La semaine dernière je vous ai présenté rapidement les origines du flamenco et les principaux représentants de ce style. Aujourd'hui je vous propose de nous intéresser à ce qui en fait réellement l'identité musicale.
L’âme du flamenco
On ne saurait parler du flamenco sans évoquer même brièvement le concept qui en est à la racine: le « duende ». Dans l’article précédent nous avons vu que le flamenco transcendait les sentiments et questionnements des peuples andalous. Or il ne pourrait accomplir cette fonction sans ce fameux « duende » que Federico Garcia Lorca présente dans Théorie et Jeu du Duende comme un état d’inspiration artistique ancré dans la chair et le sang, et qu’il oppose à l’image traditionnelle de la muse qu’il associe davantage à l’esprit et l’intelligence. Il reprend à ce sujet les mots du chanteur de flamenco Manuel Torre : « Tout ce qui a des sons noirs a du duende. ».
Le flamenco est un chant
Le flamenco est à l’origine un chant – le « cante » – auquel ne viendront que plus tard s’associer la musique et la danse. On distingue deux types de chant : le « cante jondo » (chant profond) et le « cante chico » (chant léger).
Ce chant est mis en forme dans ce que l’on appelle des « tonás » qui seront les ancêtres de tous les types du flamenco : les « palos » et leurs variantes locales, les « estilos ». Chaque palo ou estilo relève individuellement du cante jondo ou du cante chico.
Les principaux « palos »
On compte une quarantaine de palos et estilos différents. Le format de ces articles ne me permet pas de tous les passer en revue, mais je vous en citerai les trois principaux : la seguiryia, la soleá et sa variante la bulería, toutes les trois à la fois chantées, dansées et accompagnées par des instruments.
La seguiriya est la plus ancienne des trois. Elle est aussi souvent considérée comme la plus « tragique ». Les vers qui la composent sont des heptasyllabes au nombre de trois ou quatre.
La soleá est plus récente, mais c’est le palo dont découlent quasiment tous les estilos locaux du flamenco. Les vers sont cette fois des octosyllabes. La soleá est devenue en quelque sorte le symbole même de la culture flamenca.
C’est l’une de ses variantes les plus festives, la bulería, qui est aujourd’hui souvent favorisée par les artistes du nouveau flamenco.
La bulería est originaire de Jerez de la Frontera – Xérès en français, berceau du vin du même nom. C’est un chant plutôt joyeux et toujours accompagné de claquements de mains (« palmas » sur lesquels nous reviendrons prochainement). La bulería est née de l’accroissement du tempo de la soleá.
Si les palos et estilos peuvent se distinguer par leur structure instrumentale et éventuellement leurs thématiques, c’est principalement au niveau du tempo et du rythme – le « compas » – que se situent les différences. Nous y reviendrons dans le prochain article.
Un peu d’harmonie
Le flamenco utilise principalement la gamme dite espagnole (ou andalouse ou … flamenco), que nous avons déjà évoquée dans l’article 63 du dossier sur l’harmonie.
Je vous en re-montre une ici, en l’occurrence Mi espagnole :
Dans le cadre d’une utilisation en flamenco, le troisième et le quatrième degrés de cette gamme octatonique ne sont pas employés conjointement. On peut ainsi par exemple omettre le 3e degré lorsque l’on monte la gamme et le 4e lorsqu’on la descend. La gamme espagnole sans son 4e degré redevient un mode phrygien normal (cf article 46 du dossier sur l’harmonie). Le flamenco emploie d’ailleurs souvent Mi et La phrygiens.
La cadence espagnole est la suivante :
IV min – III – II – I.
Les degrés sont ceux du mode phrygien, mais on constatera la présence du Sol# dans le dernier accord, note appartenant à la gamme espagnole. L’ensemble crée une tension que l’on serait tenté de résoudre par une cadence parfaite… ce qui serait une erreur en flamenco !