synthés modulaires sous la marque PPG au milieu des années 70. En 1978, il lance le Wavecomputer 360, un synthé à tables d’ondes numérique. En 1981, le Wave 2 ajoute des filtres analogiques pour réchauffer un son jugé trop fin et froid ; lui succèdent le Wave 2.2 (1982) puis le Wave 2.3 (1984–1987, année de cessation d’activité de PPG). En réponse aux gros systèmes Fairlight et Synclavier, la société allemande développe en parallèle des Wave sa propre vision de la station de travail modulaire : on parle alors de système PPG. Vont ainsi venir se greffer aux Wave 2.2 & 2.3 des composants très novateurs à l’époque, construits autour d’un bus et d’un protocole d’échange de données : d’abord le Waveterm (A puis B), un échantillonneur à écran monochrome, capable de capturer des sons (en 8 puis 16 bits), de les éditer, puis de les envoyer à la mémoire du Wave où ils prennent leur place aux côtés des tables d’ondes ; puis l’EVU, un expandeur de PPG Wave 2.3 polyphonique et multitimbral 8 canaux ; ensuite le HDU, l’un des premiers direct-to-disk autonomes, capable d’enregistrer 4 pistes audio. Enfin les PRK puis PRK-FD, des claviers de commande dynamiques à 72 touches capables de charger des sons. Ces éléments réunis, nous sommes en présence d’une station de travail alternative aux solutions américaines et australiennes. Mais revenons à notre Wave 2.3 (OS 8.3), objet de notre présent test…
Alu bleu et noir
Le PPG Wave 2.3 est construit dans une vaste et solide coque en alu, peinte en bleu au droit des commandes et en noir par ailleurs. Cette taille imposante est d’autant plus étonnante qu’on découvre beaucoup de vide autour de l’alimentation et des quelques cartes électroniques lorsqu’on ouvre la machine. Les commandes sont regroupées sur un bandeau étroit, à l’instar d’un Prophet-T8 ou d’un Chroma, ce qui a l’avantage de dégager un espace plan pour y poser un clavier.
La façade est grosso modo divisée en deux parties d’égale largeur : les commandes « analogiques » à gauche et les commandes « numériques » à droite. Les premières comprennent 23 potentiomètres vissés très agréables à manier, qui permettent de modifier le son en temps réel : volume, largeur stéréo des voix (alternées à gauche/à droite), 1 LFO, 3 enveloppes, filtrage, tables d’ondes et modulations ; les secondes sont constituées d’un LCD rétro-éclairé bleu 2 × 40 caractères (avec potentiomètre de contraste dédié), d’un pavé numérique (programmes et entrée des données) et d’un pavé de sélection des modes d’édition. À gauche du clavier, on trouve 2 molettes classiques de pitchbend et modulation (assignables). Le clavier de 5 octaves est un Pratt-Read à touches statiques ; en revanche, quand on appuie dessus, il bascule légèrement pour écraser un capteur de pression à destination assignable ; bizarre, mais on s’y fait.
La connectique, très abondante, est répartie sur un panneau arrière légèrement en retrait : de gauche à droite, une prise DIN interface K7, une prise casque, 2 sorties stéréo, une prise pour pédale de sustain, une entrée CV 1 V/Octave, une entrée CV vers le filtre, une entrée Trigger, une sortie Trigger, une entrée d’incrémentation des programmes, des mini-switches (8+4) pour régler l’horloge du séquenceur, une prise DIN pour piloter des BAR, un connecteur spécifique au système PPG (cf. introduction), un trio MIDI DIN, 8 sorties audio séparées, un sélecteur de tension 115/220V et un connecteur IEC pour cordon secteur. Bref, il y a du monde ! Tout l’audio/CV est en jack 6,35.
Niveau ergonomie, le PPG Wave 2.3 est l’instrument le plus déroutant que nous ayons rencontré. Autant les commandes « analogiques » permettent un contrôle parfaitement compréhensible du son, autant les commandes « numériques » sont tout sauf intuitives. Les menus sont remplis d’abréviations quasi impossibles à mémoriser. Par exemple, pour la matrice de modulation, on a 16 ensembles de 2 lettres suivies d’un chiffre : il faut ainsi deviner que SW0 signifie que le sub oscillateur tourne en parallèle de l’oscillateur principal, alors que SW3 signifie qu’il est éteint, tandis que SW2 lui assigne l’enveloppe n°3 (logique !) ; MF signifie « routage de la molette de modulation vers le filtre » ; KL signifie « suivi de clavier assigné au volume »… Bref, c’est imbittable et on se retrouve souvent à se balader avec le pense-bête gentiment proposé par Alexander Guelfenburg de Virtual Music, expert autrichien en systèmes PPG Wave, pour se remémorer la quarantaine d’abréviations et la signification de toutes les valeurs numériques associées. Autre bizarrerie, la machine fonctionne selon deux modes (sortes de boot) ; pour sélectionner les tables d’ondes, il faut basculer en mode 2.2 (ça prend quelques secondes) ; pour accéder au mode multitimbral, il faut repasser en mode 2.3. Certaines fonctions disponibles dans un mode ne le sont pas dans l’autre…
Textures uniques
Lorsqu’on recherche un PPG Wave, c’est bien plus pour ses structures évolutives hybrides que pour ses cordes ou cuivres. La machine est toutefois capable de produire de tels sons, puisqu’elle dispose des formes d’ondes de base pour les synthétiser (dents-de-scie, carrés, impulsions) ou de tables pour les simuler (impulsion à largeur variable notamment). On n’a toutefois pas le gras d’oscillateurs analogiques, mais les défauts liés à la conception des ondes et leur faible résolution apportent des petites inconsistances intéressantes, parfois subtiles, parfois invasives. Ici un petit clic, là une anomalie dans le contenu harmonique, là-bas du buzz (dans les graves), là-haut de l’aliasing (dans les aigus). Les tables ensuite passées dans le filtre passe-bas analogique, la magie se produit, avec un grain typique aux circuits SSM utilisés.
Pour ce qui est des nappes évolutives, le Wave 2.3 excelle : les ondes s’enchaînent dans les tables avec plus ou moins de continuité suivant notre choix (cf. encadré sur les tables), procurant des attaques à transitoires qui gargouillent rapidement, des évolutions spectrales lentes, des nappes qui scintillent, des percussions métalliques… on apprécie la possibilité d’empiler deux sons différents, par exemple une attaque qui taille dans le vif suivie d’une nappe adoucie au filtre. Les différentes tables fournies permettent de créer des textures directement exploitables sans filtrage ultérieur : résonances internes, filtrages doubles, addition progressive d’harmoniques, balayage du sinus à la rampe, effets de filtre passe-haut, différents types d’orgues, formants de voix, changements chaotiques, délais internes, dents-de-scie déphasées… On peut créer un tas de textures originales rien qu’en changeant la table d’ondes, puis en s’y baladant, soit à la main, soit en assignant différentes modulations. Pour qui aime expérimenter…
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Moteur hybride
Le PPG Wave 2.3 est un synthé hybride polyphonique 8 voix. Les ondes sont générées dans un oscillateur et un sub oscillateur qui passent dans un VCF et un VCA. Ces derniers sont constitués de circuits intégrés analogiques (cf. encadré). Les modulations sont toutes numériques, nous en reparlerons plus tard. Revenons à nos sources sonores : plutôt qu’offrir des ondes statiques, le PPG Wave 2.3 combine des ondes élémentaires dans différentes tables, où elles sont enchaînées plus ou moins brutalement. La mémoire interne renferme 32 tables de 64 ondes (cf. ce document). L’intérêt de ces tables et de pouvoir moduler le point de lecture des ondes par différentes sources (commandes physiques, enveloppe, LFO), ce qui crée des sons au spectre évolutif. Si on le souhaite, la vitesse de balayage peut être constante sur toute la tessiture ou suivre le clavier. Le sub oscillateur partage la table avec l’oscillateur, mais peut la lire suivant différents modes : soit en parallèle de l’oscillateur (la table bouge en même temps, mais à des points de lectures qui peuvent différer), soit en un point fixé par le potentiomètre Waves-Sub situé en façade, soit par balayage de l’enveloppe 3 (AD), soit désactivé. On peut désaccorder l’oscillateur et le sub oscillateur suivant 8 réglages pas très souples : aucun, très fin, fin, moins fin, grossier, à la quinte, à l’octave, à deux octaves.
La somme des signaux est envoyée dans le filtre, sans réglage de niveau ou d’interactions audio. Il s’agit d’un filtre passe-bas 4 pôles résonant. Il offre une belle coloration (on reconnait bien le grain SSM) et une résonance non oscillante qui a un peu tendance à écraser les fréquences non accentuées. La coupure peut être modulée par différentes sources, comme une enveloppe ADSR, le suivi de clavier, la pression, la vélocité, la molette de pitchbend, la molette de LFO et le séquenceur. En sortie de filtre, le signal passe par un VCA, modulable par à peu près les mêmes types de sources que le VCF. Il peut alors rejoindre une sortie audio séparée ou être mixé dans la sortie principale, avec largeur stéréo définie par un potentiomètre global non programmable (judicieusement nommé Basis). Les voix impaires sont routées à gauche et les voix paires à droite, pas très souple mais sympa quand même.
En mode 2.2, un programme simple comprend 2 groupes (A et B), qui correspondent à deux couches sonores que l’on peut organiser de différentes manières, suivant le mode clavier : 8 voix de polyphonie avec un seul groupe (A ou B), 4 voix de polyphonie avec les 2 groupes en couches, 2 voix de polyphonie avec les 2 groupes en couches de voix doubles, 1 voix avec les 2 groupes en couches de voix quadruples (son énorme !), 4+4 voix (split A/B en un point à déterminer), 1+4, 1+6, 6+1, 1+1. Différentes fonctions permettent de sauvegarder les groupes A et B, de copier l’un vers l’autre, ou de copier l’un ou l’autre dans différents programmes existants. Nous verrons plus tard qu’en mode 2.3, on peut en arranger 2 groupes de 8 programmes sur le clavier…
Modulations ésotériques
On accède facilement aux modulations directes grâce aux potentiomètres situés en façade. On peut ainsi régler la fréquence (pas hyper rapide), le délai et la forme d’onde du LFO (triangle, rampe, dent-de-scie, carrée). Celui-ci est assignable au pitch de chaque oscillateur, à la lecture de la table d’ondes, au filtre et au volume (simple marche/arrêt pour chaque destination). Son action est liée à la position de la molette de modulation, qui est virtuellement sauvegardée dans chaque programme. On accède aussi directement aux paramètres des trois enveloppes. La première, de type ADSR, est assignable à la coupure du filtre et à la lecture de position dans la table d’ondes de l’oscillateur (pas de modulation bipolaire hélas). La deuxième, de type ADSR également, est assignée au volume. La troisième, de type AD, peut être routée au pitch de chaque oscillateur ou au balayage d’onde du sub oscillateur. Dans le premier cas uniquement, la quantité de modulation est bipolaire. Les enveloppes ne sont pas des plus rapides, il faut bien le dire.
Dès qu’on veut assigner les contrôleurs physiques, comme nous l’avons dit, il faut passer par les pages menus radicalement ésotériques, avec leurs ensembles de 2 lettres + 1 chiffre. On définit comment 5 sources (clavier, LFO, pression, vélocité, pitchbend) modulent 4 destinations (position dans la table d’ondes, filtre, volume, modulation par le LFO) suivant 13 cordons virtuels prédéfinis. La signification des lettres est sérigraphiée en façade, mais pas celle des chiffres (enfin, pas pour ces pages menus). Parfois, parfois c’est une intensité de modulation, parfois une marche/arrêt, parfois une destination de modulation. Au-delà de l’ergonomie largement perfectible, on aurait aimé quelques fioritures sur les modulations, comme des bouclages d’enveloppes, des formes d’ondes plus nombreuses dans le LFO (ou un second LFO), des processeurs de Lag… et puis un petit Glide, aussi.
Combinaisons multitimbrales
Le PPG Wave 2.3 opère directement en combinaisons multitimbrales (20 mémoires) dans lesquelles on assigne deux groupes (A et B) de 1 à 8 programmes (parmi 87 mémoires). Si on bascule en mode 2.2, il opère alors uniquement en programmes simples de deux groupes, soit 87 mémoires de deux sons (à noter que les deux sons partageant la même table d’onde, petite restriction).
Mais revenons en mode 2.3… Dans chaque groupe (A ou B), on définit jusqu’à 7 points de split (notes) et les programmes qui sont assignés aux (jusqu’à) 8 zones ainsi créées. L’allocation étant dynamique, inutile de spécifier des réserves de voix par zone. L’assignation est un peu fastidieuse, nécessitant de faire des allers et retours à l’écran, de compter combien de notes successives on met dans chaque zone… bref, on se plante souvent pour définir les points de splits et le cas échéant, il faut tout recommencer si on veut les modifier, autre point d’ergonomie très discutable.
Chaque canal sonore peut être accordé par demi-ton, mais uniquement vers le haut, sur 5 octaves ; ceci se fait en appuyant sur le clavier 8 fois de suite (1 fois par voix/canal) dans la page Tuning. Même en mode multitimbral, on trouve différents modes de clavier, qui déterminent combien de couches sonores et de voix sont jouées en même temps : un seul groupe (A ou B) avec une polyphonie de 8 voix, deux groupes en couche avec une polyphonie de 4 voix, deux groupes en couche avec 2 voix par note (donc une polyphonie de 2 voix) et deux groupes en couche avec 4 voix par note (donc monophonique). Avec beaucoup de patience, on peut ainsi créer des arrangements de sons assez puissants et variés sur toute la tessiture du clavier, mais c’est vraiment fastidieux ! Dommage, car c’est dans ce genre d’empilages de sons multitimbraux que le Wave 2.3 brille…
Arpèges ou séquences
Le Wave 2.3 possède un arpégiateur et un séquenceur pour faire bouger les notes, hélas exclusifs. L’arpégiateur dispose de plusieurs modes de jeu (haut, bas, alterné, aléatoire, indexé) disponibles sur plusieurs octaves ou à différentes signatures sonores (au choix). Comme un séquenceur, on peut lire, arrêter, ou poursuivre les arpèges en cours ; en fait, on est toujours en mode Latch dès lors que l’arpégiateur est activé, les notes étant ajoutées à celles en cours. Les octaves supérieures du clavier ne sont pas arpégées, ce qui permet de jouer une mélodie à main droite alors que la main gauche pilote l’arpégiateur. Dans les modes à doubles couches sonores (groupes A et B), les voix sont alternées entre chaque groupe. Les notes arpégées sont aussi envoyées en MIDI, une bonne chose.
Passons au séquenceur. Il peut enregistrer 10 séquences de 8 pistes monophoniques, avec un programme différent par piste (une combinaison est assignée à chaque séquence). On peut toutefois enregistrer en polyphonie en activant plusieurs pistes en même temps avec le même programme. Comme le Wave 2.3 est dépourvu de commandes de transport, il faut se placer sur la case RUN dans la page menu du séquenceur et entrer un nombre au pavé numérique : 1 pour lire, 0 pour arrêter, 2 pour continuer… ergonomie, quand tu nous tiens !
Les séquences peuvent contenir 64 temps maximum et être répétées de 1 à 98 fois, ou bouclées. L’enregistrement se fait en temps réel, en spécifiant la longueur de mesure, soit d’avance, soit lorsqu’on l’interrompt. On peut, si on le souhaite, quantifier à la noire, la croche, le triolet de croche, la double croche ou la triple croche. Pour toute édition, on peut effacer les notes programmées à la volée, effacer une piste entière ou reprogrammer par-dessus. Le séquenceur peut aussi enregistrer les mouvements de certains paramètres de synthèse en temps réel, avec 8 des potentiomètres situés en façade, à raison d’un paramètre par piste : au choix, le pitch positif, le pitch négatif, le volume, la coupure du filtre, la position dans la table d’ondes et la quantité d’enveloppe de filtre. Pas mal pour l’époque ! On peut enfin transposer les séquences à la volée, au clavier, à gauche d’un point de split à définir, la partie droite permettant de jouer par-dessus la séquence, à concurrence de la polyphonie restante. Les notes jouées sont envoyées via MIDI, chaque piste sur un canal au choix. Sympa !
Conclusion
Le PPG Wave 2.3 ne laisse pas indifférent. On aime ou on déteste, voire les deux à la fois. On adore le grain si particulier, ces textures hybrides évolutives avec une personnalité incroyable, l’aliasing dans les aigus, les buzz dans les graves, surtout quand on commence à mélanger deux canaux sonores. On aime bien tripoter les commandes, filtrer un petit coup par-ci, bidouiller les tables d’ondes par-là. Par contre, on déteste l’édition dans les menus, la plupart du temps incompréhensibles, comme la matrice de modulation, le maniement du séquenceur, ou encore l’assignation des programmes aux zones clavier. On en retient une machine bien singulière, intrigante, jamais complètement maîtrisable, mais capable de sonorités sans équivalent, qui trouvent toujours leur place dans un mix, de manière aussi bien discrète que coupante. Pour qui veut une sauce piquante capable de relever une purée analogique, ce PPG Wave 2.3 (et par extension toute la série Wave) est une arme de choix.
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