Dernière arrivée dans la gamme des interfaces audio signées Motu, la Track 16, offre sur le papier de nombreuses et alléchantes caractéristiques. Qu'en est-il en réalité ?
Si Motu est bien connu des utilisateurs Mac pour son logiciel Digital Performer (DP, en version 7.2), il l’est aussi des utilisateurs Windows, puisque la quasi-totalité du reste de sa gamme est compatible avec les deux plateformes. Si l’on rajoute la version 8 de DP qui doit arriver incessamment, la compatibilité sera totale. L’éditeur (dans le milieu du logiciel musical depuis 1984, avec Professional Composer), en ayant su s’associer à UVI, USB ou l’Ircam suivant ses besoins, a fourni une gamme relativement complète d’outils à la disposition du musicien, du sound designer (dommage que Unisyn ne soit pas disponible pour les Mac Intel), du compositeur, etc. Par exemple, Mach Five, dans sa version 3 a énormément évolué et son ouverture vers des développeurs tierce partie et l’inclusion de scripts pourrait à terme lui offrir la même réussite que celle de Kontakt de Native. Mais il est un autre domaine dans lequel Motu s’est fait remarquer, et de longue date. Il s’agit bien sûr de celui des interfaces, qu’elles soient audio, Midi ou vidéo. Après une décision de support exclusif des interfaces et matériels de Digidesign (Audiomedia II et III, systèmes Pro Tools III), et après les Midi TimePiece et Midi TimePiece AV, Motu a présenté en 1999 la 2408, sa première interface audio Mac et PC (combinaison rack + PCI-324, puis 424), offrant jusqu’à 24 canaux audio, des connexions analogiques et numériques, et le CueMix, système conçu pour, entre autres, contourner les problèmes de latence à l’enregistrement. De nombreuses déclinaisons ont depuis vu le jour, des interfaces de gamme supérieure (HD192), d’autres d’entrée de gamme (MicroBook), sans oublier que le fabricant fut le premier à proposer sur le marché une interface audio FireWire avec la 828. C’est donc avec intérêt que l’on se penche sur la Track16, conçue pour une utilisation en mode « desktop ». Mais qu’est-ce donc ?
Introducing Motu Track16
Vendue 599 euros prix catalogue, la Track16 est livrée dans un carton comprenant l’interface elle-même, un câble de connexion (breakout cable) d’à peu près 1,2 m de long (D-Sub d’un côté, sept jacks, deux XLR, deux MIDI et une connexion pour l’alimentation de l’autre, un peu trop rigide, et l’on peut aussi regretter que les connecteurs ne soient pas identifiés via un code couleur), un câble FireWire, un câble USB et l’on suppose les drivers et le manuel, ainsi que le logiciel Audiodesk 3 et le Motu SMPTE Setup (ces six derniers non présents dans l’exemplaire de test).
L’interface est de belle facture, d’apparence solide avec son châssis tout alu, et offre huit indicateurs de niveaux sur huit LED, un gros rotatif central (plus commande par pression) et dix switches, dont la couleur change suivant leur état. À l’arrière on trouve les connecteurs D-Sub, FW, USB et optiques, à l’avant l’entrée Guitar 1, une entrée sur minijack Line 3–4 et la sortie casque (stéréo, doublée jack 6,35 et 3,5 mm). Ses pilotes sont compatibles Mac et PC, et elle fonctionne avec ou sans alimentation (un adaptateur secteur est fourni), dans le premier cas si elle raccordée à l’ordinateur en USB, dans le second cas si elle est raccordée en FireWire.
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D’un point de vue logiciel, l’installeur fournit le Motu Audio Setup ainsi que le CueMix FX, que l’on détaillera plus avant. Installation simple, connexion du câble D-Sub et des périphériques, instruments et moniteurs, y compris alimentation (utilisation en USB 2.0 pour commencer ce test) via le raccord prévu sur le câble (et pourquoi pas sur la boîte directement, il faudra surveiller les éventuels problèmes de bruit, d’effet magnétique, l’alimentation courant du fait tout du long des autres câbles audio, de notre côté, nous n’avons pas eu de souci…), et redémarrage. À noter, la connexion FireWire se fait selon le protocole FW400, mais sur un connecteur de type B (celui que l’on trouve sur les câbles FW800). Puis on active l’interface en appuyant sur le bouton paré du picto habituel, avec un premier petit souci, à l’ouverture comme à l’extinction, un clic qui se fait entendre dans les moniteurs reliés (Dynaudio BM6A)… Le format du câble D-Sub, celui de l’interface elle-même (plate, destinée à être posée sur une table) et la nécessité d’être alimentée en cas d’utilisation via USB font en sorte que la Track16 ne peut être considérée comme une véritable interface mobile, et donc, à la manière des Konnekt 6, Status 24/96 et dans une moindre mesure de la Babyface ou de la Duet (moindre, parce que peut-être plus mobiles et aussi parce que moins de canaux, de connectique, etc.), prend l’appellation d’interface Desktop.
Hard…
La connectique et les possibilités de routing sont prometteuses pour une interface aussi petite, puisque Motu annonce 16 × 16 canaux, tous utilisables simultanément, les entrées/sorties analogiques bénéficiant de convertisseurs 24 bits/192 kHz (tous les détails sont dans le livret que l’on peut télécharger ici). Au menu, tout d’abord deux préamplis micro indépendants, avec alimentation fantôme et pad indépendants eux aussi, que l’on activera ou désactivera directement depuis l’interface via une combinaison des boutons et de la pression sur le rotatif. Un nouveau désagrément cependant, mais qui arrive de façon totalement aléatoire et de façon très espacée dans le temps : l’activation des Pad (20 dB) et de l’alimentation fait elle aussi entendre (respectivement) des clics et des pops dans les moniteurs. L’indépendance de chaque préampli est pourtant la bienvenue (rappelons-nous l’erreur de conception sur la StudioKonnekt 48 de TC par exemple, sur laquelle l’alimentation fantôme ne peut s’activer que pour les quatre préamplis). À propos de TC, la discrétion de ses préamplis, en matière de bruit propre, reste la référence sur laquelle je me base pour les tests (ce qui ne veut pas dire que ce sont les plus silencieux, simplement ceux auxquels je me réfère…).
Ainsi, alimentation enclenchée, insert XLR maison et gain à fond (+52 dB), on constate des petits frémissements entre –98 et –86 dB en utilisant le TR Meter d’IK Multimedia pour les préamplis Impact II. La même opération, dans strictement les mêmes conditions sur les préamplis de la Track16 (Trim à +52 dB) affiche une fourchette comprise entre –62 et –56 dB, ce qui est plus bruyant. Logiquement, le Trim à fond (+60 dB) montre une fourchette allant de –52 à –46 dB. À titre d’info, et à Trim égal, ces préamps se placent à peu près à égalité (en termes de bruit seulement, pour le moment) avec ceux d’une MBox 2 Mini ou de Balance de Propellerhead, déjà passés par le même processus. Il reste à voir ce qu’ils donnent en termes de naturel, de restitution de fréquences.
Faisons un premier essai avec une guitare acoustique Cort Jumbo (merci à l’ami Nico pour ses guitares et sa présence face au micro), reprise par un TLM-103, à l’excellent rapport signal-bruit. À noter, on ne peut atteindre le gain maximal via le rotatif de l’interface, et une fois la fenêtre fermée (pour faire de la place, par exemple), il n’y a pas de bouton d’appel du CueMix depuis l’interface.
Les caractéristiques sonores de la guitare sont bien restituées, avec ce son moins précis qu’un modèle dreadnought et sa projection sonore un peu particulière (ainsi que les petits craquements de la chaise…). Moins habituel, un banjo.
Là non plus, pas de problème particulier à noter. On continue avec les entrées guitare (une sur le câble, une sur l’interface), que l’on va tester illico avec une bonne vieille DanElectro, au son bien particulier.
Le léger buzz ne vient pas de l’interface, mais de la guitare… Rien à signaler du point de vue des entrées analogiques, ni des sorties, sauf que l’on aurait apprécié des combos Neutrik XLR/jack plutôt que les simples jacks TRS et éventuellement un code couleur, la typo en bas-relief noire sur fond noir n’étant pas des plus lisibles. La possibilité de disposer de deux paires de sorties immédiatement est une excellente idée, offrant sans problématique de câbles deux propositions d’écoute ou une solution immédiate cabine/room. Passant d’une entrée à l’autre, on apprécie les indicateurs de niveaux et les possibilités de commande et d’affichage via les boutons. Chaque bande de deux indicateurs (à l’exception du Main Out) dispose de deux affichages deux sources que l’on commutera via le bouton Meters, qui passera d’une « non-couleur » à une couleur bleue suivant le type de source sélectionnée. De la même façon, les sources non affichées restent en orange tandis que celle sélectionnée s’affiche en vert. De ce point de vue (et de celui des raccourcis fonctionnels, voir le manuel), l’ergonomie est impeccable.
…& Soft
L’une des forces des interfaces Motu a longtemps été le CueMix, logiciel permettant entre autres le monitoring zéro (c’est-à-dire sans latence, géré depuis un DSP embarqué). Le CueMix FX, apparu avec la Traveler (si je ne me buse), en est la continuité, à la façon du concurrent auquel on pense systématiquement, RME (et TC dans une certaine mesure). Les dernières versions sont plutôt richement pourvues, puisqu’elles disposent d’une émulation d’EQ paramétrique inspiré de deux des « British Consoles » (très agréable à l’emploi, avec quatre modes d’action, fonction Shelf pour les extrêmes, un LPF et un HPF avec six pentes, jusqu’à 36 dB/oct., bref un très fort parfum de Sony Oxford), d’un compresseur tout terrain, d’une émulation du LA-2A, ainsi que d’une réverbe.
L’éditeur annonce la possibilité, en 48 kHz, de placer une bande d’égalisation et un compresseur sur chacun des canaux, sachant que de plus, les ressources DSP sont allouées de façon dynamique. On trouvera sur la page dédiée du site Motu de nombreuses explications (en anglais…). Voilà qui est très prometteur.
Afin de pouvoir comparer correctement les exemples, comme le CueMix FX permet d’insérer tous les effets présents sur les sorties Master, on va récupérer l’audio en boucle via les Adat de la Track16 et de la TC SK48. Je comptais utiliser Audio HiJack Pro, mais on ne peut « hijacker » le CueMix FX, qui doit contourner CoreAudio d’une manière ou d’une autre.
Reprenons notre guitare de tout à l’heure, en y appliquant cette fois une compression (pas plus de 6 dB de réduction), une égalisation (légère coupure dans les graves et un peu de brillance), puis une compression un peu plus appuyée. On pourra peut-être regretter que le Trim n’offre qu’une plage de 6 dB, parfois insuffisante pour compenser les changements de dynamique. Mais on apprécie la qualité de l’affichage des deux effets, certains réglages pouvant être directement effectués dans l’écran.
On reprend l’acoustique traitée, et on lui rajoute une petite réverbe (la coupure brusque est faite exprès pour entendre la résonance). Réverbe riche puisqu’offrant des contrôles assez nombreux (y compris sur les premières réflexions, clés de toute réverbe se voulant réaliste), avec réglage trois bandes, crossover et largeur de l’effet.
Ou encore une compression via l’émulation de LA-2A proposée, offrant mode Comp ou Limit, avec rotatifs Gain Reduction et MakeUp Gain.
Pour comparaison, le même type de réglages (à l’oreille, puisque les deux potards du CueMix n’ont aucune indication, et n’en reflètent pas dans l’afficheur) avec le LA-2A d’UA.
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Enfin, un petit test de « charge » : buffer à 32 samples (latence complète affichée, 3,2 ms), 50 pistes audio stéréo (100 canaux, quoi), un Channel EQ et un Compressor par tranche, eh bien la Track16 ne bronche pas ; l’ordinateur a encore beaucoup de puissance en réserve, sauf que le petit disque dur en FireWire a du mal à suivre si l’on augmente (Logic bloque à 90 pistes). Et rappelons que nous sommes en USB… Un seul regret devant la qualité des effets embarqués : qu’ils ne soient pas disponibles sous la forme de traitements AU ou VST comme peuvent l’être les Fabrik C ou Fabrik R de la SK 48, traitements valables aussi bien sous forme d’inserts dans le circuit de l’interface (donc dans le circuit temps réel) qu’au sein des DAW compatibles (avec la possibilité de les utiliser offline, à condition qu’ils ne soient pas en utilisation dans le circuit monitoring de la carte, voir explications ici. Mais rien n’empêche de les utiliser en temps réel pour une gestion elle-même temps réel de l’enregistrement d’un groupe, d’un ensemble de musiciens. En effet, les 16 canaux simultanés, à condition d’utiliser un périphérique externe (un rack de huit préamplis par exemple) via les entrées optiques, permettent d’enregistrer un combo sans problèmes (ou simplement de le sonoriser), avec traitements dédiés ou simplement utilisés en monitoring, avec de plus des options de Talk et Listen, et grâce aux différents mixes possibles simultanément via les différents Bus disponibles, bravo Motu.
Benchmarks
Afin d’approfondir le test de cette Track16, notre ami Red Led a mis la main à la patte et a ajouté le plus de pistes et plug-ins possibles dans une session Studio One 2 avec trois interfaces différentes : la Mbox Pro d’AVID, la Babyface de RME et enfin la Track16 de MOTU en USB et en FireWire. Chaque piste contient un objet audio, une instance d’Ozone 5 et nous stoppons dès que les premiers craquements audio apparaissent. Voici les résultats :
La Mbox s’en sort le mieux, avec 133 pistes quand le buffer est à 512 samples, tandis que la Babyface et la Track16 restent au coude à coude avec 122 pistes. Il est intéressant de noter que la Mbox Pro ne prend son envol qu’à partir de 128 samples. Notons aussi que les latences en entrée et sortie de la Track16 sont meilleures que celles de ses deux concurrentes.
Pour finir, nous avons lu un fichier audio et relié les sorties analogiques aux entrées afin de le réenregistrer et comparer le fichier original au fichier passé par les convertisseurs N/A et A/N de la Track16 :
Le résultat est très bon et la Track16 se place au-dessus de ses convives avec un niveau de corrélation de 29,9 dB (après une passe) entre les deux fichiers tandis que la Mbox fait 26,1 dB. Attention, cela reste des chiffres : essayez de faire un blind test (des logiciels existent sur Mac et PC) afin de relativiser…
Téléchargez les fichiers sonores : flac article
Bilan
Quelques reproches pour commencer, comme le câble D-Sub, imposant et rigide, qui prendra de la place sur une table ou une console, un peu dommage pour une interface dite « desktop ». Ensuite, quelques clics apparaissant de façon totalement irrégulière et surtout sans que j’aie pu en identifier les causes (en dehors de ceux à l’allumage/extinction), le plus gênant étant le bruit de bourdonnement suivi de clics quand on monte le Trim des canaux guitare Hi-Z. La qualité des préamplis micro est égale à celle que l’on peut trouver dans des interfaces de même gamme, et l’on pourra travailler sans problème, même s’ils ne rivalisent pas avec ceux des RME ou TC équivalentes ; on peut envisager de très simplement rajouter un préampli externe via l’Adat, solution idéale.
Sinon, et indéniablement, l’interface a de nombreux atouts. Le nombre d’entrées/sorties, déjà, et leur gestion depuis l’interface. La construction semblant très robuste, ensuite, ce qui est plutôt rassurant (à ces prix-là, on a vu des boîtes en plastique et des switches qui vous restent dans les mains…). L’ensemble logiciel, lui, est assez remarquable, même s’il lui manque une ou deux choses : pas de véritable matrice de routing, par exemple. Mais avec ses huit Bus, ses effets de qualité, les outils de mesure, la synchro SMPTE LTC, la possibilité de sauvegarder des presets de configuration, etc., le CueMix FX et la Track16 offrent à leur utilisateur un bel outil.