Après l’EssenceFM, la société occitane Kodamo présente le Mask1, un synthé numérique doté d’un clavier de cinq octaves embarquant une nouvelle synthèse maison Bitmask…
Dévoilé en 2019, l’EssenceFM a été le premier synthé signé Kodamo. Son interface très bien pensée et son puissant moteur multitimbral nous avaient montré la synthèse FM sous un angle bien plus agréable que tous les synthés FM sortis jusqu’à présent. Au SynthFest 2022, ses brillants et sympathiques géniteurs étaient venus nous présenter un nouveau synthé baptisé Infini. Doté d’un clavier et d’un grand écran tactile, il associait différentes synthèses, dont certaines prometteuses : VA, FM, formants, Bitmask… Associait, car la pénurie de composants a eu raison du projet – souhaitons d’ailleurs que ce ne soit qu’une interruption. Du coup, Kodamo a réorienté son programme de développement, tout en conservant une partie des briques technologiques acquises, telles que la synthèse Bitmask. Le rapport à la synthèse a aussi été redéfini, passant d’une vision complexe à la recherche de l’essentiel. Le Mask1 incarne cette nouvelle philosophie. Levons le voile…
Interface minimaliste
Le Mask1 est un synthé compact et léger (89×26×8 cm pour 7,5 kg), soigneusement intégré dans un châssis métal fabriqué en France. Il est doté d’un clavier de 5 octaves Fatar TP/9S semi-lesté d’excellente qualité, dont la relative dureté s’assouplit rapidement, sensible à la vélocité initiale et à la pression mono. Le panneau avant est des plus spartiates, puisqu’il ne comprend que 23 boutons-poussoirs carrés rétroéclairés de haute qualité, 2 encodeurs à détente souple pour le volume et les données, sensibles à l’accélération et un afficheur à 4 diodes 7 segments. Ce dernier indique le nom des programmes ou paramètres et leur numéro ou valeur, avec défilement si besoin. La première rangée de touches permet de transposer l’octave (+/-2), choisir le mode de jeu (sons simples, séparés, empilés), initialiser/sauvegarder le programme, régler les paramètres globaux (tempérament, transposition, accordage, Midi, courbes de réponse…), séquencer ou faire défiler les paramètres. La rangée inférieure sert à sélectionner les modules de synthèse, les modulations, les effets et l’arpégiateur. Elle offre aussi une touche Compare isolée à droite.
L’édition se fait en choisissant un module, puis en faisant défiler les paramètres avec deux touches (ou des pressions successives sur un module), avant de modifier la valeur avec un encodeur, tout ça d’une même main. On est aux antipodes de l’écran tactile couleur de l’EssenceFM et son édition avant-gardiste. Là, c’est retour direct aux années 80. Cela peut paraitre peu léger au regard du tarif annoncé ; c’est toutefois en lien avec la philosophie annoncée et la zénitude proposée : se focaliser sur des paramètres essentiels avec les réglages pertinents. À notre sens, cela aurait quand même mérité un écran plus large, par exemple 2×16 caractères et 4 encodeurs contextuels. Les deux molettes de pitch et modulation classiques sont placées au-dessus du clavier, ce qui assure une bonne compacité. La connectique, plutôt réduite, est quant à elle placée à l’arrière. On trouve des sorties gauche/droite stéréo symétriques (bien !), une sortie casque, une entrée pour pédale de maintien (tout ça en jack 6,35), un duo Midi DIN, une prise USB B et une borne pour alimentation externe 12V. Il n’y a donc pas d’entrée pour pédale de modulation, ni de Midi Thru DIN, ni d’audio via USB. L’alimentation externe est de type bloc central, de bonne qualité, et elle tient bien dans son embase, c’est un moindre mal.
Sonorités originales
La mémoire interne du Mask1 renferme 120 programmes d’usine et 400 emplacements pour l’utilisateur (programmes simples, séparés ou empilés). Les niveaux de sortie sont élevés, la qualité audio est irréprochable, il n’y a aucun bruit de fond, très peu d’aliasing dans les extrêmes aigus, merci au moteur sonore bien maîtrisé et aux sorties symétriques. Les graves sont parfois accompagnés de buzz métallique inhérent à la forme de synthèse choisie, qui n’est pas sans rappeler de célèbres synthés hybrides des 80’s, tels que PPG Wave 2 ou Prophet-VS. Le grain sonore s’y apparente d’ailleurs quand on utilise certains Masks modulés par une enveloppe. On note un très bel équilibre sur tout le spectre sonore, des infragraves aux extrêmes aigus, sans prédominance marquée, ainsi qu’une largeur stéréo remarquable. L’allocation des voix est bien programmée, le vol est discret.
On félicite au passage les designers sonores qui ont contribué aux présélections, soignées, variées et utiles ; il n’y a pas de remplissages inopportuns ou de démonstrations de puissance intempestives. Ainsi on découvre avec plaisir une vaste panoplie sonore, allant d’émulations analogiques (merci à l’excellent filtre) à des textures numériques complexes, en passant par des basses FM frappées, des tables d’ondes en mouvement ou des nappes planantes. Le Mask1 est à la fois capable de produire des sons claquants et agressifs, ainsi que des timbres plus doux, voire relaxants, c’est très surprenant. Les réglages sont pertinents, on sent qu’un soin particulier a été apporté dans ce domaine, on trouve assez vite le bon ajustement. La faculté de mélanger deux couches sonores permet d’associer des couleurs distinctes, l’une pour l’attaque, l’autre pour le maintien. Les effets, très qualitatifs, apportent une touche de finition parfaite. En résumé, on a le sentiment d’être en présence d’un synthé racé, d’une certaine classe.
- Mask1_1audio 01 Deep Layer00:38
- Mask1_1audio 02 Palm Prod02:03
- Mask1_1audio 03 Slur Layer00:59
- Mask1_1audio 04 Poly Synth01:58
- Mask1_1audio 05 Classic Split01:01
- Mask1_1audio 06 Poly Low00:52
- Mask1_1audio 07 Meta Morph01:14
- Mask1_1audio 08 Masked Layer00:40
- Mask1_1audio 09 Arco Strings00:52
- Mask1_1audio 10 Demasked !01:02
Génération du signal
Le Mask1 est un synthé numérique polyphonique 10 voix et multitimbral 4 ou 5 parties. Une ou deux parties sont accessibles via le clavier ou le Midi, les trois autres uniquement via Midi (choix du programme + pilotage des notes/CC). Avec le clavier, on peut ainsi jouer en mode simple, séparé ou empilé. En mode séparé ou empilé, deux programmes sont disponibles, le principal et le secondaire (par pointage vers un autre programme en mémoire). On aurait préféré que tous les paramètres du second programme soient sauvegardés avec le programme principal, dommage. On peut transposer le programme secondaire par demi-ton, régler la balance entre les deux programmes, les espacer dans le champ stéréo et les désaccorder.
Une voix est constituée de 2 oscillateurs Bitmask, un générateur de bruit accordable, un filtre multimode résonant, 3 enveloppes delta et 4 enveloppes ADSR ; 2 LFO communs à toutes les voix viennent compléter le tableau. Les oscillateurs sont générés par Bitmasking, un type de traitement utilisé en informatique : il s’agit de modifier des tranches multiples d’ondes sinus (par inversion, répétition, déformation, repliement, silence…), pour produire des ondes plus complexes. Dans le Mask1, ça revient pour l’utilisateur à choisir l’une des 256 ondes proposées (paramètre Mask) et moduler ce paramètre. Cela produit des ondes évolutives, avec des enchaînements plus ou moins abrupts suivant la position où on se trouve et la vitesse de modulation. Dommage qu’on ne puisse régler précisément la transition entre deux Masks (= accéder aux sous-Masks) ou librement séquencer l’ordre des Masks dans des tables utilisateur, une idée à creuser…
Parmi les ondes proposées, certaines produisent des choses surprenantes quand elles sont transposées (motifs rythmiques, bruits numériques type PPG), d’autres sont des fractales, d’autres encore des impulsions, d’autres enfin des classiques (dent de scie, carré, sinus…). Chaque oscillateur peut être accordé par demi-ton (sur 10 octaves) et plus finement. Le numéro de Mask peut être modulé directement par une enveloppe delta dédiée, tout comme le volume de l’oscillateur, qui possède sa propre enveloppe ADSR. Les deux oscillateurs ne peuvent interagir, c’est bien dommage. Un générateur de bruit à fréquence variable complète le tableau des sources sonores, avec sa propre enveloppe ADSR de volume. Il n’y a pas d’enveloppe sur le volume global, mais on peut éditer toutes les enveloppes ADSR en même temps.
Traitement du signal
Les deux oscillateurs et le bruit passent ensemble dans un filtre multimode résonant à 2 pôles. Il est capable de fonctionner en modes passe-bas, passe-bande, passe-haut et réjection. Cela permet de retailler des ondes numériques parfois agressives et métalliques, ou encore d’accentuer certaines parties du spectre. La fréquence de coupure est directement modulable par une enveloppe ADSR dédiée (bipolaire), le suivi de clavier du premier oscillateur et la molette de modulation. La vélocité peut aussi piloter l’enveloppe. La résonance s’arrête tout juste avant l’auto-oscillation, mais elle se maintient pendant un moment après relâchement quand on la pousse à fond, c’est dû à l’absence de VCA après le filtre. Ce filtre est une belle réussite, il n’a rien à envier à certains VCF, il colore le son merveilleusement bien, sait résonner à basse fréquence, à des années-lumière du filtre de l’EssenceFM qui parait bien fade à côté.
Nous avons vu qu’il n’y avait pas de VCA final modulable une enveloppe (cela se passe au sein des sources), la sortie du filtre est directement injectée dans les effets. On peut toutefois régler le volume final après effets puis alterner les voix en stéréo (largeur programmable). Les voix peuvent être jouées suivant différents modes originaux, certains combinables : poly, mono, Slur (les enveloppes des notes liées jouées à moins de 3 demi-tons d’intervalle ne sont pas redéclenchées) et paraphonique (les enveloppes de la première note jouée sont appliquées à toutes les notes ajoutées). Sympa !
En bout de chaine, on trouve deux multieffets stéréo (FX1 et FX2) placés en série (fixe), avec réglage de balance pour chacun. Là encore, la simplicité est de mise, puisque le choix se limite à des présélections d’algorithmes non éditables, ce qui est frustrant. L’FX1 offre 16 chorus, 16 distorsions, 16 réducteurs de bits et 16 modulations en anneau (dont certaines oscillant dans l’audio, produisant des formants de voix humaines quand on joue sur la résonance du filtre). L’FX2 produit 16 types de délai (du très long au filtre en peigne), 16 distorsions (identiques à l’FX1) et 16 types de réverbe (de petites pièces à de grandes cathédrales). Lorsqu’on utilise deux programmes (séparés, empilés), les effets sont communs, le second programme ayant sa propre balance vers l’FX1. Idem pour les canaux pilotés en Midi. On ne peut pas dire que cette section soit renversante de complexité, mais la qualité sonore est bien au rendez-vous à tous les étages, avec notamment de très belles réverbes, du niveau d’un Summit ou d’un Analog Rytm.
Modulations sélectives
La modulation, c’est la vie. Le Mask1 permet de faire bouger le son de différentes manières. On commence par un portamento mono ou polyphonique, avec réglage de temps. Viennent ensuite 2 LFO, identiques, qui rappelons-le s’appliquent à toutes les voix d’un programme. Leur cycle est libre et leur modulation bipolaire (onde symétrique). On peut régler la forme d’onde (8 types dont un bruit aléatoire), la vitesse (qui peut atteindre l’audio si on la module par une source comme la molette, mais qui n’offre pas de synchro Midi), la quantité d’action, le délai d’apparition, le déclin de modulation (bien vu !) et la destination : fréquence/Mask des deux oscillateurs, coupure du filtre, volume global, panoramique, fréquence/Mask/volume de chaque oscillateur, fréquence/volume du bruit, type d’FX1, type d’FX2, balance de l’FX2. Hélas, ce choix de destination est unique, ce qui limite pas mal les possibilités, même s’il y a deux LFO. On aurait aimé, en plus, des assignations prédéfinies dans les paramètres les plus courants.
Passons aux enveloppes, hélas toutes assignées dans le dur. On trouve d’abord trois enveloppes delta sur la fréquence des oscillateurs et sur le Mask de chaque oscillateur. Sur ce type d’enveloppe à trois segments, on règle un décalage d’attaque par rapport au niveau cible (niveau initial bipolaire + temps initial), un niveau cible et un décalage de relâchement (niveau final bipolaire + temps initial). On trouve également 4 enveloppes ADSR avec bouclage possible sur les segments AD, 3 assignées au volume des sources (oscillateurs et bruit) et la 4e à la coupure du filtre. Les attaques sont linéaires et les segments DR exponentiels (adoucissement progressif). Les temps sont globalement modulables par le suivi de clavier (plus haut = plus vite), une bonne idée.
Les autres sources de modulation sont la vélocité, la pression et la molette. La vélocité est assignable à l’une des destinations suivantes : coupure du filtre, contour d’enveloppe du filtre, volume, Mask, niveau/temps de l’enveloppe de pitch. La pression et la molette sont assignables à l’une des destinations suivantes : quantité/vitesse des LFO ainsi que les destinations des LFO (cf. liste ci-dessus). Là encore, il faut faire des arbitrages lors de la programmation, conséquence directe des choix de simplicité opérés à la conception du synthé. Pas toujours facile…
Arpèges et séquence
Le Mask1 offre un arpégiateur tout aussi simple d’utilisation que le reste de la machine. On choisit le motif (26 types, avec différents ordres, répétitions, transpositions, intervalles et modes aléatoires), la vitesse ou la division temporelle (lorsqu’une synchro Midi est détectée), le maintien et le mode de redéclenchement. Les notes jouées au clavier pilotent uniquement le programme principal. Via Midi, on peut jouer quatre arpèges simultanés (un par partie). Les notes arpégées au clavier sont transmises via Midi lorsque la fonction Local est sur On, ce qui n’est pas le cas pour les autres canaux Midi (afin d’éviter les boucles).
Le séquenceur s’apparente quant à lui davantage à un petit Looper global. On arme la séquence avec la touche Rec puis on joue. Les notes sont enregistrées en temps réel avec les modulations et sans quantification, jusqu’à ce qu’on appuie sur Stop. On peut ensuite relire la séquence en boucle et c’est tout. On ne peut ni superposer, ni éditer, ni sauvegarder quoi que ce soit. C’est plus un bloc-notes ou un alter ego live pour tester des choses ou se dédoubler. Signalons que les notes séquencées sont transmises en Midi.
Conclusion
Le Mask1 est un synthé surprenant, aux antipodes de l’EssenceFM, lui-même très singulier dans son genre. Bref, Kodamo ne fait pas dans la banalité ! L’interface et les possibilités sont très simples. Mais simple ne veut pas dire basique. À l’usage, on se rend vite compte de la puissance sous le capot et de la diversité sonore à portée de doigts. Originalité de la synthèse, pertinence des paramètres proposés, intelligence des plages de réglages et belle qualité sonore. Le Mask1 nous invite à découvrir de nombreux territoires, inédits pour beaucoup, connus pour d’autres, en conservant sa sérénité. En somme, il innove utilement. Le grand clavier libère quant à lui le musicien. Bref, on se sent bien et on finit par oublier certaines limitations, notamment les modulations réduites ou l’absence de commandes directes. Avec son tarif premium, le Mask1 est un synthé discret et racé qui cache bien son jeu, où le ramage surpasse très largement le plumage. Nous lui décernons l’Award Audiofanzine Innovation 2023.
Interview de Stéphane Damo, dirigeant de Kodamo et concepteur du Mask1
Comment est né le projet Mask1 ?
C’est un enchainement d’idées qui a commencé il y a deux ans. J’ai toujours des projets de synthés que je fais sur mon temps libre, à côté des projets pro. J’avais nommé l’un d’entre eux Bitmasky, et il semblait prometteur. Je sortais d’une année de travail intense avec la sortie de l’EssenceFM, alors j’ai eu envie de prendre le contrepied en faisant un appareil ultra simple, qui tient dans la poche et propose un nouveau type de synthèse. Peu de temps après, je l’annonce publiquement sous le nom Bitmasker. Mais plus son développement avançait, plus j’étais surpris par sa qualité et sa diversité sonore. À tel point que j’ai trouvé dommage que ce ne soit qu’un synthé portable, alors j’ai décidé d’en faire un clavier.
Le projet Mask1 est aussi arrivé en même temps que ma découverte des synthés analogiques. Découverte, le mot est peut-être fort, mais étant né à l’époque de la synthèse numérique, je ne m’y étais pas tellement intéressé. Ça a été une révélation. Et ce n’est pas qu’une histoire de caractère sonore mais aussi d’esthétique, de la nécessité de choisir un nombre limité de contrôles et que ces contrôles soient aussi effectifs et intéressants que possible. En concevant le Mask1, j’ai adopté une approche similaire. Peu de paramètres, mais tous bien étudiés pour donner le meilleur son possible et lui donner une identité sonore propre.
Comment le développement s’est-il passé ?
Le développement originel a été très motivant, car je partais d’une feuille vierge, je testais différentes méthodes pour faire du son, sans aucune pression. Il s’est fait en collaboration avec 4 sound-designers qui ont participé à l’élaboration des Presets, en plus de suggérer de nouvelles fonctionnalités. On est passé de 14 boutons tactiles, ce qui était initialement prévu avec le Bitmasker, à un clavier 5 octaves avec vélocité et aftertouch. Il a donc fallu adapter le moteur en conséquence et améliorer sa qualité sonore pour qu’il soit digne d’un clavier (le Bitmasker était au départ assez lo-fi). La conception mécanique, quant à elle, a été assez fluide. Grâce à l’expérience acquise avec l’EssenceFM et la relation avec plusieurs industriels, j’ai pu concevoir et faire fabriquer les pièces nécessaires. Tout n’a pas été facile, par exemple les flancs sont en ABS plein de 15 mm d’épaisseur avec une finition sablée, peu savent faire. Pareil quand on veut faire sérigraphier une tôle pliée de 80 cm de long. Mais on finit toujours par trouver. L’essentiel c’est de rester motivé sur le long terme, car comme dans tout projet, il y a des hauts et des bas.
Le projet Infini est-il passé dans l’au-delà ?
Il est repoussé à une date incertaine. Le problème avec l’Infini, c’est qu’il a été annoncé en plein milieu de la crise des composants. Plusieurs pièces critiques sont désormais chères et difficiles à trouver. Pour le Mask1, j’ai acheté tous les composants en avance pour éviter ce genre de déconvenue.
Qu’est-ce que la synthèse Bitmask ?
Au départ, le Bitmasking est une technique utilisée en informatique. Il s’agit littéralement d’appliquer un masque sur un nombre, par exemple 9999 avec un masque 1010 devient 9090 (1 = on laisse le chiffre, 0 = on met zéro à la place). Quand on fait du développement logiciel embarqué, on est souvent amené à utiliser les masques, alors étant à la fois dans ce domaine et celui de la musique, j’ai voulu faire du son avec. Sans rentrer dans les détails, la façon dont j’utilise les Bitmasks permet de répéter des portions de forme d’onde, de produire des silences, inversions de phase et changements d’amplitude, en synchro avec la fréquence de la note jouée. J’ai fait des recherches, interrogé des gens et personne ne semble l’avoir fait, ou en tout cas pas à un niveau équivalent à ma méthode.
Qu’est-ce qu’elle apporte par rapport aux autres synthèses ?
Un son extrêmement riche en harmoniques et des timbres qu’on ne retrouve dans aucune autre synthèse. Parfois on se rapproche des synthés analogiques, certains masques produisent une dent de scie ou une onde carrée. Tandis que d’autres évoquent plutôt les synthés à table d’ondes, la FM ou rien de connu, notamment avec certaines ondes de type pulse mais plus complexes (long silence, puis au lieu d’un plateau on trouve de multiples formes répétées). Ce qui est intéressant, c’est que les ondes générées ne sont pas toujours dans la même octave et certaines ondes sont comme plusieurs oscillateurs superposés. On peut par exemple avoir une onde carrée dont la potion basse est faite de plusieurs dents de scie. Cette spécificité rappellera parfois le PPG, car ces petits détails imitent les effets d’escalier produits quand on lit des échantillons sans interpolation. Cette synthèse ne fait pas tout le son du Mask1, il y a aussi le filtre et les effets qui jouent un rôle important dans le rendu final.
L’interface du Mask1 est très spartiate, quel est le parti pris ?
Le Mask1 a un moteur sonore épuré, alors l’interface a suivi cette tendance. J’avais envie de créer un synthé « Zen » : on se pose devant et on respire, on apprécie la logique simple qui consiste à choisir une section (filtre, LFO, etc.), puis à éditer ses paramètres.
Les boutons qui permettent de changer de paramètre sont placés à côté de l’encodeur principal, ce qui permet d’éditer une section d’une seule main et de jouer avec l’autre. Ça n’a rien à voir avec certains synthétiseurs des années 80, dont les interfaces semblent proches, alors qu’ils sont en réalité bien plus fastidieux à utiliser.
À qui le synthé se destine-t-il ?
Aux musiciens, professionnels et amateurs, qui aiment jouer du clavier. À ceux qui veulent un synthé capable de créer des sons classiques ou plus modernes, avec une patte sonore unique. Et aussi à ceux qui veulent un synthétiseur plus expressif.
Car l’un des atouts du Mask1, en plus de ses sonorités, est sa capacité à gérer le phrasé, un aspect souvent ignoré en musique électronique. Les notes ne sont pas gérées individuellement, mais en fonction de leurs voisines, pour être liées ou détachées, avec des attaques différentes. Ceci permet au Mask1 d’offrir un rendu plus musical et organique.
Combien d’exemplaires vas-tu produire dans un premier temps ?
J’ai les pièces pour produire 120 exemplaires. Ils seront fabriqués au fur et à mesure, car il faut beaucoup de temps et d’énergie pour tout faire. Ensuite selon la demande, d’autres séries pourront être lancées.
Comment vois-tu l’avenir en matière de composants électroniques ?
La disponibilité des composants semble s’être améliorée depuis fin 2022. Mais l’augmentation des prix est durable, je ne vois pas vraiment de retour en arrière possible surtout dans ce contexte d’inflation. La spéculation a fait beaucoup de mal dans de nombreux secteurs, y compris celui de l’électronique, avec des sociétés qui se sont créées juste pour rafler les stocks et revendre plus cher.
Sur certains composants, on est parfois à 20, 30 ou 40 fois le prix d’avant la crise. Il y a toujours des solutions comme changer de composant pour un autre moins connu, moins victime de cette augmentation, mais ça implique de refaire un circuit, parfois de redévelopper la partie logicielle, ce qui peut être compliqué.
Quelles sont les difficultés d’un jeune fabricant français de synthés ?
La principale difficulté selon moi, c’est la force de communication. Aujourd’hui, tout dépend d’internet et des youtubeurs. Kodamo n’a pas autant de poids que les gros constructeurs ni leur budget marketing pour donner envie aux chaines connues de faire des vidéos.
Il y a aussi la crédibilité vis-à-vis des revendeurs partenaires. Ceux qui ont fait confiance à Kodamo ont eu raison car les problèmes sont rares, c’est que du bénéfice pour eux. Mais étonnamment, il y a plus de revendeurs à l’étranger qui ont été motivés pour distribuer mes instruments que des magasins français. J’espère que ça va changer avec l’arrivée du Mask1, pour que les gens puissent l’essayer en boutique.
Et après le Mask1 ?
Selon son succès, peut-être une déclinaison en module, synthé portatif ou Groovebox. Ou une version méga avec des tonnes de potards ? En vrai, tout est possible, je n’ai pas encore prévu la suite car avec ce nouveau synthétiseur et l’EssenceFM qui continue à être produit, il y a beaucoup de travail. À l’avenir, je pense que je continuerai sur cette lignée de synthétiseurs relativement originaux, qui tentent des choses que ce soit par leur interface ou leurs possibilités sonores. C’est l’avantage d’être un petit fabricant, on fait de petites séries, donc pas besoin d’être grand public. Nos machines sont faites par des passionnés, pour des passionnés. Alors on se permet quelques folies quand on les conçoit.