Présentée au début de l’été, la nouvelle série Reface de Yamaha apporte différentes couleurs sonores dans un package mobile et autonome. Voyons ce que nous réserve le CS, synthé à modélisation analogique.
Cet été, un teaser parfaitement orchestré par Yamaha a laissé un temps planer le doute sur une nouveauté embarquant plusieurs formes de synthèse maison. La sémantique s’appuyait sur des mots comme « analogique », « FM », « piano électrique » ou « orgue »… Quoi, une nouvelle workstation succédant aux Motif ? Non ! Un clavier de scène façon Nord avec différentes sections sonores ? Non plus ! Quelques jours plus tard, nous découvrions non pas un, non pas deux, non pas trois, mais quatre nouveaux claviers, chacun spécialisé dans son propre champ sonore : synthèse FM (DX), modélisation analogique (CS), claviers électriques (CP) et orgues électroniques (YC). La série Reface était née. Les commentaires n’ont pas tardé, souvent acerbes, certains sur la forme du teaser, d’autres sur le choix de mini-touches, d’autres encore sur l’intégration de haut-parleurs et d’autres enfin sur le tarif présupposé… quand ce n’était pas pour s’insurger contre les quatre en même temps ! En marge de cette première vague de réactions épidermiques, les premiers exemplaires de pré-série ont commencé à circuler parmi les musiciens pro et la presse. Et là, il faut bien dire que nous avons été assez agréablement surpris. Maintenant que la série Reface est disponible (en V1.20), voyons de quoi il en retourne exactement, ici pour le CS…
Quasi autonomie
Les quatre modèles présentés de la série Reface partagent tous le même boitier. Seules les couleurs et les commandes en façade diffèrent d’un modèle à l’autre. La construction est en plastique solide et la plaque sous les commandes est métallique. La rigidité est assurée et la finition soignée. Non, les Reface ne sont pas des jouets, il faut ne pas les avoir eus entre les mains pour penser cela. D’ailleurs, les 1,9 kg affichés pour 530 × 175 × 60 cm en témoignent.
Le CS est emballé dans une coque blanche en partie supérieure, avec commandes sur fond noir : un pitch bend (à polarité réversible et réglable sur 2 ou 12 demi-tons) à ressort et une série de 6 sélecteurs et 15 curseurs verticaux. Il manque donc une molette de modulation, dommage (le CS reçoit toutefois le CC01 via MIDI, qu’il assigne à la profondeur du LFO). On trouve, de gauche à droite, le volume (non programmable), le sélecteur d’octave (plus ou moins 2, actif à l’enfoncement de la touche suivante), le Looper (lecture/enregistrement et tempo), le LFO (assignation, profondeur, vitesse), le mode de portamento, la section oscillateurs, la section filtre, la section enveloppe et la section effets. Impossible de se perdre sur le CS, la quasi-majorité des commandes est directement accessible, dans un esprit une fonction/un bouton. La prise en main est donc immédiate, ce qui en fait un choix idéal pour démarrer dans la synthèse soustractive.
De part et d’autre du bandeau de commandes, on trouve 2 HP de 3 cm parfaitement intégrés. Forts de 2 × 2W d’amplification avec système Bass Reflex, ils n’ont rien de gadget et restituent un niveau permettant une écoute de proximité pour la programmation ou le jeu en compagnie d’autres instruments acoustiques (on pense en particulier à une guitare sèche, une contrebasse, un cajon…). Si on pousse le volume trop fort, on sature toutefois cette petite sono interne qui se met à vibrer ; on peut désactiver les HP en maintenant la touche D2 à l’allumage, ou en insérant une prise casque dans le connecteur idoine… Le clavier s’étend sur 3 octaves de mini-touches, dont la réponse au jeu est très agréable, nonobstant sa taille réduite ; la prise en compte de la vélocité est bien équilibrée (cf. l’expérience exclusive de Sleepless ci-dessous). En interne, elle est uniquement routée vers le volume, avec quantité fixe de modulation, bien trop légère à notre goût. Elle est aussi transmise via MIDI où elle commande parfaitement l’ensemble de la plage de valeurs. En revanche, l’aftertouch est totalement ignoré par le CS, en émission comme en réception.
La connectique, commune aux 4 Reface, est située sur le panneau arrière : borne pour alimentation externe (fournie, type bloc à l’extrémité), interrupteur secteur, prise pédale (ici continue et assignée au volume), sorties audio gauche/droite, sortie casque stéréo, entrée audio stéréo, borne MIDI et prise USB. Mise à part l’entrée stéréo au format mini-jack (permettant de mélanger un signal entrant au son interne, pour ressortir le tout sur les HP intégrés ou la sortie stéréo, sans toutefois pouvoir le traiter par le filtre ou les effets), les connecteurs audio/pédale sont au format jack 6,35. La borne MIDI n’étant pas standard, Yamaha livre ses Reface avec un câble épanoui mini-DIN vers MIDI In/Out. Quant à l’USB (1.1 ou 2), il véhicule uniquement les signaux MIDI (notes, CC, Sysex) sans installation de driver nécessaire (« Class Compliant », dit-on dans la langue de Shakespeare). Sous la machine, une trappe permet d’insérer 6 piles de type AA, pour une autonomie annoncée de 5 heures. Le CS est donc quasi autonome, puisque nous verrons qu’il ne peut pas sauvegarder des programmes en interne. On peut aussi le transformer en guitare synthé moyennant un kit pour bandoulière, hélas optionnel…
The Sleepless Exclusive Velocity Experiment
L’ami Sleepless a développé un protocole pour éprouver la réponse en vélocité des claviers qui passent entre ses mains expertes. Nous reprenons ici les conclusions de ses tests des Reface CP et YC : courbe de réponse à la vélocité linéaire (quand c’est possible), neuf lâchers d’un poids de 100 grammes sur la même touche blanche (le bord du poids est à la verticale de celui de la touche, le poids est posé sur la touche sans le laisser peser, suivi d’un lâcher brusque), puis moyenne des neuf, avec indication des valeurs les plus faible et plus forte. Voici les résultats :
- Yamaha Reface : fourchette 38–51 (moyenne 45,5).
Et ceux précédemment mesurés. Il faut néanmoins prendre en compte la petite taille des touches, l’effet de levier et donc de résistance n’étant pas le même que sur une grande touche.
- Kurzweil Forte : 25–38 (32,2).
- Arturia KeyLab 49 : 36–66 (56).
- Arturia The Laboratory 61 : 56–73 (64,4).
- Korg Taktile 49 : 67–73 (69,5).
- Kurzweil K2500X : 37–39 (37,8).
- Novation Launchkey 61 : 43–52 (48,6).
- Studiologic Numa Concert : 35–43 (36,8)
- Yamaha SY99 : 19–24 (21,7).
Qualité sonore
Après la bonne surprise de la qualité de fabrication et de l’ergonomie vient le moment de l’écoute des sons. Et sur ce point encore, le CS nous réserve une nouvelle agréable surprise. Nous avons déjà dit un mot sur la bonne réponse des HP intégrés, mais passé sur une sono externe, le son est épais, vivant, sur toute la tessiture. Il nécessite toutefois d’être amplifié de 10 dB pour être à un bon niveau, les sorties audio lignes manquant de peps. Très rapidement, on arrive à se fabriquer de beaux cuivres à base de dents de scie désaccordées. Un peu de filtrage là-dessus, une enveloppe bien taillée, un chorus stéréo bien dosé, et le tour est joué ! On coupe le chorus, on met du délai, on réduit de désaccordage des ondes et c’est parti pour une belle basse résonante ou un lead pur. On passe sur des ondes PWM, un LFO bien dosé, retour au chorus, pour de beaux strings bien profonds. On teste le même son sur un flanger, puis un phaser, ça le fait toujours. C’est au tour des synchro d’oscillateurs, pour des basses à balayage spectral typique ou des lead épurés. Pour des sons plus métalliques ou des effets plus barrés, on passe en position Ring Mod ou FM, puis on enclenche la disto.
Globalement, les sons sont exempts d’artefacts numériques, buzz ou aliasing, quelle que soit la configuration. La réponse des commandes continues est liée à la résolution de 7 bits maximum : on entend clairement les 128 pas de la coupure du filtre à résonant élevée ou les escaliers de modulation en Ring Mod/FM. Les 17 paramètres de synthèse sont pilotables via CC MIDI (émission/réception), permettant des automations avec sa STAN externe préférée. Le seul hic ici est de devoir passer par l’application Reface Capture tournant sous iOS (iPhone/iPad) ou le concept de partage de sons Soundmondo (bientôt disponible) pour dumper/gérer nos programmes, puisqu’il n’y a pas de mémoire interne dédiée à cela. La conclusion de nos tests audio est que non seulement le CS sonne bien, sans vouloir répliquer quelque CS polyphonique des années 70, mais il permet d’aller rapidement sur des territoires sonores très étendus au regard des quelques commandes simplifiées proposées. Il évoque un peu, sur ce point, toute proportion gardée, le Nord Lead A1, avec son interface simplifiée capable de nous pousser vers de grandes variétés sonores.
- 11 SW Saw Looper 00:56
- 12 SW Saw Brass 00:35
- 13 SW Saw Strings 00:55
- 14 SW Saw Giorgio Bass Lp 00:47
- 15 SW Saw Resobass 00:18
- 21 SW PWM Looper 00:47
- 22 SW PWM Brass 00:31
- 23 SW PWM Lead 00:33
- 24 SW PWM Bed 00:51
- 31 SW Synced 00:49
- 32 SW Sync Tex 00:23
- 33 SW Sync Lead 00:27
- 40 SW Ring Mod 00:25
- 50 SW FM 00:34
VA simplifiée
Le CS est un synthé à modélisation analogique polyphonique 8 voix et monotimbral. À part les initiales, il n’a pas d’affiliation particulière avec la série CS analogique vintage, ni avec la série numérique plus récente (CS1x et consorts) ; il est d’ailleurs technologiquement plus proche de la série numérique AN sortie il y a plusieurs années. Les 8 voix peuvent être jouées en polyphonie ou en mono (avec portamento réglable sur 4 vitesses dans ce dernier cas). On trouve, pour chaque voix, différents arrangements de 2 oscillateurs, un filtre et un VCA. Le choix des commandes directes, excellentes pour la prise en main, limite toutefois le nombre de paramètres compte tenu de la surface disponible : des compromis ont donc été faits. Ainsi, on dispose de 5 combinaisons distinctes pour les oscillateurs : dents de scie, PWM, synchro, Ring Mod et FM. Chacune permet de régler 2 paramètres fixés par Yamaha. La position n°1 offre une Multisaw, dont on peut faire varier le nombre + le désaccordage d’ondes en dent-de-scie superposées et le volume d’un sous-oscillateur additionnel. La position n°2 simule deux ondes carrées, dont on peut régler le désaccordage et la largeur d’impulsion. La position n°3 est une synchro de deux oscillateurs, avec édition du pitch de l’oscillateur 2 et de la profondeur de modulation par l’enveloppe (voir ci-après). La position n°4 permet une modulation en anneau de deux oscillateurs, avec réglage du pitch de chaque oscillateur. Enfin, la position n°5 est une FM à deux opérateurs, avec possibilité de régler la quantité de modulation et le pitch de l’opérateur de modulation (oscillateur n°2).
La sortie des oscillateurs passe dans un filtre passe-bas 4 pôles résonant, capable d’auto-osciller (sifflement strident). On peut en régler la fréquence de coupure et la résonance. Une seule enveloppe est à partager entre le filtre et l’ampli (et le pitch de l’onde synchronisée lorsque cette combinaison d’oscillateur est choisie), avec curseur pour régler la balance de modulation. En position haute du curseur, l’enveloppe module le filtre au maximum et l’ampli au minimum ; au centre, les modulations sont équilibrées entre le filtre et l’ampli ; en bas, seul l’ampli est affecté. Du coup, la modulation de l’enveloppe de filtre est uniquement positive. De même, on ne trouve pas de suivi de clavier sur le filtre, c’est toujours du 100 %. À part cette enveloppe, on peut moduler le son avec un LFO simplifié : la forme d’onde est seulement sinusoïdale, on peut choisir une destination parmi 4 possibilités (oscillateur, pitch, filtre, ampli… ou désactiver le LFO), puis on règle la profondeur de modulation et la vitesse (qui monte un peu dans l’audio), mais n’est pas synchronisable au Looper ou via MIDI. Lorsqu’on assigne la modulation à l’oscillateur, l’effet dépend du type sélectionné pour ce dernier : pitch des oscillateurs principaux en position Multisaw, largeur d’impulsion en position PWM, pitch de l’oscillateur 2 pour les positions Synchro et Ring Mod, quantité de FM en position FM. Le CS n’est pas le synthé le plus souple du marché, mais les choix de destinations sont plutôt judicieux pour ce LFO au final bien dépouillé. Tiens au fait, comment peut-on transposer le CS par demi-ton ? Ben on ne peut pas, grrrrr…
Section effets
Pour parfaire le son, le CS propose un effet à 4 algorithmes : délai, chorus/flanger, phaser et disto. Deux paramètres peuvent être édités, l’un gère la profondeur d’effet (avec passage de chorus en flanger sur l’effet éponyme), l’autre varie suivant l’effet : temps pour le délai, vitesse pour le chorus/flanger et le phaser, tonalité pour la disto. Les effets sont de très bonne qualité, comme toujours chez Yamaha, avec un coup de chapeau au chorus stéréo qui élargit parfaitement le son. La disto génère pas mal de gain, qui n’est pas compensé automatiquement : il faudra jouer du curseur de volume global. Le choix des algorithmes est tout à fait judicieux, compte tenu de l’orientation sonore de la machine. Petite critique, la position OFF gâche une possibilité d’ajouter un cinquième effet : on aurait pu imaginer couper les effets en plaçant les deux curseurs de paramètres à zéro et utiliser la position OFF pour une petite réverbe, par exemple.
Looper de phrases
Le CS est équipé d’un petit séquenceur de phrases capable d’emmagasiner jusqu’à 2000 notes et de se synchroniser via MIDI. Il n’y a qu’un seul motif enregistrable, qui plus est uniquement en temps réel, avec quantisation possible au triolet de croche ou à la double-croche (choix à l’allumage). Seules les notes et leur vélocité sont enregistrées, mais pas le mouvement des commandes de synthèse, ce qui est bien dommage.
Pour enregistrer, il suffit de mettre le sélecteur du Looper sur la position REC. L’enregistrement commence (au tempo défini, avec un signal type métronome utilisant le son en cours) à la première note jouée et s’arrête quand on positionne le curseur sur PLAY. Pour entrer des notes par-dessus celles déjà enregistrées (à concurrence de la polyphonie totale), on place le sélecteur sur REC et l’enregistrement commence immédiatement en Overdub (sans métronome cette fois). Pour effacer le motif complet, on met le sélecteur en position CLEAR : attention à ne pas se tromper dans la manœuvre, car rien ne prévient le risque d’effacement ! Il n’y a pas d’édition/correction possible a posteriori, soit c’est bon dès le départ, soit on recommence… On ne peut pas non plus transposer le motif en temps réel. Les notes jouées par le Looper sont transmises en MIDI. Gros problème, le CS ne garde rien en mémoire après extinction des feux, pas même avec l’appli iOS Reface Capture…
Bon compagnon de route
Au final, les Reface sont de bonnes surprises, par la qualité et le sérieux qui en émanent. Compacts, pouvant être alimentés par piles, dotés de HP, ils trouveront aisément leur place pour accompagner une petite formation acoustique, une répétition dans une chambre d’hôtel, un déplacement en transports en commun, un séjour loin du studio ou tout simplement comme complément sonore pour un musicien non-claviériste ou un DJ. Avec le CS, la prise en main est immédiate (au détriment des possibilités de synthèse limitées) et on se fabrique très vite une belle collection de sons à caractère analogique… au point qu’on en regrette l’absence de mémoires internes, toutefois compensée par la possibilité de s’interfacer à un appareil iOS. L’excellente qualité sonore inspire dès qu’on commence à tripoter les boutons, même sur la petite sono intégrée. Les sorties ligne nécessitent toutefois un bon +10 dB pour être au niveau. Bref, voici un bon compagnon de route pour le musicien/DJ itinérant branché couleur analo.
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