L’éditeur UVI semble s’être donné pour mission de ressusciter, sous la forme de bibliothèques d’échantillons pour sa plateforme UVI et logiciels compatibles, les coucous mythiques de la synthèse. Détaillons l’une d’elles, Vintage Legends.
Pour beaucoup de musiciens, la possession d’un synthétiseur « en dur », d’une machine dédiée à produire du son sans avoir à allumer un ordinateur, reste primordiale, pour des raisons très variées. Pour beaucoup de musiciens, la possession d’un synthétiseur faisant partie des mythes de l’histoire de la synthèse est un rêve qui, pour certains d’entre eux, se réalise. Parfois. Pour beaucoup de musiciens, l’achat d’une telle machine restera, hélas, du domaine de l’impossible. D’abord parce qu’elles sont la plupart du temps hors de portée financière, ensuite parce que leur disponibilité est très restreinte, leurs possesseurs les gardant bien à l’abri (on mettra de côté ceux qui ont fait profession de faire du business avec ce type d’instruments, les considérant comme un produit commercial comme un autre…).
Quelle solution reste-t-il alors, lorsque l’on aimerait profiter du son et des capacités de ces coucous mythiques ? Eh bien, elles sont quand même assez nombreuses, même si pas forcément totalement fidèles, au sens où les fonctionnalités complètes ne sont pas toujours disponibles dans les réponses proposées par les divers éditeurs et fabricants. Car, on l’oublie parfois, les solutions ne sont pas exclusivement logicielles : on a ainsi vu apparaître des copies, ou des reproductions parfois déguisées de divers synthés.
Bien entendu, c’est du côté des développeurs que l’on verra fleurir les émulations en tout genre. On n’énumèrera pas ici toutes les sorties plus ou moins récentes, mais citons simplement un premier exemple effectué par le créateur même des versions hardware, la Legacy Collection de Korg (regroupant MS20, M1, Polysix, Mono/Poly et Wavestation) et deux autres récemment testés sur AF, le Monark signé Native Instruments ou l’Oberheim SEM V. On aura noté évidemment qu’il s’agit ici d’émulations pures, c’est-à-dire de logiciels faisant uniquement appel à des calculs et formules mathématiques pour générer les sons et fonctions des machines référentes. Cela peut recouvrir à la fois la synthèse pure et la modélisation.
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Il existe une autre solution, celle de l’échantillonnage. Le principe d’enregistrer des samples d’un synthé ou d’une boîte à rythmes est quasiment aussi vieux que l’échantillonnage commercial. Très régulièrement nous parvient l’annonce de la sortie sous forme de bibliothèques d’échantillons de l’une ou l’autre des machines que tout le monde souhaite posséder « en vrai » (on ne parlera pas ici des orchestres et autres instruments acoustiques). UVI, créateur du moteur audio du même nom (anciennement utilisé chez Spectrasonics, et toujours en action après moult versions dans l’UVI Workstation ou au sein de MachFive 3) s’est lancé depuis peu dans une vaste collecte de sons et samples de machines mythiques, pour les regrouper dans plusieurs collections, dont Vintage Legends (339 euros) ici présentée. Décryptage.
Introducing UVI Vintage Legends
Suivant un principe qui a de fortes chances de se généraliser, à savoir la mise à disposition des banques de sons copieuses (plusieurs Go) en téléchargement en sus de supports physiques (disque dur ou DVD), quand ces derniers sont encore proposés (plusieurs éditeurs ont déjà tiré un trait sur ce mode de distribution), UVI laisse donc le choix à l’acheteur. Vintage Legends est découpé en six fichiers .rar de 2,15 Go (dont un de 830.5 Mo), et donc relativement gérables (tout le monde ne dispose pas d’une connexion haut débit), puisque l’éditeur n’utilise pas (encore ?) de gestionnaire comme on en trouve maintenant chez Native ou chez les éditeurs utilisant les produits Continuata (Spitfire Audio, 8DIO, SoundIron, etc.).
Les bibliothèques sont donc conçues pour le lecteur maison UVI Workstation (actuellement en version 2.0.11), qui est gratuit mais offre néanmoins un certain nombre de fonctions de synthèse et de traitements (effets, arpégiateur, etc.) et logiciels compatibles, dont MachFive 3, sur lequel sera réalisé ce test. Les spécifications et compatibilités système sont donc celles du logiciel, dont on trouvera le test ici. L’autorisation se fait, comme d’habitude chez l’éditeur, sur clé iLok.
Electron commun
Avant de parler des sonorités en détail et en particulier, une petite explication sur le principe ici mis en œuvre. L’éditeur a mandaté ses spécialistes chez d’autres spécialistes, c’est-à-dire en clair, qu’il a fait enregistrer et échantillonner certaines machines directement chez leurs possesseurs/utilisateurs (j’ai des noms…). Étonnement, cependant, quant au protocole retenu : pourquoi donc échantillonner en 96 kHz, quand la fréquence sera à l’arrivée du 44,1 kHz ? La logique, en effet, serait de travailler à 88,2 kHz. À moins que des exemplaires hors commerce à 48 kHz soient proposés aux pros de l’image (ce n’est qu’une supposition, en aucun cas une affirmation).
Une fois tout cet échantillonnage effectué, qui peut s’avérer très copieux (plus de 30 000 samples pour Vintage Legends), le tout est programmé et placé dans une configuration qui sera, à quelques exceptions fonctionnelles près, la même pour tous les synthés reproduits. C’est-à-dire celle offerte par l’UVI Engine, présent dans l’UVI Workstation et MachFive3, et non pas une reproduction logicielle et donc programmable d’éléments critiques d’un synthé comme les filtres, enveloppes et modulateurs. Bien sûr le moteur audio créé par l’éditeur offre d’autres fonctions, inaccessibles sur les machines échantillonnées. Mais il faut garder en tête le principe ici retenu : on échantillonne des formes d’ondes utilisant les possibilités des synthés originels, puis tout le travail de sound design sur ces formes d’ondes sera effectué via les fonctions et traitements du logiciel UVI.
Il faut par ailleurs saluer l’énorme travail effectué sur les interfaces graphiques, qui reprennent le look et les principes de disposition des synthés d’origine, en y intégrant ou substituant les fonctions propres à l’UVI Engine.
Sample étude
Vintage Legends rassemble six versions logicielles de grands classiques conçus et mis en vente sur une période assez longue, puisque s’étalant de 1979 à 1990, les Yamaha CS-70M (1981–84), CS-40M (1979–1986) et CS-20M (1979), l’Elka Synthex (1981–1984), le Rhodes Chroma (1982–1984), le Yamaha DX1 (1983–1986), le Digital Keyboards Synergy (1982–85) et le Kurzweil K250 (1984–1990). La logique de ce rassemblement ne tient pas au mode de production sonore, puisque l’on retrouve à la fois de la synthèse soustractive, de l’additive, du numérique, de l’analogique, de la FM et du resampling. Ce qui conduit aussi à une démarche différente de la part de l’éditeur. Ainsi, le CS-M, regroupant tous les synthés Yamaha cités plus haut et le Synthox sont disponibles sous forme de Programs uniques au sein desquels on ira charger soit des sons pré-programmés par l’équipe d’UVI, soit des formes d’ondes (plus ou moins) pures, que l’on pourra donc retriturer avec les possibilités offertes par le moteur UVI. Logique pour des analos, direz-vous. Oui, mais alors, quid du Kroma ? Eh bien, on dispose aussi de formes d’ondes d’origine, mais classées dans un dossier, au même niveau que les présets. Pourquoi ne pas avoir repris le même principe que les deux autres, mystère… Les autres synthés, de par leur mode de synthèse, ne proposent que des présets. À quoi bon donner en effet les sinus de base d’un DX1 ? Et l’on comprendra aisément les questions de droits quant à la Rom du Kurzweil.
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L’architecture de ces versions logicielles, même si radicalement différente d’un point de vue graphique, est toujours la même d’un point de vue fonctionnel (à quelques exceptions près détaillées plus avant). Ainsi on peut trouver trois pages chez les Vintage Legends : réglages (Edit, l’unique fenêtre des seconds), modulations (Mod) et arpégiateurs (au nombre de deux, page nommée Arp). La première regroupe une enveloppe de volume ADSR avec attaque réglable via la vélocité et réponse à ladite vélocité, un filtre résonant multimode (LP, BP et HP) avec enveloppe dédiée, taux d’action de celle-ci et réponse à la vélocité, un réglage d’accord, un mode Mono (en mode Portamento, sans redéclenchement de l’enveloppe), un effet Stereo (plutôt un pan, carré ou progressif, avec largeur, désaccord, etc.), quatre effets (voir encadré), et les destinations de la molette de modulation (vibrato, trémolo et filtre, avec taux indépendants).
Viennent ensuite les particularités de chaque synthé logiciel : le Kroma bénéficie d’un oscillateur de bruit (blanc ou rose, avec volume), le CS-M et le Synthox offrent deux layers complets et indépendants (avec possibilité de changer les paramètres de façon liée), l’Energy d’un module Energizer, le FMX1 est doté de l’UVI Destructor (un bitcrusher et downsampler) et d’un réglage FMizer. Ces fonctions supplémentaires sont souvent situées dans une couche supplémentaire (nommée Sub, FMizer, Noise, etc.) incluant des échantillons dédiés, ou des effets particuliers, le plus souvent un mélange des deux. Et l’accès depuis l’interface est généralement très limité, la plupart du temps au volume ou au taux. Si l’on possède MachFive3, l’accès est complet, et bien entendu source de nombreuses possibilités de resynthèse que n’offre pas l’UVI Workstation, et donc de sonorités nouvelles à partir des samples fournis.
Animons du monde
La page Mod donne accès à un LFO (un seul, dommage…) et un Step Sequencer. Le premier peut être synchrone au tempo (interne ou celui de la DAW d’accueil), dispose d’un taux, de réglages de temps d’attaque et de decay, offre quatre formes d’ondes (sinus, triangle, carrée et Sample and Hold), et peut être dirigé de façon indépendante vers la hauteur, le Drive, le volume et le filtre. Le Step Sequencer travaille sur 16 pas, avec une résolution allant de la blanche à la triple croche. Trois réglages influent sur le retard, le temps de montée et le lissage de l’action du séquenceur. Enfin on le dirigera indépendamment vers le volume et le filtre (fonctions doublées et indépendantes pour les synthés disposant de deux Layers, via switches A et B ou I et II).
La page Arp sera uniquement accessible sur les synthés à deux Layers, c’est-à-dire le CS-M et le Synthox. Pour les autres, on ne pourra y accéder qu’en allant chercher le script correspondant dans l’affichage Tree de MF3, ce qui est impossible dans l’UVI Workstation. Pour les utilisateurs de ce dernier logiciel, les seuls réglages disponibles seront donc, pour Kroma, Energy et FMX1, On ou Off. On trouvera sur cette page deux arpégiateurs indépendants (grâce au mode Dual), de un à 16 pas, avec les résolutions déjà mentionnées pour le Step Sequencer, trois sens de lecture (Up, Down, Up/Down), l’étendue de lecture (plus ou moins trois octaves), un Gate (bien vu…) et un Mute pour chaque pas. Ces deux outils sont très simples d’utilisation, bien conçus et efficaces. Reprochons quand même l’absence de paramètre Swing (pour un passage de binaire à ternaire sans changer de division rythmique), ainsi que l’inaction de certains paramètres en temps réel si l’on maintient les notes de l’accord : par exemple, il est impossible de modifier l’étendue de lecture. Voici un exemple de double arpège avec modification en temps réel des Gate et du filtre (LP) sur le CS-M.
Sound Memories
Évidemment, quasi tout l’intérêt de ce type de bibliothèque est de retrouver les sons qui ont marqué une époque, ceux que l’on identifie immédiatement comme provenant d’une machine particulière.
Un autre intérêt est de récupérer des formes d’ondes les plus fidèles possible, même si l’échantillonnage et a fortiori le bouclage, afin de limiter les durées ou reproduire les tenues possibles sur l’original, figent le son et ne produisent absolument pas le comportement d’un analo (c’est moins vrai pour le numérique, d’autant que certains d’entre eux utilisent ces deux techniques). Les deux bibliothèques répondent dans le deux cas de façon très satisfaisante. Bien sûr, on trouvera ici ou là des bouclages audibles (pas de clics, mais des répétitions d’oscillation ou de changements légers de timbre, par exemple), mais grâce à un multisampling assez conséquent (plus de 12700 échantillons pour le FMX1…) et un mapping la plupart du temps effectué sur un ou deux demi-tons, les sons se comportent bien sur l’étendue du clavier et les présets proposés se montrent de bonne qualité et surtout fidèles à l’esprit de l’original, certains portant un nom suffisamment proche de leur inspirateur pour retrouver ses marques rapidement.
Pour commencer, voici un tour de quelques sonorités du Synthox :
Ce qui manque le plus, c’est évidemment le superbe Chorus du synthé d’origine, même si l’éditeur fournit deux familles de formes d’onde en profitant (voir plus bas). On pourra, concernant le Synthex en version virtuelle, jeter deux oreilles attentives au Synthix (Synthax, c’est déjà pris, ne reste plus que Synthux…) signé Xils Lab. On continue avec le CS-M.
Là aussi, des sonorités intéressantes, et de nombreuses formes d’ondes (neuf familles, offrant chacune entre quatre et 12 ondes pour le CS-M et neuf familles avec entre six et 10 formes d’onde pour le Synthox). Rappelons que ces deux synthés permettent des associations sonores intéressantes par leur concept en double layer (un pad avec un arpégiateur sur un autre son, par exemple).
Passons à l’Energy, véritable rareté, échantillonné pour la première fois si je ne me buse. C’est le synthé qui offre le moins de présets (très dur à programmer) et d’échantillons (à la base 32 oscillos offrant sinus ou triangle, avec quelques possibilités de FM). C’est aussi le seul à offrir un Sub-Oscillator (du moins accessible directement).
Passons au Kroma, inspiré du Chroma développé à l’origine par ARP, puis repris par Rhodes qui sortira plus tard le Chroma Polaris. On retrouve la richesse sonore, les timbres du synthé, employé entre autres par Hancock ou Zawinul, excusez du peu…
Poursuivons avec le FMX1, dont l’inspirateur est un rêve pour tous les amateurs de FM, même si la série SY a su renouveler le genre quelques années plus tard. N’en reste pas moins un superbe objet, doté de plus de possibilités sonores inouïes pour l’époque.
Pas de problème, la FM est là, avec ses qualités, et ses défauts (les cordes, les pads…).
On termine avec le U1250, décliné du K250, petite merveille de chez Kurzweil, la première machine à utiliser des échantillons en Rom, dont nombre de sonorités restent immédiatement identifiables, telles les cordes, les pianos acoustiques, la contrebasse, etc.
Bilan
Globalement positif pour un produit de ce type. On dispose de plusieurs formes d’ondes des originaux, les présets sont très variés et globalement bien conçus (même si parfois trop forts, attention au jeu en accords en standalone), et l’ensemble est une matière très intéressante pour la resynthèse dans MachFive3. On regrettera cependant quelques bugs, comme l’impossibilité, parfois, de rouvrir un projet dans Logic en 64 bits (vive la touche Ctrl au démarrage…), certaines fonctions ne produisant pas de changements en temps réel lorsque l’on maintient des notes (hauteur de l’arpégiateur, effet stéréo) ou non implémentées (pas d’aftertouch, grrr, les leads et pads en souffrent).
Bien sûr, ces instruments virtuels ne remplaceront pas les originaux (essayez de trouver un des 140 DX1 ou un CS-70M abordable, tiens…), ce n’est pas le but ici : il s’agit plutôt d’une sorte de mémoire de la synthèse des années 80–90 (complétée par la série Digital Synsations, le DarkLight IIx et certainement d’autres à venir), d’une photographie sonore d’un passé révolu (et donc forcément moins riche et complète que la réalité), et les moyens ici mis en œuvre sont largement supérieurs en termes de qualité sonore et de programmation à ceux d’autres banques du même type. Très spécialisée et ciblée, cette famille s’adressera en priorité aux fondus des sons de l’époque. Vintage Legends (même si le Synthix de Xils Labs permet bien plus de choses) est peut-être en effet le plus convaincant des produits à base d’échantillons sur le sujet.