Vers la fin des années 70, RSF présente le Kobol, un synthé analogique monodique à mémoires. Considéré comme le Minimoog à la française, il continue à faire le bonheur de quelques privilégiés…
Ruben et Serge Fernandez s’installent à Toulouse en 1975 pour terminer leurs études (licence en informatique et IUT en génie électrique) et fonder RSF. La société commence par proposer des synthés modulaires à partir de 1976 (série 11). Lancé en 1978, le Kobol concentre le savoir-faire de la maison dans un synthé analogique monodique doté d’un clavier de 44 touches ; fait rarissime à l’époque, il intègre des mémoires et un petit séquenceur très original. Il sera ensuite décliné en version rack (Expander Kobol), accompagné d’un programmeur à mémoires / 16 CV / 2 Gate en rack également (plus d’info sur la marque RSF). Fabriqué à moins de 200 exemplaires, le Kobol est considéré comme le Minimoog à la française, du moins dit-on qu’il s’en inspire fortement. Quand on y regarde de plus près, il y a plus de différences techniques que de points communs entre ces deux merveilles de la lutherie électronique. Tous les deux ont toutefois un son exceptionnel, capable à la fois d’épaisseur et de subtilité, coupant net dans le mix. Le Kobol est aujourd’hui très rare et très recherché. Voyons pourquoi…
Œuvre de luthier
Le Kobol fait partie de ces instruments qui ont donné ses lettres de noblesse à la lutherie électronique. L’ébénisterie des tout premiers modèles (une dizaine, avec des boutons gris) est d’ailleurs l’œuvre du luthier LAG. À part la façade métallique sérigraphiée, le Kobol est entièrement construit en bois verni. Le profil ressemble à une enveloppe à double courbure.
Le panneau arrière est cintré sur toute la longueur, la grande classe ! Les 23 potentiomètres, vissés sur la façade, sont énormes. Les plus balaises d’entre eux – les plus gros boutons de potentiomètres que nous ayons vus sur un synthé – ont un design assez particulier, un peu comme si on avait planté un compas dans un cylindre… En tout cas, ils sont tous très agréables à manipuler, toujours doux et précis, même après toutes ces années ! Ils sont complétés par 14 boutons poussoirs (la plupart à diodes) et 3 interrupteurs (choix de l’onde du LFO, maintien du son « Bypass » et marche/arrêt).
La partie gauche du panneau est réservée aux mémoires et au séquenceur de programmes (nous y reviendrons). La partie droite fait apparaitre l’ensemble de la connectique, soit 9 jacks 6,35 mm : sortie ampli, sortie ligne, entrée CV VCO (1V/Octave), entrée CV VCF, sortie CV clavier, entrée Gate, sortie Gate, entrée audio vers le VCF et entrée pour le déclenchement du séquenceur. Impossible d’oublier la borne 3 broches, qui permet de raccorder un cordon secteur disgracieux, seule faute de goût à notre sens.
Le restant de la façade (80 % de la surface) est réservé aux commandes de synthèse, fort logiquement disposées ; de gauche à droite, on trouve le LFO, les 2 VCO (fréquences en haut, formes d’onde au milieu, volumes en bas), le VCF, les 2 enveloppes et le volume global. Un petit tour sur la partie gauche du clavier, qui comprend les 2 molettes (pitchbend et modulation tous deux sans ressort de rappel), un sélecteur d’octave (-1/0/+1), un interrupteur de Glide, un interrupteur de Release pour les enveloppes (baptisé Decay) et un potentiomètre agissant sur la coupure du filtre (en doublon). Le clavier de 44 touches longues est assez agréable au jeu ; il est toutefois statique.
Deep Impact
Dès les premiers tests sonores, le Kobol ne laisse pas indifférent. Même s’il est monodique, nous sommes rapidement surpris par sa polyvalence : du gras, du gros, du lourd, du fin, du subtil, il semble à l’aise dans un certain nombre de registres. C’est d’abord grâce aux VCO, qui permettent une large plage de travail, avec une tessiture généreuse et de nombreuses ondes progressives pour partir à la recherche du son. Le fait de pouvoir les doser subtilement ou les synchroniser apporte un intérêt sonore supplémentaire. Ensuite, le filtre joue un rôle prépondérant : il apporte un gras étonnant à basse fréquence et se montre très subtil dans les hautes fréquences.
La rapidité des enveloppes permet un claquant et un tranchant que l’on aime tant, que ce soit avec filtre complètement ouvert ou sur des attaques/déclins. À nous l’impact sonore sans concession. Le fait de pouvoir moduler la largeur d’impulsion des VCO par une enveloppe amène des évolutions spectrales très intéressantes, que ce soit sur des transitoires rapides ou de lents balayages. Du coup, on retrouve notre Kobol à l’aise sur tous types de basses (grasses, arrondies, filtrées), sur des leads variés (acidulés façon SEM ou flutés à la Moog) et sur des effets de modulation (notamment grâce au LFO capable d’osciller dans les niveaux audio ou encore la résonance de filtre auto-oscillante). Il n’y a guère que les bruits et les sons métalliques qui soient aux abonnés absents avec le Kobol, nous verrons plus tard pourquoi…
- 01 Deep bass1 00:26
- 02 Deep bass2 00:24
- 03 Gated bass 00:42
- 04 Octa bass 00:35
- 05 Square bass 00:20
- 06 Phatt bass 00:17
- 07 Rez bass 00:22
- 08 Soft bass 00:32
- 09 Voice 00:38
- 10 PWM env 00:21
- 11 Square lead 00:32
- 12 Square quinoxe 00:40
- 13 Quinte 00:18
- 14 Perc lead 00:25
- 15 Gated lead 00:32
- 16 Soft pad 00:35
- 17 Pick 00:33
- 18 Sync 00:42
- 19 Nivapa PWM reverb 00:14
- 20 Flic PWM reverb 00:18
Oscillateurs variables
Le Kobol est un synthé analogique monodique avec 16 mémoires de programmes. La production du signal commence dans 2 VCO, qui une fois mélangés passent dans un VCF puis un VCA, le tout modulé par un LFO et 2 enveloppes. Les VCO sont générés par des circuits discrets (ensembles de transistors CA3086), le VCF est assuré par un circuit intégré SSM2040 et les enveloppes par des circuits intégrés SSM2050. On retrouve ces circuits SSM aux mêmes fonctions dans les premiers Prophet-5 (révisions 1 et 2).
Mais revenons à nos VCO. On peut les accorder sur 5 octaves (-2 à +2) par demi-ton avec les potentiomètres dédiés, puis jouer ensuite avec le sélecteur de transposition sur –1/0/+1 octave. Leur originalité tient au fait qu’ils produisent des formes d’onde continues : les potentiomètres associés permettent de se balader entre différentes ondes, en passant par le triangle, la dent-de-scie, le trapèze, le carré et l’impulsion. La position tout à droite permet de moduler la largeur d’impulsion par l’enveloppe de filtre, très intéressant !
D’autres potentiomètres permettent de régler précisément le volume d’entrée dans le filtre pour chaque VCO. Leur comportement est d’ailleurs assez bizarre, puisqu’à partir de certains niveaux audio, il se produit une sorte d’annulation de phase (affaiblissement du volume) lorsque les VCO sont réglés sur des ondes identiques ; c’est particulièrement vrai pour les ondes en dents de scie. Pas de crainte cependant, car les niveaux audio sont tellement élevés qu’il n’est pas nécessaire de pousser au-delà de midi pour commencer à saturer agréablement et naturellement le filtre. On peut synchroniser les VCO pour obtenir des sons acidulés ou générer des balayages spectraux avec le LFO (en déconnectant la modulation sur le VCO1). Tiens, au fait, on dirait qu’il manque un générateur de bruit et il n’y a pas non plus de modulation en anneau…
Joliment filtré
Le signal issu du mixage des deux VCO attaque un filtre passe-bas 4 pôles résonant. Sa couleur sonore est l’un des points forts du Kobol, apportant un grain bien particulier. On ne peut pas dire que le filtre du Kobol sonne plus Moog qu’ARP, que Sequential ou qu’Oberheim… il sonne Kobol ! Il y a un effet d’escalier très audible quand on manipule le potentiomètre programmable de fréquence de coupure, surtout lorsque la résonance est élevée, car la résolution numérique est faible (c’était en 1978 !). Ce n’est pas trop grave, car on peut utiliser, pour ce genre de modulation manuelle, le potentiomètre analogique situé à gauche du clavier, ou l’entrée CV VCF prévue à cet effet ; là, c’est parfaitement lisse. Idem quand la coupure est modulée par le LFO ou l’enveloppe.
La fréquence de coupure peut être contrôlée par le suivi de clavier (réglable de 0 à 200 %) et une enveloppe (modulation unipolaire hélas). Pousser la résonance a tendance à écraser le niveau audio, la perte de volume n’étant pas compensée. Lorsque le potentiomètre est en position 10, on obtient une magnifique auto-oscillation : le filtre produit une onde sinusoïdale, même quand le niveau des VCO est à zéro, qui suit le clavier suivant le réglage de suivi, à la fréquence définie par la valeur de FC. En sortie de filtre, on trouve un VCA piloté par sa propre enveloppe. La position Bypass contourne cette dernière et fonctionne comme une porte toujours ouverte (Hold). Les niveaux de sortie sont très élevés, il est fréquent de laisser le potentiomètre de volume à midi, tout comme les potentiomètres de mixage des VCO. Chaud le Kobol !
Modulations simplistes
Le Kobol propose quelques modulations très simples mais efficaces. À commencer par un LFO dont on peut régler la vitesse (jusqu’à des niveaux audio), la forme d’onde (triangle ou carrée), l’action sur la fréquence des VCO (débrayable sur le VCO1 comme nous l’avons dit) et l’action sur la fréquence du VCF. Il manque à notre sens la possibilité de balayer les formes d’onde des VCO avec le LFO (ou avec un signal externe en CV), un oubli assez difficile à excuser tant le reste de la machine est bien pensé ! D’ailleurs plus tard, le Kobol Expander aura cette faculté, grâce à des entrées CV sur les formes d’onde.
On passe aux enveloppes, à savoir 2 ADS avec Release commutable (réglage identique au Decay). La première enveloppe est assignée au filtre (action programmable hélas unipolaire) et à la modulation des ondes PWM des VCO (comme nous l’avons déjà signalé) et la seconde au VCA (sans réglage d’action). Ces enveloppes se montrent très rapides et procurent au Kobol une sacrée patate. Enfin, il existe un Glide à action commutable et à vitesse réglable, agissant comme un portamento (glissement de note continu). Ces derniers paramètres ne sont pas mémorisés dans les programmes.
Séquenceur rigolo
Le Kobol est équipé d’un drôle de petit séquenceur à pas. Chaque pas correspond à un programme avec tous ses réglages programmés. Il y a 2 séquences de 1 à 8 pas, lues en boucle au pas que l’on souhaite. Les programmes sont ainsi joués à la chaîne à une vitesse définie par le potentiomètre de fréquence du LFO. Chaque pas est lu à une hauteur définie par les potentiomètres de fréquence des VCO et pendant une durée déterminée par le potentiomètre LFO Control (le même que celui de suivi de clavier). On peut transposer les séquences au clavier en temps réel et déclencher les pas via un Trigger externe (+10V). Rigolo !
Conclusion
Sans chauvinisme exagéré, le Kobol est l’un des synthés les plus attachants jamais construits. Il est magnifique, plutôt original, agréable à écouter et plaisant à programmer… il n’en présente pas moins quelques péchés de jeunesse, tels que les mémoires non éditables, la modulation des formes d’onde des VCO insuffisamment poussée et l’absence de générateur de bruit et le manque de modulation en anneau. Toutefois, puisqu’on choisit un synthé pour ce qu’il fait, les qualités intrinsèques du Kobol, tout comme sa rareté, en font aujourd’hui un instrument extrêmement désirable…
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