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Portrait de Léo Fender - L’homme derrière une révolution à six cordes

Keith Richards et sa Telecaster, Jimi Hendrix et sa Stratocaster… Les guitares de Léo Fender ont bouleversé le cours de la musique populaire au XXe siècle. Portrait d’un concepteur génial et acharné, digne symbole du « rêve américain ».

Portrait de Léo Fender : L’homme derrière une révolution à six cordes

Une vie : Leo Fender


Un passionné de radio né dans une ferme


Si les guitares de Léo Fender ont gagné le cœur des plus hautes sphères, son histoire a pour­tant commencé dans un open­field. Né en 1909 dans la ferme fami­liale dans la banlieue de Los Angeles, Clarence Leoni­das dit « Leo » vit une enfance rela­ti­ve­ment modeste. À son jeune âge, on l’ini­tie au saxo­phone et au piano, mais cela ne prend pas. Cepen­dant, quand son oncle lui ouvre les portes de son garage, c’est une autre histoire. Le petit Leo se passionne pour les moteurs élec­triques et l’élec­tro­nique, il se met à répa­rer des postes radio, et suit des études de comp­ta­bi­lité à côté. 

Dans les années 20, Leo enchaîne les jobs mais ne les garde jamais très long­temps. Ainsi, lorsqu’il perd son emploi de comp­table en 1930, sa passion pour l’élec­tro­nique reprend le dessus. De retour à Fuller­ton, à quelques miles de son pate­lin d’ori­gine, il ouvre sa propre enseigne dédiée à la vente, la loca­tion et la répa­ra­tion de maté­riel élec­tro­nique : Fender Radio Service, en 1938. Deux ans plus tard, les affaires marchent bien. Fender migre dans le centre-ville de Fuller­ton dans des locaux plus spacieux. Il a enfin l’es­pace néces­saire pour donner libre cours à ses expé­ri­men­ta­tions. 


Leo et les guitares : premiers contacts 


En élec­tro­nique, ce qui obsède Leo Fender, c’est avant tout l’as­pect pratique des choses. Alors, quand il conçoit ce nouveau système de sono­ri­sa­tion mobile en 1941, de nombreux musi­ciens y voient une oppor­tu­nité. Grand amateur de coun­try, Leo Fender reçoit une multi­tude de guita­ristes de cette scène pour élec­tri­fier leurs guitares acous­tiques. En 1945, Leo rencontre Clay­ton « Doc » Kauff­man, ingé­nieur et construc­teur de guitares hawaïennes à slide (lap steel). dockauffmanL’un et l’autre, tous deux nés dans une ferme et emme­nés depuis petit par cet esprit d’in­ven­tion, partagent beau­coup d’in­té­rêts. Ensemble, ils fondent K&M Manu­fac­tu­ring Corpo­ra­tion. Leur entre­prise déve­loppe des guitares, des nouveaux modèles d’am­pli­fi­ca­teurs. Ils déposent plusieurs brevets, notam­ment un modèle de lap-steel label­lisé K&F, et un nouveau modèle de micro­phone. Progres­si­ve­ment, les lap-steels de K&M sont distri­bués dans tout le pays et des conces­sion­naires Fender s’im­plantent loin des ateliers. Les musi­ciens de Coun­try et de Western Swing (un style de coun­try influencé par le jazz, très popu­laire dans les années 30) popu­la­risent les guitares de l’en­tre­prise, comme Hank Thom­son ou Bob Wills.

Capture d’écran 2024-08-06 à 16.56.38La répu­ta­tion des produits K&M est bonne, et l’ac­ti­vité de l’en­tre­prise gran­dit. Bien­tôt, près d’une tren­taine d’ins­tru­ments sortent des ateliers par semaine, et Fender ouvre sa première usine à Santa Fe. Seule­ment, en musique, les tendances ne durent pas toujours très long­temps. En 1946, la popu­la­rité des modèles lap-steel décroît et Doc Kauff­man quitte l’aven­ture. L’oc­ca­sion pour Fender de relan­cer l’en­tre­prise à son image. 

À gauche, Hank Thom­son, légende texane de la musique coun­try.


Les vrais débuts de Fender Elec­tric Instru­ment Company


Quand Leo rebap­tise l’en­tre­prise Fender Elec­tric Instru­ment Company, il sait qu’il aura du mal à se faire une place sur le marché. À la fin des années 40, les ventes de guitares élec­triques sont mono­po­li­sées par Gibson, spécia­liste des guitares à caisse. En partant de ce constat, Leo Fender décide de se lancer sur un marché moins prisé car nette­ment moins déve­loppé, celui des guitares à corps plein. En effet, à part des modèles de lap-steel sans caisse commer­cia­li­sés par Ricken­ba­cker au début des années 30 (les fameuses “poêles à frire”), il n’existe à ce stade que très peu d’in­cur­sions des construc­teurs d’ins­tru­ments vers les guitares sans caisse. Alors, si Fender n’en est pas l’in­ven­teur, il est certai­ne­ment celui qui donnera ses lettres de noblesse au solid body. Porté par son esprit créa­tif, emmené par les sugges­tions et demandes de musi­ciens, il lance ses premiers modèles de guitares à corps plein : la Esquire en 1951, puis la Tele­cas­ter la même année (bapti­sée au départ Broad­cas­ter).17624310 800


Là où Fender est un pion­nier, c’est qu’il conçoit le tour­nant de l’en­tre­prise en deux axes. D’abord, une vraie atten­tion au concept, à l’idée d’ac­com­pa­gner une bonne idée d’un bon design. Et puis, cette ambi­tion de déve­lop­per le produit tout en indus­tria­li­sant ses ateliers. Résul­tat, dans les années 50, les guitares à corps plein de Fender sont conçues loin des logiques d’ate­liers plus modestes, les coûts de produc­tion sont allé­gés car confiés à une main-d’œuvre moins chère. La machine est en marche. 

À droite, un modèle de guitare Esquire de 1951.


Fender porté par la contre-culture améri­caine


À partir des années 50, la clien­tèle de Fender est toute trou­vée. Après la Seconde Guerre Mondiale, toute une géné­ra­tion de baby-boomers propose une culture radi­ca­le­ment oppo­sée à l’Ame­ri­can Way of Life, et le paysage poli­tique et cultu­rel est boule­versé. Dans ce contexte, la scène musi­cale améri­caine change de visage, et la guitare élec­trique est l’arme de choix de ses nouveaux prota­go­nistes. Premier coup d’éclat de Leo Fender, la sortie de la basse préci­sion en 1951 : la première guitare basse à corps plein ampli­fiée, permet­tant au bassiste de jouer au même niveau sonore que la batte­rie. Une révo­lu­tion ! S’en suivent quinze ans d’in­no­va­tions : la Stra­to­cas­ter sort en 1954, puis la Jazz­mas­ter est lancée en 1958, suivie par la Jazz Bass en 1960, puis les Jaguar et Mustang en 1962 et 1964. Aux côtés de Don Randall, respon­sable commer­cial et marke­ting de l’en­tre­prise, Fender déve­loppe les desi­gns de ses guitares dans le feu d’une époque pleine de couleurs. Les guitares sont comme des voitures de courses au design moderne, aux rondeurs futu­ristes. Au-delà d’être des produits de bonne qualité, les guitares Fender sont belles et attirent l’œil. Elles sont jouées par les plus grands guita­ristes de l’époque (sur scène, Jimi Hendrix se sépare rare­ment de sa Stra­to­cas­ter White Olym­pic de 1963, et Jimmy Page appa­raît souvent au volant d’une Tele­cas­ter de 1958 offerte par Jeff Beck). 

Jimmy Page et sa mythique Tele­cas­ter « Dragon »

En 1964, Fender tourne à plein régime. Le petit atelier est devenu une immense manu­fac­ture indus­trielle. Près de 1500 modèles de guitares sortent chaque semaine des ateliers, et Leo Fender a près de 600 employés sous sa gouverne. Chez Fender, les affaires vont vite, très vite. Peut être trop vite pour un Léo Fender acharné de travail qui n’a pas vu venir un coup de fatigue. 


Leo Fender quitte le navire


C’est un titre accro­cheur, mais légè­re­ment menson­ger. Disons qu’en 1964, Fender sent bien que la machine qu’il a créée le dépasse. Pris de fatigue, et souf­frant de soucis de santé, il vend ses diffé­rentes socié­tés du groupe à Colum­bia Broad­cas­ting System (CBS) pour 13,2 millions de dollars. Sans être à la tête de la machine, il reste consul­tant pour CBS pendant cinq ans. Dans les années 70, Leo Fender conti­nue de créer des instru­ments de son côté, et fonde plusieurs socié­tés, la dernière étant George and Leo (G&L) avec son colla­bo­ra­teur de longue date, George Fuller­ton. 


Lorsque Leo Fender meurt en 1991, c’est le visage d’une révo­lu­tion sonore qui s’éteint. Cet homme qui n’a jamais appris à jouer de la guitare, et préten­dait qu’il ne savait même pas accor­der un instru­ment, laisse derrière lui un monde d’in­no­va­tion, et restera connu comme le « non-guita­riste » le plus influent de l’his­toire de la guitare.


Leo Fender en cinq inno­va­tions


1. La guitare à corps plein, dite « solid body » 


On en parlait sommai­re­ment un peu plus haut, mais la démo­cra­ti­sa­tion des guitares à corps plein par Leo Fender au début des années 50 a complè­te­ment boule­versé le marché des guitares élec­triques. Contrai­re­ment aux Gibson à caisse de réso­nance, les solid body de Fender comme la Tele­cas­ter permettent de réduire dras­tique­ment l’ef­fet de Larsen. Pour la première fois, les guita­ristes ont trouvé des instru­ments leur permet­tant de jouer plus fort, sans perdre en qualité sonore.

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La Tele­cas­ter est été commer­cia­li­sée pour la première fois en 1950 sous le nom de « Fender Esquire » pour le modèle à un seul micro, et peu de temps après sous le nom de « Broad­cas­ter » pour le modèle à deux micros. En raison d’un conflit de nom avec la marque de batte­ries Gretsch, elle a été rebap­ti­sée « Tele­cas­ter » en 1951.


2. La P-Bass, première basse élec­trique


Son nom provient de son manche fretté, permet­tant d’ob­te­nir un son précis contrai­re­ment aux contre­basses. Lorsque la Fender Preci­sion Bass (P-Bass) est lancée en 1951, son lance­ment sur le marché est vécu comme une révo­lu­tion, offrant aux bassistes la possi­bi­lité de riva­li­ser avec les autres instru­ments ampli­fiés et de complé­ter l’ap­port ryth­mique des batteurs à égalité de volume. Cette inno­va­tion a permis une plus grande poly­va­lence musi­cale et a jeté les bases du rôle central de la basse élec­trique dans le Rock n’Roll moderne.

 Marcus Miller en 2011, et sa Fender P-Bass AM Pro II


3. Le manche Fender et la tech­nique « Bolt-On Neck »


À contre-courant des méthodes de luthe­rie tradi­tion­nelles, Fender a popu­la­risé la construc­tion d’un manche boulonné dès la sortie de la Tele­cas­ter. Cette méthode prévoit la fixa­tion du manche de la guitare au corps à l’aide de vis, par oppo­si­tion aux tech­niques plus conven­tion­nelles de type « set-neck ». Avec cette dernière, le manche de la guitare est fixé au corps avec de la colle, ou à l’aide d’un assem­blage à tenon et mortaise. La construc­tion du manche par boulon­nage a faci­lité la fabri­ca­tion et la répa­ra­tion. Ainsi, les musi­ciens pouvaient rempla­cer les manches sans avoir à ache­ter une guitare entiè­re­ment nouvelle, ce qui rendait les instru­ments plus abor­dables et plus faciles à entre­te­nir.


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4. Les micros à simple bobi­nage


C’est bien connu, l’un des nombreux atouts des guitares Fender, c’est leurs micros ! Et plus préci­sé­ment les micros à simple bobi­nage présents sur la Tele­cas­ter ou Strat. Les micros à simple bobine ont rapi­de­ment fait sensa­tion auprès des guita­ristes pour leur son tran­chant et clair. Leur assem­blage implique une bobine de fil de cuivre enrou­lée autour de plots magné­tiques (souvent en Alnico), avec une seule couche de fil, d’où le terme « simple bobi­nage ». Cette construc­tion produit une sortie nette avec une réponse en fréquence éten­due, permet­tant de capter les nuances du jeu de guitare avec préci­sion.


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5. Le vibrato des Stra­to­cas­ter


C’est le reflet direct de l’es­prit créa­tif de Léo Fender. La « whammy bar » plus préci­sé­ment nommé  »trémolo synchro­nisé" par le construc­teur est un système qui utilise des ressorts dans la cavité arrière de la Stra­to­cas­ter et un pont mobile pour créer des effets de trémolo ou de pitch bending (jeu sur la hauteur des notes). Au-delà des possi­bi­li­tés de jeu et des vertus créa­tives de cette moda­lité, le vibrato contri­bue nette­ment au design de la guitare, ajou­tant au corps profilé de l’ins­tru­ment à trois micros une fonc­tion­na­lité qui la distingue très nette­ment des autres modèles à l’époque. 

En 1970 sur l’île Maui à Hawaï, une des perfor­mances live les plus emblé­ma­tiques du morceau Voodoo Child par Jimi Hendrix, grand arti­san de la tech­nique de vibrato sur un bend (consiste à tirer ou pous­ser une corde pour augmen­ter la hauteur de la note (bend), puis à faire oscil­ler légè­re­ment et rapi­de­ment cette note pour créer une varia­tion expres­sive de hauteur (vibrato).


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