Comme nous l'avons entrevu lors de notre dernier article, le home studio est dans l'idéal un lieu doté d'une bonne acoustique et d'une bonne isolation phonique. Reste à savoir les tenants et aboutissants qui se cachent derrière ces deux notions, ce qui passe par quelques petits rappels théoriques.
Le lieu qu’on choisit pour monter son Home Studio (pour peu qu’on l’ait choisi) est souvent le fruit d’un consensus, bien plus proche du « moins pire » que de l’idéal sur le plan de l’acoustique et de l’isolation phonique. Il s’agit donc ensuite de faire tout ce que l’on peut pour améliorer la situation, en regard d’un budget qui comporte rarement 4 zéros.
Avant toutefois d’en venir aux solutions pratiques, quelques petits rappels physiques s’imposent, histoire que vous compreniez bien les enjeux de l’isolation phonique et du traitement acoustique. Rassurez-vous : comme vous débutez et que vous êtes probablement plus intéressé par la musique que la physique, nous n’allons pas rentrer dans des détails trop complexes. Mais pour cette raison, je prierai les brutasses en acoustique qui me lisent de bien vouloir pardonner quelques raccourcis et approximations.
Qu’est-ce qu’un son ?
Ouvrez grand la bouche et faites « Aaaahh » : n’ayez pas peur ! Que se passe-t-il en fait ? Votre cerveau envoie une série de messages électriques pour commander à vos poumons et votre gorge de projeter de l’air sur vos cordes vocales. Ces dernières sont de fines membranes qui vont alors onduler sous la pression de l’air comme le fait un drapeau avec le vent. Partant de votre gorge, ce mouvement ondulatoire va ensuite se propager à tout ce qui l’entoure, les molécules environnantes se choquant comme des dominos.
C’est vrai pour l’air bien sûr, celui contenu dans votre bouche et au-delà, mais ça vaut aussi pour vos joues, vos dents, votre mâchoire et tous les corps qu’est susceptible de rencontrer l’onde sonore que vous venez de créer… jusqu’aux oreilles de votre dentiste.
Dans ces dernières, le tympan (une autre membrane) va vibrer à son tour et permettre à l’appareil auditif de transformer votre onde en message électrique compréhensible par le cerveau du praticien : il vous entend. Ce dernier actionne par conséquent sa fraise et c’est la même mécanique qui se produit : le mouvement rotatoire de l’outil va générer une onde sonore qui va se propager jusqu’à vos oreilles… Simple, non ?
Le son est donc une onde, soit un phénomène qui fait vibrer les molécules à une certaine fréquence et à une certaine amplitude.
La fréquence, c’est la rapidité à laquelle gigotent les molécules et qu’on mesure en Herz, sachant que plus la fréquence est élevée, plus les molécules bougent vite, plus le son est aigu.
L’amplitude, c’est l’ampleur du mouvement avec lequel elles gigotent et qu’on mesure en Décibels, sachant que plus l’amplitude est grande, plus le son est fort.
Comportement d’une onde
Le son est donc une onde. Or, une onde sonore, ça se propage en partie dans tout ce que ça croise, ça rebondit en partie sur tout ce que ça rencontre et ça s’atténue jusqu’à mourir (l’amplitude décroit), comme n’importe quelle onde : une onde radio, sismique, une onde lumineuse, etc.
C’est grâce au phénomène de propagation que vous entendez le bruit d’un klaxon situé à 20 mètres ou le bruit de la perceuse du voisin du quatrième alors que vous êtes au rez-de-chaussée.
C’est grâce au phénomène de réflexion que vous avez une belle voix lorsque vous chantez sous la douche ou que votre nom vous revient lorsque vous le hurlez face à un massif montagneux.
C’est grâce au phénomène d’atténuation que votre douche ne continue pas de chanter avec votre voix alors que vous êtes déjà séché, habillé et prêt à sortir promener le chien.
Ces trois phénomènes sont liés car il n’y a pas de propagation sans réflexion ni atténuation. Quand l’onde sonore rencontre un objet, une partie de son énergie va en effet être absorbée par ce dernier quand le reste va rebondir et le traverser. Et c’est ainsi que le son va peu à peu s’atténuer. Regardez le schéma suivant :
Voyez comment notre onde initiale, en vert, va se comporter face à un mur : elle va rebondir dessus (en jaune), mais pas seulement, car une partie de son énergie va être absorbée par le mur, tandis qu’une partie encore va le traverser. Une onde génère ainsi une multitude d’ondes secondaires à chaque fois qu’elle rencontre un objet. Et quand je dis une multitude, c’est une multitude. Observez ainsi le rebond des ondes dans un bâtiment modélisé avec le logiciel Odeon :
Sacré bazar, hein ? D’autant que contrairement à cette vue de coupe où les ondes sont représentées en 2D, elles évoluent bien dans un espace à trois dimensions.
Là où ça se complique encore, c’est que chaque onde va aussi subir l’influence des autres ondes qu’elle rencontre ! Car les ondes interagissent entre elles, s’accumulent dans les recoins, s’additionnent et peuvent même s’annuler, sinon totalement, du moins en partie…
Regardez par exemple ce qui se produit lorsque deux ondes (ici en vert et en rouge) se rencontrent alors qu’elles sont de même fréquence et se propagent dans des sens opposés . On obtient une troisième onde appelée « onde stationnaire » (ici en bleu) dont l’amplitude surpasse celle des deux autres.
(Source)
Loin de moi l’idée comme les compétences de vous expliquer en détail les moeurs des ondes sonores. Mais les rudiments que nous venons de voir n’en sont pas moins importants pour ce qui nous intéresse car cela implique que tous les objets présents dans votre home studio vont interagir avec le son, à commencer par ces gros objets que sont le sol, le plafond et les murs qui vont peser plus que tout autre sur la façon dont les ondes sonores vont se comporter et interagir entre elles.
Suivant la forme comme les matériaux qui la composent et les objets qui la meublent, une pièce conditionne de fait la façon dont le son se propage, se réfléchit et s’atténue. C’est pour cela que lorsque vous frappez dans vos mains, vous ne produisez pas le même son dans votre chambre à coucher, dans votre salle de bain ou dans un parking.
Acoustique de pièce
Cette influence d’une pièce sur le son tient à ce qu’on appelle son acoustique. C’est en quelque sorte sa signature sonore :
- Au gré des actions et interactions entre les ondes et les surfaces, telle pièce favorisera telle fréquence ou atténuera telle autre : c’est ce qu’on appelle la réponse en fréquence.
- Dans telle pièce, le son se réfléchira plus ou moins longtemps avec plus ou moins de force : c’est ce qu’on appelle la réverbération.
La réverbération, en pratique, ce sont les myriades de rebonds de l’onde sonore qui vous reviennent aux oreilles et que vous avez observée dans l’animation précédente. Cette dernière peut être plus ou moins prononcée, comme vous le constatez en chantant dans votre chambre (peu de réverb parce que les matériaux mous qu’on y trouve, du matelas aux couvertures en passant par les tapis ou rideaux atténuent sensiblement le son et le réfléchissent peu) ou dans votre salle de bain (beaucoup de réverb parce que les matériaux durs qu’on y trouve, de la baignoire au lavabo en passant par le carrelage ou les miroirs atténuent très peu le son et favorisent les rebonds).
Ceci étant dit, sachez que l’acoustique de votre home studio est un élément capital qui pèsera grandement sur la qualité de ce que vous pourrez y produire parce qu’elle influencera non seulement les sons que vous pourrez y enregistrer, mais aussi les sons que vous y entendrez. Et comment imaginer prendre les bonnes décisions au moment du mixage si votre pièce vous joue des tours ? Notre problématique n’est d’ailleurs pas loin de celle de la lumière dans l’atelier d’un peintre : on imagine mal celui-ci travailler dans la pénombre ou avec un éclairage jaune qui faussera sa perception des couleurs…
Et ne croyez pas que les technologies modernes aient réponse à tout : lorsqu’un enregistrement est englué dans une vilaine réverb à cause de l’acoustique médiocre de la pièce où il a été réalisé, il existe certes des plug-ins qui tentent de diminuer cette dernière (et qui parfois même y réussissent en partie). Mais la plupart du temps, le mieux est encore de refaire l’enregistrement d’un point de vue qualitatif. C’est d’ailleurs comme avec Autotune et Melodyne : oui, ça permet de rendre à peu près juste un Justin Bieber quitte à tordre sa voix de façon bien peu naturelle, mais le mieux, le plus musical et le plus joli à la fin, on l’obtient tout de même en enregistrant un bon chanteur qui chante juste…
La pièce idéale
Quel que soit l’endroit que vous ayez choisi pour monter votre Home Studio, il vous faut donc tout faire pour que son acoustique soit la meilleure possible. Et la meilleure dans votre cas, ce sera la plus neutre et homogène possible sur le plan spectral (éviter que telle ou telle fréquence ne résonne plus que les autres), avec un temps de réverbération qui demeure raisonnable : on ne veut pas être dans une pièce anéchoïque (sans aucune réverb) car le son y est bien peu naturel, mais on ne veut pas être non plus dans une cathédrale où tout va se transformer en fouillis sonore. Disons qu’un RT60 de 0,5 seconde voire moins est idéal.
Pour ce faire, vous aurez très probablement à traiter acoustiquement votre pièce au moyen de différents panneaux et matériaux, mais, en amont de ce travail, il convient de parler de la forme même de cette dernière. Bien des acousticiens se sont en effet penchés sur les proportions idéales que devrait avoir une pièce pour que l’acoustique de celle-ci soit la meilleure possible et il résulte de ces débats d’experts une variété de points de vue sur ce passionnant sujet, prouvant s’il était besoin que la pièce parfaite n’existe pas. À titre indicatif, sachez que Sepmeyer préconise par exemple d’observer un ratio de 1: 1,6 : 2,33 entre la hauteur, la largeur et la longueur d’une pièce, ce qui nous donne pour une hauteur sous plafond de 2,40 m une largeur de 3,84 m et une longueur de 5,59 m. Une bien belle pièce, n’est-ce pas ?
Le problème avec cette formule, c’est qu’en dehors de faire plaisir à ceux dont la pièce dispose exactement des proportions décrites (c’est-à-dire probablement personne), elle ne sera pas d’une grande utilité pour ceux qui n’envisagent pas de faire du gros oeuvre, soit parce qu’ils sont locataires, soit parce qu’ils ne s’imaginent pas, après avoir âprement défendu le projet Home Studio contre celui de la chambre d’ami ou du dressing, devoir expliquer à leurs proches que l’idéal sur le plan acoustique serait de reculer le mur de la cuisine d’un bon mètre.
Aussi convient-il de ne pas faire une fixette sur la pièce idéale. Et plutôt que d’écouter les recommandations des acousticiens sur ce qu’il faudrait faire pour l’obtenir, mieux vaut s’en tenir à leurs consignes sur ce qu’il faut éviter si l’on ne veut pas se retrouver avec des gros problèmes acoustiques, et qui est déjà plus accessible… même si ça ne sera pas toujours une mince affaire !
Et ce qu’il faut éviter, c’est :
- Des rapports francs entre les dimensions des parois de la pièce (x1, x1,5, x2, etc.) : votre pièce ne doit pas être deux fois plus longue que large par exemple et encore moins carrée… et encore moins cubique ! Le cube, en acoustique architecturale, c’est en effet le mal incarné, l’antéchrist au point que si votre home studio est cubique, il vaut mieux poser une paroi artificielle pour casser cette forme, ou finalement accepter le projet de chambre d’ami.
- Les parallélismes entre les parois de la pièce parce qu’ils favorisent ce qu’on appelle les échos flottants (flutter echo), ce son typiquement métallique qu’on entend lorsqu’on frappe des mains dans un garage vide.
- Les angles droits ou aigus (ou fermés si vous préférez ce terme) parce que les ondes s’y concentreront alors que des angles ouverts favoriseront leur dispersion.
Vous voici donc fixé sur ce qui vous attends, et nous verrons évidemment comment nous y prendre dans un prochain article. Toutefois, avant d’en terminer avec la théorie, il nous reste quelques bricoles à aborder sur le plan de l’isolation.
Isolation phonique, son aérien et solidien
Évidemment, pour les problèmes de voisinage que nous avons évoqués précédemment comme pour ne pas être gêné dans votre travail par les bruits extérieurs, votre home studio se devra d’être le mieux isolé possible sur le plan phonique, ce qui se résume à deux objectifs simples : empêcher que les sons extérieurs se propagent à l’intérieur de votre pièce, et empêcher que les sons que vous allez produire se propagent à l’extérieur de cette dernière. Avant toutefois d’évoquer la façon d’arriver à cela, il n’est peut-être pas inutile de vous rappeler un petit détail.
Parce qu’on l’entend la plupart du temps à travers l’air, on a tendance à oublier que le son se propage encore mieux dans la plupart des liquides ou des solides parce qu’ils sont plus denses (les molécules y sont beaucoup plus rapprochées et le mouvement de l’onde se conduit ainsi beaucoup plus facilement) : si dans l’air, le son parcourt à peu près 340 mètres en une seconde, il parcourt en effet pour la même durée 1,48 km dans l’eau, 2,4 km dans du PVC rigide, 3,1 km dans du béton, 5,3 km dans du verre et jusqu’à 5,9 km dans de l’acier (toutes ces données sont bien sûr indicatives et dépendent grandement des caractéristiques des matériaux comme de facteurs météorologiques : pression, température, hydrométrie).
Si ces chiffres vous permettent de comprendre pourquoi, dans les westerns, les Indiens collaient leur oreille sur les rails pour estimer l’arrivée du cheval de fer ou pourquoi, même avec un casque et de la musique à fond, vous continuez d’entendre la fraise d’un dentiste dont les vibrations se propagent à votre mâchoire et votre boîte crânienne, ou encore pourquoi, lorsque le temps est humide, vous entendez à bien plus grande distance le bruit d’une autoroute, elles devraient aussi vous sensibiliser au fait que vos murs, qui peuvent combiner des tressages d’acier coulés dans du béton, ne sont pas exactement ce qu’il y a de mieux pour l’isolation sonore.
Et c’est là tout le problème car, naïvement, la plupart des gens n’envisage pas que les murs épais et solides qui les protègent du froid et de la pluie soient, dans la plupart des cas, leurs pires ennemis en matière d’isolation phonique. Le fait que ces derniers dérobent nos voisins à notre vue ajoute en outre une illusion d’isolement que tous ceux qui ont fait du camping connaissent bien, la même qui fait penser aux petits enfants que lorsqu’ils cachent leurs yeux, personne ne les voit. Or, ce n’est pas parce qu’on a fermé le zip de sa tente et qu’on a l’illusion d’être seul qu’on peut pour autant parler à voix haute du gros con qui a installé sa caravane juste à côté et dont la balle de tennis mord sur notre emplacement.
Bien sûr, il y a un monde entre un mur et une toile de tente et tout dépend de la façon dont auront été conçus les murs en question, mais gardons à l’esprit qu’en vis-à-vis du son aérien qui nous intéresse, il faudra toujours avoir le son solidien à l’esprit (le son qui se propage à travers les solides, donc). Car c’est en grande partie celui qui intéressera nos voisins comme nos proches et dont nous reparlerons évidemment dans notre prochain article qui sera beaucoup plus tourné vers le concret de l’isolation.