Dès 1981, Korg présente un synthé analogique polyphonique programmable presque démocratique. Très basique sur le papier, mais très facile à programmer, il séduit rapidement un très large public.
C’est vers la fin des années 70 que les premiers synthés polyphoniques programmables commencent véritablement à se développer, prenant progressivement la place des string machines. Sequential et Oberheim sont les plus gros compétiteurs côté américain, alors que Roland et Yamaha se disputent la première place côté japonais. Korg est pour sa part davantage resté sur une approche string machine, poussant au rang de synthé l’impressionnante série PS. Mais le début des années 80 va marquer un tournant rapide, les constructeurs rivalisant d’inventivité et d’innovations. Si la plupart des acteurs ciblent en priorité les gros studios, Korg va pour sa part opter pour une approche plus démocratique, présentant simultanément le Mono/Poly, un synthé paraphonique à quatre VCO orienté recherche sonore et le Polysix, un synthé véritablement polyphonique 6 voix à architecture simplifiée. C’est ce dernier que nous allons détailler dans les lignes qui suivent. Avec ses véritables VCO, ses VCF très musicaux et son effet d’ensemble analogique au grain généreux, le Polysix a plus d’un tour dans ses circuits.
Pull marine
Comme la plupart des synthés de l’époque, le Polysix est carrossé dans une solide coque métallique bleue et noire, avec un fond de caisse en bois épais et des flancs mélaminés de piètre qualité. La machine mesure 98 × 37 × 13 cm pour 11,5 kg, ce qui en fait un synthé facile à transporter pour l’époque. Si les flancs ne nous ont pas convaincus (la plupart du temps explosés ou remplacés sur les modèles que l’on croise aujourd’hui), les potentiomètres sont en revanche bien ancrés. Les boutons-poussoirs sont quant à eux un peu plus discutables, pas toujours très francs et un peu trop mobiles après toutes ces années. On compte 18 potentiomètres, 4 sélecteurs rotatifs, 9 sélecteurs rectilignes simples et 19 poussoirs. Ces commandes occupent toute la place disponible sur le panneau, placées sur deux rangées par module : réglages globaux, VCO, VCF, VCA, arpégiateur, MG (LFO), enveloppe, effets, assignation des voix et mémoires. De quoi utiliser ses deux mains confortablement sans se perdre. Les capuchons des commandes mémorisées portent un code couleur spécifique, sympa.
À gauche du clavier statique 5 octaves de qualité vraiment passable (un Panasonic qui équipe aussi Mono/Poly, Memorymoog et OB-8), on trouve les deux molettes de pitchbend (intensité dosable) et de vibrato. Là encore, c’est très basique. La connectique est placée sur le panneau arrière. Au menu, une sortie audio monophonique, une sortie casque (double mono), une entrée –5/+5V pour modulation du filtre, une entrée synchro pour l’arpégiateur, une entrée Chord permettant de mémoriser un accord à la volée, une interface cassette (entrée / sortie avec sélecteurs de niveaux) pour transférer les programmes mémorisés. Toute la connectique est au format jack 6,35. Il n’y a pas de prises CV/Gate (hormis l’entrée VCF) ni d’entrée audio, encore moins d’interface Midi. L’alimentation est interne, avec un cordon secteur captif, comme chez Roland. On sent dans cette description d’où vient l’inspiration des concepteurs du Juno-60 sorti un peu plus tard. Par contre, lorsqu’on compare les entrailles, le Juno-60 est d’une qualité bien supérieure au Polysix, avec ces magnifiques faisceaux de câbles ligaturés à la main. Profitons-en pour avertir de la principale plaie des Polysix, pour ceux qui en recherchent un : la batterie. Elle coule et bousille littéralement la carte numérique KLM-367 sur laquelle elle est posée. Heureusement, une solution radicale existe, nous en parlerons au chapitre des extensions Midi…
Place aux nappes
Le Polysix est un synthé analogique monotimbral polyphonique 6 voix. Il fait appel à de véritables VCO discrets, avec une particularité technique très originale : l’exponentiateur est global pour les 6 voix, si bien que les VCO sont ensuite linéarisés sur une base commune. Cela signifie que leur dérive respective est très faible. Du coup, le Polysix s’accorde une fois l’exponentiateur chargé à l’allumage (donc en deux secondes, on l’entend d’ailleurs « glisser » si on joue tout de suite) et ne nécessite aucun Autotune. Si les conditions de température changent, les 6 voix seront affectées en même temps, donc il suffira d’utiliser le potentiomètre d’accordage global pour les remettre au diapason. La mémoire comprend 4 banques de 8 programmes réinscriptibles et directement éditables en façade (en mode saut). On peut les archiver et recharger avec l’interface cassette.
Le Polysix produit beaucoup de bruit de fond, le plan de masse n’a pas vraiment été soigné. On peut y remédier partiellement en soudant des câbles entre les masses des différentes cartes et en enrobant certains torons de câbles (décodage des LED et clavier) d’un barreau de ferrite, mais on n’arrivera jamais au silence absolu. Le synthé excelle dans les ensembles polyphoniques classiques : strings émouvants, cuivres brillants, nappes sombres, chœurs massifs, mouvements de filtre généreux. En mode unisson, il peut se montrer ravageur, surtout avec le suboscillateur. L’équilibre sonore est très homogène sur toute la tessiture, aucune fréquence n’est exagérée. Le Polysix est moins à l’aise dans les basses ou les leads claquants, tout comme dans les effets spéciaux ou les percussions. C’est pour cela que le Mono/Poly a été pensé comme son alter ego, partageant un look similaire, mais un territoire sonore complètement différent et parfaitement complémentaire.
Véritables VCO
Une voix de Polysix est constituée d’un VCO discret, d’un Sub-VCO, d’un VCF, d’un VCA et d’une enveloppe analogique. C’est donc un synthé minimaliste, comme le Juno-60. On trouve différents modes de voix : polyphonique (cyclique), unisson (avec un léger désaccordage prédéfini d’usine et non éditable), maintien (suivant le niveau de Sustain) et accord (jusqu’à 6 notes). Par contre, il n’y a pas de portamento, cela aurait considérablement compliqué les circuits, les générateurs de portamento étant encore bien souvent analogiques à l’époque. Le VCO est capable de produire une onde en dent de scie ou une impulsion à largeur variable, réglée à la main ou modulée par un LFO dédié (onde sinus ou triangle, non précisé), avec ses propres réglages d’intensité et de vitesse, chouette.
L’impulsion se règle de 50% (onde carrée) à 100% (silence total). Il existe une modification des circuits assez simple (à répéter 6 fois) permettant d’avoir les deux formes d’ondes en même temps, l’impulsion pouvant être annulée en réglant sa largeur à 100%. La hauteur de référence des VCO n’a que trois positions d’octave : 16, 8 ou 4 pieds, ce qui limite la tessiture globale à 7 octaves. Serait-ce le prix à payer pour la gestion particulière du pitch des VCO évoquée précédemment ? Ceci ne pose en pratique pas trop de problèmes, vu qu’il n’existe pas d’intermodulation de VCO type synchro, FM ou AM (vu qu’il n’y en a qu’un VCO par voix). On trouve ensuite un Sub-VCO, sous forme d’une onde carrée calée à –1 ou –2 octaves. On ne peut hélas pas en régler le volume. Il n’y a pas non plus de générateur de bruit !
Filtre coloré
Passons au VCF. Il s’agit d’un filtre passe-bas 4 pôles résonant produit par le circuit intégré SSM2044 (celui qui équipe le Trident, les PPG Wave 2.2/2.3, le PolyKobol II, le Voyetra-8, le K3M…). On peut en régler la fréquence de coupure (0 à plus de 20 kHz), la résonance, la modulation par l’enveloppe (bipolaire) et le suivi de clavier (0 à 150%). Elle peut aussi être modulée par le LFO. Impossible de nous prononcer objectivement sur la réponse du potentiomètre de fréquence de coupure, notre Polysix étant équipé du kit Kiwisix qui la rend parfaitement lisse. Si ce n’était pas le cas sur le Polysix de base, on peut toujours utiliser une pédale sur l’entrée VCF pour obtenir une réponse temps réel continue. La résonance est colorante, mais peut aussi pousser le filtre en auto-oscillation, dès que le potentiomètre dépasse 7. L’onde est d’abord très pure, puis sature un peu quand on se rapproche de 10. En réglant la forme d’onde du VCO sur une PW à 100% et en mettant le suivi de clavier sur 7, on peut jouer du filtre en accord parfait (si les VCF sont parfaitement calibrés).
En sortie de filtre, on trouve un VCA par voix, ainsi qu’un VCA global (atténuation / amplification, permettant d’homogénéiser les niveaux entre les programmes). Le VCA peut fonctionner en mode Gate ou être modulé par l’enveloppe. Enfin, le son peut passer par un effet analogique final basé sur des BBD, offrant trois positions : chorus, phaser ou ensemble. Un réglage d’intensité permet de moduler à la fois la vitesse et la quantité des deux premiers types, alors qu’il n’agit que sur la quantité de modulation du troisième type, mais sa rencontre vaut vraiment le coup. Celui-ci produit en effet des sons d’ensemble magnifiques, notamment sur les cordes, les nappes sombres et les chœurs. Mais quel dommage que cet effet ne soit pas stéréo, laissant ainsi l’avantage au Juno-60 !
Modulations simplistes
Certains synthés sont basiques sur le plan des modulations. Le Polysix est certainement le plus basique d’entre eux. Hormis le LFO dédié à la PWM, il n’y a qu’un LFO assignable et une enveloppe (par voix). Le LFO n’a qu’une onde (type sinus ou triangle, là encore non précisé). Son oscillation est libre. Sa fréquence varie de 0,03 à 50 Hz. On trouve un paramètre de délai, un réglage d’intensité (indépendant de la molette de vibrato) et un routage de destination unique : VCO, VCF ou VCA. L’enveloppe est confiée à un circuit intégré SSM2056, présent dans chaque voix. Elle est de type ADSR, avec des temps variant de 1 ms à 15 s. Certains trouvent le Polysix un peu mou, nous pas vraiment, il est dans la bonne moyenne. En mode unisson, certains sons peuvent bien claquer, comme quoi. L’enveloppe ne peut agir que sur le VCF (modulation bipolaire) ou le VCA (modulation positive ou simple Gate). Rien sur le pitch ou la PWM, c’est bien dommage !
Enfin l’arpégiateur est doté des motifs haut / bas / alterné. Il peut fonctionner sur 1 octave, 2 octaves ou toute la tessiture du clavier. Il dispose d’un mode Latch permettant de mémoriser / ajouter des notes au motif arpégé en cours de jeu. L’arpégiateur fonctionne en parallèle du mode d’assignation des voix décrit précédemment. En mode Unisson, les 6 VCO sont joués à chaque note. En mode Chord, on obtient des motifs d’accords transposés. Le tempo interne varie de 0,2 à 20 Hz. Il peut aussi être piloté par un déclencheur externe via la prise prévue à cet effet.
Extensions Midi
Sorti bien avant la norme Midi, le Polysix peut aujourd’hui être équipé de kits Midi. Nous en avons retenu deux, dont le choix sera fonction de la destination souhaitée. Pour ceux qui privilégient le jeu, le kit Modypoly de Tubbutec est tout indiqué. Doté du Midi In/Out, il apporte un portamento polyphonique programmable, des tables microtonales utilisateur, de nouveaux modes de voix, de nouvelles formes d’onde pour le LFO et un arpégiateur/séquenceur de 128 pas. Ce kit est assez simple d’installation, puisqu’il prend la place du processeur. Il nécessite cependant de percer le Polysix pour installer l’interface Midi et quelques soudures pour ceux qui veulent contrôler le filtre et le pitchbend via Midi. Ce kit n’est pas vraiment donné pour ce qu’il fait. Un Polysix ainsi équipé peut valoir au moins 300–400 € de plus qu’un Polysix de base.
Ceux qui préfèrent au contraire transformer leur Polysix en synthé dernier cri (ou presque), avec de nombreuses mémoires et des possibilités d’automation, opteront plutôt pour le kit Kiwisix, beaucoup plus élaboré. Il remplace la carte numérique KLM-367 (et son affreuse batterie) et la plaque d’alimentation arrière (les prises Midi In/Out y sont préinstallées, ainsi qu’une borne IEC 3 broches pour connecter le cordon secteur). Il apporte 512 mémoires en Flash Ram, de nouvelles formes d’ondes pour les LFO, la transposition de –12 à +24 demi-tons, l’horloge Midi, un motif d’arpèges aléatoire, 8 séquences de 124 pas polyphoniques 6 voix, une résolution 12 bits sur les paramètres continus, la transmission de CC Midi pour toutes les commandes et la transmission des mémoires par Sysex. Il est vraiment très complet, logiquement plus cher et aussi plus complexe à installer. Comme les Polysix équipés de ce kit n’ont plus besoin d’interface cassette, il arrive que les prises soient dévoyées pour injecter des sons externes dans l’effet d’ensemble. Un Polysix équipé de ce kit pourra valoir facilement 600–800 € de plus qu’un Polysix de base.
- 01 Chord Mem01:13
- 02 Flanged Strings00:26
- 03 Ensemble Strings00:29
- 04 Funk SSM00:28
- 05 Stellar SSM00:22
- 06 Pick Pick00:23
- 07 Infra Bass00:32
- 08 Res Bass00:42
- 09 Good Vibes00:38
- 10 Simul Organ00:39
- 11 Res Pad00:56
- 12 Filter Sweep00:19
- 13 Echo Res00:41
- 14 Every Body00:37
- 15 Unisson End00:16
Conclusion
Le Polysix est le premier synthé polyphonique analogique abordable. Sorti en même temps que le Mono/Poly, il propose une approche très simpliste de la synthèse, la concurrence étant à cette époque positionnée sur des machines plus onéreuses. Le Polysix ne manque pourtant pas de qualités. Tout d’abord ses magnifiques VCO discrets qui font merveille une fois cuisinés dans les VCF SSM2044. Ensuite, son effet analogique à base de BBD qui apporte un grain particulier dans chacun de ses trois modes. Tout cela le prédestine pour les nappes sombres, les cordes généreuses et les cuivres punchy. Sans oublier le petit arpégiateur et bien évidemment, les 32 mémoires éditables. Les possibilités de synthèse ne sont pourtant pas folichonnes : un seul VCO par voix, pas de générateur de bruit, une seule enveloppe par voix, un LFO global… pas de quoi se perdre dans les réglages. De même, quel dommage que la sortie soit mono, surtout avec ce magnifique effet d’ensemble, d’autant qu’elle n’est pas des plus silencieuses ! Sorti avant la norme Midi, le Polysix peut toutefois accueillir un kit d’extension. Un synthé vintage facile, digne d’intérêt et encore à peu près abordable, en cherchant bien.