Il y a presqu'un an de cela, je vous avais laissé entendre à l'occasion du banc d'essai consacré au FG-Stress signé Slate Digital qu'une autre déclinaison virtuelle du fameux Distressor pourrait me passer entre les mains. Cela m'a pris beaucoup plus de temps que prévu mais j'ai enfin réussi à me faire prêter une UAD-2 Satellite pendant plus d'un mois l'été dernier afin de tester le plug-in EL8 Distressor d'Universal Audio. Comme j'aime souvent à le dire : vieux motard que j'aimais ! Voici donc aujourd'hui un petit compte-rendu dans lequel je ne manquerai pas de comparer cette version UAD au FG-Stress qui m'avait fait une très forte impression à l'époque…
Universal Soldier
Sorti à peine un mois et demi après le plug-in de Slate Digital à la faveur de la mise à jour 9.4 de l’UAD Software, cet UAD EL8 Distressor est donc une déclinaison virtuelle du fameux compresseur matériel d’Empirical Labs qui l’a d’ailleurs officiellement adoubé. Comme d’habitude avec les plug-ins Universal Audio, il faut bien entendu obligatoirement posséder une interface audio de la marque ou bien une carte de la famille UAD-2 pour faire tourner ce joujou. Disponible pour Mac et PC aux formats VST (mais pas VST 3), RTAS, AAX 64 et AU, ce Distressor virtuel s’installe très facilement une fois l’énorme fichier d’installation d’1,8 Go récupéré. Au passage, notez qu’Universal Audio ne permet toujours pas une installation sélective de ses plug-ins, ce qui implique la présence de la totalité de leur catalogue sur votre disque dur, soit la bagatelle de 2,78 Go…
Niveau consommation, une instance occupera entre 25,2% et 28,3% d’un processeur SHARC à 44,1 kHz. La bestiole est gourmande et selon les capacités de votre interface UAD, il vous faudra probablement faire certains compromis si vous souhaitez également utiliser d’autres traitements de la marque sur une même session de mixage. De plus, sachez que si vous utilisez ce plug-in au sein de votre STAN, il entraînera en sus quelques samples de latence de traitement ainsi qu’un léger coup en ressources processeur de votre ordinateur. Sur ma machine de guerre (Mac Pro fin 2013 Hexacoeur Xeon 3,5 GHz – 32 Go DDR3), cela se traduit par 247 samples de latence accompagnés d’une consommation CPU oscillant entre 0,3% et 0,5% par instance. En revanche, logé au coeur de la section de mixage virtuelle d’une interface audio de la famille Apollo, ce joujou tournera en temps réel et ne taxera que les processeurs SHARC, ce qui est diablement intéressant pour, par exemple, compresser un signal à la prise.
Bien, le « décor » technique étant planté, passons à présent au plug-in en lui-même. Arborant une interface graphique photoréaliste non redimensionnable mais suffisamment bien proportionnée pour être lisible et fonctionnelle sur petit comme sur grand écran, le Distressor sauce Universal Audio se veut fidèle au modèle original et propose les réglages suivants :
- Gain d’entrée – « Input » ;
- Temps d’attaque – « Attack » ;
- Temps de relâchement – « Release » ;
- Niveau de sortie – « Output » ;
- Ratio (1:1, 2:1, 3:1, 4:1, 6:1, 10:1 / Opto, 20:1, Nuke) ;
- Filtre HP fixe à 100 Hz (6 dB/oct) pour le circuit de détection ;
- Filtre « Band Emphasis » à 6 kHz pour le circuit de détection ;
- Bouton « Link » pour chaîner les canaux sur des pistes stéréo ;
- Filtre HP à 80 Hz (18 dB/oct) pour filtrer le rendu ;
- Switch « Dist 2 » pour ajouter une distorsion harmonique paire ;
- Switch « Dist 3 » pour ajouter une distorsion harmonique impaire.
UA s’est tout de même permis d’ajouter un fort bienvenu potentiomètre « Mix » pour le dosage entre le signal source et le signal traité ainsi qu’un petit rotatif « HR » pour « Headroom », offrant ainsi à l’utilisateur la possibilité de jouer sur le niveau de référence accepté par le plug-in en entrée. Comme nous le verrons plus tard, ce paramètre est drôlement intéressant lorsqu’il s’agît de sculpter la pâte sonore…
Au rayon des déceptions, vous remarquerez qu’à l’instar du FG-Stress, cet EL8 virtuel n’intègre pas l’illustre « British Mode » présent sur la version matériele EL8-X. C’est somme toute logique puisqu’UA, tout comme Slate, modélise le Distressor premier du nom mais c’est tout de même dommage. Autre point noir, l’absence d’une fonction de comparaison A/B alors que cela serait pourtant bien utile…
Avant de jeter une oreille à ce que la bestiole est capable de faire, terminons cette présentation par une note positive avec les presets. Je ne suis pas vraiment un aficionado des presets lorsqu’il s’agit des traitements de la dynamique car ils induisent immanquablement une variation de la sensation de volume perçu et peuvent donc flouer très facilement nos capacités de jugement. Pourtant ici, les presets signés Chris Coady (Yeah Yeah Yeahs, TV on the Radio), Chris Zane (Passion Pit, The Walkmen), Hector Delgado (A$AP Rocky, Selena Gomez) ou bien encore Jimmy Douglass (The Rolling Stones, Roxy Music) sont plutôt intéressants, ne serait-ce que pour analyser la façon de faire de certains grands noms du monde de l’audio.
Universal Audio
Commençons cette séance d’écoute avec une ligne de basse :
- 01_After That – Bass_dry00:11
- 02_After That – Bass_Control00:11
- 03_After That – Bass_Dirty00:11
- 04_After That – Bass_Growl00:11
Le premier extrait se résume au signal source. Pour le deuxième, une instance de ce Distressor virtuel est utilisée pour gentiment calmer la dynamique du signal. Le troisième illustre un emploi un tantinet plus agressif avec un ratio de 6:1, des temps d’attaque et de relâchement ultra-rapides, le filtre coupe-bas dans le circuit de détection, le mode « Dist 3 » et un niveau d’entrée élevé de façon à bien faire travailler la bestiole pour ne laisser aucune chance aux transitoires. Comme je m’y attendais, le rendu est un poil « too much » mais sur le quatrième extrait, le réglage « Mix » permet de réinjecter un peu du signal source afin de récupérer une bonne dose de vivacité tout en conservant une couche de « salissure » bien grasse dans le fond du son. J’ai retrouvé ici la simplicité d’utilisation et l’efficacité sonore du modèle matériel que j’ai maintes fois eu l’occasion de croiser en studio. Chapeau bas aux sorciers du code d’UA !
Voyons à présent à quoi peut bien servir le petit potentiomètre estampillé « HR ». À la base, je cherchais à faire ressortir l’attaque des notes de cette ligne de basse, le réglage « HR » était dans sa position par défaut à midi, soit une valeur de 16 dB de Headroom. J’ai alors commencé à jouer avec ce fameux potard sans toucher aux autres paramètres. Voici les différents rendus sonores classés dans l’ordre croissant des sept valeurs de Headroom possibles :
- 05_After That – Bass_Clic HR400:11
- 06_After That – Bass_Clic HR800:11
- 07_After That – Bass_Clic HR1200:11
- 08_After That – Bass_Clic HR1600:11
- 09_After That – Bass_Clic HR2000:11
- 10_After That – Bass_Clic HR2400:11
- 11_After That – Bass_Clic HR2800:11
Bien entendu, j’ai pris la peine de mettre tous ces rendus au même volume sonore perçu de façon à ne pas biaiser votre jugement. Comme vous devriez le constater, plus la valeur de Headroom est élevé et plus le compresseur travaille. Sur le dernier extrait, le clic de l’attaque nous saute carrément en plein visage à chaque nouvelle note ! C’est vraiment impressionnant et cet ajout d’UA rend ce plug-in beaucoup plus malléable que son illustre aïeul matériel. Rendez-vous compte : à partir du moment où vous êtes content d’un de vos réglages pour telle ou telle source, il vous suffit de manipuler ce potard « HR » pour accentuer ou atténuer le rendu à l’envi sans avoir à toucher quoi que ce soit d’autre ! Encore une fois, c’est dans la droite lignée du concept du modèle original : simple et diablement efficace. Attention cependant, je tiens à souligner que l’utilisation de ce paramètre modifie énormément le niveau sonore en sortie, ce qui est somme toute logique étant donné sa nature, prenez donc gare à vos oreilles lors de sa manipulation…
Ecoutons maintenant ce joujou sur des voix :
- 12_Vox_dry00:12
- 13_Vox_wet00:12
- 14_Fire_dry00:09
- 15_Fire_Opto-300:09
L’extrait « Vox_wet » est traité par deux instances du Distessor : la première en mode « Opto » pour gentiment malaxer la dynamique de ce signal à la base beaucoup trop sauvage et la seconde en position « Nuke » avec une couche de « Dist 3 » et un mélange 50/50 entre signal source et signal traité pour salir et épaissir la pâte sonore. Intéressant, n’est-ce pas ?
Comme son nom le laisse supposer, le sample « Fire Opto-3 » se limite quant à lui à une seule instance du plug-in en mode « Opto » avec le switch « Dist 3 » enclenché. Ici, l’objectif était de donner un peu plus d’assise à cette ligne de chant de façon à pouvoir la caler en fond de mix avec une bonne dose de réverbération sans qu’elle ne joue à cache-cache avec le reste de l’instrumentation. Lors de cette écoute hors contexte, si vos oreilles ne sont pas persuadées de la pertinence du rendu, vos yeux devraient finir par vous convaincre :
La forme d’onde verte représente le signal source alors que la rouge illustre la voix une fois passée au travers de cette machine infernale. Édifiant, non ?
Poursuivons avec le traitement d’un bus de guitares électriques :
- 16_After That – Gtr_dry00:22
- 17_After That – Gtr_Control00:22
- 18_After That – Gtr_Heavy00:22
Comme d’habitude, le premier extrait n’est rien de plus que le signal source dans son plus simple appareil. Le deuxième emploie une instance de Distressor pour agréablement lisser la dynamique de façon transparente alors que le troisième illustre une utilisation beaucoup plus « colorée » de l’engin. Vous commencez certainement à connaitre la chanson par coeur : simple et efficace, rien à dire de plus.
Voilà, c’est tout pour cette séance d’écoute consacré au Distressor virtuel signé Universal Audio.
"Quoi ? Mais c’est quoi ce délire ? Une séance d’écoute d’un tel engin sans exemples de traitement sur une batterie, c’est une blague ?
– Et la comparaison avec le FG-Stress qu’on nous avait promis dans l’introduction, c’était du flan ?
– Remboursez nos invitations ! Remboursez nos invitations !"
Du calme les ami(e)s, c’est juste la partie du banc d’essai entièrement consacré au Distressor UAD qui est finie. Maintenant, nous allons enchainer avec le choc des Titans !
Universal War One
Les lecteurs assidus d’Audiofanzine que vous êtes se sont certainement rendu compte des similitudes entre les exemples sonores présentés ci-dessus et ceux illustrant le test du FG-Stress de Slate Digital publié l’an dernier. Ce n’est bien entendu pas un hasard. Pour réaliser les extraits d’aujourd’hui, je me suis servi des mêmes fichiers sources tout en m’inspirant des intentions que j’avais eues à l’époque. Cependant, je n’ai absolument pas essayé de reproduire point par point les rendus obtenus avec le FG-Stress, je me suis simplement contenté d’aborder les choses avec le même état d’esprit. En revanche, les exemples qui suivent ont été réalisés dans un but de comparaison directe. Les paramètres de ratio, distorsion et sidechain sont donc strictement identiques à chaque fois, seuls les réglages de constantes temporelles ainsi que les gains en entrée/sortie diffèrent sensiblement. C’est somme toute logique car, s’ils sont tous deux calqués sur le même type de modèle matériel, ces plug-ins n’ont certainement pas dû être calibrés sur exactement les mêmes machines, d’où le pourquoi du comment. Remarquez d’autre part que le paramètre « HR » étant absent de la version Slate, j’ai laissé la version UA sur sa valeur de Headroom par défaut.
À présent, passons aux choses sérieuses avec le traitement d’un bus de batterie :
- 19_After That – Drums_dry00:12
- 20_UA-Drums_Nuke00:12
- 21_FG-Drums_Nuke00:12
- 22_UA-Drums_Nuke NY00:12
- 23_FG-Drums_Nuke NY00:12
Le Distressor original ayant la réputation de faire des « ravages » sur les batteries lorsqu’on le pousse dans ses retranchements, je n’y suis donc pas allé de main morte : ratio en position « Nuke », constantes temporelles ultra-rapides, ajout de distorsion harmonique impaire et filtre « Band Emphasis » à 6 kHz sur le circuit de détection pour bien attaquer le haut-médium. Puis, j’ai calmé mes ardeurs en jouant avec le potentiomètre « Mix » pour obtenir un rendu claquant avec un ajout de perspective par rapport au signal source seul.
Résultat des courses, il ne m’a pas fallu très longtemps pour obtenir des résultats quasiment identiques avec les deux plug-ins. Bien sûr, il y a de toutes petites différences sonores puisqu’un test d’annulation par inversion de phase n’est pas concluant. Ceci dit, en toute honnêteté, je ne préfère pas un rendu plus que l’autre. Dans tous les cas, l’esprit de la machine matérielle est bel et bien là. De plus, il faut bien se dire que niché au coeur d’un mix, personne ne fera jamais la moindre différence entre ces traitements. D’ailleurs, même en blind test avec la batterie isolée du reste du mix, il me semble extrêmement difficile de pouvoir distinguer à coup sûr le rejeton d’Universal de celui de Slate. Et vous, vous sentez-vous à la hauteur pour relever un tel défi ? Qu’à cela ne tienne, voici de quoi vous amuser :
- 24_E-Drums_Dist 200:12
- 25_F-Drums_Dist 200:12
- 26_G-Drums_Dist 300:12
- 27_H-Drums_Dist 300:12
- 28_A-Drums_20_100:12
- 29_B-Drums_20_100:12
- 30_C-Drums_20_1 NY00:12
- 31_D-Drums_20_1 NY00:12
Vous remarquerez que la numérotation des extraits ne correspond pas à l’ordre alphabétique des préfixes… En fait, si les quatre premiers exemples sont plutôt « gentils », les samples A, B, C et D sont volontairement piégeux. Or, comme j’ai eu la présence d’esprit de faire subir ce blind test en amont à quelques amis triés sur le volet et qu’aucun d’eux n’a réussi à sortir indemne de ce traquenard, j’ai préféré modifier l’ordre d’écoute initialement prévu afin de ne pas décourager les bonnes volontés. Moralité, si l’un d’entre vous arrive à faire un sans faute, je lui décernerai un Award Golden Ear sur le champ ! Bref, si vous êtes courageux, je vous invite à essayer de deviner qui est qui et à poster vos réponses en commentaire de cet article dans les jours qui viennent. Je vous livrerai la solution d’ici peu… Et croyez-moi, vous risquez d’être surpris !
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Avant de conclure ce banc d’essai, voici mon avis sur le combat UAD Distressor vs. FG-Stress : pas de vainqueur, ni de vaincu. En effet, d’un point de vue strictement sonore, il me semble que ces deux portages dans le monde virtuel du compresseur emblématique d’Empirical Labs font jeu égal : la pâte sonore sauce Distressor est belle et bien présente.
Niveau ergonomie itou, l’utilisateur retrouvera sans conteste possible l’efficacité et la simplicité d’utilisation du modèle matériel chez l’un comme chez l’autre. Quant aux fonctionnalités, hormis le réglage Headroom uniquement présent sur la version UA, c’est encore une fois la même tisane pour les deux plug-ins.
Reste la question du tarif : 299 € chez Universal Audio contre un peu moins de 200 € chez Slate Digital. Sauf qu’en réalité, à la faveur de l’une des nombreuses promo d’UA et/ou grâce à un fameux « voucher », il est possible d’acquérir l’UAD Distressor pour sensiblement le même tarif que la concurrence. D’ailleurs, le joujou d’UA était affiché à 179 € il y a moins de quinze jours…
Mais alors, lequel choisir ? Au risque de passer pour un Normand, j’ai envie de vous dire que ça dépend. Si vous n’êtes pas allergique au concept du rack VMR de Slate, que le dongle iLok physique ne vous rebute pas et / ou que vous avez l’envie de coller un Distressor virtuel sur chaque tranche d’un projet velu, l’option Slate Digital sera la bonne. Mais si vous adhérez à l’écosystème UAD, que vous souhaitez compresser dès la prise et / ou que votre soif de Distressor lors de la phase de mixage se limite à une consommation avec modération, la version signée Universal Audio est faite pour vous.
Ou alors, vous pouvez aussi succomber à une crise de GAS et opter pour les deux, ils s’entendront à merveilles !
Conclusion
Que dire pour clôturer ce banc d’essai ? Eh bien peut-être tout simplement qu’à l’instar du Distressor matériel, la version virtuelle d’Universal Audio est un bien bel outil méritant le titre de couteau suisse virtuel de la compression. La bestiole sonne sacrément bien et s’utilise avec une simplicité déconcertante. Bien sûr, l’absence du « British Mode » et le manque d’une fonction de comparaison A/B sont critiquables mais les ajouts du potard « Mix » et du très efficace réglage Headroom font très vite passer la pilule. Bref, avec ce Distressor virtuel, l’équipe d’Universal Audio confirme une fois de plus son savoir-faire en matière de modélisation virtuelle de matériel analogique. Chapeau bas !
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