Loin de Sampletank, T-Racks, AmpliTube et des périphériques iOS, IK Multimedia nous revient avec une basse électrique virtuelle… à modélisation ! Voyons si la qualité du logiciel est à la hauteur de cette sympathique surprise…
Car pour une surprise, c’en est une : depuis plusieurs années, en marge des séries AmpliTube, T-RackS et SampleTank qui ronronnaient, IK semblait plus volontiers se concentrer sur le marché des périphériques et des applis pour iOS ou Android, et on ne s’attendait non seulement pas à voir débarquer une basse virtuelle, mais encore moins à ce que cette dernière exploite une technologie basée sur la modélisation physique. C’est non seulement une première pour l’éditeur transalpin, mais c’est une première tout court sur le marché des instruments virtuels puisque si la modélisation physique nous a donné quantité de synthés (chez Arturia, Native Instruments, Korg, U-He, etc.), de pianos (Modartt Pianoteq, Arturia, etc.) et même des instruments orchestraux (Synful, Wallander, etc.), c’est à notre connaissance la première fois que cette technologie est utilisée pour réaliser une basse virtuelle, quand bien même AAS avait proposé une modélisation physique des cordes pincées très intéressantes avec son String Studio VS-2.
Inutile de dire, donc, que ce Modo Bass éveille notre curiosité, ce qui n’était pourtant pas gagné, car le marché des basses virtuelles ne manque pas de produits déjà excellents : de Scarbee à Ilya Efimov en passant par Spectrasonics, Ample Sound, Orange Tree Samples, Prominy, Vir2, Yellow Tools ou encore Chris Hein et quantité d’autres éditeurs, les 4 cordes ne manquent pas ! Qu’apporte donc ce Modo Bass sur le terrain du son ? C’est ce que nous allons découvrir en vidéo ci-dessous, ou dans la suite du texte pour ceux qui préfèrent la lecture.
La basse, tout est neuf et tout est sauvage
L’énorme différence de Modo Bass tient donc au fait que c’est un instrument à modélisation physique (les sons sont donc produits par différents algorithmes de synthèse très évolués) en lieu et place des samples qui sont de rigueur chez tous les autres concurrents. Le premier avantage de cela, c’est la taille de l’instrument qui pèse moins de 170 Mo une fois installé sur le disque dur, ce qui implique également une consommation en mémoire vive des plus économiques. En vis-à-vis des Go de disque dur réclamés par certaines banques samplées, voilà quelque chose de bien agréable, même si cela a une contrepartie : Modo Bass demeure effectivement plus gourmant en CPU que pas mal de basses samplées, même si la chose n’a rien de bien gênant, car il est bien rare qu’on ait plus d’une basse sur un morceau…
Passées l’installation et l’autorisation en ligne du plug-in via l’utilitaire dédié, on se retrouve ainsi face à une interface relativement simple et intuitive organisée en 6 onglets : Model, Play Style, Strings, Electronics, Amp/Fx et Control. Model, l’onglet par défaut, vous permet de choisir le type de basse à émuler parmi douze possibilités : Deux Precision Bass des 60’s et 70’s, deux Jazz Bass des mêmes périodes, une Gibson EB-0, une Musicman Stingray de 5 cordes, une Rickenbacker 4003, un Yamaha TRB5P, une Hofner Violin, une Gibson Thunderbird, une Ibanez Soundgear et une Warwick Streamer. Voyez qu’en matière de basse, personne ou presque n’a été oublié si l’on considère que Modo Bass se cantonne aux basses électriques frettées : pas d’acoustique ou de contrebasse donc, ni de fretless. Notons-le aussi : si IK nous offre avec ces douze basses un bien bel éventail de sons, quelques modèles plus exotiques n’auraient pas été de refus. On déplorera ainsi l’absence d’un Stick Chapman ou de basses 6 cordes.
Reste à voir à présent si la modélisation est à la hauteur de nos attentes.
Basse modèle
Dès les premières notes, il est dur de ne pas être convaincu par le rendu du logiciel : quelle que soit la basse choisie, au doigt, au médiator ou en slap, on retrouve en effet le vrai caractère de l’instrument avec tout ce que la modélisation permet et que le sampling ne permet pas. C’est ainsi que la vélocité est parfaitement gérée sans qu’on passe par des couches en paliers, tandis que la répétition de note est beaucoup plus naturelle qu’elle ne l’est sur les basses samplées qui doivent recourir à du Round Robin (alternance de plusieurs samples pour une même note) pour gérer cela et ne le gère pas toujours merveilleusement bien. Mais c’est encore le sustain des instruments qui est impressionnant puisque sur un Mi grave, on dépasse allégrement les 40 secondes avant de retomber dans le silence. Peu de basses samplées peuvent en faire autant, même si sur un instrument aussi rythmique, le sustain n’est pas forcément la chose la plus importante qui soit. On appréciera encore les bruits de cordes qui frisent de manière très réaliste dès qu’on attaque les cordes de manière un peu plus sévère, tandis que la modélisation nous réserve encore bien d’autres surprises.
Car en dehors du modèle dont nous venons de parler, la plupart des éléments constitutifs du jeu sont éditables dans l’onglet Play Style : outre le type de jeu (doigt, médiator, slap), on peut ainsi définir l’alternance des attaques/doigts, le fait de laisser résonner les cordes, de favoriser les cordes à vide, en réglant évidemment les options de doigtés (on peut contraindre Modo Bass à ne jouer que dans les cinq premières cases par exemple) et les bruits relatifs au déplacement des doigts sur les cordes ou au frettage. Cependant, la plus grande différence avec les basses samplées réside surtout dans le fait que l’étouffement des cordes n’est pas géré de manière binaire comme partout ailleurs, mais en pourcentage : on peut ainsi avoir différentes nuances d’étouffement, ce qui est vraiment un plus pour l’expressivité. Idem avec la possibilité de définir à quel niveau de la corde les notes sont butées, frappées ou pincées (plus près du chevalet pour un son plus agressif et aigu, ou plus près du manche pour un son plus rond et grave). Rien qu’avec ces deux paramètres, Modo Bass permet une expressivité qui surpasse toutes les basses virtuelles du marché… Et ce n’est pas fini !
Dans les cordes
Car évidemment, il est possible de jouer sur les cordes de l’instrument : âgées ou non, d’un tirant fort, faible ou moyen, montées avec un action plus ou moins haute, à filet rond ou filet plat… Ce sont autant de paramètres qui changent vraiment la façon dont Modo Bass réagit et sonne. Évidemment, c’est aussi à cet endroit qu’on définira le nombre de cordes de l’instrument comme son accordage, avec toutefois à ce sujet deux petites déceptions. La première, c’est qu’on ne peut pas aller au-delà de 5 cordes : même s’il est déjà appréciable de pouvoir décliner toutes les basses en modèle de 5 cordes, on aurait aimé en mettre plus encore… Mais on regrettera plus encore que les options d’accordage se limitent à définir le La de référence et à activer un mode Drop D. Alors que la modélisation permet a priori tous les délires, où sont les possibilités d’Open Tuning, de Micro Tuning, etc. C’est vraiment dommage de ne pas y avoir pensé, car on sent bien que ce Modo Bass aurait pu être un formidable terrain de jeu de ce côté.
Moins lacunaire, l’onglet Electronics permet pour sa part de gérer la partie micro de l’instrument. Outre un piezo, on pourra y déterminer le micro manche comme le micro chevalet à choisir chacun parmi douze modèles, sachant qu’on trouve dans le soft 20 micros différents. 144 possibilités donc, sachant que vous pouvez définir le positionnement exact de chaque micro et jouer ensuite sur le volume de chacun et sur la tonalité ou l’EQ globale de tout ce petit monde, suivant que vous aurez opté pour une électronique active ou passive… Voyez que là encore, il y a de quoi faire, même si les choix retenus demeurent très réalistes et ne sont pas spécialement propices aux excentricités. Pour pimenter un peu tout cela, c’est dans la section Amp/FX qu’il faudra se rendre, où le papa d’Ampli Tube fait montre de son savoir-faire en la matière.
Amp, Amp, Amp ! Hourra ?
Disons sur ce point qu’IK Multimedia a fait le job sans trop forcer son talent, histoire de ne pas faire de l’ombre aux simulateurs d’amplis qu’il vend par ailleurs : vous y attendent deux têtes d’amplis seulement, une à transistors et une à lampes, sans possibilité de choisir le baffle qui les accompagne, ni même les micros qui le reprennent et encore moins leur positionnement. Le tout est servi avec un pedalboard comprenant 4 slots d’effets à choisir parmi 7 : Octaver, Distorsion, Chorus, Comp, Delay, Enveloppe Filter, Graphic EQ. La section est donc complète et tout cela sonne suffisamment bien pour permettre de bâtir quantité de presets très intéressants avec Modo Bass, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’IK aurait pu être un peu plus généreux au niveau des possibilités offertes (on est loin d’un AmpliTube) et inspiré au niveau de l’ergonomie. La majeure partie de l’écran est en effet occupée par un beau visuel qui ne présente aucun intérêt si ce n’est du point de vue cosmétique tandis que pour éditer les effets, il faut cliquer sur des pédales minuscules. C’est assez mal foutu… Ne boudons pas notre plaisir toutefois, car entre les 5 onglets que nous venons d’évoquer, il y a vraiment de quoi faire quantité de basses qui sonnent très bien et qui pourront s’illustrer dans n’importe quel style musical, du hip-hop au métal en passant par la funk, le rock, la pop, le jazz, etc.
Soit, me direz-vous, mais si le son est une chose, qu’en est-il de la programmation et de la simplicité de jeu ? Pour répondre à cette question, il nous faut ouvrir le dernier onglet…
Rangez vos affaires, il y a Control !
Dans Control sont consignés tous les keyswitches et contrôles continus liés aux différentes articulations et modes de jeu. C’est ici qu’on découvre qu’un mode ‘Accord’ est prévu dans Modo Bass, mais aussi qu’on accède aux techniques avancées comme le slide, les harmoniques, les ghost notes, etc. Sur ce point, Modo Bass ne fait pas particulièrement dans l’originalité même si la modélisation offre là encore de beaux avantages sur le sample. C’est ainsi que la vitesse et l’étendue des glissandos est paramétrable très précisément quand chez nombre de concurrents, on se contente souvent de bidouiller sur ce sujet. De bonnes choses donc mais une approche qui, contrairement au moteur du logiciel, est très loin d’être novatrice.
Par ailleurs, Modo Bass n’est pas exempt de tout reproche : à moins d’avoir loupé quelque chose, je n’ai ainsi pas trouvé de moyen de faire des trilles vraiment convaincantes en jouant avec les hammer/pull-off (on sent toujours une attaque agressive qui empêche la fluidité de la figure), ni même de tapping, tandis que le moteur génère parfois des choses étranges : sur des notes répétées à la double-croche, le slap laisse entendre une espèce de pompage de compression très étrange… Gageons cependant qu’IK corrigera ces petits défauts de jeunesse au fil de prochaines mises à jour et soulignons que, dans la majorité des cas, Modo Bass s’en tire très bien avec de bêtes fichiers MIDI qui n’ont pas été spécialement programmés pour lui. C’est bien la preuve que le logiciel peut faire la blague avec une programmation rudimentaire. Le fait de ne pas avoir à se soucier du Round Robin comme chez Spectrasonics est en outre un confort des plus appréciables au moment du séquençage…
Bref, s’il n’y a pas de révolution à ce niveau, Modo Bass n’en demeure pas moins une des basses les plus simples à programmer qui existe à l’heure actuelle. Évidemment, on attend toujours qu’un éditeur comprenne enfin l’intérêt de livrer une basse virtuelle avec des patterns MIDI prêts à l’emploi et éditables, sur le modèle du EZkeys de Toontrack. Ce ne sera pas Modo Bass : dommage. Mais il y a plus regrettable encore…
Le prix qui doigte, qui pique et qui slape
Vous l’aurez compris, Modobass est dans l’ensemble une bien belle réussite. Reste à parler du détail qui fâche : le prix qui se situe à 360 euros en téléchargement et à 400 euros en version boîte. C’est une somme, se dit-on à première vue, mais qui s’avère cohérente en regard des qualités objectives du logiciel, de la recherche et du développement qu’il a réclamés, et de l’offre de certains concurrents dans le domaine. Offrant beaucoup moins de polyvalence, l’intégrale des basses Scarbee est à 510 euros (autant acheter la Komplete à ce prix-là !). Reste que la plupart des concurrents proposent des bundles attractifs autour des 250 euros, et que c’est également dans cette tranche de prix qu’on retrouve le Trilian de Spectrasonics. Offrant certes moins de possibilités de personnalisation, sampling oblige, et plus fastidieux à programmer, ce dernier n’en est pas moins beaucoup plus exhaustif en termes de contenus : contrebasse, basses acoustiques, fretless, Stick Chapman, et même synthés de basse en pagaille, il ne manque rien ou presque avec un son qui demeure pertinent malgré les années. Du coup, à part pour miser sur le marketing du ‘c’est parce qu’on est plus cher qu’on est meilleur’, on se dit qu’IK est un peu gourmand sur ce coup-là et que les 400 euros, on ne les aurait payés que pour un soft auquel il ne manque rien, doté d’un vrai AmpliTube Bass… De fait, je ne serai pas étonné que certains préfèrent attendre les soldes qui sont fréquents chez le développeur italien.
Conclusion
En termes de sons comme de possibilités, Modo Bass est une vraie réussite qui prouve que la modélisation peut faire au moins aussi bien que le sampling, voire mieux sur bien des domaines. Non seulement l’instrument s’avère incroyablement réaliste, mais il permet grâce à tous ses paramètres d’obtenir précisément le son de basse dont on a besoin, avec une belle cerise sur le gâteau : la simplicité. Rien qu’avec la gestion des notes répétées (tellement plus convainquantes qu’avec le round robin utilisé sur les instruments samplés) ou de la dynamique (pas de layers ici, et ça s’entend !), Modobass simplifie grandement la programmation et, pour peu qu’on se contente de Solid Body électriques frettées (ce qui ne gênera pas la plupart des utilisateurs), il y a de quoi produire des lignes très réalistes sans trop se casser le tête, que ce soit en jeu au doigt, au médiator ou en slap.
Outre quelques petits défauts de jeunesse qu’IK aura certainement à coeur de corriger, le seul vrai hic vient d’un prix relativement élevé qu’on aurait volontiers accepté si le logiciel n’avait pas fait autant d’impasses. Pas d’acoustique, pas de fretless, pas de tapping, pas d’open tuning ou de micro tuning, une section Amp / FX, certes complète, mais loin d’un AmpliTube en terme de possibilités : cela fait un peu trop de griefs pour abandonner quatre billets de cent aussi facilement, d’autant que les basses samplées dont on dispose actuellement, même si elles n’offrent pas tous les raffinements de Modo Bass, font quand même très bien le job. Et c’est bien dommage même si ça ne retire rien aux qualités du dernier né d’IK Multimedia dont on attend d’ores et déjà la suite, soit avec un tarif revu à la baisse, soit avec plus de contenus et de possibilités pour devenir le leader incontesté que son prix laisse supposer. Chapeau bas en tous cas aux développeurs, en espérant voir venir d’autres instruments reposant sur la même technologie…