Nouvelle livraison de l’éditeur u-he, Hive ne prétend pas à la précision de Diva ou à la richesse de Zebra 2, pas plus qu’à la modularité de Bazille ou Ace. Non, Hive se veut simple d’aspect et d’emploi, tout en offrant un gros son. Mission accomplie ?
U-He Hive
Installé depuis plusieurs années, 2001 précisément, l’éditeur u-he (pour Urs Heckmann, son fondateur) est indéniablement un de ceux qui ont le plus gros capital de sympathie sur la toile. Ce résultat est dû à plusieurs facteurs, parmi lesquels on peut commencer par relever l’attention et l’interaction du fondateur avec ses clients, loin des pratiques de certains éditeurs pour qui l’acheteur reste un simple acheteur. Attention, on est là loin des pratiques risibles des fanboys de telle ou telle marque. Et puis son succès ne tiendrait pas dans le domaine extrêmement concurrentiel du logiciel si les produits proposés ne faisaient pas mouche quasi à chaque fois. La preuve est que l’aventure commencée seul est maintenant un travail d’équipe, Heckmann ayant réuni plusieurs collaborateurs autour de lui, dont Sascha Eversmeier et Howard Scarr, le nom du premier devant rappeler d’excellents souvenirs aux plus anciens (les plugs digitalfishphones, gratuits mais néanmoins très réussis) et celui du second aux amateurs de cinéma, de musique et de sound design, puisqu’il est, pour ne nommer que deux implications exemplaires, créateur de nombreux présets du Virus d’Access et programmeur de sonorités pour Hans Zimmer, notamment sur The Dark Night ou Inception. Le Batman a d’ailleurs mené à la réalisation d’une version spéciale de Zebra et d’une bibliothèque dédiée, The Dark Zebra/ZebraHZ.
Que ce soit dans le domaine des effets, Uhbik, Satin ou Presswerk par exemple, ou des synthés, avec Ace, Zebra ou Diva, l’éditeur propose à chaque fois des solutions et des approches originales, qui sonnent très bien (parfois au prix de la consommation CPU assez élevée) et dont la complexité sous-jacente est, la plupart du temps, rendue invisible grâce à un gros travail sur l’ergonomie et l’interface graphique (Heckmann a un passé de designer industriel, cela peut aider).
Aussi, quand l’éditeur nous présente son nouveau produit en mettant en avant sa simplicité d’utilisation, une consommation CPU très faible et malgré tout un gros son, on ne peut qu’être intrigué. Revue de détails.
Introducing u-he Hive
Le synthé logiciel est disponible chez l’éditeur, compatible bien évidemment Windows (XP, Vista, 7 et 8) et Mac (à partir d’OS 10.5), 32 et 64 bits et aux formats AU, VST2 et AAX (à partir de Pro Tools 10). Même reproche que celui formulé à Diva, pas de version autonome.
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L’éditeur a offert un prix spécial durant la période précédant la sortie officielle (109 euros, pour la version Release Candidate, en théorie identique à la version définitive), puis est revenu au prix normal, qui est de 180 dollars, TVA incluse (au moment de la réalisation de ce test).
Installation et autorisation sans encombres, via le nom d’utilisateur et un numéro de série fourni tout de suite après l’achat. Ce qui fait qu’on peut l’installer sur plusieurs ordinateurs, sans clés USB ou autres procédures de challenge/response limitées à un certain nombre de bécanes. « Plusieurs » signifiant ici un nombre illimité d’ordinateurs, et indifféremment Mac et PC. Une générosité que l’on aimerait rencontrer chez tous les éditeurs de plugs…
Architecture simplifiée
Pour Hive, u-he a visé la simplicité (mais pas la simplification), l’ergonomie et le son. Pas de fenêtres multiples, pas de sous-menus dans tous les coins, tout juste une bascule du clavier présent sur l’interface vers deux sections de modulation, et l’affichage central qui passe de mode Arp & Seq à Effects. Tout le reste est immédiatement sous les yeux, et la souris (ou les contrôleurs, le MIDI Learn est toujours aussi simple et rapide, via la roue dentée placée en haut à droite de l’interface graphique).
Hive fonctionne en mode Poly, Mono, Legato ou Duo (priorité aux notes basses) et offre jusqu’à 16 voix de polyphonie. Le synthé est conçu en miroir, avec une double chaîne de production sonore. Chacune des parties dispose pour commencer d’un Oscillo (what else?). Celui-ci comporte une sélection parmi plusieurs formes d’ondes, les quatre de base, plus Pulse, Half et Narrow (deux rectangles fixes) et deux types de bruits (White et Pink). On trouve aussi les réglages d’accord habituels (grossier et fin), de démarrage de la Phase (aléatoire, forcé ou continu), d’Unison (jusqu’à 16 voix), d’un désaccordage et du Volume. Moins habituels, un Pan et son réglage de largeur (Width), un Vibrato constitué d’un LFO préassigné, commun aux deux oscillos et SubOscillos et dont le Rate et le Delay sont réglables dans le pavé dédié en bas à gauche (vitesse max 32 Hz, donc pas de FM possible) et un SubOscillateur, disposant d’autant de formes d’ondes que l’oscillo principal (avec possibilité de refléter la forme d’onde du principal), avec ses réglages d’accord par demi-tons et de Volume. La bonne nouvelle étant que l’onde Pulse peut être modulée (de façon statique via la fonction Constant, ou dynamique via un LFO ou autre modulateur, on y reviendra) et ce sur l’Oscillo principal comme sur le Sub. Autres subtilités, bien pratiques, un bouton Solo pour l’Oscillo et le SubOscillo et un menu proposant des réglages des oscillos correspondant à des formes d’onde typiques, instruments ou sons iconiques. Ce type de menu sera présent sur tous les modules, une façon très rapide de régler un générateur de forme dynamique (enveloppe) ou un LFO, par exemple.
Taillage en règle
Tout naturellement s’ensuit le Filtre. Multimode, multipente, il dépend aussi des trois options qu’a implémentées l’éditeur, Normal, Dirty et Clean, appelées par l’éditeur Synth Engine. Il s’agit de trois types de filtrage, mais qui ont aussi des répercussions sur le reste du synthé. Normal offre un filtre en cascade auto-oscillant doté d’une résonance non linéaire (typique du Moog). Dirty propose un type de filtre à diodes auto-oscillant (on aurait du mal à ne pas penser à celui du MS20). Clean montre enfin un filtre à variable d’état linéaire, sans saturation, donc le moins gourmand des trois.
Voici un exemple d’une simple dent-de-scie filtrée en mode LowPass 24 (dB/oct.), avec chacun des modes tour à tour (dans l’ordre énoncé plus haut) et des mouvements de l’Input Gain.
On entend bien les différentes possibilités offertes par chaque Synth Engine, d’un filtrage subtil à de belles destructions soniques (le Synth Engine Clean sonne moins fort, sa résonance étant beaucoup plus violente que les autres). La construction du filtre permet de router de façon indépendante les deux sources de la chaîne, ainsi que celles de l’autre chaîne : en clair, l’Osc1 et le SubOsc1 peuvent rentrer dans le Filt1, mais tout aussi bien les Osc2 et SubOsc2. Et vice et versa. On comprend déjà la richesse timbrale harmonique pouvant en résulter. Autres raffinements, on dispose d’un gain d’entrée (idéal pour constater la différence de comportement des trois Modes), d’un Volume de sortie, d’un suivi de clavier (KeyTrack) progressif et du taux d’action des LFO et du générateur d’enveloppe Mod (on peut utiliser indifféremment ceux de la première ou de la deuxième chaîne audio). Profitons-en pour mentionner le bouton Link qui une fois activé répercute sur la chaîne 2 tous les réglages effectués sur la première, en prenant en compte les positions relatives des boutons. Dernière surprise, la sortie du filtre 1 peut être envoyée dans le filtre 2. Bien vu.
Mouvements très ordonnés
On en termine avec les modules de base (le niveau global d’amplification est ajusté via un seul potard Output) avec le LFO offrant Phase, Rate, diverses possibilités de redémarrage ou non de la phase (Sync, Single, Gate ou Random), fonctionnement uni- ou bipolaire via le bouton « + », différentes valeurs de vitesse (en divisions rythmiques ou en durées) et huit formes d’onde. Du côté des générateurs de formes dynamiques, classiquement à quatre segments ADSR, l’un est assigné à l’ampli, l’autre d’abord au filtre (les deux se retrouvent aussi dans la matrice). Chacun dispose de son réglage de sensibilité à la vélocité. Ces deux générateurs sont très rapides, et l’on reproduit très facilement des beaux clics si appréciés sur les analos. Cerise sur legato, le mode de déclenchement des générateurs peut varier : Gate, One Shot, LFO1 ou LFO2 permettent ainsi de les utiliser de façon traditionnelle, ou de les faire redéclencher par un des LFO. Bravo.
Rappelons que tout ce qui vient d’être décrit est multiplié par deux.
Dernier générateur de mouvement, la matrice de modulation, accessible via les boutons MM1 et MM2 (non, pas MMA…). 12 slots en tout, chacun permettant de choisir une Source (modules internes, contrôleurs MIDI, fonctions), et deux destinations (principe repris de Zebra, on clique-tire la cible apparue jusqu’au choix), avec taux bipolaires, et possibilité de passer (Via) par un modulateur à choisir dans une liste identique à celle de Source. Chaque Slot bénéficie de son bouton Bypass et d’un menu de préassignations bien pratique.
On disait plus haut, simple, mais pas simpliste.
Section centrale
Au beau milieu du synthé, on trouve la section Effects, dans laquelle on pourra chaîner dans n’importe quel ordre jusqu’à sept effets (par activation/désactivation), à choisir entre distorsion, délai, chorus, phaser, EQ, réverbe et compresseur. La section peut être désactivée de façon globale. Les réglages des effets ont été volontairement réduits au strict minimum, mais pas à dire, ils sonnent très bien (on connaît le savoir-faire de l’éditeur en la matière), même si l’on pourra préférer utiliser une réverbe ou une disto séparées plus performantes. Mais disposer de tous ces effets en interne est déjà très utile, ce qui fera à nouveau regretter de ne pas disposer de version autonome (même si de nombreuses solutions d’hébergement très légères existent maintenant).
En cliquant sur ARP & SEQ, on affiche la section dédiée à ces deux outils. D’abord les réglages d’horloge, communs aux deux, avec la division rythmique (noire, croche, double et triple-croche), synchronisation au tempo de l’hôte, réglages Swing et Multiply (pour les notes pointées et en triolets). Ensuite l’arpégiateur offre les réglages de direction (tel que joué, up, down, combinaisons up/down et aléatoire), octaves (jusqu’à quatre), Frame (permettant de ralentir la lecture de l’arpégiateur) et Order (façon dont l’arpégiateur joue toutes les notes avant de passer à l’octave, quatre modes différents). Enfin Restart, excellente idée, permet de spécifier le nombre de notes jouées avant que l’arpégiateur ne recommence son cycle (paires et impaires, youpi, on peut s’amuser avec la polyrythmie). Encore un outil commun, donc, mais toujours avec le petit truc qui fait la différence…
Même chose du côté du Sequencer. On est au départ face à un classique pas à pas (jusqu’à 16), avec les réglages courants de Transposition et Velocity, les liaisons, blancs ou non (On, Tie, Rest), et trois réglages de forme, Attack, Decay et Gate, mais aussi face à un Modulator, qui ne jouera pas les notes, mais les informations CC renseignées dans la ligne prévue. Deux boutons Rotate permettent de décaler l’ensemble de la programmation afin de modifier le point de départ. Dynamic Velocity, quand il est activé, mélange vélocité du Sequencer et celle réellement jouée. Et petit luxe, à la manière de certaines anciennes bécanes, on peut rentrer les pas du Sequencer (en ce qui concerne les notes), directement depuis le clavier, hauteur et vélocité étant immédiatement reconnues et assignées.
Mais le son ?
Plus on se balade dans le synthé, et plus on se rend compte des possibilités offertes, en se basant d’abord sur le son par défaut, pourtant assez commun (mais on aurait aussi tendance à oublier comment sonne un synthé analo brut, avec une simple forme d’onde). L’impression est vite confirmée dès que l’on commence à programmer ou à fouiller dans les présets, très nombreux, d’autant qu’u-he a fourni tout une banque de programmes conçus par les bêta-testeurs de Hive. Et l’éditeur nous fait une belle démonstration des possibilités de l’engin par fort effet de contraste. Quand on ouvre Hive, voici le son par défaut.
Et le premier préset accessible donne ça.
L’effet est bien vu… Mais baladons-nous dans les différentes possibilités sonores du logiciel, à partir de présets, de créations ou de modifications de réglages existants, en cherchant toujours à profiter des possibilités expressives via molettes, aftertouch et compagnie.
Commençons par les basses, tour à tour rondes, acides, avec beaucoup d’attaque (ou non), des effets de formant et un bas plus que confortable. De quoi contenter tout le monde.
Des leads agressifs, ou au contraire plus ronds, avec parfois des effets de ducking d’effets très bien vus. Les filtres façon MS20 ou Moog font là merveille, et l’on retrouve des sonorités habituelles comme des couleurs plus récentes. La matrice de modulation permet d’assigner les contrôleurs souhaités à toutes les destinations, ce qui garantit une expressivité conforme à ce que l’on souhaite jouer.
Les Pads de Diva, lors du test de ce dernier, m’avaient impressionné. Si l’on ne retrouve pas exactement dans ceux de Hive le côté plein et légèrement mouvant de ceux de Diva, ils sont quand même très réussis et offrent des sonorités très variées. On notera simplement qu’ils utilisent, comme d’autres sons d’ailleurs, les effets au mieux, là où Diva peut parfois s’en passer. Mais même les formes d’ondes les plus basiques arrivent à sonner, ce qui n’est pas donné à tous les synthés.
Allons voir du côté des différents synthés, claviers, stabs, plucks et compagnie. Là aussi, la diversité fait plaisir à entendre, et l’on se surprend parfois à douter que les sons proviennent de la même « bécane » (ce n’est pas un problème d’identité, puisque l’éditeur fournit trois comportements différents…).
Et l’on finira par les séquences et arpèges, des plus classiques aux plus inattendues. Un des autres points forts du logiciel.
Bilan
Cela devient compliqué de tester les produits u-he et d’en chercher les défauts. En effet, l’éditeur montre une belle régularité dans la conception de ses produits, et dans leur réalisation, qu’elle soit d’un point de vue technique, ergonomique, ou relative au contenu, c’est-à-dire au sound design et à la création de présets illustrant les possibilités du logiciel.
Les oscillos sont très bien conçus (les SubOscs ne sont pas que de « simples » octaves, les possibilités de les moduler ici offertes sont plutôt rares, et du coup on profite de bien plus qu’un classique synthé deux oscillos) et se comportent très bien sur toute l’étendue du spectre, les filtres, sans être exactement équivalents à ceux de Diva, sonnent très bien (le grain du Dirty est réjouissant), la matrice est bien conçue (et très simple à mettre en œuvre), tout comme le séquenceur qui est un plaisir à programmer, à la souris ou en direct. Et les effets jouent un rôle bien pensé pour apporter la touche finale aux sonorités (et non pas masquer l’indigence des filtres ou oscillos, comme hélas souvent). Le tout avec une consommation CPU qui fait oublier les exigences de Diva en la matière. Hive va rejoindre immédiatement ma panoplie d’instruments pour le live, certainement en lieu et place de son grand frère (grande sœur ?) Diva, parfois limite en termes de consommation quand on utilise d’autres synthés/hôtes/effets simultanément. On regrettera quand même deux choses, l’absence de version autonome, et la traînée des effets lors de changements de présets, qui provoque parfois des artefacts pas très musicaux et un brin élevés en volume. Si le standalone n’est pas prévu, peut-être l’éditeur peut-il améliorer ce dernier point, qui peut être gênant. Bref.
C’est en tout cas encore une réussite à mettre au crédit de l’éditeur, un véritable instrument capable de répondre à toutes les envies et nuances, aussi à l’aise dans les sons délicats que dans la grosse artillerie, une mission accomplie qui mérite donc sans aucun problème un Award Valeur Sûre.