Quatre ans après le MatrixBrute, Arturia présente son premier synthé analogique polyphonique, le PolyBrute. Un magnifique instrument qui nous réserve bien des surprises. La V2.0 de l'OS pousse le bouchon encore plus loin...
Arturia vient tout juste de fêter ses vingt ans. Initialement centrée sur le logiciel, la petite entreprise de la région grenobloise a pris un nouveau virage en 2012 avec le MiniBrute, le premier synthé analogique complet abordable. En quelques années, elle est devenue un solide acteur du marché du synthé, le succès du MicroBrute, véritable best-seller, l’ayant définitivement rendue incontournable. Ne campant pas sur ses lauriers, Arturia a alors étoffé sa gamme et décliné sa vision du synthé analogique monodique jusqu’au puissant MatrixBrute, un instrument aussi innovant qu’imposant, doté d’une magnifique matrice de modulation lumineuse facilitant les connexions. Arturia a en parallèle lancé des BAR analogiques et un petit synthé hybride bien singulier, le MicroFreak, récemment passé en V3. Mais dans le plus grand secret, les ingénieurs maison se sont affairés autour d’un projet très ambitieux attendu de longue date par les aficionados de la marque et des belles machines. À l’approche du vingtième anniversaire fin 2020, l’annonce est enfin tombée sur les téléscripteurs : le PolyBrute est en approche. Quelques mois plus tard à peine, un exemplaire flambant neuf nous est parvenu. Après avoir testé l’OS 1.0.4, nous avons mis à jour le test avec la V2.0.
- 40 Years01:00
- Antoine00:49
- Blade Blues00:36
- Buckle Up00:15
- Cool Brute [Multi]01:28
- Ecotri00:59
- Hypnos01:15
- La Barbe (courte) [Multi]01:29
- Magic Sweep01:10
- Maurice is Back00:46
- Mini Morphlead00:28
- OB Pads01:01
- Pkloop01:05
- PolyBrute_1audio Démo by Olivier Grall [Multi]01:43
- Pythagore01:02
- Seapad01:04
- Spovtnik (courte) [Multi]01:30
- Spovtnik01:18
- Tears in Rain01:51
- Thanks Lyle00:54
- TriCS01:30
Ergonomie exemplaire
La qualité d’emballage du MatrixBrute nous avait déjà impressionnés, il en est de même pour celle du PolyBrute : double cartonnage, cornières longitudinales renforcées, énormes pains de mousse de protection, tout est prévu pour que le synthé arrive dans un état impeccable. Ce serait d’ailleurs dommage d’abîmer cette magnifique pièce de lutherie électronique de 97×38×11 cm pour 20 kg, de couleur bleu foncé métal. Cette fois, le panneau est fixe à l’horizontale, on aurait d’ailleurs préféré un peu plus d’angle car les nombreuses commandes occupent toute la surface disponible, y compris en profondeur. On ne dénombre pas moins de 53 potentiomètres bien ancrés, 3 encodeurs (2 gros de couleur alu et un petit gris de tempo très dur à tourner), 15 curseurs linéaires fluides, 43 boutons-poussoirs rigides et 112 boutons-poussoirs rétroéclairés caoutchouteux. Les commandes sont fort logiquement disposées et très faciles à repérer, que du bonheur.
L’ergonomie est d’ailleurs améliorée par rapport au MatrixBrute, avec des assignations directes des 32 destinations dans la matrice, des éditions locales (en maintenant la touche Settings et en manipulant certaines commandes, on ouvre un menu de paramètres supplémentaires) et un accès à tous les paramètres globaux via un menu System complet. On retrouve aussi la logique un bouton/une fonction, les trois modes de réponse des potentiomètres (saut/seuil/relatif) et la fameuse matrice multicolore 12×8, permettant de changer de son, connecter des sources à des destinations ou programmer le séquenceur. Les fonctions Panel, Compare et Init n’ont pas été oubliées, mais elles sont parfois perdues dans les menus ou assignées à des combinaisons de touches (des touches dédiées auraient été préférables). Bravo pour la fonction Snapshot, qui permet de prendre 5 instantanés des réglages d’un programme pour rappel ultérieur. Sans oublier la génération de sons aléatoire. Si on perd les macros du MatrixBrute, on gagne en revanche la géniale fonction Morphing. Celle-ci permet de passer progressivement entre deux ensembles A et B de réglages en façade (presque tous !) avec un potentiomètre dédié, le contrôleur Morphée ou un CC Midi. C’est idéal pour créer des ambiances évolutives impressionnantes ou au contraire des transitions très subtiles. Cela concerne aussi bien les commandes continues que les valeurs habituellement discrètes, telles que le routage des VCO vers les VCF ou encore les formes d’ondes des LFO. Ici, ça morphe à tous les étages, ce qu’aucun autre synthé analogique polyphonique n’avait fait de façon aussi complète jusque-là. Bravo ! Avec la V2.0, la valeur des paramètres en cours d’édition est désormais affichée, sous forme graphique et numérique, un grand merci.
Présentation soignée
La construction est très soignée, avec une coque métallique, des flancs en bois agrémentés de Tolex et une connectique vissée ou sertie. Les molettes alu sont très agréables. Elles sont placées en partie supérieure du panneau, un curieux bloc en bois étant venu leur voler la vedette. Il s’agit du Morphée, un contrôleur 3D spécifique très original développé en interne. Renseignements pris chez Arturia, il n’a rien à voir avec le Touché d’Expressive E, dont le mécanisme et le rendu est très différent. Ici, le plan horizontal contrôle deux axes par effleurement (X-Y) alors que l’axe (Z) est obtenu en enfonçant le bloc à la verticale, avec une résistance et une course idéale, soumise à un ressort de rappel parfaitement dimensionné. Les mouvements du contrôleur sont représentés en temps réel sur le confortable écran graphique OLED. Les trois axes sont assignables au morphing ou à n’importe quelle source via la matrice de modulation. Affaire de goût, nous l’aurions inversé avec les molettes, car elles sont un peu loin pour contrôler le pitch avec précision. Autre contrôleur original, le long ruban gravé en creux dans la traverse en bois située au-dessus du clavier. Il répond parfaitement sur toute sa longueur, selon différents modes d’action : absolu ou relatif, avec ou sans recentrage, parfait ! Terminons avec le clavier 5 octaves, sensible à la vélocité et à la pression duophonique, identique à celui du MatrixBrute. La réponse en vélocité est très bonne et ajustable. La réponse en pression offre plusieurs intervalles d’action (début/fin) permettant d’éviter les déclenchements intempestifs quand on joue trop lourd. Apportée par la V2.0, la pression duophonique permet d’appliquer la pression sur les nouvelles notes jouées, sans affecter celles déjà maintenues. Nous avons été à nouveau surpris par la finesse des touches blanches dont l’extrémité plie facilement. Tant qu’elle ne rompt pas…
Côté connectique, on trouve une prise casque judicieusement placée à l’avant gauche (jack 6,35 avec volume indépendant en façade), tout le reste étant placé sur le panneau arrière. Les possibilités sont beaucoup moins généreuses que sur le MatrixBrute : une paire de sorties stéréo (jack 6,35 TS), deux jacks de synchro (entrée/sortie 3,5 mm), trois prises pour pédales (une de maintien et deux continues assignables), un interrupteur pour la protection mémoire, un trio Midi DIN, une prise USB et une fiche IEC pour cordon secteur (alimentation interne à détection automatique, ouiiiii !). Par rapport au MatrixBrute, on perd donc la boucle d’insertion d’effets, les nombreuses connections CV/Gate et l’entrée audio, dur dur ! La prise USB transmet le Midi, les programmes et les données système. Ceci permet notamment d’utiliser la machine avec l’application spécifique PolyBrute Connect, un éditeur-bibliothécaire fonctionnant en versions standalone et VST. Les commandes continues émettent des CC Midi ou NRPN via USB lorsque le synthé est connecté à l’appli. Depuis la V2.0, le Morphée et le ruban transmettent des CC Midi, qui viennent s’ajouter aux NRPN pour l’éditeur, merci à l’équipe de développement.
Polyvalence sonore
Dès l’allumage, nous sommes vite conquis par la qualité audio irréprochable et l’absence de souffle notable, malgré des niveaux de sortie élevés. De même, aucun bruit n’est à déplorer lorsqu’on change de programme et les commutations de sons sont rapides. Arturia a décidément bien progressé dans ce domaine depuis le MatrixBrute un peu bruyant. Le PolyBrute renferme 768 mémoires de programmes réinscriptibles. La moitié est préremplie de sons d’usine (et de quelques gabarits par thème), globalement de bonne facture et bien plus utiles que les sons d’usine du MatrixBrute. Plusieurs musiciens et concepteurs sonores français ont participé au développement et à la banque sonore. Parmi eux, les talentueux Michael « Duchemole » Geyre et Olivier Grall nous ont fait parvenir de superbes créations de leur cru, que nous avons intégrées avec délectation dans le lecteur audio du test, démontrant les nombreuses facettes du PolyBrute. Un grand merci les gars !
Nous apprécions les larges pads évolutifs, les cordes généreuses, les cuivres au goût vintage, les basses pesantes, les leads tranchants, les percussions claquantes et les effets spéciaux en-veux-tu-en-voilà. Nous sommes frappés par la grande polyvalence sonore et le bon équilibre audio global de la machine. On en oublie assez vite la nature purement analogique, avec des sons s’apparentant à des tables d’ondes ou de la synthèse vectorielle. On sent tout de suite que les oscillateurs sont souples, les capacités de modulation énormes et les possibilités de morphing alléchantes. Évidemment, on retrouve les grands standards de l’analogique, parfois avec un caractère vintage évoquant ici le CS80, là l’OB-8, parfois avec une couleur très moderne. Beaucoup de travail de programmation est nécessaire pour recréer toutes les subtilités de ces machines, ainsi que du talent pour les faire sonner à l’identique. Les doubles filtres sont une merveille de souplesse et les différentes options de positionnement stéréo sur les voix ou les filtres élargissent considérablement le son. La section effets séduit immédiatement, notamment les très belles réverbes. Enfin, on apprécie le nombre et l’originalité des contrôleurs physiques à disposition. Bref, on va pouvoir créer plein de sons originaux et s’exprimer sérieusement avec le PolyBrute.
VCO variables
Chacune des 6 voix analogiques du PolyBrute est constituée de 2 VCO, un Sub-VCO, 2 VCF et un VCA stéréo. Les VCO sont différents des précédentes productions de la marque. Déjà, ils sont linéaires, ce qui les rend bien moins sensibles aux variations de température que des VCO exponentiels. Par contre, ils ont une tessiture plus limitée, d’environ 18 à 4.600 Hz, soit 8 octaves, ce qui limite le très haut du spectre. Cela pourra gêner les aficionados des modulations audio, type synchro ou FM. Leurs éventuelles petites dérives sont compensées par le CPU relié à une sonde de température. Tout cela fonctionne très bien. Ensuite, l’arrangement des formes d’ondes est complètement revu. Plutôt que cumuler trois ondes de base, on commence par mixer une onde dent de scie avec une onde triangulaire. La balance est alors mélangée à l’onde d’impulsion. Ces deux dosages sont évidemment modulables via la matrice, ce qui donne une multitude de possibilités. On peut régler et moduler la largeur d’impulsion de chaque VCO (de carré jusqu’à l’extinction). Sur le VCO1, on dispose en plus d’un réglage Metalizer, qui replie le sommet de l’onde triangle ou de l’onde globale (au choix dans le menu), ce qui la rend de plus en plus métallique. Sur le VCO2, on trouve un suboscillateur sous forme d’onde sinus à l’octave inférieure, dont la balance est dosable avec l’onde principale. Cette section est vraiment souple pour un synthé polyphonique, on regrette toutefois la perte de la Supersaw du MatrixBrute, même si on comprend les arbitrages faits.
Niveau accordage, en plus de la sélection globale d’octave avec les interrupteurs sous les molettes (-2 à +2), le VCO1 peut être réglé de –2 à +2 octaves par demi-ton. Sa modulation de pitch suit l’une des 8 échelles disponibles (continue, chromatique, majeure, mineure, Phrygienne, 9e majeure, 9e mineure, octaves & quintes). Le VCO2 dispose de 4 échelles de réglage pour le potentiomètre (plus ou moins 1 ou 7 demi-tons en continu, 12 ou 24 demi-tons en chromatique), pas très pratique à l’usage. Il possède 4 échelles de modulation de pitch (continu, chromatique, octaves & quintes ou comme le VCO1). Mieux, 4 réglages permettent de modifier la précision d’accordage des VCO, histoire de leur donner un petit côté vintage si on le souhaite. Le VCO2 peut synchroniser le VCO1, mais plutôt que se contenter d’un simple marche/arrêt, le niveau de synchronisation est continu. Cela permet de passer en douceur d’une synchronisation douce (harmoniques progressivement « accrochées ») à une synchronisation dure (le cycle du VCO1 est forcé à la fréquence du VCO2). Ce réglage est une destination de la matrice de modulation et du morphing, top ! De la même manière, le VCO2 peut moduler la fréquence du VCO1, pour encore plus de possibilités. À ces deux VCO s’ajoute un générateur de bruit à couleur continuellement variable entre rouge (sombre) et blanc (brillant).
VCF complémentaires
Les trois sources sonores sont dosées et routées individuellement vers l’un des deux VCF ou les deux à la fois. Avec la fonction Morphing, on peut même doser le routage de chaque source vers chaque filtre, très fort ! Mieux, les deux filtres peuvent passer en douceur du mode série (VCF1->VCF2) vers le mode parallèle. Mieux encore, ce réglage est modulable. Cela explique en partie la grande polyvalence de la machine. Si les VCO sont apparus très stables, les VCF ont parfois nécessité d’être recalibrés à l’allumage dans un studio au départ froid (aux alentours de 15 °C). Par contre, ils restent parfaitement stables une fois calibrés ou lorsque la température ambiante remonte au-dessus de 19 °C (c’est-à-dire quand tous les grille-pain genre Jupiter-8, Prophet-5, Memorymoog ou OB-X sont allumés).
Le VCF1 est un filtre Steiner-Parker multimode résonant 2 pôles. Nouveauté intéressante par rapport au MatrixBrute, il peut passer en continu entre les modes passe-bas/réjection/passe-haut/passe-bande. La réponse du potentiomètre de FC est impeccable. La résonance peut aller jusqu’en auto-oscillation, sans baisse de niveau, générant des sons bien piquants comme on peut l’attendre de ce genre de filtre bouillonnant et pas sage du tout. La fréquence ouvre bien à fond, mais on entend un tout petit peu les VCO quand on coupe tout, rien de rédhibitoire toutefois. Le Brute Factor (feedback) est bien là, apportant de l’agressivité sur les réglages extrêmes, tout en restant parfois délicat à doser. Le VCF2 est un filtre en échelle de transistors, fonctionnant uniquement en mode 4 pôles. Les autres modes du MatrixBrute n’ont pas été repris, mais ils ne nous manquent pas vraiment. Là encore, la réponse du potentiomètre de FC est parfaitement lisse. La résonance monte jusqu’à l’auto-oscillation et on apprécie la compensation de gain pour pallier la perte de niveau des basses fréquences propre à ce type de filtre. On trouve un réglage de distorsion en sortie de VCF, une saturation asymétrique plutôt douce et agréable, qui colle bien avec ce filtre tout en rondeur.
Il est possible de modifier simultanément les fréquences de coupure des deux VCF avec un gros encodeur (décalage) et le suivi de clavier partagé (potentiomètre). Chaque filtre est doté d’un potentiomètre de modulation bipolaire par l’enveloppe VCF, un potentiomètre de niveau de sortie et un réglage de panoramique modulable accessible via le menu. Au plan audio, le VCF1 peut être modulé par le VCO2, alors que le VCF2 peut être modulé par le générateur de bruit. Cela ouvre des possibilités que n’ont pas la plupart des synthés analogiques polyphoniques. Merci !
En bout de chaine analogique, on entre dans un VCA plus élaboré qu’à l’accoutumée, dont on peut régler différents modes de dispersion stéréo : par voix (chaque voix est dispersée dans le champ stéréo), par voix + filtre (suivant le réglage de mixage série/parallèle des filtres, on passe du réglage par voix à un réglage où le VCF1 est placé à droite du champ stéréo et le VCF2 à gauche). La distribution des voix peut être centrée (alternance gauche/droite variable) ou graduelle (passage de gauche à droite). Vraiment très bien pensé pour les mouvements stéréo en temps réel, les amateurs de nappes évolutives apprécieront. Signalons la présence d’un simulateur d’instabilité amélioré depuis la V2.0, agissant plus ou moins fortement sur les VCO, VCF, enveloppes et LFO, afin d’imiter les synthés analogiques vintage.
Effets revus
En sortie de VCA, le signal attaque une section effets numériques sérieusement revue et corrigée par rapport au MatrixBrute. On trouve quatre effets cumulables. Le premier, ajouté par la V2.0, est un EQ global à présélections, permettant de polir rapidement le son suivant le contexte. Le deuxième est un effet d’ensemble placé en série, les deux autres sont un délai et une réverbération, placés en série ou en parallèle. Les effets peuvent être coupés par un simple interrupteur, pour ceux qui veulent un signal analogique pur. Il existe plusieurs types d’effets de modulation : chorus, phaser, flanger, phaser à 12 étages, modulateur en anneau, réducteur de bit, flanger doux, flanger à phase, réducteur de fréquence et tri-chorus stéréo façon string machine (ce dernier a été ajouté dans la V2.0). Comme pour les autres effets, le choix des deux premiers types se fait directement en façade, les autres étant accessibles via le menu. Pour cet effet, on ne peut régler que l’intensité.
Le troisième effet est un délai stéréo, synchronisable à l’horloge si on le souhaite. Les types disponibles sont BBD simulé, pingpong, délai stéréo, délai long, BBD en pingpong, Karplus, délai stéréo avec élargissement, délai parallèle et BBD avec élargissement. On peut en régler la régénération, la division temporelle et l’atténuation de certaines fréquences (8 types). Enfin, la réverbe vient clôturer le bal. Elle offre plusieurs algorithmes très différents : hall, plaque, plaque brillante, pièce, scintillement, ressort et plaque avec retard. On peut en régler le niveau, le temps et le filtrage de certaines fréquences. Globalement, il y a peu de paramètres dans cette section effets, mais l’essentiel est là. La qualité sonore est cette fois excellente, y compris celle des réverbes (coup de chapeau aux longs effets de scintillements !), rien à voir les effets du MatrixBrute.
Modulations numériques
Le PolyBrute possède un portamento polyphonique, à vitesse ou temps constant (avec possibilité de synchronisation à l’horloge), variant de 0 à 10 secondes, capable de fonctionner en modes lisse ou chromatique. Côté LFO, on n’en trouve pas moins de trois exemplaires, oscillant de 0,02 à 100 Hz, donc dans l’audio. Les deux premiers sont assez similaires. Ils offrent 7 formes d’ondes (classiques, S&H, aléatoire), peuvent être synchronisés à l’horloge suivant différentes divisions temporelles et fonctionnent selon plusieurs types de déclenchement (mono, polyphonique libre, polyphonique redéclenché). Le LFO1 possède un réglage de phase alors que le LFO2 a un fondu d’entrée. Le LFO3 est un peu différent : plutôt que choisir une forme d’onde, on paramètre une courbe en continu (de creusée à bombée) et une symétrie (torsion de gauche à droite). Les réglages de vitesse/synchro et redéclenchement sont semblables à ceux des autres LFO. On trouve aussi un réglage direct de modulation de l’intensité du LFO3 par le LFO1. Enfin, les 3 LFO peuvent moduler de manière unipolaire ou bipolaire. Voilà qui est complet et original.
Passons aux trois enveloppes : VCF, VCA et modulation. Elles sont de type ADSR, avec des temps variant de 2 ms à 18 s. Sur les enveloppes de VCF et VCA, la vélocité peut être assignée à la quantité de modulation, aux temps ou aux deux, via le menu. L’enveloppe de modulation possède quant à elle un délai jusqu’à 18 s. Via le menu, on accède aux réglages de bouclage des enveloppes (2 fois, 3 fois ou infini) et de vitesse des segments AD (normale, percussive). Pour compléter le tableau, on peut mémoriser une séquence d’automation simple dans chaque programme, c’est-dire le mouvement d’un réglage en façade ou contrôleur qui sera déclenché dès qu’on joue une note. L’enregistrement se fait en temps réel, de manière relative, mais il n’est pas possible d’éditer quoi que ce soit après coup. Cela se fait donc à l’inspiration. La lecture peut se faire en coup unique ou en boucle tant que la première note jouée (seule ou en accord) est maintenue, de 1/8 à 8 fois la vitesse d’enregistrement. Sympa !
Modulations matricielles
Le PolyBrute fait partie de la famille des Brutes à matrice de modulation, reprenant le concept du MatrixBrute. Ici, on totalise 12 lignes de sources x 32 colonnes de destinations. Le tout est géré par un pavé de 12 × 8 boutons rétroéclairés multicolores permettant de relier rapidement les sources et les destinations, avec contrôle visuel instantané, par paquet de 8 destinations assignables. Les 12 lignes de sources sont fixes : enveloppe VCF, enveloppe de modulation, numéro de voix, LFO1, LFO2, LFO3, numéro de note/séquenceur, vélocité, pression, molette + Morphée X, ruban + Morphée Y, pédale CV2 + Morphée Z. Il n’y a donc aucune source audio (analogique) dans la liste, tout est numérique en sub-audio. L’assignation d’une destination à l’un des 32 emplacements disponibles s’effectue en maintenant le bouton rond relatif à la colonne choisie tout en bougeant le paramètre à assigner en façade. Si le paramètre n’est accessible que par les menus, il y a une petite manipulation supplémentaire avec l’encodeur de modulation, mais ça va très vite. Parmi les destinations, citons tous les paramètres de synthèse et d’effets, mais aussi la vitesse de la séquence de mouvement ou la largeur stéréo.
Une fois la matrice prête, le routage se fait en allumant les boutons lumineux aux intersections source/modulation souhaitées, à concurrence de 64 cordons virtuels. Le gros encodeur de modulation permet de doser la quantité de modulation bipolaire. La valeur est indiquée sur l’afficheur 3 diodes/7 segments. On peut même moduler un cordon de modulation par une source (genre la molette pilote la quantité de modulation du pitch par le LFO2). L’ergonomie est vraiment intuitive et incomparable. Le seul risque identifié avec cette ergonomie est de tourner l’encodeur pour changer une quantité de modulation alors qu’on est en mode programme. Dans ce cas, on change de programme et on perd tous ses réglages. Mais là, le problème se situe en dehors du synthé…
Séquenceur et arpégiateur
Le PolyBrute est équipé d’un séquenceur et d’un arpégiateur. Ils s’utilisent avec la même zone de commandes que la matrice de modulation, ainsi qu’un pavé situé en partie droite de la façade, comprenant des paramètres spécifiques et des commandes de transport. Les réglages de séquences et d’arpèges sont sauvegardés dans chaque programme. Il y a trois modes de fonctionnement : séquenceur, arpégiateur classique et arpégiateur matriciel. Certains réglages sont communs à tous les modes : touche de maintien, métronome, division temporelle, swing, tempo (avec touche Tap) et Gate.
L’arpégiateur classique peut scanner jusqu’à 32 notes, représentées par la zone matrice (notes programmées en rouge, note en cours en pourpre). En mode Hold, les nouvelles notes jouées sont ajoutées au motif en cours tant qu’une note est maintenue. La vélocité est reproduite telle que jouée, ce qui permet une bonne expressivité. Il existe 7 types de motifs : haut, bas, pendulaire, alterné (avec répétition des notes extrêmes), ordre joué, aléatoire et motif. Les arpèges peuvent être transposés de 1 à 4 octaves. À tout instant, on peut copier un motif d’arpège vers le séquenceur.
Le séquenceur comprend 64 pas polyphoniques de 1 à 6 voix, intégrant la vélocité jouée, l’accentuation, le glissement et trois pistes de modulations. La lecture peut être déclenchée par la touche Play ou l’appui sur une note, suivant quatre directions : en avant, pendulaire, aléatoire et probabiliste (après la lecture d’un pas, il y a 50 % de chances de passer au pas suivant, 25 % de lire à nouveau le pas en cours et 25 % de revenir au pas précédent). La transposition se fait en temps réel (clavier ou note Midi). Chaque groupe de trois lignes de la matrice représente un glissement, un accent et des notes. Les LED correspondantes sont allumées en rouge. On peut facilement activer/désactiver ces trois pistes pour chaque pas. On peut tout aussi facilement lier plusieurs notes en maintenant les boutons extrêmes correspondant à la durée souhaitée pendant au moins une seconde. Cette durée est indépendante de la longueur des pas. L’enregistrement se fait en pas-à-pas (un peu comme l’édition) ou en temps réel. Les notes sont entrées avec leur vélocité, leur durée et leurs liaisons. Les trois pistes de modulation s’enregistrent un peu comme les notes, à ceci près que la séquence ne boucle pas une fois au dernier pas, ce qui évite d’écraser les modulations tout juste enregistrées. Les modulations apparaissent en bleues. L’écran est d’une aide précieuse pour visualiser et modifier les valeurs de chaque pas, notes ou modulations, avec des graphismes très parlants. Bravo !
Enfin, il existe un mode arpégiateur matriciel, sorte d’hybridation entre le séquenceur et l’arpégiateur. On dispose de 16 pas polyphoniques de 1 à 6 voix avec accent, glissement et transposition sur plus ou moins une octave. En fonction des notes jouées, les notes programmées dans chaque pas (allumées en bleu) sont reproduites et transposées en temps réel. Les quatre sens de lecture possibles sont les mêmes que ceux du séquenceur. Quel que soit le mode, les notes arpégées ou séquencées peuvent être transmises en Midi si on le souhaite, parfait !
Les fichiers sons non compressés sont disponibles ici :
Conclusion
Le PolyBrute nous a beaucoup plu, par sa grande polyvalence sonore, sa qualité audio impeccable, sa construction soignée et son ergonomie réussie. Les VCO variables sont très flexibles, les routages intelligents et les deux VCF très complémentaires. Les modulations sont généreuses et bénéficient d’une matrice facile à prendre en main. Dommage que les sources audio en soient exclues, la technologie actuelle ne permettant pas de les intégrer. On apprécie également le séquenceur et l’arpégiateur aussi visuels que complets. Quant à la section effets, elle donne entière satisfaction elle aussi.
Sur le plan des contrôleurs, le PolyBrute offre la totale : des commandes directes à foison, des molettes, un bloc tactile 3D exclusif, un long ruban soigneusement incrusté et des possibilités de morphing ouvrant le champ aux sonorités évolutives et expressives. Seule la connectique nous a un peu laissés sur notre faim, habitués à la générosité du MatrixBrute dans ce domaine. Nous aurions aussi apprécié une polyphonie un peu plus élevée, mais nous comprenons la volonté d’Arturia de garantir la stabilité et de contenir le tarif de la machine. Quant au choix de VCO linéaires, c’est parfait pour la stabilité, mais cela limite les extrêmes aigus. Pour conclure, le PolyBrute est un instrument à la fois impressionnant, original et attachant, qui occupera une place de tout premier choix dans les studios les plus exigeants. Nous lui décernons l’Award Audiofanzine Valeur Sûre 2021.