À une époque où la synthèse soustractive pure et dure semble marquer le pas, le Prophet-VS propose une combinaison inédite d’ondes numériques mélangées et de filtres analogiques…
Au milieu des années 80, les synthés polyphoniques analogiques sont à bout de souffle. Beaucoup de pionniers ont été secoués par le DX7, les musiciens veulent des synthés plus compacts, abordables, fiables, avec un son nouveau. Les oscillateurs à ondes basiques filtrées ne font plus recette, la synthèse soustractive n’intéresse plus guère. Les circuits analogiques intégrant oscillateurs, filtres et ampli se répandent, permettant de réduire les coûts de production et la fiabilité, au détriment du son qui devient plus droit, plus juste, plus aseptisé… ce qu’on appellerait stérile aujourd’hui ! La technologie numérique se développe et on voit apparaître chez les pionniers américains des échantillonneurs conservant des filtres analogiques (E-mu E-max et Emulator III, Sequential Prophet 2000/3000 et Studio-440). Côté synthés, c’est l’apparition de machines hybrides, emboitant le pas à la série PPG Wave lancée quelques années plus tôt. C’est Korg qui ouvre le bal en 1985 avec les DW, combinant ondes courtes numérisées et filtres analogiques maison. Un an plus tard, Sequential pousse le concept un peu plus loin, en permettant de mélanger plusieurs ondes en temps réel avant de les envoyer dans un filtre analogique. La synthèse vectorielle est née, avec comme fer de lance le Prophet-VS…
Clavier ou rack ?
Le Prophet-VS est décliné en version clavier de 5 octaves et rack 19 pouces 3U. Les commandes sont quasi-identiques, aux clavier et molettes près. La construction est tout en métal. Sur le modèle clavier, la tôle est trop fine, ce qui rend la machine fragile mécaniquement. Le clavier est sensible à la vélocité et la pression, mais les capteurs de pression ont tendance à s’user avec le temps, la rendant inopérante. Du coup, les modèles rack, beaucoup plus robustes, sont les plus recherchés et ont une cote supérieure aux claviers ; ils souffrent toutefois d’une usure des petits boutons poussoirs carrés de sélection des programmes, qui ont tendance à devenir durs dans le temps et génèrent des faux contacts…
L’édition se fait par sélection d’un paramètre et modification via un grand curseur linéaire, avec l’aide de l’écran affichant le paramètre édité et les autres paramètres du module (genre coupure, résonance et quantité d’enveloppe dans la page dédiée au filtre) ; pratique et beaucoup plus simple que sur un PPG ! On trouve ainsi les sections d’oscillateurs, filtre, modulations, voix, enveloppes, LFO, chorus, pitch, mode clavier, arpégiateur, MIDI et programmes, réparties sur toute la façade. La disposition est un peu différente entre les modèles clavier et rack, c’est d’ailleurs beaucoup plus serré sur le rack !
Toujours à l’avant, on trouve un lecteur de cartouches (ROM ou RAM) ajoutant 100 programmes (et 32 formes d’ondes pour les Ram) à la mémoire interne, renfermant elle-même 100 programmes et 32 formes d’ondes réinscriptibles (en plus des 96 formes d’ondes en Rom).
Il n’y a que deux potentiomètres rotatifs sur un Prophet-VS : volume et balance gauche/droite. Toute la connectique est située à l’arrière, comme le bouton marche/arrêt, y compris sur le rack… pas très pratique ! Elle se limite aux sorties audio gauche/droite (faisant office de prise casque stéréo/sortie mono), au trio MIDI (Thru commutable en second Out), aux deux entrées pour pédales (assignable et Release secondaire) et à la borne secteur de 3 broches (alimentation interne à tension commutable manuellement). Le modèle clavier n’est pas mieux fourni que le rack en matière de connectique… Les fonctionnalités MIDI sont en revanche très complètes pour une machine de cette époque : émission et réception de notes, contrôleurs physiques, CC, Sysex (programmes et formes d’ondes) et réception de samples externes par protocole Sample Dump Standard (SDS).
Textures originales
Le Prophet-VS est un synthé polyphonique 8 de voix bitimbral. Les 100 programmes internes sont tous réinscriptibles. La bibliothèque sonore maison comprend 6 banques de 100 programmes disponibles sur cartouche Rom, numérotées de 1 à 6. On les trouve aujourd’hui en Sysex sur la toile, avec une dizaine d’autres banques. La première banque reprend les programmes d’origine. La deuxième est spécialisée dans les sons de scène, également développés par Sequential. La troisième offre un complément de sons pour la scène. La quatrième est une compilation des 3 premières. La cinquième comprend des sons dits américains, alors que la sixième est orientée sons européens. En réalité, toutes ces banques sont constituées de sons assez généralistes et très bien programmés. Il faut aujourd’hui compter une bonne centaine d’euros pour une cartouche RAM chargée, ce qui n’est pas donné. On pourra se rabattre sur les banques Sysex qui marchent très bien, même si cela implique d’écraser la mémoire interne à chaque fois. Toutes ces banques sont d’excellente qualité et démontrent les grandes qualités sonores du Prophet-VS.
Nous apprécions tout particulièrement les nappes, quelles qu’elles soient : cordes analogiques subtilement évolutives mélangeant des ondes légèrement désaccordées dont le mixage et la position stéréo évoluent lentement, cuivres à attaque modulée tirant parti de l’enveloppe bidimensionnelle et de l’excellent filtre analogique, nappes stéréophoniques à timbre ciselé grâce au mixage dynamique des ondes, textures à transitoires métalliques qui disparaissent brutalement pour laisser apparaitre un son planant, sons d’orgue à différent contenu harmonique, basses filtrées, cloches à résonance interne vibrante, gros empilages à l’unisson… le Prophet-VS est un véritable caméléon. Il n’est en revanche pas à l’aise dans les synchro et les modulations audio, puisqu’il en est dépourvu, comme nous le verrons plus tard. Il ne remplace donc pas complètement un synthé analogique qui excelle dans ce domaine. Le grain parait parfois proche de ce qu’on trouve sur un PPG Wave, mais les modulations stéréo multiples rendent le son plus large. L’aliasing est bien présent et apparait plus rapidement quand on monte en fréquence que sur un PPG. Certains ont du mal avec cela, d’autres adorent !
- 01 Tunnel 00:25
- 02 MadLove 00:28
- 03 Strings 00:48
- 04 Vocox 00:29
- 05 Anabass 00:36
- 06 Alien 00:35
- 07 Forgoten 00:37
- 08 Croco 00:29
- 09 Dance 00:30
- 10 Section 00:23
- 11 SoCold 00:34
- 12 MiniVS 00:33
- 13 Xpander 00:19
- 14 OBX 00:38
- 15 Victim 00:32
- 16 Dirty 00:19
- 17 Filtstrng 00:28
- 18 Purbass 00:30
- 19 MinibassStack 00:32
- 20 Voxbell 00:23
Vecteur hybride
Le Prophet-VS est basé sur la synthèse vectorielle, c’est-à-dire le mélange dynamique de quatre ondes basiques qui sont ensuite filtrées. Au plan électronique, les ondes sont générées par 4 puces propriétaires numériques de 12 bits SCI I-625, le VCF et VCA par un circuit intégré analogique CEM3379 ou CEM3389 suivant modèle (VCF+VCA stéréo), alors que toutes les modulations sont numériques. Il y a des composants rares dans le Prophet-VS : les I-625 et les CEM3379/CEM3389 bien sûr, mais aussi les CEM5530, deux circuits intégrés S&H à 32 canaux qui transforment les valeurs numériques en tensions analogiques pour commander les paramètres de synthèse. Mieux vaut se faire un petit stock de rechange au cas où… on trouve encore certains de ces composants chez Wine Country Sequential, avis aux amateurs ! Mais refaisons une petite translation vectorielle pour revenir à la synthèse du même nom…
Pour plus de clarté, le lecteur est invité à se référer au diagramme de synthèse (Signal Flow) ci-joint. Le son prend sa source au sein de quatre oscillateurs numériques ABCD mélangés sur deux axes : AC (horizontal) et BD (vertical). Les ondes sont placées aux 4 points cardinaux d’un losange rectangle isocèle (donc un carré sur la pointe). La synthèse vectorielle consiste à moduler simultanément le volume relatif des 4 ondes sur les 2 axes : ce mélange est déterminé par un point de mixage décalé par rapport au centre (où toutes les ondes ont un volume égal de 25 %), d’où le terme vecteur. Nous verrons plus tard comment on peut moduler tout cela…
Pour chaque oscillateur, on commence par sélectionner la forme d’onde (96 en Rom, 32 en Ram et autant sur cartouche Ram, les cartouches Rom utilisant les ondes en Rom interne). Les ondes ont été produites à partir de différentes techniques de synthèse et d’échantillonnage sur un cycle ; elles varient suivant la tessiture, un peu comme les ondes élémentaires d’un PPG Wave 2. On trouve des simulations d’ondes analogiques, des PWM, des cloches, des orgues, des ondes métalliques, des ondes à formant, des chœurs, du bruit blanc et du silence. On définit ensuite la hauteur (+2 octaves par demi-ton et accordage fin par centième de demi-ton). Il reste à mélanger les quatre ondes avant de passer au filtre. On ne peut en revanche pas moduler les oscillateurs entre eux (synchro, anneau, FM…), c’est bien dommage !
Le filtre est de type passe-bas de 4 pôles résonants uniquement. Il est capable d’entrer en auto-oscillation. La fréquence de coupure peut être modulée par un tas de sources (suivi de clavier, LFO, enveloppe, vélocité, pression…), nous y reviendrons. La résonance est très prononcée et l’auto-oscillation commence dès 70 %, donc assez vite, produisant une onde sinusoïdale au début du parcours et un hurlement terrifiant un peu plus loin. La résultante passe ensuite dans le VCA, modulable par une enveloppe, la vélocité, la pression et ajustable en volume. En sortie, on trouve un double chorus analogique à base de BBD, permettant d’élargir et réchauffer le son ; on peut l’activer sur chaque sortie audio et régler la vitesse et la profondeur communes aux deux canaux. Fonctionnalité intéressante, le réglage du panoramique des voix individuelles, tout comme le mode unisson, avec Detune variable de 0 à 7 %, idéal pour épaissir le son. Enfin, on peut utiliser deux programmes simultanément, soit en split avec point de séparation programmable (4+4 voix), soit en couche (4×2 voix), avec balance ajustable. Au fait, n’oublions pas de parler du Glide, portamento linéaire programmable entre les voix jouées.
Modulations matricielles
L’arrivée du numérique sur les synthés polyphoniques a permis de développer considérablement les possibilités de modulation, au point de les rendre presque aussi performants que les synthés modulaires, mais cette fois avec la polyphonie et les mémoires. La contrepartie, c’est la limite de calcul des premiers processeurs, synonyme de fréquence limitée ou d’aliasing dans les modulations, ce qui s’entend quand on doit moduler vite (temps d’enveloppes courts, LFO rapides…).
Sur le Prophet-VS, au-delà des commandes physiques (suivi de clavier, vélocité, pression, joystick vectoriel, molettes, pédales), on trouve 2 LFO, 3 enveloppes et une matrice de modulations à points prédéfinis. Les LFO sont très astucieux (cf. diagramme LFO) ; ils proposent 5 formes d’ondes : triangle, carrée, dent de scie, rampe et aléatoire. La vitesse peut être modulée par la pression ou la vitesse de l’autre LFO ; l’intensité de modulation est modulable par la molette, la pression ou l’autre LFO. Bien vu !
Les enveloppes sont également originales : la première est bidimensionnelle, agissant sur le mix vectoriel des 4 oscillateurs (cf. diagramme Mixer Enveloppe en fin de test). Elle offre 5 étapes de mélange d’oscillateurs (numérotées de 0 à 4) et 4 vitesses de transition linéaires entre les étapes. Lorsqu’on joue une note, l’enveloppe passe du mixage de l’étape 0 à celui de l’étape 1 à la vitesse 1, puis de 1 à 2 à la vitesse 2, puis de 2 à 3 à la vitesse 3. Arrivée en 3, le mix est maintenu jusqu’au relâchement de touche ; dès lors, l’enveloppe passe de 3 à 4 à la vitesse 4. Les valeurs des mélanges d’oscillateurs sont ajustées à chaque étape avec le joystick ; une enveloppe par défaut permet de tester rapidement les mélanges souhaités.
Les enveloppes de filtre et d’ampli sont, quant à elles, unidimensionnelles : on trouve le même principe de 5 étapes et 4 vitesses de transition, à ceci près que la dernière étape correspond à une modulation nulle (cf. diagramme FiltAmp Enveloppe). On apprécie leur bonne rapidité, le Prophet-VS est capable de produire des attaques métalliques qui claquent bien. Les trois enveloppes peuvent être bouclées indépendamment, entre les points 3–2, 3–1 ou 3–0, pour davantage d’évolutions sonores. On peut répéter la boucle de 1 à 6 fois (ou à l’infini), en avant ou en alterné. La totale !
Côté matrice, le Prophet-VS propose plus de 40 points de modulation, pour lesquels une source peut moduler une destination, avec quantité de modulation mono ou bipolaire. Le lecteur pourra se reporter au diagramme Mod Matrix (en fin de test) pour le détail des points prédéfinis, puisque toutes les sources ne sont pas assignables à toutes les destinations. Parmi les sources, on peut citer les LFO, la pression, la vélocité, le suivi de clavier, l’enveloppe de filtre et la molette de modulation. Parmi les destinations, citons la fréquence des ondes (l’une des 4 ou les 4 en même temps), la fréquence du filtre, les mixages relatifs A-C/B-D, les LFO, le volume, le panoramique et le chorus (vitesse et profondeur). Il manque juste la résonance du filtre, dommage !
Arpégiateur original
Le Prophet-VS offre l’un des arpégiateurs les plus performants de l’époque. Il pourrait d’ailleurs en remontrer à pas mal de synthés contemporains… Les réglages sont mémorisés dans les programmes. On trouve 6 motifs : haut, bas, alterné, joué, inversé et aléatoire. La tessiture de reproduction varie de 1 à 4 octaves. Chaque note peut être répétée de 1 à 4 fois avant de passer à la suivante, ce qui apporte du piment. On peut jouer en mode Latch (maintien), ajouter des notes au motif (jusqu’à 120) et transposer ses motifs à la volée. Les notes arpégées peuvent jouer en mono ou en polyphonie (vol de voix en cas de Release long). La vélocité peut aussi être prise en compte pour chaque note arpégée. Mieux, il est possible de lancer un second arpège au-dessus d’un arpège en cours, en mode Latch. Enfin si le programme est en mode split, on peut décider d’arpéger l’un, l’autre ou les deux côtés du point de split.
En plus de l’horloge et des messages Start/Stop, l’arpégiateur est capable de recevoir et transmettre les notes jouées et arpégées via MIDI. Ces dernières peuvent être transmises sur un canal différent des notes jouées. Bref, on le répète, des fonctionnalités dont les constructeurs contemporains, y compris DSI, devraient bien s’inspirer…
Conclusion
Le Prophet-VS fait partie de la toute petite famille des synthés vintage hybrides, à laquelle appartiennent également les PPG Wave 2, le Korg DW-8000, les Ensoniq ESQ-1/SQ-80, le Kawai K3 et les Waldorf Microwave/Wave. Sa faculté de mélanger de manière dynamique quatre ondes numériques, de passer de tout dans un excellent VCF résonant et de faire bouger tout cela en stéréo avec une section de modulation remarquable et un arpégiateur musclé, en font un synthé d’exception. On apprécie également sa simplicité d’édition et sa bitimbralité. Le Prophet-VS est capable de couvrir de très vastes espaces sonores et excelle dans les nappes planantes de toute sorte ; il est aussi à l’aise dans les sons métalliques percussifs. On regrette la fragilité du modèle clavier, l’absence d’interaction entre les oscillateurs et la connectique un peu chiche dans cette gamme de prix. L’aliasing qui apparait parfois sur des fréquences audio pas forcément très élevées peut en dérouter plus d’un. Mais il reste une machine à part, très convoitée aujourd’hui, et dont la cote et la rareté vont immanquablement de pair.
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