Démixer une batterie pour pouvoir mettre un groove sens dessus dessous ou jouer les percussions qui la constituent en deux coups de cuiller à clic : tel est le pari fixé par Regroover. Fixé et atteint ?
Comme le prouvent des éditeurs comme Celemony, Eventide, iZotope, l’IRCAM, Sound Radix ou encoreZynaptiq, nous vivons actuellement une sorte d’âge d’or des traitements audio, où les nouveaux algorithmes repoussent sans cesse les frontières du possible et parviennent à résoudre des problèmes qu’on imaginait insolubles il y a seulement vingt ans de cela. Saturation, bruit, réverbération, phase, spectre, dynamique, microphonie, justesse, hauteur, placement ou durée : il semble qu’aucun aspect du son ne résiste aux sorciers du code et si l’enjeu de ces logiciels consiste le plus souvent à améliorer ou restaurer un signal présentant des défauts, un certain nombre d’entre eux ont également un grand potentiel créatif. C’est le cas notamment des outils de démixage qui permettent de séparer les différents instruments d’un mix pour en faire ce que bon vous semble ensuite. Trois outils existent pour l’heure sur le marché, le plus connu étant le fabuleux Melodyne Editor de Celemony, suivi par Pitchmap de Zynaptiq (orienté temps réel) et les algos de l’IRCAM intégrés au Live d’Ableton.
Il faudra toutefois compter sur un nouveau concurrent partiel avec l’arrivée de Regroover. Pourquoi partiel ? Parce que le logiciel d’Accusonus ne s’intéresse qu’à la batterie et aux percussions, qu’elles soient acoustiques ou électroniques.
Tomber les mix
ReGroover Pro se présente sous la forme d’un plug-in aux formats VST/AU/AAX pour Mac ou PC qui, une fois installé, s’autorise via un simple numéro de série. Sitôt chargé, le logiciel nous accueille systématiquement (et on aimerait que ce soit désactivable) par une sommaire de présentation des fonctions de base, après quoi on se retrouve aux commandes.
Faite de blanc, de vert et de diverses nuances de gris, l’interface mise sur un flat design épuré et s’avère claire, lisible et très bien pensée dans son organisation. Comme la partie centrale nous invite à importer un groove audio pour commencer, on ne se fait pas trop prier et glisse une boucle de batterie (au format WAV/AIFF uniquement pour l’heure) dans la zone dédiée, ce qui a pour effet de lancer l’analyse du soft.
Quelques petites secondes plus tard, on se retrouve avec 4 pistes correspondant au démixage opéré par le logiciel : kick, snare, charley et une quatrième piste dans laquelle on peut trouver un peu de tout ça sous la forme de ghost notes, sustain ou de queues de réverbe. À l’écoute de chaque couche (layer en anglais), on est déjà très étonné par la qualité de l’algo qui propose un éclaté très pertinent de notre boucle stéréo et parvient tout à fait à séparer les instruments même lorsqu’ils sont joués en même temps (c’est la grosse différence avec un simple Slicer qui ne s’embarrasse pas trop de ce genre de préoccupations pour s’en tenir bêtement aux transitoires).
Voyez ce que ça donne à partir d’un groove de batterie, séparé ici en 4 layers :
- drums1 00:04
- drums1 Layer 1 00:04
- drums1 Layer 2 00:04
- drums1 Layer 3 00:04
- drums1 Layer 4 00:04
Bien sûr, on voit bien sur les layers 2, 3 et 4 que le logiciel peine un peu à savoir quoi appartient à qui. Mais là où ReGroover fait fort, c’est qu’il est non seulement possible de paramétrer plus finement la détection (sensibilité, nombre de layers) mais aussi de faire le ménage dans les layers. Si vous avez des bouts de caisse claire sur la piste de kick, comme c’est le cas ici, vous pouvez ainsi les rapatrier sur la bonne piste pour obtenir une séparation encore plus propre.
Une fois ces travaux pratiques achevés (et cela ne prend pas grand temps), l’heure est au fun avec la première application possible du logiciel : le remixage.
Remixer
Chaque layer se comporte en effet comme une piste audio avec son niveau, son panoramique, ses boutons Solo et Mute, mais aussi sa petite tranche de console comprenant un EQ paramétrique (1 bande + coupe-bas et coupe-haut), un compresseur et un Gate.
Avec ces traitements de base, il y a déjà de quoi revisiter sérieusement le son des éléments du kit mais si je vous dis que chaque Layer peut être routé vers une sortie audio distincte, vous imaginez sans peine ce que vous pourrez tirer de vos layers en les confrontant à votre arsenal de plug-ins qui attend bien sagement qu’on le sollicite dans votre STAN. Delay, réverbe, disto, effets à modulation, filtres : le sac d’épices n’attend que vous.
Voyez ce que ça peut donner quand on y va à grand coups de filtres résonants, de disto, de delay et d’EQ :
Sachant qu’on peut rester sur quelque chose d’assez sage comme dans cet exemple où l’on bosse plus sur les timbres :
À ce stade donc, on est déjà face à un outil de création massive, permettant de transformer la plus sage des boucles en pattern déjanté. Or, vous n’avez rien vu, car si le plug-in s’appelle Regroover et non Remixer, c’est pour une bonne raison.
Regroover
Chaque layers dispose de deux bornes appelées Layer Marker pour déterminer la portion lue en boucle. Cela signifie que si le Layer du charley tourne sur quatre temps, celui de la caisse claire peut tourner sur deux, celui du kick sur trois… ou même 3 2/3, 1 1/4. Comme il est possible de déterminer la résolution de la grille utilisée par le logiciel, allant de quatre mesures à 1/32e de mesure, on peut tout à fait mettre le bazar dans le placement rythmique du plus binaire des « tchackpoums » ; le tout en temps réel pendant que le logiciel lit la boucle.
Mieux, on peut désactiver la grille : de la sorte, on détermine la longueur des portions sans aucune contrainte de division ou de tempo pour partir dans la polyrythmie la plus extrême. En travaillant sur des micro-portions, on peut même goûter aux joies d’une pseudo-synthèse granulaire, en sachant qu’il est possible de bouger les marqueurs comme la zone sélectionnée en temps réel sans que la lecture ne s’interrompe ou que le moindre hoquet ne vienne la perturber.
Voici un exemple de regroove, traité avec les effets internes du logiciel :
Et quelques variations du même patterns en utilisant les sorties séparées pour le jeter en patûre à des plug-ins affamés :
- drums1regroovefx1 00:04
- drums1regroovefx2 00:04
- drums1regroovefx3 00:04
Précisons enfin à l’attention des amateurs de Trip Hop et Drum’n Bass que, s’il se synchronise avec le tempo de l’application qui l’héberge, Regroover permet, au moyen d’un algo de Time Stretching, de doubler ou de diviser par deux le tempo de la boucle sur laquelle vous travaillez. Ça aura un impact dans le mode Layers comme dans le dernier mode qu’il nous reste à évoquer et qui ravira les amateurs de Finger Druming : le mode Sampler.
Resampler
Dans le coin inférieur droit de l’interface se trouve en effet une petite matrice de pads sur laquelle vous pouvez glisser n’importe quelle sélection faite sur un des layers, chaque pad étant bien entendu assigné à une note MIDI. Pour plus de contrôle sur ce mode, c’est dans l’onglet Editor qu’il faudra se rendre où nous attendent, en vis-à-vis de notre matrice en mode grand modèle, deux panneaux : Waveform affiche la forme d’onde chargée et permet de définir le sens et les points de début et de fin de lecture, tandis qu’Effects vous propose une enveloppe ADSR, un EQ et un compresseur. Complétant le tout, Mix permet de gérer le niveau et le panoramique du pad ainsi que la sortie audio qu’il utilise. Bref, un bon petit outil qui va vous permettre d’aller encore plus loin avec votre boucle de base, d’autant que vous pourrez compléter les sons issus de cette dernière avec n’importe quel sample au format WAV ou AIFF (Accusonus a d’ailleurs déjà sorti un pack dédié). Si l’on n’est pas encore au degré de sophistication d’un Geist2 ou d’un Battery, il y a de quoi largement s’amuser, d’autant que pour le mode Pad comme pour le mode Layers, l’ergonomie est suffisamment réussie pour qu’on se passe complètement du manuel à l’utilisation. On part d’une boucle et on est immédiatement dans la création, le jeu : c’est une des indéniables réussites de Regroover.
Oui mais….
Un soft génial qui pourrait devenir fabuleux
Avec ses super algos, sa belle interface et ses lumineux principes de base, Regroover est assurément l’un des logiciels les plus intéressants qu’on ait vu depuis longtemps dans le monde du Drum Sampling. Pour autant, si ce qui nous est proposé ici a déjà de quoi nous enthousiasmer, on ne peut s’empêcher de penser à toutes les choses qui achèveraient de rendre le logiciel d’Accusonus incontournable et en ferait un gros concurrent de l’excellent Geist2 de FXpansion.
On commencera les doléances par la partie audio. Outre la possibilité d’inverser la lecture des layers et de pouvoir doubler ou diviser par deux le tempo de chacun séparément, on souhaiterait pouvoir charger plusieurs samples sur un même pad, en régissant leur rapport comme dans la plupart des Drums Samplers : soit en stack, soit sur un split de vélocité…
Surtout, on ne cracherait pas sur le développement des traitements dans le logiciel. Car même s’il est possible d’utiliser plusieurs sorties audio pour faire sa tambouille dans sa STAN, il serait autrement plus agréable de faire tout cela depuis le logiciel même, évitant ainsi les incessants allers-retours entre Regroover et la STAN. Au-delà du compresseur, du gate et de l’EQ rudimentaire qu’on nous propose, on s’explique déjà mal l’absence d’un transient designer par exemple, tant ce genre d’outil permet de choses avec deux simples boutons. Et on aimerait même disposer d’une vraie section d’effets utilisable pour chaque Layer comme sur la sortie Master : delay, réverbe, disto, bit crusher, effets à modulation, pitch shifter, résonateur, voire la possibilité d’intégrer ses propres VST… Enfin, pour que les choses soient parfaites, on rêverait de disposer de modulateurs (LFO, Step Sequencer, Enveloppes) pour animer tout cela… comme dans Geist2.
Côté MIDI, puisqu’on en parle, on regrettera d’abord vraiment que les Layer Markers ne soient pas pilotables autrement qu’à la souris alors que cela apporterait vraiment une autre dimension au jeu en live pour les DJ (mais à ma connaissance, c’est déjà sur la to-do list des développeurs). Quantité de paramètres du logiciel ne sont d’ailleurs pas contrôlables en MIDI, tandis qu’il n’est pas possible d’éditer l’assignation de ceux qui le sont. Il y a donc aussi du progrès à faire de ce côté, avec l’apparition d’un vrai MIDI Learn sur tous les paramètres. Et tant qu’à démixer une batterie, on adorerait aussi pouvoir extraire les patterns MIDI de chaque layer, de sorte qu’on pourrait s’amuser à jouer un groove avec d’autres sons… Et puis un séquenceur, ce serait bien aussi…
Terminons avec les remarques d’ordre ergonomique en soulignant qu’outre un système d’undo/redo qui faciliterait bien l’édition, on ne cracherait pas sur la possibilité de zoomer verticalement comme horizontalement dans nos layers et sur une grille basée sur le détection des transitoires dans chaque layer pour faire des sélections précises. Plutôt que de relancer une analyse à chaque fois qu’on veut transférer un élément d’un layer à un autre, il serait aussi autrement plus intuitif de pouvoir glisser n’importe quelle sélection vers le layer concerné… Enfin, en plus de la gestion d’autres formats que le WAV/AIFF de base, on adorerait pouvoir glisser un conteneur audio depuis son séquenceur…
Bref, comme vous le voyez, il y a facilement de quoi motiver une version 2 du logiciel pour qu’il atteigne son plein potentiel, sachant que ce qu’il propose pour l’heure souffle déjà un vent d’air frais sur les outils de production de beat. De ce point de vue et en regard de la R&D qu’il a dû nécessiter, les $219 réclamés pour la version Pro sont donc justifiés, même si dans les faits, le côté basique de Regroover l’expose à la concurrence de logiciels qui, bien que ne disposant pas de la géniale fonction de démixage, sont beaucoup plus aboutis sur le reste.
Je suis enfin assez réservé concernant la version Essential qui, bien que nettement plus abordable à $99, n’en demeure pas moins frappée de bien trop de limitations pour être réellement intéressante. Elle a beau proposer le même algo de démixage et les mêmes possibilités de traitement/remix/regroove, le fait qu’elle soit dépourvue des sorties multiples réduit grandement le potentiel créatif de l’outil. Si l’on ajoute à cela qu’on perd l’export des layers et la partie Editor (et donc de la possibilité de charger les pads avec les samples récupérés dans les layers), vous aurez compris qu’il vaut mieux faire des économies pour se payer la Pro, sachant qu’aucune offre d’upgrade ne semble disponible sur le store d’Accusonus.
Conclusion
Capable de démixer relativement proprement n’importe quel groove de batterie acoustique ou de boîte à rythmes, Regroover est un excellent outil alliant simplicité, fun et créativité. On ne se lasse pas d’y passer toutes les boucles possibles pour obtenir en quelques clics des choses très intéressantes : les remixeurs adoreront et au-delà d’eux, tous ceux qui cherchent un outil rythmique qui soit force de proposition et qui les emmène ailleurs, que ce soit sur des choses relativement sages ou complètement barrées.
Ceci étant, le reproche qu’on pourrait adresser au logiciel tient au formidable potentiel qui est le sien et que cette version 1.6 semble encore loin d’exploiter pleinement. On a toutefois confiance dans les gars d’Accusonus qui, depuis la sortie du soft il y a près d’un an, ont multiplié les mises à jour en étant à l’écoute du retour des utilisateurs. Le développeur mérite donc bien sa place dans la cour des grands de l’algo comme ce Regroover mérite la sienne dans votre répertoire de plug-ins. Bravo !