Aimeriez-vous enregistrer un riff de guitare dans le bus ? Une ligne de basse à bord d'un pétrolier perdu dans la tempête ? Une partie de clavier à l'arrière d'une charrette à bœufs ? Petits veinards ! C'est désormais possible avec la mini interface Jam X d'Apogee.
À une époque où nos vies tiennent dans un téléphone, où des albums entiers sont réalisés entièrement « in the box », où l’on « fluidifie » et « assouplit » constamment les rapports de productions, il n’est pas étonnant de voir fleurir des interfaces de plus en plus portatives. Ce constat établi (sans difficulté puisque depuis deux ans nous testons encore et encore des mini interfaces), on peut remarquer que ce nouvel ajout à la liste des bancs d’essai AF, encore plus miniaturisé que les précédents, a l’intérêt de proposer un appareil dédié à un segment spécifique du marché de la musique : les instrumentistes. On ira plus loin : étant donné que l’entrée est mono, la Jam X cible assez clairement les guitaro-bassistes, les basso-guitaristes… Les gens qui jouent d’un instrument à cordes équipé de micro, à manche fretté ou non, de tempérament égal ou non (les instruments, pas les instrumentistes, quoique…), et qui souhaitent jouer et enregistrer directement dans leur STAN. Non, non, je n’oublie pas les aficionados des claviers mono (-phoniques ou polyphoniques à sortie mono).
La Jam X est la troisième itération de cette interface : auparavant on a eu la Jam, et la Jam +, qui reçurent des critiques plutôt élogieuses à leur époque. Le test nous permettra de préciser ce que la nouvelle version apporte de plus… On notera pour finir qu’elle n’est pas seule sur ce terrain : Riff de Positive Grid, Go Guitar Pro de TC-Helicon, iRig HD 2 de IK Multimedia, voire la U-22 de Zoom. Cela donne une certaine idée du marché dans lequel cette interface s’inscrit.
En attendant, faisons un tour de l’appareil pour en décrire les fonctions.
Déballage / présentation
Bien sûr, vous ne serez pas surpris d’apprendre que le premier élément frappant, c’est la taille et le poids de l’appareil : 10 × 4 × 2,5 cm pour un poids de 110 grammes. Oui, ça tient véritablement dans la poche, et la construction a l’air assez robuste pour éviter le côté « gadget » que l’on reproche à certaines mini-interfaces.
Sur la face « avant », on trouve une prise jack TS 6,35 mm.
Et sur la face « arrière » une prise jack TRS 3,5 mm pour la sortie casque, et une prise USB 2.0, format Micro B pour connecter votre interface à votre ordinateur, tablette ou téléphone (la Jam X est livrée avec un câble USB Micro B > USB A). Nous n’allons pas nous étendre sur le format Micro USB, ce n’est certes pas la panacée, ni catastrophique non plus. Un format USB-C bien actuel aurait été bienvenu (d’ailleurs sur la page produit du site Apogee, il est spécifié que l’appareil fonctionnerait en… Type C ! Ce qui n’est tout simplement pas le cas).
La prise casque serait-elle mieux à l’avant ? Nous nous sommes demandé si l’idée d’un équilibre, physique, n’avait pas amené ce choix : ne pas surcharger l’interface, très légère, sur une seule de ses faces. Reste qu’un problème demeure : l’interface est trop légère pour les câbles qu’on y connecte. Un câble court, un câble long, peu importe, elle n’arrête pas d’être emportée de droite à gauche et de tomber du bureau sur laquelle nous l’avons posée. On a envie d’y ajouter du velcro pour la maintenir en place, façon pedalboard.
Lorsque l’on raccorde l’interface à un ordinateur, ou autres, le voyant bleu s’allume au milieu de l’indicateur trois segments : l’interface est en stand-by. Une fois l’interface en fonctionnement (séquenceur ouvert, ou tout simplement un lecteur audio) la LED devient verte.
Une fois vert, l’afficheur à trois segments module selon le signal d’entrée, et le gain réglé. En augmentant le gain, il devient orange (signifiant qu’on entre en mode Soft Limiting, analogique, et aux valeurs fixes), puis rouge (saturation).
Juste en dessous, on trouve deux contrôles :
- Un encodeur central, cliquable, qui permet de régler le niveau d’atténuation en entrée du préampli (en le tournant) et le préréglage de compression (en le cliquant). C’est le « plus » proposé par la Jam X, par rapport à la Jam + : l’intégration de la compression analogique déjà utilisée par Apogee dans son Hypemic, tout en gardant la capacité de faire saturer le préampli intégré. Le niveau de compression est indiqué par l’allumage successif de chaque segment de l’indicateur à LED :
- Au-dessus on trouve un commutateur pour le mélangeur, qui vous permet d’envoyer à la sortie casque votre signal directement prélevé à la sortie du préampli (avec une latence imperceptible donc) et de la mélanger à votre retour de STAN.
Les deux boutons fonctionnent de façon similaire : on clique dessus une première fois pour appeler la fonction à régler, puis on clique à nouveau (le nombre de fois nécessaires) selon le réglage désiré. Un seul clic permet donc de visualiser pour une courte durée le réglage actuel, sans le changer. C’est bien pensé, même si nous avons trouvé cette durée un peu trop limitée : il nous est arrivé, en effectuant des réglages, de nous retrouver hors du « menu » compression, par exemple, dès que l’on hésitait un tant soit peu, et de devoir multiplier les clics un peu inutilement.
Autre reproche, l’ergonomie : les deux boutons sont trop proches l’un de l’autre. On le voit bien sur l’image ci-dessus : quand on clique sur le bouton « blend » on a tendance à toucher l’encodeur, et donc on risque de changer involontairement le réglage de gain. Quant à l’encodeur, il est vraiment petit, et pas facile à « prendre en main », littéralement. Pour finir, un encodeur c’est bien, mais l’absence totale de marquage ou d’indication de niveau fait qu’on ne peut pas mémoriser les réglages selon les installations ou les fonctions recherchées.
Le niveau de sortie (casque) se règle au sein de votre environnement numérique (niveau de sortie de votre ordinateur + niveau de master dans votre séquenceur).
Benchmark
Précisons-le d’abord, la Jam X travaille dans une résolution max de 24 bits/96 kHz. Un petit tour du côté de RTL Utility nous apprend que la latence réelle est la suivante :
Le buffer sur 32 échantillons en 44.1 kHz, RTL Utility remonte une latence de 11,026 ms
Le buffer sur 64 échantillons en 44.1 kHz, RTL Utility remonte une latence de 12,001 ms
Le buffer sur 128 échantillons en 44.1 kHz, RTL Utility remonte une latence de 13,104, ms
Le buffer sur 256 échantillons en 44.1 kHz, RTL Utility remonte une latence de 20,291, ms
Le buffer sur 32 échantillons en 96 kHz, RTL Utility remonte une latence de 7,988 ms
Le buffer sur 64 échantillons en 96 kHz, RTL Utility remonte une latence de 8,012 ms
Le buffer sur 128 échantillons en 96 kHz, RTL Utility remonte une latence de 8,990 ms
Le buffer sur 256 échantillons en 96 kHz, RTL Utility remonte une latence de 11,053 ms
Afin de tester l’interface, nous avons fait un benchmark avec notre fidèle APx515 d’Audio Precision. Comme d’habitude, nous publions les résultats obtenus en THD, rapport signal/bruit et déviation des voies, pour les entrées et sorties analogiques. Pour toutes les configurations, je règle le gain pour obtenir le meilleur résultat possible.
Gain max : 18,45 dB mesurés en direct, 20,172 dB à travers la STAN (loin derrière les 36 dB annoncés, que je n’ai jamais pu obtenir)
Commençons par… la seule entrée :
Déviation : ±0,458 dB, c’est tout à fait correct.
THD : presque 0,2 % sur tout le spectre en THD+N, 0,1 % plus bas sans la composante N (bruit).
Rapport signal/bruit : 64,137 dB, je n’ai pas réussi à obtenir mieux selon les niveaux d’entrée ou de sortie.
Qu’est-ce que donnent les différents niveaux de compression ?
Ci-dessus on voit d’abord les différentes courbes de gain, où l’on remarque que chaque préréglage de compression occasionne une diminution de ±5 dB supplémentaire (@ 1 kHz), corrélée avec une accentuation du grave (entre 20 et 50 Hz) d’environ 1,5 dB supplémentaire.
Comment est-ce que ça sonne ?
Généralement, pour ces tests d’interfaces, je me concentre sur la machine, et je ne me lance pas dans des prises. C’est une continuation du protocole établi par RedLed avant moi, c’est peut-être aussi par souci de modestie en tant que musicien, c’est également parce que je n’ai pas à ma disposition de guitares tombant dans une « norme » musicale (je n’ai que des vieilles pelles très « garage » des années 1960, frettes usées, intonation précaire, accordage difficile) et c’est surtout parce que les interfaces ont généralement un usage global, qui ne cible pas un instrument en particulier… Ici c’est différent, et j’ai donc sorti ma guitare pour faire quelques essais, non seulement de l’interface, mais aussi du plugin Neural DSP fourni avec.
Voilà donc ce que cela donne, avec ma bonne vieille Hofner Galaxie (micro central), enregistrée dans Ableton Live 11 Lite, avec un peu d’habillage (un tout petit peu de réverbe, écho, chorus), pas d’EQ, pas de mix :
- guitar_comp00_FX00:42
- guitar_comp01_FX00:42
- guitar_comp02_FX00:42
- guitar_comp03_FX00:42
On entend bien la compression progressive, l’accentuation des graves, et l’on remarque, sur le niveau 3 (Vintage Blue Stomp), que l’attaque rapide devient très audible, avec un effet de pompage moyennement satisfaisant pour le type de jeu employé ici (à voir dans d’autres situations). On entend aussi que chaque niveau de compression amène chaque fois un peu plus de bruit de fond, mais cela est difficilement évitable.
Un petit problème que nous remarquons lors du test : parfois en réglant le gain, l’encodeur injecte un « clic » audible lorsqu’on le tourne, sorte de petit crépitement désagréable (ça ressemble à un petit bruit de courant continu en sortie, pour ceux à qui cela parle).
En revanche, on apprécie bien le réglage de gain, très progressif, qui permet une bonne atténuation d’entrée, s’adaptant très bien à des micros qui ont « la patate » (c’est le cas sur ma guitare), ou à des hauts niveaux de sorties de chaînes d’effet. On arrive à garder un son vraiment cristallin, et assez neutre, avant d’entrer en mode Soft Limiting.
Conclusion
On reste un peu mitigé sur cette interface. D’un point de vue sonore, les exemples presque sans effets que nous avons enregistrés montrent bien un caractère sonore agréable, assez neutre (surtout sans compression), qui pourra faire une bonne base pour un traitement subséquent au sein d’une STAN. On note aussi qu’on peut bien atténuer le signal en entrée, permettant d’obtenir un son « sec » très cristallin, et promettant aussi une bonne adaptation aux différents niveaux de sortie selon les instruments ou les effets utilisés avant l’interface. Les trois compressions proposées sont agréables, allant du discret (mais efficace) au franchement audible. Et pour finir, on a beaucoup aimé le plugin de Neural DSP – même si c’est un à-côté de l’interface, notamment parce qu’il n’est livré qu’en version d’évaluation, d’où son absence dans les points forts/faibles – et l’on trouve que l’inventivité sonore qu’il cultive invite le musicien à explorer des possibilités surprenantes, à expérimenter.
Reste tout de même l’impression d’un trop grand nombre de petits défauts, de petites concessions, dont aucune n’est vraiment rédhibitoire, mais qui ont tendance, toutes ensemble, à brouiller l’expérience de l’utilisateur. On se demande si une interface un peu plus grosse ne règlerait pas une grande partie des problèmes : meilleure ergonomie, plus grande stabilité, place supplémentaire pour ajouter un affichage de niveau d’entrée (et pas juste de modulation de signal), pourquoi pas un contrôle de niveau de sortie… Et cela d’autant plus que, si l’on regarde la concurrence (voir liste dans l’intro), cette Jam X est la plus chère des interfaces de ce type. À une époque où Presonus propose la Revelator io44 (qui a aussi son lot de défauts, nous le reconnaissons) avec une entrée instrument + des effets en DSP intégrés, avec un affichage sur écran LCD, et cela pour un prix inférieur, nous ne sommes pas sûr que la Jam X gagne vraiment la partie… Si ce n’est par sa portabilité et sa simplicité à toute épreuve, deux qualités qui demeurent indéniables.