Ça devait finir par se produire : un test d'un casque Audeze dans les colonnes d'AF. Le très beau et tout nouveau MM-100 a retenu notre attention, et si l'on est déjà tout impressionné par son apparence élégante, on n'en reste pas moins curieux de savoir ce qu'il nous réserve à l'écoute.
Ce casque est d’autant plus notable qu’il représente la tentative, pour la marque américaine, de s’extraire du segment de marché pour lequel il est particulièrement connu (entendre : des casques chers, de grande qualité, avec de beaux matériaux, qui séduisent le marché des pros, mais aussi les audiophiles). Le MM-100 est donc bien plus abordable que les autres modèles de la gamme (si l’on excepte le modèle Maxwell, mais celui-ci n’est pas axé sur la production musicale), et promet ainsi une entrée de gamme qui conserverait le haut niveau de qualité des casques les plus réputés d’Audeze.
Présentation
Le MM-100 est un casque de type circumauriculaire, ouvert, avec un transducteur planaire de 90 mm.
Les spécifications annoncées par le constructeur sont les suivantes :
- Impédance : 18 ohms
- réponse en fréquence : 20 Hz — 25 kHz
Le casque est accompagné d’un câble détachable, avec terminaison jack 6,35 mm TRS, clairement une connectique Neutrik même si ce n’est pas écrit dessus, avec un montage très bien réalisé. À l’autre extrémité, on est sur du jack 3,5 mm TRS, sans baïonnette. Les deux connectiques sont dévissables, et il est donc possible de les changer, ou de changer le câble… à votre guise, et si besoin est.
Le câble d’ailleurs n’est pas commun dans le monde du casque professionnel : il est composé de deux paires torsadées, elles-mêmes torsadées entre elles. Si ce n’est pas clair, voilà ce à quoi ça ressemble :
C’est typiquement un montage réalisable en DIY, et donc prisé des audiophiles, où la tresse est remplacée par plusieurs câbles (ici, je dirais deux) qui font office d’écran par leur enroulement autour des conducteurs gauche et droite. Ce type de montage a ses particularités : potentiellement une résistance série parfois moindre, mais une capacitance souvent plus élevée.
Je mesure l’exemple suivant, en comparant le câble du MDR-MV1 de Sony (câble classique, avec deux conducteurs et une tresse) et de l’Audeze :
À 1 kHz
Résistance série : 0,64 ohm vs 0,61 ohm
Capacité : 309 pF vs 455 pF
À 10 kHz :
Résistance série : 0,63 ohm vs 0,61 ohm
Capacité : 289 pF vs 410 pF
On voit bien que la différence en résistance est négligeable, celle en capacité, nettement moins.
Tout le câble est très bien réalisé. Seul petit défaut : ce genre de montage en torsade tend à ne pas aider l’enroulement du câble, et l’on se retrouve avec des bobines de câble assez peu précises, même en faisant très attention à leur sens d’enroulement. Reste à savoir : allez-vous souvent réenrouler votre câble, ou restera-t-il toujours au même endroit dans votre studio. Audeze fait en tout cas la promotion d’un casque adapté à un travail « nomade », et il nous a semblé que de ce point de vue, un montage plus classique aurait peut-être trouvé son sens.
On notera aussi, pour ce qui est de la construction, que c’est très robuste (presque tout en métal !). Et pour finir, détail intéressant, on peut connecter le câble à l’écouteur droit ou gauche indifféremment.
Démontable ?
Non, et c’est notre plus grand reproche…
En vérité, il n’est peut-être pas impossible de le faire, mais, contrairement à d’autres casques de la marque, celui-ci ne présente pratiquement aucune vis apparente. De plus, comme souvent chez Audeze, les coussinets sont collés avec un adhésif (un ASP, adhésif sensible à la pression, c’est-à-dire ce que vous trouvez sur du « Scotch » par exemple) assez résistant. Comme nous l’expliquons à l’occasion dans ces colonnes, les casques qui arrivent pour être testés nous sont gracieusement prêtés par les distributeurs. Impossible donc de s’aventurer à décoller une pièce au risque de ne pouvoir la réinstaller correctement.
Ce qui ne veut pas dire, par ailleurs, que les coussinets ne sont pas remplaçables. Au contraire, une fois décollés, il est tout à fait possible de trouver des remplacements (en diverses matières) fournis par la marque elle-même, ou si vous vous sentez l’âme expérimentale, par d’autres fournisseurs. Je précise par ailleurs qu’Audeze s’est exprimé sur ce choix des coussinets collés, arguant d’une meilleure isolation sur le pourtour de l’écouteur, et donc d’un meilleur rendu des fréquences graves.
J’ajoute pour finir que malgré toutes mes tentatives d’écarter le coussinet pour essayer de voir le système de montage, je n’ai pas réussi à voir même le début d’une vis. Je ne peux donc pas affirmer qu’un quelconque démontage soit possible.
Confort
Plutôt bon,
Alors oui, c’est un casque lourd. C’est le revers de la médaille : peu de plastique, beaucoup de métal. Le bon côté c’est que la bande de l’arceau est très agréable, et fait bien son job : le casque ne pèse donc pas en un point précis du crâne, mais l’impression de lourdeur est répartie sur toute la tête, ce qui la rend nettement plus supportable.
Isolation
Nulle, c’est un casque ouvert.
Facilité, non seulement par l’inclusion d’un sac de transport en velours solide, mais aussi par le fait que la boîte est pensée, avec forme en mousse épaisse et son carton plutôt solide, comme un vrai casier de transport. On apprécie !
En revanche, là aussi on y revient, le casque est lourd. C’est un point à prendre en compte : dans un tote bag porté sur l’épaule, ou une petite sacoche, il ne se fait pas oublier si aisément.
Benchmark
Voici donc notre protocole de mesures objectives, mené par nos soins afin de compléter l’écoute subjective. Avec l’aide précieuse de notre testeur EARS de MiniDSP, nous avons le plaisir de pouvoir vous fournir des courbes de réponse en fréquence et distorsion, réalisées dans notre atelier.
Réponse en fréquence :
On remarque :
- Un creux dans les graves, avec une montée progressive entre 20 et 70 Hz (Δ : 20 dB)
- Une légère accentuation à 70–80 Hz (environ 2 dB)
- Une réponse linéaire de 100 Hz à 1,5 kHz environ
- Une accentuation légère à 3 kHz (2 dB)
- Un important creux à 5 kHz (Δ : 20 dB)
- Une accentuation à 15 kHz
Les transducteurs sont très bien appariés, à part dans le grave, mais même là, la différence reste négligeable.
Distorsion :
La distorsion mesurée est assez basse : inférieure à 0,2 % entre 100 Hz et 20 kHz, à l’exception d’une remontée sur la plage 1,5 – 2 kHz). La THD remonte à 2 % à 20 Hz. Les harmoniques impaires sont bien en retrait, c’est toujours bien.
Écoute
Richard Hawley — Don’t Get Hung Up In Your Soul (sur Truelove’s Gutter)
Une ballade acoustique, avec beaucoup de réverbe et une différence de dynamique importante entre la voix et la guitare. La première chose qui nous frappe : c’est très équilibré sur tout le spectre, la voix est rendue avec beaucoup de précision, sans non plus être trop « détourée », trop mise sous la loupe. Le suivi des réverbes est également très facile. La basse est présente, mais pas trop, le mix n’en est pas noyé, et c’est très bien. On perçoit cependant, peut-être comme un léger « voile » (pardon pour le vocabulaire d’audiophile !), disons un léger manque de précision dans l’aigu. Vous avez sûrement deviné d’où ça vient. Ça va se confirmer sur les autres morceaux…
Sun Kil Moon — Butch Lullabye (sur Common As Light And Love…)
Sur l’intro, on doit entendre à la fois les notes graves, les harmoniques médiums ajoutées par la distorsion, l’attaque légèrement piquée des notes, tout en séparant bien la grosse caisse qui sonne assez sèche et médium. Le rendu est super, avec l’attaque de la grosse caisse et du clavier-basse bien discernable. Il y a honnêtement très peu à dire : on entend ce que l’on souhaite entendre, ça a du punch, c’est précis, l’image stéréo est bonne. C’est sur le prochain morceau qu’on va devenir plus critique.
Massive Attack — Teardrop (sur Mezzanine)
Un titre avec beaucoup d’extrême grave, mais qui ne doit jamais masquer les nombreux détails dans le haut médium et l’aigu. Le casque s’en sort très bien avec le grave, voire le sub qui bien sûr n’est pas « présent » comme dans une pièce, mais qui est perceptible dans le mix. Le médium est superbe : le piano est riche en harmoniques, très présent sans être envahissant. Rien à redire. Sur la voix… Si l’on corrige le creux à 5 kHz avec un égaliseur, soudain on retrouve quelque chose : plus d’articulation, plus de souffle, un poil plus de détail. Pas la peine de remonter de 20 dB, cinq suffisent à retrouver une présence un peu « voilée », au cœur du mix, par ce creux marqué. Et à partir de là, on en vient à corriger l’accentuation à 15 kHz, à la lisser juste un peu… Et l’on se rend compte qu’elle ne manque pas vraiment, une fois que la zone autour de 5 kHz est remise un peu plus en place.
Charlie Mingus — Solo Dancer (sur The Black Saint And The Sinner Lady)
Voilà un morceau avec beaucoup de soufflants jouant dans des tessitures similaires : c’est très touffu et le but est d’essayer de discerner les timbres. Un peu comme sur le deuxième morceau, on a une très bonne impression : l’ensemble des cuivres est bien détaillé tout en faisant corps, le piano parfois très discret dans ce morceau est bien perceptible sur l’écouteur gauche, les cymbales ne sont pas trop en avant, tout en ayant beaucoup de dynamique (c’est saisissant en comparant 2:20 et 4:30). Bref le casque fait très bien le boulot. Seule petite chose : on ressent un peu de fatigue auditive.
Edgar Varèse — Ionisation (New York Philharmonic, dir. Pierre Boulez)
Ici on cherche à juger de l’image stéréo et du suivi de la réverbération naturelle de la salle, qui joue sur l’impression d’espace. L’écoute se fait entre 0:30 et 1:15 min. C’est très bien, mais là aussi, une retouche de l’égalisation à 5 kHz aide vraiment : on retrouve juste le crépitant et le claquement des attaques, la présence dans l’espace des instruments s’en trouve réaffirmé. Bref, sans cela, c’est déjà très bien (beau rendu de l’acoustique de la salle, image stéréo excellente, dynamiques très bien retransmises), mais avec, c’est juste un peu mieux. La fatigue auditive se confirme un peu, pas très forte (on a connu bien pire), mais on ressent aussi une fatigue physique (mal à la nuque). Eh oui, 475 grammes sur la tête, ça se sent.
Conclusion
Ce qu’il nous semble être à retenir de tout cela, c’est simplement que le MM-100 d’Audeze est un casque tout à fait adapté à l’usage proposé par le constructeur (en général, le travail de l’ingé son ou du producteur, plus spécifiquement le monitoring durant l’enregistrement, mais surtout le mixage — voire le mastering ?). Tout à fait adapté, à deux détails prêt, avec lesquels il faudra composer : premièrement, le poids, qui s’est fait sentir durant les écoutes, et pourrait poser un problème lors de longue session d’enregistrement ou de mixage ; deuxièmement, ce creux dans les aigus (5 kHz) que l’on perçoit comme « compensé » par la bosse à 15 kHz, mais qui en fait se révèle vraiment avoir manqué au moment où on le corrige avec un égaliseur. Deux éléments à prendre en compte, mais qui ne nous semblent pas non plus être rédhibitoires, puisqu’on apprendra à s’y habituer, ou à les compenser.
Plus problématique, cette construction qui ne semble pas permettre de réparer facilement le casque (attention, on ne prétend pas que c’est impossible, nous n’avons simplement pas pu y parvenir), et qui donc découragera l’utilisateur à apprendre à connaître un peu mieux les « arcanes » de son outil, qui n’invite pas à prendre l’initiative de lui redonner une seconde vie en cas de panne après la fin de la garantie, par soi-même ou en faisant appel à un réparateur.
Reste un excellent casque, d’un point de vue auditif, pour lequel on aurait juste espéré une construction où l’élégance eût peut-être moins primé sur l’utilité.