Depuis le lancement d’Analog Factory en 2006, Arturia nous en a proposé plusieurs déclinaisons, en créant notamment une association clavier-logiciel. Voici la dernière version en date, accompagnée de nouveaux claviers, les KeyLab.
Après l’aventure Storm, Arturia en 2003 prend un nouveau départ, avec la production de versions logicielles de synthés analogiques mythiques, grâce, entre autres, à une technologie maison, la TAE (pour True Analog Emulation). D’abord une copie du Moog System 3C, parue sous l’appellation Moog Modular V. Depuis, et en mettant de côté le travail de l’éditeur/fabricant sur les boîtes à rythmes (de type SparkLE ou VDM) ou hardware comme les excellents Origin et la non moins réussie série des Brute (Micro, Mini) sont apparues des déclinaisons virtuelles aux bonheurs divers de Minimoog, ARP2600, Yamaha CS80, SCI Prophet 5 et VS, Roland Jupiter 8 et plus récemment Oberheim SEM jusqu’à un Wurlitzer.
Depuis 2006, l’éditeur a eu l’idée de réunir les moteurs audio de ses synthés au sein d’un logiciel générique, l’Analog Factory, proposant de nombreux présets (2000) et quelques réglages, une véritable boîte à sons comme on pouvait en trouver à une certaine époque sous forme de racks dédiés aux possibilités de synthèse limitées, mais qui pouvaient suffire aux musiciens ne souhaitant ou ne pouvant pas rentrer dans les profondeurs de la synthèse.
L’idée était intéressante en soi, et l’est devenue encore plus quand, en 2007, l’éditeur a associé à son logiciel des claviers de commande, sous le nom d’Analog Factory Experience, avec un clavier de 32 touches fabriqué par CME, doté d’une intégration idéale à la nouvelle version du logiciel, l’Analog Factory 2.0, regroupant les six moteurs des synthés disponibles à l’époque et offrant cette fois 3500 présets (n’oublions pas le concept boîte à sons). Le clavier pouvait aussi faire office de clavier MIDI générique.
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Quelques années plus tard, en 2010, l’éditeur passe la surmultipliée avec l’Analog Experience Series, dotée de trois claviers (exit la collaboration avec CME), The Player (25 notes), The Factory (32 notes) et The Laboratory (49 notes), ce dernier étant doté d’une nouvelle version du logiciel, Analog Laboratory. Fin 2011, apparaît la version 61 notes du clavier, et l’adjonction d’un logiciel de contrôle, The Laboratory Midi Control Center.
Et voici qu’à la MusikMesse de 2013, Arturia présente une nouvelle série de contrôleurs, les claviers KeyLab, disponibles en versions 25, 49 (celle testée ici) et 61 notes. L’éditeur annonce une version haut de gamme en 88 notes, peut-être atterrira-t-elle dans les bureaux d’AF. En complément, le package logiciel a été revu, l’ensemble de synthés s’appelle Analog Lab et le contrôleur, Midi Control Center. C’est parti pour une descente dans le Lab.
Introducing Arturia KeyLab 49
L’ensemble se compose donc d’un clavier de 49 touches aux dimensions assez conséquentes (le clavier, pas les touches…), d’où une boîte qui en impose, d’un câble USB 2.0, d’un manuel et d’un guide d’installation rapide, comprenant le numéro de série et l’Unlock Code.
On ira s’enregistrer sur le site de l’éditeur, en y renseignant les deux codes, ce qui donnera le code d’activation qui sera demandé lors de la première ouverture du logiciel dont on téléchargera la nouvelle version sur le même site. La protection est toujours assurée via les eLicenser de Synchrosoft/Steinberg, mais plus besoin d’ouvrir l’eLicenser Control Center, la nouvelle application d’Arturia fait tout le travail pour nous, c’est transparent, rapide, bien vu. Attention, il faut quand même une connexion internet pour activer/autoriser le logiciel. Bonne nouvelle : on peut choisir de placer l’autorisation sur une clé ou sur le disque dur.
Le logiciel est compatible Mac (Mac OS 10.6 et supérieur) et PC (Windows 7 et 8), demande dans les deux cas au moins 2 Go de Ram et un processeur multicœur à 2 GHz, et est disponible sous la forme d’une application autonome et plusieurs formats de plug-ins, VST 2.4, VST 3, RTAS et AudioUnit, le tout en versions 32 et 64 bits. On vérifiera que le firmware du clavier est à jour, la procédure de mise à jour étant extrêmement simple, et effectuée via le MIDI Control Center.
Physique avantageux
Clavier imposant donc, puisque quasi aussi long que The Laboratory en version 61 notes et plus large que lui : à peu près 86 × 25 cm pour The Laboratory et 80 × 30 cm pour le KeyLab. Ceci est dû à l’architecture retenue, à l’implémentation des contrôles. Bois et métal (aluminium) sont toujours présents, donnant une sensation de robustesse agréable, sachant que les points faibles des précédentes versions sont plutôt à chercher du côté des faders et rotatifs.
Les molettes ont été ramenées dans une partie prolongeant le clavier sur la gauche, et tous les contrôleurs ont gagné en dimension. On dispose donc de 49 touches de taille normale, d’un toucher semi-lesté, envoi de la vélocité et de l’aftertouch, de deux encodeurs crantés avec validation par pression, de six boutons assignés aux fonctions de transport, de 10 rotatifs, d’un bouton de volume, de 10 boutons assignables, de deux molettes, trois switches (Sound, Multi et Edit), deux boutons d’octave pouvant basculer en demi-tons, de neuf faders (deux banques d’ADSR, plus un, donc idéal pour du pilotage de Hammond et autres orgues à tirettes) et de 16 pads répondant à la vélocité et à la pression. Le tout est complété par un écran LCD à 32 caractères, qui renvoie les infos du logiciel (affichage du nom des présets, etc.). Petite précision, qui a son importance : rotatifs et faders offrent en fait deux numéros de contrôleurs, puisque l’on dispose de deux banques, Bank 1 et Bank 2 (si, si). Petit regret, les faders laissent toujours une image fantôme de leur position dans la fenêtre du logiciel tant qu’on n’a pas accroché leur position par défaut lors du chargement du son, ce qui peut perturber en live sous certaines conditions d’éclairage.
À l’arrière, on retrouve les connexions habituelles, duo MIDI In et Out, connecteur USB, entrées pédales (Sustain et Expression), une autre pour pédale Aux, l’interrupteur et la borne pour alimentation facultative (et non fournie…) ainsi qu’une entrée pour Breath Controller, déjà présente sur The Laboratory, et pour laquelle il faut remercier l’éditeur, tant la chose se fait rare.
Les faders disposent d’une course plus longue, et sont donc plus précis, tandis que les rotatifs montrent une résistance qui rassure a priori. Tous les boutons et pads sont rétro-éclairés, affichant un beau bleu, cohérent avec le reste de la gamme, Spark et BeatStep. Le clavier se révèle assez agréable à jouer, malgré ses envois de vélocité un peu élevés par rapport aux autres claviers du studio. Mais les sensations sur les touches et la prise en main des contrôleurs sont agréables, même s’il faut appuyer assez fort sur les switches.
Du pareil au même ?
On note aussi des changements importants, notamment dans le logiciel de contrôle, plus clair et immédiat, et surtout dans son approche multicontrôleur : en effet le logiciel est maintenant conçu pour gérer tous les instruments et contrôleurs hardware de l’éditeur, y compris les modèles de claviers précédents et les Spark (on peut choisir le matériel désiré dans un menu déroulant). En revanche, le KeyLab 88 n’est pas implémenté, ce qui laisse supposer quelque temps encore avant sa sortie. Un bon point en tout cas, l’unification a, dans ces cas-là, du bon…
Les plus gros changements logiciels interviennent cependant au niveau de la nouvelle mouture de la boîte à sons. Premier changement d’importance, la refonte graphique. Finie la petite fenêtre aux couleurs pastel, voici les fonds noir et gris avec couleurs pétantes et contrastes affichés. Et c’est tant mieux : il était en effet assez difficile de lire de loin le nom des présets en mode Scene (oui, bon, l’âge, tout ça, bref…). Tandis que là, tout se lit facilement, avec une petite réserve pour le nom des contrôleurs.
Petite coquetterie (mais assez pratique à l’usage), une vue Studio affiche tous les synthés disponibles, et un clic sur l’un d’entre eux affiche aussitôt les programmes conçus sur ce synthé. On retrouve ce système de filtrage dans la page Preset, avec cette fois beaucoup plus de filtres, entre Instruments, Types, Characteristics et Options. Rien d’inédit, en dehors des changements graphiques, le filtre reste le même. Quant au navigateur, il gagne trois colonnes, Rating, Designer et Fact. (pour préset d’usine) mais en perd une qui pouvait s’avérer pratique, celle de la consommation CPU. Le compteur indique une différence de 673 présets en faveur d’Analog Lab (5000 en tout dans la catégorie Sound), mais il semble que la totalité (je n’ai pas vérifié les 4327, désolé) des présets d’Analog Laboratory sont ici fournis à l’identique, et donc complétés, de façon inégale suivant les synthés : si le Wurlitzer n’en gagne aucun, le SEM V se voit gratifié de 15 présets supplémentaires, le Prophet VS de 34, le Prophet V de 60, le Modular V de 120, le Mini V de 100, le Jupiter-8V de 130, le CS80 V de 101 et l’ARP2600 V de 113.
À plusieurs
Dans les précédentes versions, les pads en mode Scene permettaient de déclencher des fichiers rythmiques : le mode, la fonction et les fichiers d’usine correspondants ont disparu, ils sont maintenant remplacés par un mode Multi bien plus intéressant. On y cumulera deux sons (le chargement se fait en glisser-déposer depuis le navigateur, pratique et bien vu), en Layer ou en mode Split, avec réglage de tessiture, canal MIDI, réglage d’octave et de transposition.
Chaque partie dispose bien entendu d’un volume et d’un pan, mais aussi de deux départs d’effets avec réglage pré ou post. Les deux effets en question sont chacun munis d’un Bypass, d’un réglage Dry-Wet. Leurs réglages varient bien entendu suivant le type d’effet, que l’on choisira entre 17 modèles, de l’EQ à la réverbe, en passant par tous les effets temporels, de modulation, de dynamique et de saturation. Pas de génie particulier dans ces effets, mais une belle palette efficace, ce qui est après tout ce qu’on demande dans ce type de contexte.
Dans la section Master, on ajustera le volume global ainsi que les deux retours d’effets. Une dernière partie Control Assign permet d’activer/désactiver les contrôleurs suivants pour l’une et/ou l’autre partie : Pitch Bend, Modulation Wheel, Aftertouch, pédales de Sustain et Expression. Rappelons aussi que les possesseurs des versions complètes des instruments logiciels d’Arturia pourront éditer les sons, les sauvegarder, les taguer, etc.
Du côté des Pads, tout change, donc. On s’en servira dans le cadre de l’utilisation conjointe avec Analog Lab pour déclencher des accords ; avec d’autres applications, ils peuvent être utilisés pour des actions rythmiques, émettant par défaut sur le canal 10, c’est-à-dire la norme pour les boîtes à rythmes. Tout cela est bien évidemment modifiable pad par pad, avec assignation indépendante du canal, de la plage d’envoi de vélocité, la plage d’aftertouch, la note, le type d’événement émis (Control, Control Toggle, Note Toggle, MIDI Note et Program Change). Merci.
Mais revenons au déclenchement d’accord : on peut sélectionner n’importe quelle note MIDI et le type d’accord suivant 17 propositions, de majeur à mineur, en passant par les altérés, les accords de dominante et leurs variations. Avec un peu de pratique et une assignation intelligente, on peut reproduire directement toutes les figures rythmiques à base d’accord, utilisées dans les musiques électroniques actuelles.
On terminera par la section Live, qui permet de se créer rapidement des sets pour le… live, eh bien oui, en assignant sons séparés ou Multis aux boutons Snapshots (avec champ pour renseigner le nom de la Song, par exemple), ces assignations pouvant être sauvegardées puis rappelées à l’envie. Seul problème, les temps de passage d’un son à l’autre qui dans certains cas peuvent atteindre plusieurs secondes, et les bruits survenant parfois lors de passage d’un son à l’autre, deux problèmes déjà pointés lors des tests des versions précédentes, et toujours pas résolus à l’heure actuelle…
Un comparo de poids…
Ayant procédé lors du test du Novation Launchkey 61 à des mesures maison de l’envoi de la vélocité (qui est, rappelons-le, une mesure de la vitesse, et non de la force, avec laquelle on attaque une note), on va recommencer pour l’Arturia KeyLab 49, ce qui permettra de le comparer aux quatre autres claviers déjà testés selon le même protocole : courbe de réponse à la vélocité linéaire (quand c’est possible), neuf lâchers d’un poids de 100 grammes sur la même touche blanche (le bord du poids est à la verticale de celui de la touche, le poids est posé sur la touche sans le laisser peser, suivi d’un lâcher brusque), puis moyenne des neuf, avec indication des valeurs les plus faible et plus forte.
Voici les résultats :
- Arturia KeyLab 49 : vélocité 36–66 (56 de moyenne, aux écarts les plus grands, mais assez cohérent dans les valeurs répétées).
- Arturia The Laboratory 61 : 56–73 (64.4).
- Kurzweil K2500X : 37–39 (37.8, le plus régulier, avec six fois 38).
- Novation Launchkey 61 : 43–52 (48.6, avec cinq fois 52).
- Yamaha SY99 : vélocité 19–24 (21.7).
On connaissait déjà les différences parfois hallucinantes d’un clavier semi-lesté à un autre (de 19 à 73).
Le résultat d’aujourd’hui montre encore un comportement particulier sur les claviers Arturia, envoyant une mesure de vélocité assez haute, en raison d’une résistance moindre que sur les autres claviers. Il sera toujours aussi délicat de passer après deux heures de jeu, du SY99 à l’Arturia…
Bilan
Indéniablement une belle progression pour la partie logicielle, que ce soit d’un point de vue graphique, l’ensemble étant bien plus lisible sur scène, que d’un point de vue pratique, avec les réussies sections Multi et Live. La première permettra aux non-possesseurs des synthés individuels de faire (un peu) de sound design grâce aux effets et à la gestion des Layers, la seconde pourra être utile sur scène, nonobstant les bruits et retards lors des changements de sons, ce qui pourrait être le seul reproche à faire à l’Analog Lab.
Le clavier quant à lui est une belle évolution, avec notamment le double ensemble via switch Bank 1 et Bank 2 de faders et rotatifs, et l’adjonction de 16 pads agréables, même si demandant une certaine frappe pour déclencher des valeurs faibles. Il faut les pratiquer, voilà tout. On peut aussi éditer beaucoup plus de paramètres directement depuis le clavier, avec un retour d’écran LCD très clair, c’est très pratique. Et son intégration à Analog Lab ne souffre aucun reproche, à l’exception de ce décalage et de ces bruits lors du changement de sons. Et on est loin des claviers de commande tout plastique dont les commandes restent dans les doigts, ou dont les encodeurs/curseurs/fadeurs ne fonctionnent plus correctement après quelque temps d’utilisation (n’oublions cependant pas que c’était le cas des premiers claviers vendus par l’éditeur).
Bref, à 329 euros prix catalogue (on doit pouvoir le trouver moins cher ici et là), cet ensemble reste une excellente solution pour qui veut disposer d’un grand nombre de sons de qualité (5000 présets, quand même…) et de possibilités de personnaliser des présets (Multi), tout en ayant sous la main des commandes et contrôles bien pensés pour les modifier rapidement, en studio ou sur scène. Retrouver la sensation de filtres et enveloppes sous les doigts est une vraie madeleine…
Pour conclure, il suffit de calculer ce que cela coûte que d’investir dans un clavier doté de caractéristiques identiques, et d’y ajouter une solution logicielle aussi fournie pour comprendre la pertinence du positionnement d’Arturia dans ce domaine.