Proposer dans une petite boîte qui tient dans la poche, un sampler, un moteur granulaire, un séquenceur, des effets et beaucoup de fun : telle est la promesse de Roland pour le dernier venu de la famille AIRA Compact. Peut-il prétendre à une place de choix parmi vos outils créatifs ?
Il y a dix ans, Roland présentait la famille AIRA, une série d’instruments pensée essentiellement pour la scène et fortement orientée dance et musique urbaine. Huit ans plus tard, ce qui, après une opération compliquée, nous amène en 2022, la série AIRA Compact est dévoilée. Toujours fortement dirigée vers les musiques modernes, il s’agit d’un ensemble d’outils ultraportables à destination des musiciens en quête de mobilité et de solutions créatives.
Cinquième et petit nouveau de la famille, le AIRA Compact P-6 entend se faire une place sur un marché en pleine expansion, celui des samplers compacts. Ces dernières années, les sorties de Teenage Engineering, Sonicware, Novation, Korg (…) attestent du regain d’intérêt pour ces petites boîtes, qui misent avant tout sur les fonctionnalités créatives, le jeu live et la simplicité. Elles sont souvent, comme ici, associées à un séquenceur et des effets, auxquels le P-6 a la bonne idée d’ajouter la synthèse granulaire.
Tour d’Aira
Le AIRA P-6 présente une physionomie identique aux autres membres de la famille, cette fois avec une partie inférieure jaune. D’une taille de 188 × 106 × 37 mm, et d’un poids de 305 g, il est encore plus frêle qu’un Korg Volca Sample, qui, avec ses 193 × 115 × 45 mm pour 372 g paraît presque grassouillet en comparaison. Son gabarit lui permet d’être parfaitement à l’aise lors des balades bucoliques ou urbaines, où on le sortira de la poche dans laquelle il attendait sagement la poussée d’inspiration.
La façade supérieure est divisée en six sections. Sur le haut de l’appareil se trouvent un témoin de charge, une partie de la connectique, avec entrée et sortie synchro, une entrée audio et une sortie stéréo/prise casque. En connectant un micro-casque à cette dernière, elle fonctionnera également comme entrée micro. La connectique est entièrement au format minijack. Cette section est complétée par le potentiomètre du volume de sortie.
Sur la partie gauche, se trouvent les commandes générales avec un écran LED à quatre caractères et sept segments puis un encodeur de valeurs. Ils sont suivis par quatre boutons-poussoirs : un bouton Shift, qui est énormément sollicité, un bouton Pattern et les commandes de transport. Comme presque toutes les commandes du P-6, ils peuvent avoir différentes fonctions.
On poursuit ce tour rapide avec la section effets. Constituée de trois rotatifs « Control » et de six commutateurs pour activer tour à tour un looper, un effet de pitch, un délai, un filtre avec distorsion, un effet scatter et un multieffet. Sur la partie droite se trouvent les commandes de gestion des samples, ainsi qu’un petit micro intégré, nous y reviendrons. Viennent ensuite quatre boutons pour gérer la banque de samples, un autre pour la synthèse granulaire et six pads. Si ces derniers sont d’une texture agréable, ils ne sont malheureusement pas sensibles à la vélocité. Quel dommage.
Enfin, sur la partie inférieure se trouvent seize petits boutons, rétroéclairés comme tous ceux de l’appareil. S’ils sont avant tout dédiés au step sequencer, ils servent également à l’activation des fonctions secondaires (avec l’aide des boutons Shift ou Pattern) et de mini-clavier.
La façade arrière regroupe un commutateur de mise sous tension, un port USB-C, et deux prises MIDI (In et Out), là encore, elles sont au format minijack et il faut recourir à un adaptateur (non fourni) pour connecter l’unité à un appareil MIDI externe. Signalons au passage que le P-6 est conçu pour se connecter aux autres membres de la famille AIRA Compact : en plus des habituelles options de synchronisation, il est possible de contrôler une partie de la synthèse granulaire avec le AIRA S-1.
Entièrement en plastique, la fabrication est correcte. Les huit petits potentiomètres sont bien ancrés, même s’ils présentent un très léger jeu, rien d’anormal dans cette gamme de prix. Difficile de se prononcer sur la tenue dans le temps, mais l’ensemble est engageant et présente bien.
Finissons ce petit tour sur le contenu de la boîte. Celle-ci contient l’instrument, un câble USB-C vers USB-A, un dépliant « Read me first », et… c’est tout. Si cette pratique tend à se généraliser, l’absence d’alimentation reste toujours surprenante. Le mode d’emploi, assez complet mais laconique est disponible en français, il est à visionner ou télécharger sur le site de Roland au format HTML ou PDF. Signalons que la marque propose en option un étui de transport ainsi que différents câbles MIDI.
Aussi, il est important de préciser que l’alimentation se fait avec une batterie lithium-ion, la marque indique une autonomie d’environ 3 heures en usage continu. Lors des différents tests, elle n’est jamais passée sous ce temps.
Aire à jouer
Environ six secondes après l’allumage, le P-6 est prêt à donner de la voix. Le niveau est correct. Les 48 emplacements de la banque de samples sont déjà remplis de courts échantillons et de boucles de très bonne qualité. Alors que sur les 64 motifs disponibles, les 16 premiers contiennent des séquences de démonstration. Si tout ce beau monde offre un bel aperçu des capacités du P-6, il est bien entendu possible de faire place nette. En attendant, il constitue un set de démarrage plus que bienvenu avant de passer aux choses sérieuses.
Si les manipulations basiques tombent sous le sens, il apparaît très rapidement qu’il va falloir se familiariser avec la logique de l’instrument, qui repose énormément sur des combinaisons de touches. Et les informations affichées sur le petit écran ne sont pas toujours d’une grande aide, il faut souvent se référer au mode d’emploi pour en comprendre les nombreuses abréviations. Heureusement, nous sommes aidés avec les indications lumineuses des différents boutons-poussoirs. À ce sujet, l’éclairage de ceux-ci en plein jour s’avère insuffisant pour une parfaite visibilité. C’est un peu compréhensible, mais regrettable pour un instrument dont l’un des arguments est le jeu en extérieur. En passant, on peut également regretter l’absence d’un petit haut-parleur, alors qu’il est présent chez bon nombre de ses concurrents. Soulignons également que selon la position dans laquelle l’instrument se trouve, la position de l’encodeur Tempo/Value peut se révéler gênante : les doigts ont vite fait de cacher l’écran et ses précieuses informations. Il faut dire que caser autant de fonctionnalités exploitables sur une si petite surface est une belle prouesse qu’il faut souligner.
- 01 – Particules – tweak SFX and granular00:59
- 02 – Dark steps00:57
- 03 – Autumn in Amsterdam – Tweak SFX and Granular00:43
- 04 – En vrille – test scatter et looper00:36
- Demo 1 – Grainy Bells00:42
- Demo 2 – Old Memories00:53
- Demo 3 – Jungle Search – Demo SFX00:13
- Demo 4 – Granular Seas00:37
- Demo 5 – Get Busy01:35
- Demo 6 – Autumn in Amsterdam00:42
- Demo 7 – Voice Of The Mountain00:49
- Demo 8 – Grain Of Lights00:55
En plus de la recharge, le port USB-C a d’autres usages. Il permet, par exemple, la communication avec un ordinateur comme entrée et sortie MIDI, le P-6 peut ainsi se comporter comme contrôleur MIDI. Mais aussi et surtout, l’audio transite par ce port, ce qui permet de se servir de l’instrument comme interface audio d’appoint, par exemple sur un smartphone. Bravo !
L’échange de samples avec l’ordinateur s’effectue avec l’application P-6 SampleTool, disponible pour macOS et Windows. Pour la télécharger, il faut créer un compte sur le site de Roland et ensuite passer par le Roland Cloud Manager. À partir du logiciel, les échantillons peuvent être édités aisément, et par exemple, supprimer les clicks. Opération facilitée par la fonction Snap To Zero. Il est également possible de réduire la résolution des samples, utile pour gagner de la place. Envoyer les samples (format WAV) vers le P-6 se fait par glisser-déposer sur la façade de ce dernier, représentée graphiquement dans le logiciel.
Air à sampler
Passons maintenant à la principale raison d’être du P-6, le sampling. La source peut être le microphone intégré, l’USB audio, la prise Out si un micro-casque est inséré et l’entrée audio. Par cette dernière, il sera possible de connecter toutes sortes de périphériques, mono ou stéréo (avec adaptateur), du synthétiseur, à la platine vinyle en passant bien entendu par un micro dynamique.
La gestion des samples se fait par l’intermédiaire de 6 pads, avec chacun 8 slots, nommés de A à H. Pour échantillonner, il faut tout d’abord sélectionner un pad avec un emplacement libre. Dans le cas où aucun d’eux ne le serait, il sera nécessaire de supprimer un sample. Opération très facile à effectuer : on appuie une première fois sur le bouton Delete, on choisit l’emplacement, puis une nouvelle fois sur Delete. Une fois cela fait, il faut simplement appuyer sur le bouton Sampling pour commencer l’enregistrement. Malheureusement, la mémoire interne est de taille modeste, Roland propose cependant la possibilité de choisir entre quatre fréquences d’échantillonnages. En choisissant une résolution plus faible, on peut gagner un peu de place. Ainsi, l’échantillonnage peut se faire en 44,1 kHz, 22,05 kHz, 14,7 kHz, et, pour un son bien crunchy, en 11,025 kHz. En utilisant le taux le plus élevé de 44,1 kHz, le temps d’échantillonnage n’est que de 5,9 secondes en mono. Avec un taux de 11,025 kHz, il est de 23,7 secondes en mono, ce qui constitue le temps le plus élevé. Ces temps sont à diviser par deux pour l’échantillonnage stéréo.
Il est possible de définir un niveau à partir duquel commence l’enregistrement, ainsi que de le déclencher par MIDI. Astuce bienvenue : l’éclairage de la rangée de boutons du bas joue le rôle de vu-mètre.
Une fois un sample enregistré, il est possible de le personnaliser. Il est bien entendu possible de régler le pitch, de modifier les points de début et de fin, ainsi que d’ajuster le volume et le panoramique de chaque échantillon. Un mode gate/one-shot est également de la partie.
Plusieurs modes de lecture sont proposés en plus du normal : inversée, en boucle, et en boucle alternée. Le P-6 propose une intéressante fonction chop. Celle-ci permet de diviser un échantillon en 64 segments qu’il est possible d’organiser avec l’aide des touches du step sequencer. Une manière ludique de déstructurer une boucle. Des fonctions de copies et d’échanges de samples entre pads sont bien évidemment présentes.
Une autre fonction intéressante à mentionner est l’échantillonnage par étapes, qui permet de segmenter l’enregistrement et d’avoir ainsi des samples parfaitement découpés.
Le micro intégré confère une grande mobilité au P-6. Grâce à lui, il est facile de capturer rapidement et sans aucun équipement supplémentaire des voix, les bruits de la rue, de la vie domestique, de la nature… Les amateurs de fields recording vont s’en donner à cœur joie. La qualité d’enregistrement par l’intermédiaire de ce micro est honnête et en adéquation avec la philosophie de l’instrument.
L’un des gros points forts de la bécane est son moteur de synthèse granulaire. Simple à utiliser, il ouvre la porte à des explorations sonores très expérimentales et créatives qui pourraient attirer un public initialement non visé par Roland. Son utilisation passe par le bouton Granular, qui se comporte en quelque sorte comme un septième pad. Tous les échantillons enregistrés dans le P-6 peuvent y être traités. On s’amuse beaucoup avec cette partie et sa relative simplicité en fait un outil à la fois accessible et ludique. Globalement, c’est fun.
Pour conclure ce chapitre, mentionnons également la possibilité de ré-échantillonner la sortie avec les effets et la possibilité de jouer les échantillons en mode monophonique ou polyphonique, jusqu’à 16 voix, tandis que la synthèse granulaire est limitée à 4 voix.
L’ensemble de cette section est incontestablement l’atout majeur de l’instrument, même si l’absence de time-stretch est à signaler, surtout avec une mémoire si limitée.
Synthèse Era
En plus de ses fonctions se rapportant à la manipulation de samples, le AIRA P-6 embarque une petite section de synthèse. Si les 7 petits knobs sont mis à contribution pour l’édition, il faut encore ici procéder à des combinaisons de touches, avec l’aide de la touche Shift. Chaque sample dispose ainsi de sa propre enveloppe de pitch, aux choix ADSR, ADR, ou cyclique. Un module LoFi, et un filtre multimode passe-bas, passe-bande, passe-haut et crête. Ce dernier mode amplifie une bande étroite autour d’une fréquence choisie. La couleur de ce filtre numérique est agréable, avec une résonance qui flirte avec l’auto-oscillation. Il est possible de le moduler par une enveloppe. Si celle-ci, offre également le choix entre ADSR, ADR et cyclique, elle est malheureusement commune au volume. Pour finir, la section PAN, en plus de sa fonction élémentaire, peut être configurée en auto-pan.
Si bien sûr, il ne fallait pas espérer trouver l’équivalent d’un synthétiseur de recherche dans le P-6, la présence d’un LFO aurait été bienvenue : l’enveloppe peut fonctionner en mode cyclique, mais comme elle est partagée entre le volume et le filtre, ce sera fromage ou dessert.
Et raz le motif
Pour donner vie à tout ceci, le P-6 propose un séquenceur de 64 pas avec une mémoire de 64 motifs. Chacun des 48 échantillons dispose de sa propre ligne de séquence, la limite étant la polyphonie de 16 voix. L’enregistrement peut s’effectuer en mode pas à pas ou en temps réel, avec les pads ou les touches du bas configurées comme clavier. Il est possible de s’aider d’un des réglages de quantification et du métronome. Ce dernier propose un décompte configurable, une option assez rare dans la catégorie, et pourtant très utile. Il n’y a pas de tap tempo, par contre.
L’édition des motifs peut se faire en programmant divers éléments tels que la longueur des notes, la vélocité, le gate, le hors grille, le microtiming et même la probabilité. Pour faire bouger les séquences, il est également possible d’enregistrer les mouvements des paramètres.
Pour le jeu en direct, la fonction Step Loop propose de boucler une partie de la séquence en cours. De cette façon, il est facile de créer des transitions et des effets de roulement.
Malheureusement cette section, pourtant sympathique, est fortement pénalisée par l’absence de mode song ou de chaînage de pattern.
Et ici aussi, les combinaisons de touches et l’affichage limité de l’écran constituent une limite pour une utilisation spontanée.
Effets d’Aira
Quelques mots sur la section effets qui occupe une bonne partie de la façade du P-6. Au total, 20 effets sont disponibles, dont 5 sont disponibles en accès direct : DJFX Looper, Chromatic Pitch-shift, Sync Delay, Filter + Drive et Scatter. Les autres sont accessibles avec le bouton MFX, on y trouve, en autres : une réverbe avec 4 types (2 halls, 1 room et 1 ambience), un compresseur, les classiques chorus, flanger, phaser, trémolo, mais aussi un ring mod, un isolateur… Un mot sur l’effet Scatter, qui découpe le son et modifie la longueur ainsi que le sens de lecture de chaque fragment selon un schéma défini par dix algorithmes. Les résultats sont parfois surprenants. En l’associant à la synthèse granulaire, il est possible de créer toutes sortes de textures, des drones les plus atmosphériques aux choses les plus barrées.
Cette section s’utilise essentiellement comme module de performance, il est d’ailleurs possible de configurer les effets pour qu’ils s’activent uniquement lorsque leur bouton d’activation reste pressé.
En outre, il est également possible de régler l’envoi de chaque sample vers deux effets généraux : une réverbe et un délai. La réverbe comprend ici les algorithmes Ambiance, Room, Hall 1 et 2, Plate, et Modulate. Tous ces effets proviennent du grand frère SP-404 MkII et sont dans l’ensemble de bonne qualité et très exploitables. Malgré tout, le Filtre avec distorsion est moins convaincant que celui inclus dans la section Voice. La résonance est un peu agressive et le réglage de distorsion manque de progressivité. Mais peut-être est-ce une question de goût ?
Pour finir, mentionnons la présence d’une section Mix minimaliste qui consiste simplement à choisir entre 3 bus.
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