L’association entre l’artiste BT et l’éditeur iZotope résulte en une nouvelle production, BreakTweaker. Une boîte à rythmes de plus, ou un outil plus perfectionné qu’il n’y paraît ? De l’artillerie lourde, ou des réglages sophistiqués ?
On connaît les nombreux « partenariats » entre célébrités et fabricants, dans tous les domaines de la production industrielle et culturelle. La plupart du temps, cela donne des campagnes marketing et de la publicité tous azimuts, et la collaboration entre les deux parties se résume souvent au prêt réciproque d’image et de notoriété. Parfois, la collaboration est très discrète, et ce n’est que quelques années plus tard que l’on découvre que telle ou telle personne a suggéré, investi dans ou co-développé un produit industriel, ou, dans le domaine qui nous concerne, un instrument ou un logiciel.
D’autres fois, cette association est connue et fondée sur une sérieuse collaboration, et pour rester dans le domaine musical, l’artiste peut être une véritable source d’inspiration, de définition de spécifications techniques, tout en participant à peaufiner, parfaire le résultat, notamment dans le domaine de l’interface, qu’elle soit un manche de guitare, une GUI, un clavier, une peau de batterie virtuelle, etc., tout en étant un véritable promoteur du résultat. Quid en effet de l’évolution des guitares solid body et du magnéto multipiste sans Lester William Polfuss (faut-il préciser avec qui il a travaillé, même si l’importance de sa collaboration est discutée par certains auteurs ?), des échantillonneurs sans Stevie Wonder (et ses demandes à Ray Kurzweil), des batteries électroniques sans Bill Bruford (ses relations avec Simmons), des synthés sans Annette Peacock (un des premiers protos de Minimoog sur scène), des sept cordes sans Steve Vai (avec Ibanez), et de bien d’autres exemples encore que vous renseignerez sans aucun doute dans le forum lié à ce test ?
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Le logiciel qui nous intéresse aujourd’hui, BreakTweaker, est le résultat de la collaboration entre l’artiste canadien Brian Transeau dit BT, et l’éditeur américain iZotope (dont de nombreux produits ont été testés sur AF, tels RX2, Ozone 5, RX3, Iris, Alloy 2, etc.), le dernier ayant racheté en 2010 la maison d’édition du premier, Sonik Architects. Ils ont d’abord réalisé ensemble Stutter Edit, BT étant le l’inventeur et le maître incontesté de la technique musicalosonore du même nom. Arrive aujourd’hui ce nouvel outil, BreakTweaker, dont le nom n’est pas forcément inconnu de ceux qui suivent l’actualité de la production, puisque c’est celui du logiciel qu’avait prévu de sortir BT et pour lequel il avait créé en 2009 sa société…
Introducing iZotope BreakTweaker
Bien évidemment compatible Mac (à partir de 10.6.8 et Mac Intel seulement, nos bons vieux G5 sont morts pour la transe) et PC (à partir de XP SP3), BreakTweaker est disponible sous forme de plug-in dans quasi tous les formats indispensables (AAX, RTAS, VST, VST3 et AudioUnit). Il est livré avec 2 Go d’échantillons de batterie et percussions en tout genre, acoustiques et électroniques. L’installation s’effectue sans problème, la bibliothèque pouvant être téléchargée avec un gestionnaire ou directement depuis le site, et l’autorisation se fait via le serveur d’iZotope, comme d’habitude, avec choix de l’autorisation sur disque dur ou sur clé iLok.
Vendu dans un premier temps 185 €, il sera ensuite proposé à 230 €, et on pourra l’acquérir directement depuis la boutique en ligne de l’éditeur. À noter qu’il existe une version Expanded, offrant pour 230 € (plus tard 277 €) trois Expansions complémentaires, Vintage Machines, Cinematic Textures et Kick & Snares.
Premier gros regret, pas de version autonome, on sera obligé d’ouvrir un hôte pour utiliser la bête, quel dommage.
Sous le capot du Break
L’interface est un curieux mélange entre la finesse et les transparences habituelles d’iZotope et un graphisme plus « rustique », comme hérité d’une précédente version. Mais ne nous attardons pas sur des détails finalement anodins. BreakTweaker est divisé en trois parties : la production sonore elle-même constituée de Generators, le séquenceur et la micro-édition. Chacun d’eux offre bien entendu des possibilités inédites (ou presque), sinon à quoi bon sortir une énième boîte à rythmes ? Et puis, le nom « micro-édition » interpelle, non ? On y reviendra.
Le principe d’abord : un séquenceur à six lignes rythmiques indépendantes, pouvant piloter n’importe quel type de son, son produit par un générateur utilisant aussi bien des échantillons que de la synthèse, et un module de micro-édition, permettant d’appliquer (entre autres) les effets de Stutter chers à BT.
Commençons par le module sonore. Première très bonne idée ergonomique : quand on bascule en mode Generator, la ligne de programmation s’affiche au-dessus, afin de garder toujours en vue le rythme, la séquence. Deuxième bonne idée, le fait de disposer de trois moteurs sonores par son, utilisables simultanément. On choisit indépendamment un moteur de relecture d’échantillon ou un moteur de synthèse pure.
Dans le premier cas, on dispose d’un navigateur permettant de charger les échantillons de la banque d’origine, les siens propres et d’éventuellement activer le mode Discover, qui ira rechercher dans la bibliothèque les échantillons sonnant de façon similaire. On peut modifier points de début et de fin, mettre en boucle (ce qui active une fonction de crossfade réglable) et définir le type de lecture (avant, inversée, avant-inversée et inversée-avant). Trois rotatifs permettent de régler accordage grossier, fin et volume. Ces réglages sont modulables via deux sources pouvant être simultanées et opérer dans une plage réglable commune aux deux. On les retrouve à l’identique dans le module synthé.
Celui-ci offre deux oscillos bénéficiant d’une multitude de tables d’ondes (échantillonnées) toutes modifiables par un curseur (Shape Slider, lui aussi modulable via deux sources) qui permet de passer, par exemple, d’un sinus à une forme très complexe bourrée de partiels inharmoniques, en effectuant une interpolation entre les formes de la table d’ondes. Ces deux oscillos peuvent fonctionner en mode synthèse additive, comme un modulateur en anneau, en modulation d’amplitude et en FM. Excusez du peu…
Disons tout de suite que chaque paramètre peut être modulé par deux sources, cela évitera de le répéter à chaque fois. Les modules qui suivent sont communs aux deux moteurs, sample et synthèse. Après la production du son, on passe ensuite dans un double module de distorsion, offrant six types (Warm, Transistor, Hard, Digital, Raw et Aliasing), avec taux et balance graves-aigus. On attaque ensuite un filtre (configurable pré-disto si désiré), offrant trois types, un New York, un Tokyo et un Brickwall, les deux premiers faisant référence à des filtres légendaires, le dernier étant une création maison très raide, comme son nom l’indique. Les deux premiers sont multimodes (Low, High et Band-Pass) et résonants, le dernier fonctionne seulement en Low ou High-Pass, sans résonance. On finit par un module Mix, offrant Pan et Gain.
Pour faire bouger tout ça, et choisir les deux sources de modulation, on dispose de quatre générateurs d’enveloppe AHDSR, avec réglages de courbes des paramètres de durée. Ces générateurs sont complétés par quatre LFO, avec forme d’onde réglable via le Shape Slider ou fonctionnement en Sample & Hold. Les LFO peuvent être retardés, déphasés, synchrones au tempo de l’hôte et redéclenchés. Les quatre générateurs et quatre LFO sont tous indépendants, mais bonne idée, on peut appliquer les réglages d’un Generator à l’autre via un bouton Link. Très bien vu.
Autant dire qu’avec toutes ces possibilités de production sonore et de modulations, les sons peuvent aller du simple sinus avec l’enveloppe idoine pour une grosse caisse TR à des sons plutôt inhabituels dans le domaine des B-À-R. D’ailleurs, la bibliothèque d’usine regorge de sons synthétiques, de suites de notes, de wobbles, etc.
Voici quelques exemples de ce que l’on peut obtenir rapidement et facilement à partir d’un son simple.
Et quelques effets et sons de synthèse.
Les nombreux kits fournis reflètent d’ailleurs bien les possibilités sonores du logiciel.
On notera certains comportements particuliers, mais ce n’est pas encore le moment d’en parler.
Le temps d’un Break
Passons au séquenceur. On l’a mentionné, on dispose de six lignes indépendantes, fonctionnant selon un découpage basé par défaut sur des quarts de noire (donc des doubles croches), et donc ce qui correspond à la base à deux mesures en fonction du tempo interne ou de celui de l’hôte. Mais on peut via clic droit choisir une des nombreuses métriques disponibles : de 3/4 à 9/8.
Solo, Mute, Pan Gain, tout est là, ainsi que la direction vers l’une des sorties multiples de BreakTweaker, solution idéale pour appliquer des traitements non disponibles au sein de l’instrument : compression complète (un réglage Intensity sur le Master permet de donner un peu de punch au son), réverbe, délai, etc.
Premier point intéressant, on peut charger un préset de son directement sur la ligne que l’on souhaite éditer : nul besoin de basculer sur la fenêtre des Generator. Il suffit ensuite de cliquer sur une des lignes pour créer un élément rythmique, placé sur une des cases équivalant à la division choisie. On peut l’étirer pour obtenir un son plus long, le paramétrer en tant que Choke (étouffant un autre son), et bénéficier de toutes les fonctions classiques de copier, déplacer, coller, effacer, etc. Chaque programme global pourra contenir jusqu’à 24 Patterns différents, que l’on peut déclencher directement depuis un clavier MIDI (ainsi que les sons séparés, bien entendu). On peut fonctionner en mode Gate ou Latch, avec possibilité de mode sans Retrigger : quand on joue un Pattern et qu’on en sélectionne un autre en cours de lecture, ce dernier commence à l’endroit où se trouvait le curseur, sans repartir en début de mesure. Très efficace pour créer des variations en direct, les possibilités étant alors innombrables.
Puis l’œil est rapidement attiré par une case Speed, indiquant par défaut x1. En cliquant dessus apparaissent les sept vitesses disponibles, via multiples ou divisions de la vitesse d’origine, y compris les 2/3 et 3/2. Voilà qui enrichit singulièrement la programmation, d’autant que chaque ligne peut avoir sa propre vitesse de lecture ! Et pour couronner le tout, une chose que l’on n’avait rencontrée jusque-là que dans Tremor de FXpansion (voir le test ici), la possibilité de modifier le nombre de pas par ligne : par exemple 15 pas pour la caisse claire, 11 pour le kick, etc. Vive la polyrythmie instantanée !
En voici quelques exemples à partir d’un même Pattern.
Quelques reproches, quand même, et de taille : on ne comprend absolument pas pourquoi il est impossible de visualiser l’intégralité des pistes si l’on choisit de travailler sur deux mesures. En effet, il n’y a pas de zoom et l’on doit scroller horizontalement pour afficher les parties/rythmes non affichées. Assez incompréhensible, vu la taille de l’instrument…
Ensuite, si l’instrument adopte immédiatement une modification temps réel du nombre de pas, une fois revenu à une valeur « carrée », le rythme reste décalé en fonction de la place où se trouvait le curseur au moment de la remise en place. Sur Tremor, le curseur se resynchronise immédiatement sur la position des autres lignes, revenant ainsi à un rythme « normal ».
Vient enfin la dernière partie de l’instrument, qui constitue sa majeure innovation : le module MicroEdit. Au sein de celui-ci, on opérera de façon logicielle (plus de découpes, de micro-éditions au ciseau et avec fades ici et là sur de l’audio, même si cela reste possible. En dehors du plug…) toutes les modifications typiques des principes lancés par BT et d’autres artistes électro (le terme englobe à dessein toutes les catégories de musiques électroniques, ras-le-bol de ces sous-familles innombrables créées uniquement dans un but marketing).
On commence par sélectionner une région dans une ligne (l’édition se fait par région, de façon indépendante d’une ligne à l’autre et même au sein d’une même ligne). On y applique ensuite le type de traitement, Speed, Divisions, Pitch et Time, chacun offrant alors un paramètre (division rythmique, nombre d’évènements, etc.). Puis la courbe, la forme que l’on adjoint à ce traitement, permettant de répartir les micro-éditions via un paramètre Tension (plus à gauche, plus à droite) et un autre Rotate (déplacement de la phase de la courbe). On continue avec un Gate, permettant de définir son action, sa largeur et la durée. Puis l’on finit par un accordage par demi-tons, des Fades, et un effet à choisir entre différentes distos, chorus et filtres. On dispose de plus d’un bouton Randomize.
C’est extrêmement efficace, et une façon de travailler assez inhabituelle et très créative. Voici quelques exemples de simples modifications autour d’un même son.
Bilan
Très intéressante dans ces fonctionnalités de base, la boîte à rythmes offre en plus des opportunités rares (le séquenceur polyrythmique) et inédites (le MicroEdit). Le force de son moteur de synthèse alliée à une belle bibliothèque de samples fait rapidement oublier les problèmes ergonomiques (un fait exceptionnel chez iZotope). Seule véritable rivale à ce jour dans le domaine séquenceur polyrythmique, Tremor, elle aussi dotée de très belles fonctionnalités, le mode MicroEdit en moins, ce qui est une des forces de BreakTweaker. Le logiciel de FXpansion (119 euros, rappelons-le) ne gère cependant pas les échantillons, là où celui d’iZotope laisse toute liberté à l’utilisateur.
BreakTweaker est peut-être, en regard de ses fonctions, la drum machine electro à posséder, si le prix n’est pas un obstacle, tant la finesse de ses programmations et la richesse sonore à portée de main placent la barre haut. En tout cas, son potentiel créatif promet de nombreuses heures de créativité, en espérant que toute cette puissance ouvrira la porte à autre chose que du 4/4 à 140 BPM…
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