Après avoir discuté analogique et numérique lors de notre précédent article, il s'agit de savoir si c'est un enregistreur ou un ordinateur qui sera au coeur de notre home studio, ce qui conduit à un autre vaste débat de l'audio : logiciel ou matériel ?
(Roulement de tambour et coup de tonnerre dans le ciel qui, soudainement, s’obscurcit tandis que des hordes d’AFiens aux yeux révulsés poussent des hurlements en battant des bras frénétiquement)
Matériel ou logiciel ? Le débat est d’autant plus houleux qu’il tend à rejoindre celui tout aussi houleux de l’analogique contre le numérique que nous venons d’aborder, l’informatique impliquant forcément le numérique là où l’analogique implique forcément le hardware (même s’il existe quantité de matériels numériques). Oui, je sais, ça complique, mais je tiens toutefois à vous rassurer : la question n’a rien de très difficile à trancher, et il s’agit de ne pas vous laisser impressionner par l’un ou l’autre des intégristes qu’on trouve dans les deux camps et qui s’appuient sur autant de bons arguments que sur une bonne dose de mauvaise foi.
Avant d’en venir à une réponse, désamorçons immédiatement le conflit en soulignant que, dans la plupart des studios pros, on pense très généralement matériel ET logiciel tout comme on pense analogique ET numérique, conciliant le meilleur des deux mondes au cas par cas : suivant que l’on parle de dispositif d’enregistrement, d’effet et de traitement ou encore d’instrument, on se dirige vers telle ou telle solution parce qu’elle est plus pratique, moins chère ou évidemment qu’elle sonne mieux.
De fait, même si nous sommes a priori ici pour choisir notre système d’enregistrement, nous allons prendre un peu de recul pour envisager la problématique de manière globale car à ce stade, le fait d’opter pour un ordinateur ou de s’en passer va être déterminant pour la suite : si vous optez pour un ordinateur, vous pourrez utiliser des logiciels, mais aussi utiliser du matériel en complément, alors que si vous décidez de vous passer d’ordinateur, vous n’aurez aucun moyen d’accéder au monde logiciel…
Précisons par ailleurs que même dans le cas où vous opteriez pour une solution informatique, il est des équipements qui ne peuvent pas être virtualisés : micros, enceintes, casques, etc.
Ceci étant dit, passons au match point par point…
L’encombrement : avantage Logiciel
C’est sans doute sur ce point précis que le soft tire son plus grand avantage sur le matériel, et que l’on comprend le mieux la notion de virtuel souvent accolée aux logiciels. Pour mixer un disque un minimum ambiteux dans les années 70, il fallait littéralement des mètres cubes de matériel : sans même parler des enceintes, la table de mixage et les nombreux racks de traitement et d’effets nécessitaient à eux seuls une vaste pièce alors qu’avec la MAO, tout cela se résume à la taille de l’ordinateur qui peut très bien être portable.
Et c’est encore plus flagrant avec les instruments si l’on considère que sur ce même ordinateur, on peut tout à fait disposer d’un orchestre symphonique au grand complet ou encore de dizaines de pianos à queue, de synthés, de racks divers et variés. Avantage indéniable au logiciel donc, à plus forte raison si votre home Studio se résume à un coin de pièce exigu ou si vous avez des impératifs de portabilité, une grande partie des outils nécessaires à la production musicale pouvant tenir dans un ordinateur portable.
« Réplicabilité » : avantage Logiciel
Admettons que vous souhaitez utiliser 4 delays sur un morceau. Dans le monde du matériel physique, il vous faudra donc acheter et stocker 4 pédales ou racks de delay, alors qu’en achetant un plug-in, vous disposez de la possibilité d’en ouvrir autant d’occurrences que nécessaire. 4, 16 ou 280 : ça ne vous coûtera pas plus cher ni ne prendra plus de place, la seule limite étant la puissance de votre ordinateur pour gérer les calculs nécessaires. Or, sur un delay, il y a de la marge… Avantage encore au logiciel sur ce point.
Coût : avantage Logiciel
Si les fabricants de matériels et développeurs de logiciels ont des coûts communs concernant la conception de leurs produits, leur promotion ou encore le support technique, ils ne sont pas logés à la même enseigne sur le plan de la fabrication : vendre 1 000 compresseurs matériels implique ainsi d’engager de nombreux frais (matériaux et composants, location d’usine et de machine, main-d’œuvre, routage et stockage) auxquels le développeur d’un plug-in de compression échappe. Une fois que le logiciel a été codé, il ne coûte en effet pas beaucoup plus cher d’en vendre trois ou trois millions, les frais se résumant à la bande passante Internet utilisée par le téléchargement. Ce sont les avantages, du côté de la vente, de la "replicapibilité » dont nous parlions.
Tandis que les constructeurs doivent faire face à des coûts incompressibles, les développeurs peuvent donc fixer beaucoup plus librement le prix de leurs produits, voire même, pour des raisons de stratégie marketing ou par pure philanthropie, les proposer gratuitement car finalement, ce qui coûte le plus cher dans un logiciel, c’est la matière grise et le temps pris à le développer, qu’un hobbyiste vivant d’un autre métier peut tout à fait offrir à la communauté des musiciens avec des remerciements pour seul salaire. Voilà qui fait une première différence de taille entre logiciel et matériel au niveau du portefeuille, d’autant que le gratuité de certains logiciels n’est pas synonyme de médiocre qualité, bien au contraire.
Cependant, sans même parler du cas des freewares abolissant la notion de rapport qualité/prix, disons que le ratio entre le prix d’un logiciel et celui du matériel équivalent va de 1:5 à bien plus suivant la politique tarifaire des uns et des autres, et que le prix du haut de gamme des logiciels se situe la plupart du temps bien en deçà du bas de gamme des traitements matériels, à plus forte raison si l’on considère que les opérations promotionnelles dans le monde du logiciel sont aussi courantes qu’agressives.
Un exemple : le processeur d’effet matériel PCM96 de Lexicon est vendu au prix public de 3500 $, tandis que sa version logicielle (reposant sur les mêmes algos, soulignons-le) est vendue 1200 $… et qu’on l’a déjà vu soldée à 400 $, et que les réverbes seules qui sont ce qu’il y a de plus intéressant chez Lexicon se trouvent souvent soldées à 220 euros sur le web… Pendant ce temps-là, quantité de gens achètent les réverbes Valhalla à 50$ parce qu’en dépit de leur petit prix, elles n’ont pas grand-chose à envier aux Lexicon.
Si l’on ajoute à cela qu’on peut acheter du logiciel d’occasion, vous aurez compris qu’au niveau financier, le matériel n’a définitivement pas l’avantage et que pour un Home studiste débutant qui n’est ni richissime ni convaincu que sa passion du moment ne va pas s’éteindre au bout de quelques mois, et qui dispose d’un ordinateur (qui n’en dispose pas aujourd’hui ?), il vaut mieux commencer avec des freewares, voire des petits logiciels pas chers qu’en achetant du matériel bas de gamme beaucoup plus cher.
Simplicité d’installation : avantage Matériel
Installer un nouveau matériel, c’est souvent désarmant de simplicité, au point même qu’il n’y a aucune installation à faire en dehors de lui trouver une place. Une guitare ou un cajon, ça ne s’installe pas : on l’achète et on joue immédiatement. Et ce n’est la plupart du temps pas beaucoup plus difficile pour un matériel plus technologique comme un égaliseur, un compresseur ou une réverbe : il s’agira de brancher quelques câbles, de raccorder l’appareil au secteur voire, pour une installation en rack, de visser quelques vis. Et c’est marre !
Côté logiciel, ce n’est a priori pas beaucoup plus compliqué puisqu’il s’agira de double-cliquer sur un fichier et de suivre une procédure d’installation qui, en fonction de la taille du logiciel et de son dispositif de protection contre le piratage, sera plus ou moins longue. Sauf qu’en dehors de s’assurer d’avoir suffisamment de place sur son disque dur, il faudra aussi s’assurer de correspondre à la configuration nécessaire, savoir si c’est Mac ou PC, 32 ou 64 bits, VST, AU ou AAX, s’il faut ou non un dongle antipiratage, si l’on dispose du port USB disponible pour ce dernier… Une fois qu’on s’est un peu documenté sur ces sujets, tout cela n’a rien de sorcier, mais admettons que l’installation d’un égaliseur logiciel réclame un peu plus de connaissances et de prérequis que l’installation d’un égaliseur matériel. Je vous fais en outre grâce du cas du matériel informatique, avec ses problèmes de conflits, de pilotes, d’instabilité suivant les cas.
Avantage au matériel donc, en sachant que dans le sillage de notre installation se pose aussi le problème de la fiabilité.
Fiabilité : ex æquo
On a longtemps souligné que le bon vieux matériel était autrement plus fiable que les ordinateurs qui tendaient à planter. Or, si ce constat était sans doute pertinent dans les années 90, les choses ont bien évolué sur ce point depuis, que ce soit sur Mac, PC ou Linux, au point de voir des musiciens réaliser des concerts entiers avec le recours à l’ordinateur sans que cela pose le moindre problème. Et cela tient autant à la maturité de l’informatique musicale qu’au fait qu’il existe désormais des solutions pour gérer cela (voir par exemple le PlayAUDIO 12 d’iConnectivity).
Si un logiciel peut en outre être sujet à des bugs et si un ordinateur peut planter, soulignons que le matériel n’est certainement pas à l’abri d’une panne et que lorsque c’est le cas, il ne suffit pas de redémarrer la machine pour se sortir d’affaire. C’est justement pour cela que l’on dispose de ‘spare’ sur les tournées, soit du matériel de rechange. Parce qu’aussi vrai qu’un Mac ou un PC peuvent crasher, n’importe quel matériel qui ne soit pas acoustique peut lui aussi dysfonctionner à tout moment.
À ce sujet, les anecdotes vont dans un sens comme dans l’autres d’ailleurs. On ricanera en songeant qu’en 2003, le groupe Kraftwerk a dû baisser le rideau au bout de quelques minutes pour reprendre le concert à son début parce que… un Mac avait planté. Mais on ne trouvera pas plus glorieux la bonne demie-heure de retard prise lors d’un concert d’Izia Higelin au Trianon parce qu’au moment de lever le rideau, aucun signal ne sortait plus du jeu de pédales du guitariste et que le technicien a dû, sous le regard bienveillant du public, tester chaque cordon et chaque pédale pour trouver l’origine du problème. Ce sont les aléas du live qui ne sont désormais pas plus fréquents qu’on utilise ou non des ordinateurs sur scène.
Reste toutefois qu’obtenir une configuration stable peut parfois se révéler pénible. Ce qu’il peut y avoir de formidablement agaçant avec l’informatique, c’est qu’au gré des combinaisons de logiciels et de périphériques informatiques comme des diverses mises à jour que l’on fait (système d’exploitation, pilotes, STAN, etc.), il se peut qu’un logiciel ou un périphérique qui fonctionnait parfaitement jusqu’ici ne fonctionne plus… et qu’il faille attendre une mise à jour de son constructeur ou de son développeur pour que les choses rentrent dans l’ordre… ou pas.
Il y a une dizaine d’années de cela, Apple a sans prévenir personne changé le contrôleur FireWire qui équipait ses MacBooks, rendant ces derniers incompatibles avec les interfaces audio RME, relativement répandues dans le milieu professionnel. La solution ne fut trouvée que lorsqu’Apple s’est ravisé dans son choix de composants…
Du coup, il n’est pas rare de voir que les professionnels, contrairement à ce qu’on pourrait croire, préfèrent travailler avec une version ancienne d’un logiciel sur un ordinateur ancien plutôt que sur la dernière bête de course à la mode, parce que ce qu’ils perdent en performance, ils le gagnent en stabilité et en assurance de pouvoir bosser.
Évolutivité : ex æquo
Lorsqu’un constructeur fabrique un matériel, il a intérêt à bien penser les choses car ce n’est pas une fois qu’il en aura produit et écoulé quelques milliers d’unités qu’il pourra changer la taille ou le fonctionnement d’un bouton, rajouter une entrée ou une sortie. Dans le meilleur des cas, lorsque l’appareil est numérique, il est possible de proposer des mises à jour du logiciel interne à la machine, mais la chose permettra rarement de combler un gros oubli ou une sérieuse lacune de base. Côté logiciel, il en est tout autrement puisque tout ou partie du logiciel demeure modifiable au gré des remarques des utilisateurs et des bugs rencontrés. Il n’est ainsi pas rare de voir certains logiciels se doter de nouvelles fonctions majeures au gré des mises à jour, ce qui est tout bonnement impensable avec du matériel. Avantage au soft donc ? Pas si vite. Même si le logiciel est a priori plus souple et peut donc se doter facilement de fonctions qui n’avaient pas été prévues lors de sa commercialisation initiale, il n’en reste pas moins que ces évolutions sont tributaires de la bonne volonté du développeur.
Avec du matériel, il en va tout autrement car l’utilisateur a beaucoup plus de latitude : pour peu que vous ayez les compétences nécessaires en électronique et que vous acceptiez de renoncer à la garantie, rien ne vous empêche d’ouvrir l’appareil que vous avez acheté pour modifier son comportement, ajouter des fonctions, remplacer des composants cheap par des composants de meilleure qualité. C’est quelque chose qu’on observe couramment dans le milieu de la guitare (qu’il s’agisse de changer les micros d’une gratte, le condensateur d’une pédale ou les lampes et les transfos d’un ampli) et qui n’est absolument pas réalisable avec du logiciel, à l’exception du cas très particulier des logiciels Open Source sur lesquels les développeurs peuvent intervenir.
Comme tout le monde n’est pas électronicien de formation et parce que la souplesse informatique n’est malgré tout pas négligeable, on se prononcera sur un ex æquo sur ce point précis.
Bilan écologique : avantage Logiciel
Les ordinateurs ont beau contenir quantité de métaux rares et de substance polluantes, il ne fait aucun doute qu’un logiciel ne tape pas autant dans les ressources limitées de la planète que ne le fait un équipement physique, et qu’il ne pose ni problème de recyclage, ni problème de pollution due à son transport par avion, camion, train ou bateau.
Mais au-delà des équipements technologiques et de l’usage de métaux rares et non recyclables, il faut bien comprendre qu’acheter un piano de 600 kg fabriqué en Asie est un non-sens en regard des dommages écologiques que cela engendre… Quelque objet que ce soit venant de l’autre côté du globe ne sera de toute façon jamais qu’un désastre écologique, sachant que l’usage de bois exotiques dans la facture instrumentale, même réglementé par la CITES et même « compensé » par une politique de reboisement, n’a rien de respectueux de l’environnement…
Durée de vie & obsolescence : avantage Matériel
Alors que certains matériels conçus il y a plus de 50 ans peuvent encore être utilisés aujourd’hui sans le moindre problème, quantité d’équipement et de logiciels n’ont une durée de vie que de quelques années, le temps qu’une évolution informatique les rende obsolètes : c’est ainsi que les vieux plug-ins TDM ne fonctionnent plus avec le nouveau Pro Tools, que les interfaces FireWire ou que telle vieille version d’une STAN ne sont plus gérées par les systèmes d’exploitation récents : Apple est un grand spécialiste de la chose, décidant sous couvert de progrès que telle ou telle technologie n’est plus supportée par ses nouveaux appareils. Et le cas est plus flagrant encore lorsqu’on parle d’instruments acoustiques : le violon virtuel que vous aviez acheté il y a 20 ans ne tourne probablement plus sur un ordinateur récent alors que les stradivarius traversent les siècles.
Bref, le bon vieux matériel a clairement l’avantage sur ce point.
Ergonomie : avantage Matériel
L’un des plus grands avantages de l’homme sur nombre d’espèces animal tient dans ses pouces opposables aux autres doigts, qui lui confèrent une dextérité sans pareille. De fait, on peut en faire des choses avec deux mains, et même avec le nez quand les doigts viennent à manquer ! On peut jouer du clavier, de la guitare et quantité d’autres instruments, faire varier différents paramètres en même temps que ce soit sur une console, un synthé ou un effet… En face de cela, l’informatique nous cantonne à l’usage d’un clavier et d’une souris qui, s’ils permettent d’effectuer précisément des tâches, n’en sont pas moins beaucoup moins intuitifs et pratiques. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs qu’on vend quantité de contrôleurs MIDI pour piloter les logiciels et les « hardwariser » en somme, du simple clavier à la surface de contrôle en passant par les matrices de pads : on dispose d’une foule de contrôleurs extrêmement variés pour cela…
Le seul réel avantage que pourrait faire valoir l’informatique dans ce contexte, c’est son aptitude à adapter son interface en fonction des besoins (certaines interfaces changent de couleur ou d’organisation en fonction du preset, par exemple), à la documenter de manière contextuelle (infobulles pour comprendre quel paramètre fait quoi sans avoir besoin du manuel) et à proposer une navigation dans les presets autrement plus rapide que sur les appareils matériels (grâce au clavier notamment). Mais ça ne suffit pas à ne pas reconnaître que le matériel est le grand vainqueur sur ce point…
Son : avantage Matériel
Le plus important, c’est quand même le son, me direz-vous… Et de ce point de vue, il n’existe aucune guitare virtuelle qui soit aussi crédible qu’une vraie guitare, tandis que même sur les traitements et effets qu’on utilise en studio, malgré les progrès constants de l’émulation, les bons vieux appareils analogiques ou instruments acoustiques gardent encore la préférence de nombres de pros en termes de qualité sonore. Certes, cet avantage n’a plus lieu d’être dès qu’on parle de matériel numérique (encore que le son des convertisseurs vintage assure un son particulier aux originaux, chose que l’on sait émuler aussi), mais il n’en demeure pas moins que dans la plupart des cas, le son du matériel demeure la référence après laquelle court le logiciel.
« Palette musicale » : ex æquo
Soyons clair : un instrument virtuel n’apportera jamais l’expérience que l’on a avec son inspirateur réel, même lorsqu’il s’agit d’un synthé, et encore plus lorsqu’il s’agit d’une guitare, d’un violon, d’un instrument à vent… Au mieux, il sera un ersatz… Mais quel ersatz ! Car dans les faits, le virtuel permet de produire des pistes de guitare, de batterie ou de piano crédible sans même disposer de l’instrument et surtout dans bien des cas, sans avoir jamais appris à en jouer. Avec une programmation MIDI correcte, il y a vraiment de quoi faire illusion, à ce point que quantité de bande son symphoniques qu’on entend dans les séries télé ou les longs métrage sont issues d’orchestres virtuels.
Alors oui, jouer du vrai violon et programmer un violon samplés n’ont rien à voir artistiquement comme au niveau son (encore qu’il soit de plus en plus difficile de griller les imitations lorsqu’elles sont bien programmer), mais la possibilité de jouir des sonorités d’à peu près n’importe quel instrument n’importe où n’importe quand est un bonheur pour tout compositeur ou orchestrateur.
Match nul sur ce point donc…
Bilan du match : 7–7… mais le logiciel gagne !
Je peux vous l’assurer : cette égalité n’était en rien voulue, mais elle a le mérite d’expliquer la raison pour laquelle, chez les pros comme chez les amateurs, on combine le plus souvent matériel et logiciel. Avouons-le toutefois, ce résultat est un peu biaisé… Pourquoi ? Parce que tous les sujets sur lesquels porte ce duel n’auront pas la même importance en fonction des utilisateurs. Un étudiant vivant dans une chambre de bonne valorisera grandement le fait que son équipement lui coûte peu cher et prenne peu de place, alors qu’un pro sera avant tout préoccupé par le fait qu’il soit fiable et sonne le mieux possible… De fait, c’est à vous qu’il revient de refaire le match en détail en affectant des coefficients aux rubriques qui vous importent…
Mais dans la plupart des cas vous en viendrez probablement à la conclusion à laquelle la plupart des gens arrivent, quel que soit leur profil : l’ordinateur sera bien le centre de votre home studio, ne serait-ce qu’à cause du fait que l’offre en enregistreurs multipistes est devenue quasi inexistante, à plus forte raison dans le domaine de l’analogique où il faut se tourner vers l’occasion…
Si l’on devait reprendre notre match sur le seul sujet du dispositif d’enregistrement, force est de constater que le logiciel l’emporte haut la main, car sur ce point précis, un des points clés que nous avons consigné comme avantage du hardware passe du côté soft : l’ergonomie. C’est vrai pour certaines tâches d’enregistrement (faire des overdubs, c’est-à-dire réenregistrer certains passages précis), mais ça l’est plus encore pour tout ce qui touche à l’édition des enregistrements où la solution hardware est extrêmement fastidieuse sur des opérations basiques de montage quand le logiciel rend cela extrêmement intuitif, voire permet d’automatiser les choses… C’est sans doute sur ce seul point qui pèse extrêmement lourd au quotidien que l’ordinateur s’est imposé dans plus de 99% des studios pro ; on en trouve bien encore quelques-uns pour bosser avec des magnétophones analogiques pour des questions de son, tout comme il existe encore une poignée d’imprimeurs pour bosser avec du plomb, mais aucun pour bosser avec des enregistreurs numériques Direct-to-Disk…
Seulement voilà : sans être forcément hostile au numérique, l’informatique vous révulse, les souris vous donnent de l’urticaire et les écrans vous collent la nausée. Rassurez-vous : il y a une solution pour vous…
Enregistrer en numérique sans ordinateur
Si l’ordinateur vous effraie, il faudra bien vous replier sur la solution des enregistreurs numériques matériels qui se présentent sous la forme de rack auquel on branchera une table de mixage, sous la forme d’enregistreurs portables ou encore de « studios intégrés ».
Sous ce nom énigmatique se cache un tout-en-un qui réunit une petite console et un enregistreur multipiste numérique sur CD, disque dur ou carte SD, parfois complétés d’une section d’effets. En ajoutant à cela une paire d’enceintes ou un casque, quelques câbles et quelques micros, vous voici près à produire votre musique, en ayant l’assurance de le faire sans jamais avoir besoin d’une souris ou d’un clavier, mais en tournant des potards, poussant des faders et appuyant sur des boutons comme cela se faisait autrefois. Sur ce sujet précis, j’ai cependant deux nouvelles pour vous : une bonne, et une mauvaise.
La bonne, c’est que ce genre d’équipement est relativement peu onéreux (comptez quelques centaines d’euros). La mauvaise, c’est que ce genre de matériel est en voie d’extinction et que s’il est relativement bon marché, c’est parce que seul le segment d’entrée de gamme (le moins qualitatif donc) a pour l’heure survécu.
Pourquoi ? Parce que si ces studios intégrés connurent dans les années 90 un certain succès auprès des réfractaires à l’informatique dont vous faites partie, il n’y a plus grand monde à part vous qui souffre de tels maux : les mamies likent sur Facebook, les papis twittent, tout le monde blablate sur Insta et Whatsapp et à force de Minitels, d’ordinateurs portables, de smartphones, de tablettes, d’Internet et d’offre 360 Internet+Télé+Téléphone, les gens se sont mis bon gré mal gré à l’informatique, cette dernière ayant en outre fait de notables progrès pour être plus accessible. De fait, le marché des studios numériques s’est effondré et il vit probablement ses dernières années si l’on considère qu’en dehors d’un coût modeste et d’une certaine portabilité, il n’offre aucun avantage par rapport à la solution informatique. Opter pour un enregistreur numérique, c’est en effet tourner le dos au logiciel comme à Internet pour se retrouver avec quelque chose de moins puissant qu’un bête smartphone et d’assez proche fonctionnellement du bon vieux 4 pistes, avec toutes les limitations que cela implique, et sans pour autant avoir l’alibi du fameux « son chaud » qui fait pour certains la magie de la bande magnétique.
Bref, vous seriez bien mal avisé de jeter votre dévolu sur un tel appareil… sauf qu’à bien y réfléchir, ce ne serait sans doute pas aussi bête qu’il y paraît.
Éloge du low-tech
Quand vous achetez un four à micro-ondes dans un grand magasin, vous comprenez vite à l’argumentaire du vendeur que ce qu’on vous décrit comme les meilleurs appareils, ceux qui composent le haut de gamme, sont souvent ceux qui présentent le plus de fonctions, ceux qui sont les plus sophistiqués. Vous étiez parti pour acheter un simple micro-ondes et vous voici revenu avec un incroyable combiné micro-onde/grill/chaleur tournante taillé pour cuire tout et n’importe quoi de la meilleure façon qui soit, convaincu par l’argumentaire du vendeur qui a le même à la maison et par les avis dithyrambiques que vous avez pu lire depuis votre téléphone sur un site de vente en ligne… Sauf qu’une fois revenu à la maison, vous vous rendez compte que cette débauche de possibilités passe par un sélecteur à 9 positions couplé à 4 modes de chauffe, un timer programmable et un afficheur à LED absolument pas clair. Vous voici alors à vérifier dans le manuel de 384 pages en 6 langues que c’est bien le mode III qui convient à votre barquette Picard après avoir sélectionné le bon pictogramme pour ‘surgelé’, réglé le timer sur 3:30 minutes puis validé l’ensemble… Plus tard, alors que vous mangez vos lasagnes de cheval, vous revient le souvenir de ce petit four en début de rayon qui ne disposait que d’un unique bouton et un sélecteur, sans vous avouer encore que vous avez acheté une usine à gaz qui va vous compliquer la vie pour les cinq prochaines années, moment auquel le Timer sensitif commencera à se détraquer.
C’est un peu le même problème avec l’équipement de studio et notre histoire d’ordinateur. Le plus grand intérêt que vous avez à vous équiper d’un petit studio numérique ou même d’un 4-piste à cassettes, c’est que grâce au peu de fonctions que ces équipements embarquent, vous allez forcément vous simplifier la vie techniquement et aller à l’essentiel. D’abord parce que vous connaîtrez plus rapidement votre matériel et serez plus vite opérationnel avec, mais aussi parce que vous aurez moins de possibilités s’offrant à vous par rapport à ce que vous proposerait un ordinateur et ses 1001 logiciels ou périphériques. Même si vos maquettes seront peut-être moins abouties qu’avec un ordinateur, même si vous n’aurez pas accès à quantité de logiciels fabuleux (dont les instruments et effets virtuels, dont les fonctions de correction de hauteur ou de placement), vous serez de la sorte probablement plus productif… voire plus créatif.
En effet, c’est bien plus souvent de la contrainte plutôt que de la liberté que vient la créativité, parce qu’il est plus simple d’imaginer des moyens de contourner telle ou telle limitation que de choisir entre mille possibilités, et qu’on se décide plus vite entre trois plats du jour qu’entre cinquante plats à la carte. Les plus belles pages de Racine et Corneille ne sont ainsi nées que parce qu’ils ont transcendé les règles posées par l’austère Boileau désireux de remettre de l’ordre après les délires linguistiques des poètes de la Pléiade. Et j’en reviens encore au Nebraska de Springsteen, un album époustouflant enregistré avec un 4-pistes à cassettes et deux SM57 : quand la prod est aussi minimaliste, alors il y a de la place pour l’essentiel, la qualité d’écriture et l’interprétation. Comme dirait George : What else ? Après tout, les Beatles et les Beach Boys ont pondu Sergent Pepper’s et Pet Sounds sur un magnétophone à bande 4-pistes, non ? Et même s’il est assez malhonnête de mettre en avant ces deux exemples vu qu’ils avaient derrière eux quantité de matériel et de techniciens pour repousser les limites du matériel, on citera encore les noms d’Elliott Smith, Beck, John Frusciante, Gomez qui sont ou furent de grands défenseurs du bon vieux 4-piste.
Je veux toutefois être très clair avec vous : en prenant le parti d’un équipement minimaliste, vous vous appuyez à une contrainte forte qui, si elle simplifiera vos choix et vous poussera à aller à l’essentiel, sera d’autant plus exigeante avec vous. Quand on sert une minimaliste salade tomate mozzarella dans un resto trois étoiles, cela implique que la tomate, la mozzarella, leur assaisonnement, leur coupe et leur dressage sont tous exceptionnels. Ce que je veux dire par là, c’est que si un 4-pistes est largement suffisant pour enregistrer un guitare/voix, un piano/voix ou de l’électro minimaliste, alors il faudra que chaque partie soit parfaitement exécutée et enregistrée, sans possible recourt à un arrangement plus complexe pour masquer les défauts ou à quelques traitements correctifs qu’aurait permis l’ordinateur après coup. Bref, plus votre config est rudimentaire et plus il faudra travailler la qualité de ce qui se passe devant le micro, au lieu de bidouiller derrière.
Je tiens également à vous avertir concernant l’aspect pécuniaire : si l’achat d’un enregistreur numérique ou d’un 4-piste à cassette d’occasion présente à première vue une économie substantielle par rapport à la solution informatique, vous ne serez pas forcément gagnant sur ce point au bout du compte. Un ordinateur permet en effet d’utiliser quantité de logiciels gratuits alors que le matériel gratuit n’existe pas et, en fonction de l’équipement que vous avez choisi, il faudra donc mettre la main à la poche dès que vous voudrez développer votre configuration. Besoin d’une belle réverbe, d’un compresseur ou encore d’un égaliseur un peu plus précis que celui dont vous disposez sur votre petite machine ? Il vous faudra acheter tout cela en sus, avec toute la câblasse que cela implique, et en sachant que tout ce matériel aura vite fait de vous coûter bien plus cher que vous ne l’imaginiez.
Quel studio numérique à acheter ?
Très sincèrement, même si elle s’est récemment un peu redéveloppée avec le marché du podcasting, l’offre est suffisamment restreinte pour vous puissiez vous orienter seul vers tel ou tel modèle en fonction de votre budget et de vos besoins, sachant qu’il n’y a pas de mauvaise marque présente sur ce segment et que les performances des appareils en concurrence sont homogènes parce que leurs prix sont homogènes : nous sommes clairement sur des solutions d’appoint doté de composants d’entrée de gamme et dont les fonctions sont rudimentaires, que ce soit chez Tascam, Zoom ou Boss. Si vous achetiez ce genre d’appareil d’occasion, veillez juste à ce que les supports qu’il utilise pour l’enregistrement soient toujours commercialisés.
Dans une recherche de simplicité, on peut même envisager d’ailleurs d’aller du côté des enregistreurs de poche multipistes, comme les fameux petits Zoom de série H par exemple, qui permettront de faire l’économie d’un micro, du moins dans un premier temps, mais qui se montreront souvent encore plus limités en termes de traitements et d’édition, notamment pour des raisons ergonomiques ou de connectique. Comprenez en effet que ces appareils sont plus des dictaphones pensés pour la musique que de réelles plateformes de production. On en dira tout autant des mixettes pensées pour le reportage et l’image qui sont plus conçues pour la captation que pour la production, même si dans ce secteur, pour le coup, on trouve toujours des enregistreurs haut de gamme.
Conclusion
Il vous revient donc de savoir dans quelle direction vous souhaitez aller, sachant que contrairement à ce que mon histoire de four pourrait laisser entendre, utiliser un ordinateur n’implique pas forcément d’utiliser des logiciels complexes. On peut faire simple aussi de ce côté. C’est d’ailleurs pour cela que, tout en comprenant une démarche liée à l’économie de moyen, on conseillera malgré tout au plus grand nombre de passer par la case MAO qui est de loin la plus souple et évolutive, d’autant que tout le monde ou presque dispose d’un ordinateur chez soi.
Si tel n’est pas le cas ou s’il vous semble important de vous équiper d’un ordinateur complètement dédié à cette tâche, alors soyez rassuré, car c’est à l’ordinateur que seront consacrés nos prochains articles.