Présenté par Korg au NAMM 2016, le Minilogue entend bien mettre le synthé analogique polyphonique à la portée de toutes les bourses. Allez, on se mouille avant tout le monde !
Ces dernières années, deux tendances se sont durablement installées dans l’univers des instruments de musique électroniques : l’analogique et la miniaturisation. Certains constructeurs ont ainsi fait renaitre de grands standards (Korg ARP Odyssey), d’autres des synthèses qui ont fait leur succès (Yamaha Reface) et d’autres enfin, des modélisations d’instruments mythiques de leur propres gamme (Roland Boutique). Le point commun de ces machines, c’est la concentration de technologie, la réduction de taille et le resserrage du prix. Le segment de marché d’entrée de gamme est ainsi de plus en plus convoité, stigmatisant l’offre élitiste (workstations ou synthés analogiques polyphoniques) pour le plus grand plaisir des bourses presque vides, c’est-à-dire celles de la plupart des musiciens. Lorsque Korg a démocratisé l’analogique avec le Monotron il y a quelques années, nous étions certains que le constructeur n’en resterait pas là dans l’ouverture de cette technologie au plus grand nombre, face à l’envolée des prix du vintage. Au fil du temps, le petit objet rigolo a cédé la place à de véritables instruments, intégrant plus de fonctionnalités, plus de puissance et un son toujours meilleur. Aujourd’hui, Korg jette un nouveau pavé dans la marre, démontrant qu’analogique et polyphonique riment enfin avec démocratique : avec le Minilogue, jamais l’écart de prix entre les synthés analogiques d’hier et d’aujourd’hui ne s’est autant creusé…
Alu et bois
Une fois n’est pas coutume, nous allons commencer par parler gros sous. Pourquoi ? Parce qu’ici, nous sommes sous la barre des 600 euros, pour un synthé analogique polyphonique complet avec des touches, des boutons, des mémoires et des séquences.
On pourrait alors imaginer un truc branlant en plastique tout pourri. Que nenni : le Minilogue arbore une façade en alu satiné au profil légèrement galbé et un panneau arrière en véritable bois d’arbre. Seul le dessous est en plastique moulé, afin de maintenir un prix et un poids allégés : 2,8 kg. Les commandes sont généreuses : pas moins de 28 potentiomètres, 1 encodeur cranté, 14 inverseurs (à cran ou à ressort, selon le cas) et 16 boutons poussoirs. La qualité de construction est soignée : axes métalliques bien fermes pour tout ce qui tourne, réponse franche pour les boutons… il y a même un mini-écran OLED 10 × 20 mm visible sous tous les angles.
Le pitch bend, original, prend la forme d’un petit bâton métallique à ressort. Au-delà du pitch, il peut piloter une trentaine de paramètres de synthèse, contournant ainsi l’absence de second contrôleur pour la modulation. Le clavier est identique à ceux du MS20 mini et de l’ARP Odyssey : 37 touches réduites à 86 % de la taille standard, permettant de concentrer les dimensions de la machine (500 × 300 mm). Bien plus jouable que les mini-touches de la concurrence, il est sensible à la vélocité, pilotant le filtre et le volume. Compte tenu de la polyphonie, on regrette la limitation à trois octaves (quatre aurait été parfait), en dépit du sélecteur de transposition directe sur plus ou moins deux octaves. Mais la compacité est ainsi préservée ; d’ailleurs à ce sujet, on remarque que les commandes rentrent parfaitement dans un rack 19 pouces 3 U, sans avoir à retoucher quoi que ce soit…
À l’arrière, cernée de bois, toute la connectique est rassemblée : pour l’audio, on trouve une prise casque, une sortie monophonique (pas de génération sonore stéréo dans la machine) et une entrée mono pour injecter des sources externes en amont du filtre (toutes au format jack 6,35). Viennent ensuite deux prises mini-jack pour la synchro (entrée/sortie par impulsion), puis un duo d’entrée/sortie MIDI, une prise USB type B (pour le MIDI) et la partie secteur (poussoir marche/arrêt avec temporisation, borne pour alimentation externe 9V avec bloc à l’extrémité et petit passant pour bloquer le cordon d’alimentation). Il n’y a pas de prises pour pédales (maintien/modulation), bien dommage…
Un mot rapide sur la prise en main, absolument immédiate, pour plusieurs raisons : plus d’une quarantaine de commandes directes logiquement réparties pour piloter quasiment tous les paramètres de synthèse (avec réponse en modes saut/seuil/relatif), une fonction permettant de faire correspondre le son à la position des commandes (Load Panel), des mémoires internes, des dumps MIDI, un afficheur très malin (nom et numéro des programmes, valeur de tout ou partie des paramètres lors de l’édition, représentation graphique en temps réel du son de type oscilloscope…)… Il manque juste une fonction Compare, peut-être dans une future mise à jour d’OS ?
On trouve quelques menus facilement accessibles via la rangée de huit boutons à droite (par pressions successives) et l’encodeur, pour les réglages globaux (accordage, transposition, mode de réponse des commandes, courbe de vélocité, division temporelle/polarité de synchro en entrée/sortie, canaux/filtres MIDI, routage MIDI/USB, brillance OLED, dump global…), le séquenceur (nous y reviendrons en détail) et les paramètres de programmes additionnels (nom du patch, destination du pitch bend, synchro du LFO, portamento, réponse en vélocité du VCA, ajustement du volume programme, initialisation programme, dump programme).
Bande de sons
Le Minilogue renferme 200 programmes dont 100 pré-sélections d’usine, que l’on peut modifier et réinitialiser. On les sélectionne avec l’encodeur et la touche Shift pour accélérer le mouvement. À la carte, des nappes, des cuivres, des strings, des basses, des leads, des effets, des percussions… bref, tout ce qu’on attend d’un synthé analogique polyphonique et bien plus encore.
Sur les basses, on apprécie la couleur du filtre et la rapidité des enveloppes : des basses rondes aux sons acidulés résonants, tout semble faisable. Avec les différents modes de voix (dont nous reparlerons), on peut empiler les voix par deux ou par quatre, ou encore ajouter des sous-oscillateurs en mono pour écraser le mix. Ces modes de voix sont tout aussi utiles sur les leads, pour renforcer la présence sonore : du solo claquant au cuivre flûté en passant par la synchro bien crade, le Minilogue répond là encore présent… surtout quand on met un petit coup de délai intégré qui n’est pas sans rappeler les échos à bande.
Mais ne l’oublions pas, la machine est polyphonique, donc ne nous privons pas d’accords, joués avec plusieurs de nos doigts ou pré-programmés (grâce au mode de voix idoine). Nous avons particulièrement apprécié la panoplie de nappes réalisables grâce aux formes d’onde variables et aux possibilités de modulation.
Les effets spéciaux et percussions démontrent la souplesse de la section VCO (interactions), la souplesse du filtre (très) résonant et la rapidité des enveloppes… des qualités appréciables sur un synthé. Certains programmes tirent parti de l’arpégiateur et / ou du step-séquenceur, nous en reparlerons plus tard…
Gros point de satisfaction, la fluidité de réponse des commandes, qui fait souvent défaut sur les machines sous contrôle numérique, même les plus chères. Ici, Korg offre une résolution de 1024 valeurs (10 bits), ce qui suffit largement à obtenir des réglages fins et fluides, en particulier sur le filtre qui ne souffre d’aucun effet d’escalier.
Le Minilogue émet et reçoit des CC pour tous ses paramètres via MIDI/USB, l’automation est donc possible (sur 128 valeurs maximum, cette fois). Un mot sur le grain, qui a son caractère, tantôt un peu vintage avec des petites fluctuations audibles entre les voix alternées (VCO et VCF), tantôt moderne et agressif, suivant le choix des formes d’onde variables, leurs interactions et les modes de filtrage.
- Bass Acid 00:23
- Bass Dirty Bass 00:33
- Bass House 00:34
- Bass OctaBass 00:20
- Bass QueBass 00:21
- Bass Sync 00:19
- FX Magic Spells 00:41
- Lead Solo 00:27
- Lead Sync Hard 00:26
- Lead Tech 00:20
- Pad PWM Echo 1 00:18
- Pad PWM Echo 2 00:31
- Pad Soft 00:30
- Poly Ducking 00:23
- Poly Logue 00:43
- Poly Seq and Arp 00:32
- Poly Soft Brass 00:21
- Poly Wah Clav 00:09
- Strings 1 00:23
- Strings 2 00:21
- Strings 3 00:18
- ZPercu Beat 00:29
- ZPercu Ultra Low 00:15
Quatuor à Korg
À l’allumage, le Minilogue s’auto-accorde pendant une dizaine de secondes, en bon synthé analogique polyphonique qu’il est. Une fonction d’AutoTune manuel est également disponible au cas où, comme au bon vieux temps…
La machine offre 4 voix totalement indépendantes (polyphonie véritable, ce n’est pas une paraphonie comme le Mono/Poly), composées chacune de deux VCO, un générateur de bruit blanc, un mélangeur, un filtre passe-bas, deux enveloppes et un LFO. Les VCO sont accordables sur 4 octaves et par accord fin. Ils disposent chacun de trois ondes (dent-de-scie, triangle et impulsion) continuellement variables grâce au paramètre Shape. Ils peuvent interagir de différentes manières en simultané : synchronisation (interrupteur), modulation en anneau (interrupteur) et cross modulation (modulation de fréquence entre les VCO, dosable par un potentiomètre dédié). Cela permet une grande variété sonore au sein même des oscillateurs, d’autant que le pitch du VCO2 est modulable par une enveloppe, avec dosage programmable bipolaire (mais pas le VCO1, dommage). Les 2 VCO (ou le VCO1 et la modulation en anneau des 2 VCO), le générateur de bruit et l’entrée audio externe sont finement mélangés avant d’atterrir dans le filtre passe-bas.
Celui-ci offre les modes 2/4 pôles et est capable d’auto-osciller (on le rappelle, même sans signal audio, le filtre se met à générer une onde sinus quand on pousse la résonance au-delà d’un certain niveau, onde que l’on peut accorder avec la fréquence de coupure et qui suit le clavier en fonction du paramètre éponyme). Ici, on obtient d’abord une belle sinusoïdale bien stable, puis si on continue à pousser la résonance, le filtre se déstabilise et se met à gargouiller en sifflant (ou le contraire). La fréquence de coupure est modulable par une enveloppe ADSR (quantité bipolaire), le suivi de clavier (0–50–100%) et la vélocité (0–50–100%).
Le signal passe ensuite dans le VCA, qui dispose de son enveloppe ADSR dédiée et d’une modulation par la vélocité, finement dosable. Côté modulations, on trouve donc deux enveloppes et un LFO. Si l’une des enveloppes n’affecte que le VCA, l’autre est routable vers différentes destinations : le VCF (quantité bipolaire, nous l’avons dit) et le VCO2 (quantité bipolaire). Elle peut aussi piloter la fréquence ou l’intensité du LFO, une excellente idée pour créer des sons évolutifs. Ce dernier offre trois formes d’onde basiques : dent-de-scie, triangle et carré (mais pas de Sample & Hold, dommage). Il peut affecter différentes destinations, de manière hélas exclusive : le pitch des 2 VCO, le paramètre Shape des ondes des 2 VCO ou le VCF. Des réglages additionnels, accessibles via le menu, permettent de définir s’il est libre d’osciller ou redéclenché à chaque note, indépendant pour chaque voix ou unique pour toutes les voix, synchronisé à l’horloge BPM (de 4 temps à 1/64 de temps) ou à fréquence réglable par l’utilisateur. Dans ce dernier cas, la fréquence peut atteindre les niveaux audio (bas du spectre).
Modes de voix
Le Minilogue est capable de gérer ses voix suivant huit modes distincts très astucieux : polyphonique, duo, unisson, mono, accord, délai, arpège ou sidechain. Il n’y a en revanche pas de mode split ou multitimbral. Chaque mode dispose de variations accessibles via un potentiomètre dédié. En mode polyphonique, la machine joue 4 voix indépendantes (à partir du même son, nous l’avons dit) ; le potentiomètre crée divers renversements d’accords quand on joue en polyphonie, c’est assez amusant. En mode duo, deux voix sont empilées (la polyphonie est donc réduite à deux) ; le potentiomètre désaccorde les voix pour épaissir le son. En mode unisson, on tombe à une note jouant quatre voix empilées avec désaccordage programmable, pour un son énorme.
En mode mono, une seule voix est jouée lorsque le potentiomètre est à gauche ; quand on le tourne vers la droite, on introduit progressivement une deuxième voix à l’octave inférieure, puis une troisième doublée, enfin une quatrième deux octaves en dessous, gros son assuré. Le mode accord permet de jouer des accords de 2 à 4 notes à un doigt, le potentiomètre alternant entre 14 types de plus en plus complexes (quinte, Sus2, mineur, majeur, Sus4, min7, 7, 7Sus4, Maj7, augmenté, diminué, m7b5, mMaj7, Maj7b5). Dans le mode délai, les voix sont jouées en mono avec un délai à trois répétitions, programmable via le désormais fameux potentiomètre (différentes divisions temporelles de l’horloge globale). Le mode arpège permet de jouer… des arpèges ; le potentiomètre alterne entre 13 motifs monodiques, polyphoniques ou aléatoires ; les notes arpégées ne sont pas transmises en MIDI, seules les notes jouées le sont. Enfin dans le mode Sidechain, les nouvelles voix jouées compressent les précédentes, suivant le réglage du potentiomètre (effet Ducking). Original et utile !
Séquenceur à pas
Le Minilogue est doté d’un séquenceur à 16 pas qui peut fonctionner quel que soit le mode de voix (y compris avec l’arpégiateur). On peut régler le tempo, le nombre de pas (1 à 16), la résolution, le facteur de swing et le temps de Gate.
L’enregistrement se fait en temps réel ou en pas à pas. En temps réel, le séquenceur fonctionne en auto-quantisation à l’entrée et Overdub (la séquence tourne en boucle et on peut ajouter des notes à concurrence de la polyphonie totale). Après enregistrement, la touche [Rest] permet d’effacer des notes à la volée sur chaque pas. En pas à pas, on choisit le pas à enregistrer avec les touches [Shift] et [1–8] ou [9–16], puis on entre la(les) note(s) au clavier ; on peut aussi entrer des silences ou des liaisons avec la touche [Rest] ; en même temps, on peut modifier le temps de Gate de la note en cours avec l’encodeur. Le mode pas à pas permet évidemment de modifier les notes après enregistrement.
Là où le séquenceur devient plus intéressant, c’est dans la possibilité d’enregistrer le mouvement de quatre commandes continues au choix, cette fois uniquement en temps réel. Il suffit pour cela de lancer l’enregistrement et de tourner les potentiomètres souhaités ; l’enregistrement démarre dès qu’on bouge une commande et s’arrête à la fin de la boucle (la lecture seule continue, cette fois sans Overdub). On peut réenregistrer des mouvements par-dessus une piste, les effacer (globalement ou piste par piste) ou les neutraliser sans les effacer (piste par piste également). Chaque piste de mouvement bénéficie d’une fonction de lissage, pour des transitions tout en douceur entre les pas. Par contre, il est impossible d’éditer les mouvements après coup.
En relecture, on peut jouer par-dessus une séquence à concurrence des voix disponibles, mais on ne peut pas transposer en temps réel. Une petite mise à jour de l’OS en la matière serait la bienvenue (ce serait si simple avec la touche[Shift] et le clavier !). Les notes séquencées sont transmises en MIDI/USB, c’est une bonne nouvelle. En revanche, les CC des commandes qui bougent dans les séquences ne sont pas envoyés vers le monde extérieur. Chaque séquence est sauvegardée avec son programme, tant mieux !
Nouvelle référence
Le test touche déjà à sa fin et nous le concluons avec la banane, comme celle obtenue avec le Prophet-6 qui lui avait précédé il y a quelques mois au studio. Voici deux instruments positionnés aux deux extrémités de la gamme des synthés analogiques polyphoniques. Le Prophet-6 remporte la palme de la classe, mais le Minilogue remporte celle de la bonne surprise. En effet, ce n’est pas tous les jours qu’une machine censée occuper l’entrée de gamme, sur le papier, nous procure un tel coup de cœur. Caractère sonore bien trempé, construction soignée, compacité appréciable, prise en main facile, fonctions astucieuses, paramètres généreux, édition hyperfluide et prix abordable, le Minilogue rassemble toutes les qualités pour établir une nouvelle référence dans le monde de la synthèse analogique. Korg vient de franchir une étape importante et son sympathique Minilogue mérite amplement l’Award Qualité/Prix Audiofanzine 2016 !
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