Plus de 6 ans après sa sortie initiale, le synthétiseur Hive de la marque u-he continue d'évoluer, enchainant les nouvelles numérotations de versions, et a définitivement pris son envol hors de la ruche. Évolution ou résurrection ?
On en parle à chaque fois en préambule, mais on a chez AudioFanzine une certaine sympathie pour l’éditeur germanique u-he (je sais toujours pas comment prononcer ça correctement). Fondé par Urs Heckmann il y a déjà 20 ans tout rond, la société a fait depuis son petit bonhomme de chemin, entre les débuts avec les premières versions de Zebra, Filterscape, ou le freeware Triple Cheese, l’innovant ACE (Any Cable Everywhere) qui permettait de transformer n’importe quel signal de contrôle en signal audio, le projet Berlin Modular qui a accouché de plein de petits comme Bazille et des petits bouts d’algorithmes ici et là, le torrent Diva qui a posé pas mal de jalons de ce que doit être une modélisation virtuelle de synthétiseur analogique logicielle depuis 2015, plein d’effets créatifs et/ou fidèles à leurs modèles, un pied dans le domaine de l’Eurorack avec le module CVilization, une tentative avortée pour le moment dans la modélisation physique de percussions… Mais u-he c’est aussi un savoir faire en matière de design sonore – ce qui a entre autres découlé sur une collaboration entre la société et les créateurs de la trilogie Batman The Dark Knight – un rapport particulier entre les utilisateurs et les développeurs, qui sont très prolifiques en interventions et demandes de retours sur les forums, certains synthétiseurs étant restés disponibles en bêta publique gratuite longtemps avant leur sortie officielle. Et c’est une patte aussi, avec des produits ayant plusieurs couches de complexité, et une expérience utilisateur inspirée du passé de « Product Designer » industriel de son fondateur ou des aventures des développeurs dans le monde de la synthèse modulaire.
Mais la firme teutonne a également essuyé quelques critiques plus ou moins justifiées, et on leur a longtemps collé l’étiquette de très demandeurs en CPU, notamment à la sortie de Diva qui a depuis été pas mal optimisé. Aussi quand Hive premier du nom est sorti, officiellement en 2015 mais disponible en bêta publique dès 2014, l’idée était de faire un nouveau synthétiseur qui s’éloigne de l’esthétique et de la philosophie « virtual analog », qui soit à la fois joli, super simple à prendre en main, avec un nombre de paramètres pertinents réduit au minimum, et léger au niveau charge CPU pour pouvoir en caser 50 dans une session Ableton Live, avec suffisamment de marge de manœuvre pour pouvoir l’étoffer au fil des années, notamment grâce à l’hexagone au milieu (la ruche) qui peut être agrémenté de nouveaux onglets ou fonctionnalités. Et puis un mode unisson / supersaw / hypersaw léché ultra optimisé pour pouvoir enflammer les dancefloors, et aller inquiéter certains de ses petits camarades chez les concurrents qu’on voyait partout au gré des modes chaque fois qu’il était question d’un nouveau genre de EDM (Electronic Dance Music).
Mon confrère sleepless a ainsi pu le tester à l’époque et avait souligné le soin apporté aux présets, le côté polyvalent, l’interface efficace avec tous les éléments importants sous les yeux, et le grain différent des 3 modes de fonctionnement (on va y revenir). Personnellement, j’étais déjà assez fan des produits u-he, mais j’avais fait l’impasse sur celui-là à l’époque parce que je le trouvais un peu le cul entre deux chaises, un peu trop simpliste par rapport à un ACE – sur lequel je passais beaucoup trop de temps – et peut-être avec un manque d’ambitions synthétiques pour faire plaisir à certains et faire taire quelques critiques récurrentes chez d’autres, avec un prix un peu au dessus des possibilités.
Puis la version 1.1 est sortie courant 2018 avec un nouveau navigateurs de présets, les « Mod Matrix Modifiers » et la modulation croisée. Il y a eu la version 1.2 fin 2018 avec le fameux nouveau type d’oscillateurs à tables d’ondes (ou wavetable), la possibilité d’exporter des wavetables de Zebra 2.9 vers le format WAV, cet étrange format de script UHM qui permet apparemment de faire des choses novatrices impossibles avec un éditeur classique dont de la FM et de la modélisation physique (on y reviendra aussi). Et puis la version 2 est sortie en 2019, la 2.1.1 en test en 2021, avec sa nouvelle interface graphique et ses nouveaux modulateurs, le NKS, des améliorations de performances, des nouveaux paramètres modulables cachés, le support des gammes, de nouveaux présets en masse, et de nouveaux filtres très intéressants. J’ai donc du personnellement me résoudre à m’y replonger depuis quelques mois, et on s’est dit aussi chez AudioFanzine que c’était le moment de reparler de ce synthétiseur qui a gardé les atouts de la version testée précédemment dans nos colonnes, mais qui est devenu entre temps une toute autre bête !
Prise en main
u-he Hive 2.1.1 est donc un synthétiseur soustractif virtuel aux formats VST, VST3, Audio Unit et AAX, disponible pour Windows, mac OS (en natif avec les macs M1) et même Linux, compatible NKS pour pouvoir être piloté sur le hardware Native Instruments, avec le support du MPE, et proposé au tarif de 149 euros, ou 20 euros pour ceux qui possèdent déjà la première version. Comme pour tous les produits u-he, l’installation se fait simplement avec un unique installeur pour la version démo et la version commerciale, en utilisant un numéro de série disponible à l’achat, sans avoir besoin de dongle ou de procédure de challenge / response, ce qui est toujours appréciable.
Le synthétiseur possède une architecture de synthèse classique, avec 2 VCOs principaux et 2 subs stéréo qui peuvent aussi faire générateurs de bruits, des modes mono/legato/duo/poly allant jusqu’à 16 voix de polyphonie, un mode unisson, 2 filtres de 6 types différents + 4 nouveaux depuis Hive 2.1 avec plusieurs options de routage des oscillateurs, 4 générateurs d’enveloppes ADSR, 3 LFOs dont un dédié au vibrato, une matrice de modulation avec 12 slots à deux entrées + deux sorties, le support du micro-tuning, le MIDI Learn, une section d’effets (distorsion, délai, chorus, réverb à plaques, phaser, EQ, compresseur) de très bonne facture dont on peut réorganiser à l’envie l’ordre de traitement, une batterie de présets évidemment, et même un skin alternatif qui permet de changer l’apparence et le placement des éléments de l’interface du synthétiseur…
On trouve également une section arpéggiateur et séquenceur qui peuvent être utilisés en même temps, en synergie avec la fonctionnalité qui permet de limiter les notes autorisées à une gamme, ou avec le réglage « MOD » qui permet d’ignorer les paramètres de changements de note / gate / vélocité mais qui peut quand même moduler des paramètres (très utile pour faire des trance gates à partir d’accords sur des pads).
Filtrons filtrons
Dans le beaucoup moins classique, Hive 2.1 possède un certain nombre de spécificités, certaines étant déjà disponibles depuis la version 1, telle que le sélecteur de moteur audio ou « synth engine », qui peut être au choix Clean, Normal ou Dirty. Cette fonctionnalité permet de changer le caractère du synthétiseur, à commencer par celui des filtres (ce qui multiplie du coup par 3 la quantité de filtres disponibles dans les faits) qui peuvent ressembler à un SVF linéaire en Clean, ou bien inspirés de celui d’un Minimoog en Normal et de celui du Korg MS-20 en Dirty. Le choix du moteur modifie aussi la forme des enveloppes, et la répartition du pitch des oscillateurs avec l’unisson, donc globalement a un effet plutôt radical sur le rendu sonore !
- Démo synth engine Clean00:17
- Démo synth engine Dirty00:17
- Démo synth engine Normal00:17
En plus des types passe bas, passe haut, passe bande, peak et notch avec plusieurs pentes d’atténuation classiques, Hive 2.1 s’est d’ailleurs doté de 4 nouveaux types un peu obscurs appelés Comb, Dissonant, Reverb et Sideband. Les 3 premiers sont des variations de filtres en peigne, qui permettent avec des lignes à retard de créer des résonances un peu métalliques, voire de reproduire la caisse de résonance d’un instrument de musique ou des espaces acoustiques un peu hors norme, et ce de manière polyphonique (pour chaque voix). On devine que ces nouveaux types s’accorderont bien avec certains types d’oscillateurs à table d’ondes dans un registre de modélisation physique d’instruments, que ce soit des instruments à cordes ou à vent. Quant au type Sideband c’est ce qu’on appelle un « frequency shifter » qui permet de déplacer le contenu fréquentiel d’un signal vers les fréquences basses ou hautes avec un offset plutôt qu’un multiplicateur. Ainsi à la différence d’une transposition du pitch, cela change le rapport entre les harmoniques initiaux du signal, ce qui peut créer des dissonances assez violentes, ou des sonorités métalliques. Ces 4 filtres auront également un comportement un peu différent en fonction du moteur audio choisi, et de ce qu’on utilise comme oscillateurs.
- Démo du type de filtre Comb01:02
- Démo du type de filtre Dissonant (Noise)00:35
- Démo 1 du type de filtre Sideband00:34
- Démo 2 du type de filtre Sideband00:38
- Démo du type de filtre Reverb00:40
Vous êtes dans la matrice (de modulation)
Une autre spécificité assez visible sur la nouvelle interface de la version 2 est celle des modulateurs « alternatifs », très fortement inspirés du monde de l’Eurorack et de la synthèse à la « west coast », avec deux générateurs de fonctions (Function Generator) et quatre séquenceurs de forme (ou Shape Sequencer), qui servent de sources de modulations mais aussi d’effets à appliquer sur d’autres signaux de modulation plus classiques.
Les premiers permettent donc de fabriquer une enveloppe assez simple, à partir de n’importe quel signal en entrée, que ce soit le signal audio lui même, ou bien un LFO ou la sortie de n’importe quel autre modulateur, avec différentes options (suiveur ou générateur, dépendance à l’enveloppe de volume, forme de l’enveloppe etc.) et aussi plusieurs sorties « gate » supplémentaires qui permettent de créer des LFOs carrés supplémentaires ou des diviseurs d’horloge !
Quant aux séquenceurs de forme, il s’agit d’une autre fonctionnalité unique qui permet de générer un signal de modulation en dessinant sa forme et éditant sa courbature et des répétitions via l’onglet « ruche » du milieu, sur jusqu’à 8 sections communes aux 4 sorties définies par une lettre (A-D) et une couleur. Pour chaque sortie, on pourra désigner un mode de fonctionnement différent (base de temps, ordre dans lequel jouer les séquences, lancer une séquence pour chaque note jouée ou en mode mono), et quels segments y associer grâce à la grille de 8 × 4 couleurs. Mais ce n’est pas tout : il est possible aussi d’assigner à des sources de modulation quelconques des paramètres du séquenceur de forme, ce qui permet par exemple de faire accélérer ou ralentir le séquenceur en fonction de l’aftertouch, de moduler la courbure du segment en cours avec la molette de modulation, ou encore d’assigner la position dans le séquenceur à un LFO.
Tout ce beau monde peut être assigné à des modulations via les onglets de la matrice de modulation, via des glissés déposés, d’autant plus que l’interface graphique redimensionnable présente la caractéristique de montrer un maximum des éléments du chemin du signal sur une seule page, et de mettre en surbrillance les éléments dont édite la modulation à un moment donné. De plus, les signaux de modulation peuvent être modifiés via les « slots modifiers » qui peuvent transformer la courbure du signal comme via un waveshaper, rajouter du redressement, de la quantification (très utile sur le pitch), limiter la vitesse de variation etc. On reconnait des choses que l’on a observées dans d’autres synthétiseurs u-he comme Bazille, avec une apparente simplicité et la possibilité de rajouter de manière optionnelle de la complexité où on le souhaite…
D’ailleurs, une autre nouveauté intéressante de Hive 2 est l’ajout dans l’hexagone d’un « Scope » qui permet d’afficher au choix jusqu’à 4 signaux compris dans le synthétiseur. Loin d’être simplement un gimmick qui rajoute du feedback visuel, il peut s’avérer super efficace comme outil pédagogique pour comprendre certaines fonctionnalités du synthétiseur, pourquoi n’on arrive pas à moduler tel donnée et ce qui manque sur le chemin du signal, comment plusieurs sources de modulations interagissent entre elles, ou encore pour affiner un patch dans les mains d’un expert. Ce Scope complémente parfaitement le feedback visuel de base, avec les formes d’ondes, réponses en fréquences, couleurs et LEDs qui s’animent déjà un peu partout…
Y en a sous le moteur
Parlons maintenant d’un point important concernant le synthétiseur, à savoir son « moteur audio ». Depuis les débuts de Hive, u-he a indiqué à propos de son synthétiseur avoir mis un accent particulier sur la partie ressources consommées. La dernière version 2.1.1 est d’ailleurs censée apporter un certain nombre d’améliorations à ce sujet à l’existant, notamment sur la partie interface graphique et support natif du M1, et avec le bypass de certaines sections lorsqu’elles ne sont pas utilisées. Pendant nos tests, nous avons effectivement pu constater que les ressources consommées par Hive étaient vraiment faibles, que ce soit pour des patchs très basiques ou d’autres qui utilisent des effets, beaucoup de modulations, l’unisson, de la polyphonie, par rapport à des synthétiseurs à modélisation analogique évidemment mais aussi des concurrents directs, ce qui en fait tout de suite un de ses gros points forts.
Que Hive soit peu gourmand par design a toutefois un prix qu’il convient de préciser et de regarder, avec une influence au niveau du son. Pas d’inquiétudes à avoir au niveau des filtres qui ont été conçus pour l’occasion aux petits oignons, mais par contre les choses se jouent au niveau des modulations et des oscillateurs de base. En plus du type « wavetable » apparu avec la version 1.2 (on en parle après évidemment), chacun des 4 oscillateurs peut être au choix un bruit blanc, un bruit rose, un sinus, un triangle, une dent de scie, un carré avec le PWM modifiable via les modulations (pas avec un contrôle en façade dédié malheureusement), ou différents carrés avec différents PWM fixes.
Pour information, la génération d’oscillateurs numériques dans les synthétiseurs doit se faire en utilisant certaines techniques qui permettent d’éviter que ceux-ci génèrent trop d’harmoniques au delà de la moitié de la fréquence d’échantillonnage, à moins que les développeurs recherchent une esthétique particulière (façon DX7, Prophet VS et autres premiers synthétiseurs numériques hardware). Pour arriver à ce résultat, il existe des moyens plus coûteux en CPU que d’autres, avec une suppression plus ou moins effective des harmoniques superflus qui génèrent du repliement, au point que parfois cela va jusqu’à rogner du contenu utile dans les très hautes fréquences. C’est ce qui se passe ici dans Hive 2.1.1 en utilisant les oscillateurs de base, avec en fonction de la note du contenu harmonique supprimé entre 16 kHz et 20 kHz, rien de très méchant donc et ainsi très peu de repliement à la clé.
Un autre point particulier de ce synthétiseur depuis la version 1.0 est son mode unisson (jusqu’à 16 voix), inspiré évidemment du supersaw (super tronçonneuse vroooooom) du Roland JP 8000, avec la copie de plusieurs voix désaccordées et mises en mouvement les unes par rapport aux autres, placées différemment dans l’espace stéréo, que les fans de « trance music » reconnaissent instantanément. Le tout premier prototype de Hive était justement un démonstrateur de plusieurs algorithmes de supersaw, et la première version disponible de Hive était au premier abord un synthétiseur construit autour de ce son avec un set minimal de fonctionnalités complémentaires, avant d’évoluer vers d’autres territoires sonores. Petite anecdote, un des tous premiers sons de ce type répertorié dans l’histoire de la synthèse sonore était disponible sur le Korg Wavestation, avec le nom de préset « Beehive » comme de par hasard…
Pour rester sur la dimension du CPU, Hive depuis sa première version fait en sorte que les signaux de modulation ne puissent pas mettre à jour les éléments du synthétiseur trop souvent pour économiser des cycles. Cela a peu de contreparties en général, si ce n’est d’empêcher tout ce qui est « audio rate modulation », à savoir la possibilité d’avoir dans les onglets d’oscillateurs des options pour la FM ou pour des modulateurs en anneaux malheureusement. Et par voie de conséquence Hive ne permet pas aux LFOs d’aller plus haut que plusieurs dizaines de Hz. Même en trichant un peu en auto modulant leur vitesse, on arrive à créer des choses qui viennent mettre un peu d’agressivité ou de bordel, mais pas au niveau de ce que l’on peut trouver dans des synthétiseurs dédiés à la FM, ou à modélisation analogique qui incitent à moduler des paramètres à la fréquence de l’audio (ce qui était d’ailleurs tout le propos du ACE de u-he). Mais tout n’est pas perdu pour autant…
Jouons cartes sur table
Car parlons à présent de la grosse nouveauté qui est apparue dans Hive 1.2 depuis le précédent test et dont on n’a pas encore parlé : l’oscillateur à tables d’ondes (wavetable) bien évidemment. Pour rappel, le principe de la technologie c’est de lire le contenu d’un tableau contenant plusieurs formes d’ondes stockées en mémoire de taille fixe (par exemple 1024 ou 2048 échantillons). Cette onde va ensuite pouvoir être lue à différentes hauteurs par le moteur de synthèse, d’une manière intelligente qui évitera l’accumulation d’harmoniques sur les notes hautes pour éviter le repliement. Et surtout, plutôt que de simplement utiliser chaque forme d’onde stockée telle quelle, on pourra appliquer une interpolation entre chacune pour en créer de nouvelles, voire appliquer de la modulation sur la position dans le tableau.
Cette idée n’est pas nouvelle ici, elle existe au moins depuis la fin des années 1970, et on la trouve notamment dans le PPG Wave 2 ou chez Ensoniq. La technique permettait par exemple de modéliser numériquement la possibilité analogique de moduler le PWM d’une onde carrée, ou de rajouter via l’oscillateur l’équivalent d’une résonance qui n’existait pas dans le design des filtres des synthétiseurs. Elle se différencie aussi du sampling ou de la synthèse PCM à cause de la taille des formes d’ondes et du fait qu’on puisse moduler le mouvement dans les tables d’échantillons.
Aujourd’hui, le principe a le vent en poupe au point qu’on a l’impression de voir des synthétiseurs virtuels à tables d’ondes partout, depuis Native Instruments Massive premier du nom à Xfer Records Serum en passant par Synapse Audio Dune 3, le Wavetable intégré d’Ableton Live, Vital disponible en version gratuite ou Sonic Academy A.N.A. 2. Son gros intérêt de nos jours est qu’on trouve sur les internets des wagons de tables de formes d’ondes au format WAV, qui permettent d’étendre les territoires sonores couverts par les synthétiseurs compatibles, vers des horizons synthétiques pur jus plus ou moins agressifs, pour rajouter des couleurs à consonnance acoustique… On trouve ainsi de multiples éditeurs de tels tableaux, soit directement intégrés aux plug-ins sus-cités avec des fonctionnalités d’exportation (comme dans u-he Zebra 2.9 aussi d’ailleurs), soit disponibles en standalone. Ceux-ci permettent de transformer des sons issus du sampling d’instruments en quelque chose d’utilisable dans ce nouveau contexte (pas toujours très intéressant en pratique de mon point de vue), ou de créer des tables d’ondes de manière visuelle, avec l’usage d’équations mathématiques, de technologies « text to speech », de moyens de créer automatiquement des transitions ou de gérer les discontinuités entre deux formes d’ondes consécutives etc. Certains plug-ins rajoutent encore des effets temps réel sur le résultat comme Serum ou Massive X avec leurs « warp modes ». Et ces tables de formes d’ondes sont alors censées sonner à peu près pareil quelque soit le moteur de synthèse utilisé mais ce n’est pas tout à fait le cas non plus.
Dans Hive 2.1.1, et depuis Hive 1.2, l’approche du synthétiseur à tables d’ondes est plutôt minimaliste en comparaison des autres. Le plug-in propose le strict minimum en matière de lecture de tableaux, avec des fonctionnalités customisables de bouclage ou de déplacement en « one shot » de la position de lecture dans le tableau, synchronisables avec le tempo. Un peu d’originalité apparaît avec la possibilité de définir une deuxième dimension de déplacement dans le tableau – ce qui permet de faire des interpolations entre quatre et plus seulement deux formes d’ondes consécutives – et ses 4 algorithmes d’interpolation des formes d’ondes du plus cru au plus fin (en écoute ci dessous), encore plus dans le contexte de la modulation, le tout avec les mêmes contraintes CPU que précédemment. On notera l’intérêt des modes « Spectrum » et « Zero Phase » qui peuvent vraiment faire une grosse différence sur certaines sources pour rendre les transitions aussi propres que possible.
Mais surtout, Hive gère un format de tableau maison sous forme de script avec le nom de UHM. Avec seulement quelques lignes de texte, ces scripts peuvent générer automatiquement des tableaux d’un nombre de formes d’ondes spécifié qui peut être assez important, à l’aide de formules mathématiques qui sont dans un tout autre paradigme que la création d’ondes avec un éditeur visuel, et disons le clairement pas vraiment accessible à tous, même si des tutoriels sont fournis. Par contre, ces scripts ont permis de doter la base de présets (patchs et tables d’ondes fournies avec le synthétiseurs) de choses assez uniques qu’on imagine difficiles à créer avec d’autres moyens, comme des variantes de la synthèse physique Karplus Strong, de la FM, des formants, ce qui permet de combler les vides initiaux dans Hive à ce sujet, ou même de créer des tables d’ondes en prenant le contenu d’autres tables d’ondes comme paramètres.
Des éditeurs tiers se sont aussi attelés à la tâche d’utiliser le format de script UHM pour faire des choses intéressantes, notamment Plugmon avec son Analog Anthem qui modélise des formes d’ondes issues de synthétiseurs analogiques, ou FM Anthem qui va explorer dans le détail tous les terrains typiques de la FM, sur lequel l’usage de la deuxième dimension en interpolation d’ondes apporte un intérêt tout particulier pour modéliser des moteurs FM à deux paramètres.
- Démos de Analog Anthem01:24
- A Wish – Démo de FM Anthem02:26
Au niveau CPU, les oscillateurs à tables d’ondes semblent à peine un peu plus gourmand que les oscillateurs classiques à l’usage, avec parfois certains scripts UHM qui mettent une ou deux secondes à se charger au lancement des présets, ce qui ne fait aucune différence ensuite. On en a profité pour comparer aussi les rendus sonores en utilisant la table d’onde la plus simple qui soit qui propose les 4 formes d’ondes de base. Les formes de base sonnent pratiquement à l’identique dans les deux cas, à l’exception de la problématique du spectre atténué au dessus de 16 kHz qui est inexistante dans le cas « wavetable » ! On remarque également qu’il existe une vraie différence de qualité entre des tableaux de 1024 échantillons et 2048 (le standard pour Serum ou pour Hive mais pas toujours ailleurs) qui s’entend assez clairement sur des notes graves, ce qui nous poussera à préférer ce format dans les tables tierces.
Pilule bleue ou pilule rouge
Ainsi, avec toutes les possibilités offertes par les scripts UHM fournis, et celles des éditeurs tiers, Hive montre sa capacité à ne pas être qu’un énième synthétiseur / lecteur à tables d’ondes, sans parler de ce que les utilisateurs aguerris pourront créer avec les 4 nouveaux filtres de la version 2.1 et les multiples sources de modulation. On pourrait passer beaucoup de temps à créer des sons juste avec les possibilités offertes par les tableaux de formes d’ondes d’usine, qui peuvent évidemment être complétés grâce au support des librairies tierces. Je me suis beaucoup amusé par exemple avec ceux du répertoire FM comme la recréation du son « Lately Bass » du Tx81z de manière assez précise, celui avec la voix de Urs Heckmann qui prononce le mot « vintage », le contenu des dossiers Complex et Formants etc. Je pense que Zebra 2.9 a aussi du être mis à contribution pour certains d’ailleurs, et que certains scripts UHM ont été exportés en WAV pour limiter les temps de chargements.
En parlant de présets, Hive est tout aussi fourni que ses autres camarades chez u-he, avec environ 2500 patchs, accessibles via un navigateur qui permet d’explorer le contenu par catégories, tags, auteurs, en tapant des mots clés de recherche, avec la possibilité de sauvegarder l’historique de ces recherches, de mettre certains présets en favoris, de ne regarder que les nouveaux présets apparus avec une version particulière etc. On y trouve évidemment de tout et pas simplement des gros sons typés EDM, dont des séquences et des sons de drums. On peut même accéder sur le site web de u-he, en plus de soundsets payants, à une sélection de présets et de packs pour Hive gratuits, dont ceux qui avaient été partagés par les compositeurs ayant participé au Synth Challenge à la sortie de la version 1.0. On notera que les présets proposés ont fait l’objet d’une attention particulière, en matière de classement et de processus de sélection, faisant appel à plusieurs sound designers professionnels dont certains travaillant en interne pour u-he…
J’en profite pour aborder le niveau d’expressivité du synthétiseur. La plupart des patchs tiennent compte des spécificités du MPE et modulent des paramètres grâce à l’aftertouch ou la modulation wheel, mais aussi avec des potentiomètres de contrôle dédiés, accessibles au musicien via MIDI Learn, qui portent le nom de pads XYs. Ce sont des macros paramétrables et éditables à la souris via des onglets dédiés, et donnent pour chaque potentiomètre hardware spécifique la possibilité de moduler jusqu’à 4 paramètres du synthétiseur différent, fixes ou en lien avec les modulations internes. De plus, à la création d’un nouveau préset, il est possible d’assigner à ces pads des macros automatiquement parmi une liste constituée automatiquement de toutes les macros vues dans les présets stockés sur la machine, très pertinent !
D’ailleurs, concernant les modulations, le fait de pouvoir cascader arpégiatteurs, séquenceurs (classique et de forme), LFOs, enveloppes, quantification du pitch, gammes, et même tableaux de formes d’ondes contenant des séquences rhythmiques, par exemple des ondes entrecoupées de silences, permet d’imaginer tout et n’importe quoi en matière de sons séquencés ou de variations temps réel de timbres, polyrythmies, lignes mélodiques synchronisées avec le tempo etc. Les effets sont plutôt efficaces, notamment la réverb à plaques que j’ai pas mal utilisée en mode « freeze » avec le decay au maximum. Et on peut utiliser la liste des « Tips & Tricks » du manuel comme une liste de leçons pédagogiques pour Hive pour rentrer dans le détail et découvrir certaines astuces d’utilisation. Bref, il y a de quoi faire avec Hive, et on peut aussi utiliser le synthétiseur de la manière la plus classique qui soit en partant du patch d’initialisation ou de présets typiques pour obtenir en quelques clics des sons plus conventionnels…
- Carbon Based Hive04:50
- Glaciers Dream of Loneliness01:15
- J’ai fait le test de Hive 2 pour AudioFanzine01:48
Et Keanu Reeves dans tout ça ?
Avant de conclure, si vous êtes arrivés jusque là dans le test, vous n’avez pas pu vous empêcher de vous poser tout du long la question suivante : « ok tout ça est très intéressant, mais c’est quoi le rapport entre Hive et Matrix » ? Et bien il se trouve que Johnny Klimek et Tom Tykwer, les compositeurs de la bande originale du film tout juste sorti au cinéma Matrix 4 Ressurections, ont fait appel aux services courant 2019 des sound designers de u-he, pour créer des sons qu’ils pourraient utiliser dans leur musique. En effet, ils connaissaient bien Hive 2 et la compagnie puisque le synthétiseur a été largement utilisé pour la bande originale d’un autre projet des sœurs Wachowski, la série Sense 8, ou encore dans la série de Tom Tykwer Babylon Berlin, et aussi parce que Johnny Klimek est le beau frère de Urs Heckmann ! Les collaborateurs avaient alors convenu qu’ils travailleraient exclusivement sur Hive, quitte à devoir rajouter des fonctionnalités supplémentaires dans le synthétiseur, et que u-he aurait la possibilité de commercialiser un soundset contenant les présets et les sons créés mais non utilisés dans le film, à la manière du Dark Zebra qui a été conçu en collaboration entre Howard Scarr et Hans Zimmer pour u-he Zebra 2 (Hans étant un mordu de Zebra 2 !) autour de la bande originale des deux films « The Dark Knight » et « The Dark Knight Rises ».
C’est ainsi que vit le jour en même temps que la sortie du film le soundset pour Hive Metaphorium, avec ses sons à thématique « cinématographique », et que furent spécifiquement développés pour ces besoins-là les 4 types de filtres Comb / Dissonant / Reverb / Sideband, qui n’auraient ainsi jamais vu le jour si Keanu Reeves n’avait pas repris du service ! Si vous allez voir le film, ouvrez grandes vos oreilles car vous allez entendre du Hive un peu partout…
Conclusion
Pour conclure ce test, que dire sinon que ce Hive 2.1.1 est un synthétiseur ambitieux, assez polyvalent et en même temps avec beaucoup de personnalité. Il est relativement simple à prendre en main, et propose laaaargement de quoi s’amuser pour ceux qui veulent aller explorer des territoires moins consensuels que l’EDM auquel on pourrait penser à tort au premier abord qu’il se destine, au point qu’on en parle souvent comme d’un mini Zebra.
Un de ses gros points forts pourtant selon moi est qu’il est peu coûteux en CPU, ce qui fait qu’on peut en mettre partout dans ses projets, et réserver d’autres synthétiseurs simplement à une poignée de types de sons sur lesquels il est moins à l’aise. On pourra évidemment regretter l’absence de certaines fonctionnalités que l’on peut observer chez les concurrents, Serum par exemple qui est le compétiteur direct, comme l’impossibilité d’éditer les tables d’ondes de manière visuelle ou via des menus, ou de faire de la FM sans passer par des tables d’ondes spécifiques. Honnêtement, il me semble difficile de dire qu’un des synthétiseurs qui s’aventure sur le même terrain, comme Arturia Pigments 3, Adam Szabo Viper, Synapse Audio Dune 3.5, Native Instruments Massive X etc. ou le nouveau Hive, est celui qui va enterrer tous les autres, chacun ayant des différences fondamentales au niveau philosophie, et proposant des fonctionnalités qui sortent du cadre…
En tout cas, je me suis jamais senti limité dans mon utilisation de u-he Hive 2.1.1, et je suis resté admiratif pendant l’écriture de ce test devant la conception du synthétiseur et le soin apporté à tout un tas de petits détails. Pour ces raisons, nous accordons à Hive 2.1.1 l’award valeur sûre ! Et si je veux des choses spécifiques en FM ou en modélisation analogique, je continuerais à aller voir d’autres produits dédiés, mais je penserai à jeter un oeil dans Hive d’abord au cas où…
PS. Un grand merci à Urs Heckmann pour toutes les informations qui m’ont été fournies pendant l’écriture de ce test !