Technicien guitare pour Joe Perry et travaillant actuellement avec Angus Young, Trace Foster est sans conteste un acteur prépondérant dans le milieu de la guitare rock. Guitariste du groupe Letters from Jett, Trace voue un véritable culte au matériel guitare vintage.
Rendez-vous est pris un lundi soir, sur Skype, Trace étant originaire de Nashville dans le Tennessee.
JB – Hello Trace ! Très heureux de te retrouver pour cette interview ! Je sais que tu étais en tournée la semaine passée avec ton groupe, Letters from Jett. Peux-tu nous raconter brièvement cette tournée après quelques mois d’inactivité ?
Trace – Hello JB ! Très content de faire ta connaissance et de réaliser cette interview pour Audiofanzine. Nous n’avions pas joué depuis quatre mois avec le groupe, c’était super de pouvoir monter à nouveau sur scène ! On a également tourné un clip en Floride, donc on en a profité pour donner deux concerts là-bas. La réaction du public était énorme, les gens sont venus et n’étaient pas aussi effrayés que ce que je craignais, donc tout allait bien [rires]. J’habite à Nashville et ici, les gens montrent leur envie de reprendre une activité normale. Mais à part cette petite tournée d’une semaine, nos prochains gros évènements sont en avril prochain…
JB – Ici aussi la situation pour le milieu de la culture est assez incertaine… Trace, rentrons dans le vif du sujet. Est-ce que ton expérience de technicien guitare t’a aidé à choisir un certain type de matériel spécifique à tes besoins ?
Trace – Tu sais c’est marrant, je suis beaucoup plus critique pour moi-même [rires]. Quand je travaillais avec Joe Perry, connaissant par cœur les enregistrements d’Aerosmith, je savais exactement comment il devait sonner. Mais pour moi, je suis en perpétuelle recherche, je ne suis jamais satisfait [rires]. Je suis également producteur de disques, et quand j’enregistre je suis également très critique. On me dit souvent « ça sonne bien ! » ce à quoi je réponds « non ; pas encore ». Je suis un grand perfectionniste. Tu joues de la guitare toi ? Quels styles tu aimes aborder ?
JB – Oui bien sûr ; j’aime jouer de tout, des intrus de rap aux gros riffs de métal en passant par de la funk. J’aime jouer ce que j’aime écouter en fait, sans limites de style.
Trace – Génial ! C’est un super moyen pour progresser et se faire plaisir. J’ai moi-même emprunté à chaque musicien avec qui j’ai travaillé. Tu ne peux pas vraiment t’en empêcher quand c’est autour de toi tout le temps. C’est aussi pour ça que j’aime bosser avec d’excellents guitaristes plutôt qu’avec des tocards [rires].
JB – Oui j’imagine que cela doit être très inspirant d’être en coulisses à un concert d’AC/DC, regarder Angus danser dans tous les sens avec sa SG !
Trace – Des fois j’y pense pendant le concert. Tu sais, je suis à 2 mètres de la scène donc ça m’arrive de jeter un œil au public et de me dire « j’aurais jamais imaginé en 1978, quand je les ai vus pour la première fois, avec Bon Scott donc, que je serais là où je suis maintenant ». J’ai souvent l’impression de ne pas avoir accompli grand chose dans ma vie. Mais en regardant dans le rétro, je me dis que j’ai quand même fait beaucoup [rires].
JB – Ah oui, c’est certain !
Trace – Mais je veux en faire encore plus ! Je ne souhaite pas m’arrêter, il y a une liste de musiciens avec qui j’aimerais travailler avant de prendre ma retraite, on verra. Mais Angus… c’est juste l’un des meilleurs. Ce mec est tellement bon et tellement sympa ! Super guitariste mais également un être humain en or. Tous les membres du groupe sont d’ailleurs des gens formidables et ça se sait. Je n’ai jamais entendu personne dire du mal d’eux.
JB – Peux-tu nous en dire davantage sur les amplis que tu utilises et la façon dont tu les utilises ?
Trace – Je suis un « Marshall guy » évidemment. Pour ce qui est de l’amplification, je suis très old school, j’aime les amplis et le matos vintage. J’ai toujours l’impression qu’au fil du temps on s’est éloigné petit à petit du « bon son » seulement pour pouvoir produire plus, plus vite et moins cher. Ça me rappelle l’époque où je bossais avec Melissa Etheridge, j’étais technicien guitare mais aussi clavieriste et guitariste sur scène pendant plus de dix ans avec elle ! Un soir, Paul Reed Smith est venu à un concert, il m’avait fait une guitare Custom dans les années 90, à l’époque où ses guitares valaient $8 000. Maintenant, tout le monde a une PRS ! À l’époque c’était une sorte de « boy’s club », c’était un peu comme avoir une Ferrari. De nos jours, tout le monde joue là-dessus, avec l’arrivée des modèle SE notamment. C’est quelque chose que je comprends, bien sûr, mais je ne peux pas m’empêcher de me sentir un peu trompé parce que la mienne est vraiment folle ! Elle possède l’une des dernières touches en palissandre brésilien ! Le sustain est dingue, je suis certain qu’elle est encore en train de tenir la note dans son étui [rires]. C’est un peu pareil avec Marshall qui construisait à l’époque les meilleurs amplis du monde et qui sont partis dans une autre direction. Je me sens toujours trompé quand une marque change de philosophie pour produire quelque chose de moins bien. Tu m’as rassuré en me parlant du Marshall Studio Vintage [rires]. Si tu as l’occasion d’aller visiter l’usine et le musée Marshall, n’hésite pas c’est juste incroyable de voir des pièces de collection comme le premier JTM45 !
JB – Tu as la chance de travailler quotidiennement avec des pièces de musée justement…
Trace – Oui c’est vrai, ça rend presque fou au bout d’un moment tellement c’est incroyable. Avec AC/DC par exemple, on a soixante-quatre têtes d’ampli avec nous sur la route, on en utilise tellement tous les soirs ! Et ce sont tous des amplis vintage. Angus me disait l’autre jour que c’est Malcolm qui les choisissait. Il avait une oreille remarquable ; il n’avait qu’à jouer l’ampli quelques secondes pour savoir s’il était bon ou pas. Ce genre de groupe joue encore sur le même matos qu’à l’époque de toute façon, personne ne souhaite se défaire de tels amplis. Ce genre d’amplis avoisine les $25 000 en plus [rires].
JB – J’ai pu constater lors du Rig Rundown que tu as tourné avec nos collègues de Premier Guitar quand tu travaillais avec Joe Perry, qu’il utilisait de nombreuses pédales. Peux-tu nous en dire plus ?
Trace – Je recevais tous les jours de très nombreux coups de fil de la part de fabricants qui voulaient m’envoyer leurs pédales pour que Joe les utilise. Je leur répondais très simplement qu’il fallait qu’ils envoient trois exemplaires de la pédale : une pour moi, une pour le studio et une pour les tournées. Je leur précisais aussi que si je n’aimais pas la pédale, je ne la ferai même pas passer à Joe. Je pensais que cela me permettrait de ne pas être trop sollicité, mais je me trompais [rires]. Il y a deux semaines, j’ai donné environ cent-vingt pédales que j’avais et qui s’empilaient dans mon studio. En vieillissant j’ai arrêté d’acheter trop de matos. Il y avait de bonnes pédales que Joe a utilisées évidemment, mais au bout d’un moment ça devient flippant, il y en a trop. Les situations les plus cocasses regroupaient des gens qui m’appelaient pour que Joe entende l’ampli qu’ils avaient fabriqué. Alors je leur demande « pourquoi pas, ça sonne comment ? » J’avais souvent comme réponses « comme un Marshall Plexi ! » Alors je répondais très gentiment « Non merci, Joe a déjà ce type de son ». Par contre, si je recevais un coup de fil avec quelqu’un me disant « ça sonne comme rien de ce que tu as pu entendre auparavant », je pensais immédiatement « ok, tu peux nous en livrer un camion ? » [rires].
JB – En parlant de Joe Perry, j’ai pu voir dans le Rig Rundown qu’il jouait sur énormément de matériel et qu’il utilisait littéralement tous les modèles de lampes de puissance existantes et toutes les tailles de haut-parleurs existantes. C’est fou, comment parvenais-tu à harmoniser le tout ?
Trace – Bonne question, d’autant qu’il joue sur tout en même temps ! J’ai eu à faire quatre ou cinq Rigs complets avec Joe. Je développais l’ensemble sans qu’il sache réellement ce que je faisais. Il découvrait souvent mon travail le soir du premier concert ou au mieux en répétition. Il me faisait confiance à ce point et me demandait souvent « C’est quoi cet ampli ?! » parce qu’il est très curieux. J’ai eu la chance d’avoir le premier prototype d’ampli Morris, le premier prototype de chez Friedman également. Je connais Dave Friedman depuis trente-cinq ans, j’avais son ampli personnel en tournée, il m’avait dit qu’il n’était même pas certain qu’il fonctionne correctement. Du coup Joe disait : « j’ai un Morris Friedman » parce qu’il trouvait que ça faisait nom d’avocat [rires]. C’est aussi pour ça que je suis embauché sur de tels travaux. Les personnes du milieu savent de quoi je suis capable, je suis passionné et ai une bonne oreille, depuis très longtemps. Quand j’étais gosse, je m’amusais avec un petit enregistreur Fostex 4tracks. Je me souviens qu’on perdait tous les aigus quand on couchait le projet sur cassette, alors j’enregistrais avec plus d’aigus que de raison pour que le son final soit correct. J’ai développé mon oreille et mes capacités guitaristiques sans vraiment en avoir conscience et je n’ai jamais cherché à faire ce métier [rires].
JB – Tu t’es confronté à deux conceptions très différentes en termes de matériel. Joe Perry avec toutes les combinaisons possibles et imaginables de hauts-parleurs et lampes de puissance et Angus Young avec un ampli, un type de haut-parleur et un son. Quel a été le plus difficile à mettre en place ?
Trace – Le set-up d’Angus est de loin le plus difficile à faire fonctionner de manière quotidienne. Il y a tant de composantes dans le son qui doivent être là comme les harmoniques sur scène qui sont capitaux ! Le larsen pour le son d’Angus doit être totalement maîtrisé et focalisé sur une fréquence bien précise. Il doit y avoir un harmonique aigu et un harmonique dans les basses qui fournit ce grondement si caractéristique. C’est ce larsen si parfait qui fera qu’Angus sera à l’aise sur scène. C’est un résultat très difficile à atteindre d’autant qu’il faut recommencer tout le processus à chaque changement de lieu, donc à chaque concert ou presque. On met une journée complète à installer tout le matériel guitare pour AC/DC parce qu’il faut que ce son soit parfait mais également qu’il fonctionne sur toute la surface de la scène. Mais quand on a atteint le son, c’est extraordinaire. Et je le vois aux réactions d’Angus, à son jeu. Quand il tient la note avec expression, qu’il sent tout son corps vibrer, je sais que j’ai fait du bon boulot. Parce qu’en plus, ces gars-là ne font pas de soundcheck donc si je faisais quelque chose de mal, crois-moi j’en entendrais parler [rires].
JB – Je sais qu’une des composantes essentielles du son d’Angus est la tour Schaffer Replica de chez Solo Dallas. Je crois même qu’il a été un des premiers à utiliser le système sans-fil à l’époque. Peux-tu nous donner quelques précisions à ce sujet ?
Trace – Angus a effectivement été un des premiers guitaristes à utiliser le système sans fil Schaffer–Vega diversity system conçu autour de 1975–1976. Le secret du son d’AC/DC est le volume. Ce n’est pas de la distorsion venant d’une pédale, c’est de la distorsion liée au volume. Et on ne peut pas être dans une petite pièce avec ce genre d’amplis, ça te rendrait sourd directement. C’est comme ça qu’on a le son AC/DC. La tour Solo Dallas Schaffer Replica ajoute une toute petite touche de gain, un peu comme si on avait mis un préampli avant d’attaquer le Marshall. La philosophie d’Angus pour le matériel es très simple : si ça fonctionne, ne le change pas. Donc cette sorte de préampli fait partie intégrante de son Rig depuis les années 70. Au départ, cette petite tour accompagnait le système sans-fil conçu par Ken Schaffer. Mais pour s’assurer qu’il n’y avait aucune perte de signal, il a construit un préampli dans le récepteur, qui booste légèrement le signal. Comme tout préampli, le récepteur du système sans-fil ajoutait donc une certaine couleur au son qui est devenue rapidement indissociable du son d’Angus. Mais il faut bien garder à l’esprit que si ça fonctionne pour lui ne veut pas dire que ça fonctionnera pour toi. Beaucoup de gens m’écrivent pour me dire « j’ai acheté le matos exact d’Angus mais je n’ai pas le son ». Je leur réponds « non et tu ne l’auras jamais. » Tu pourrais te brancher dans le Rig d’Angus, tu ne sonneras pas comme Angus.
JB – Non, bien sûr, je sonnerai comme moi qui joue sur le Rig d’Angus.
Trace – Exactement. Tout est dans les doigts, le corps, le feeling.
JB – Surtout avec un guitariste comme Angus qui possède un toucher très spécifique et immédiatement reconnaissable !
Trace – Il peut jouer littéralement vingt-trois morceaux sans avoir besoin d’accorder sa guitare. C’est dingue ! Je ne peux même pas finir un morceau sans être désaccordé ! [rires] Son toucher est très particulier, c’est quelque chose qui ne s’enseigne pas. Ça me fait penser à Jeff Beck. La dernière fois que je suis allé le voir en concert, je suis parti. Le gars est un génie mais je ne comprends pas du tout comment il joue, comment il fait sonner sa Strat de cette manière ! J’y étais avec Greg Howard qui est le technicien de Stevie Young (à l’époque, il bossait pour Brad Whitford alors que je bossais avec Joe Perry). Une expérience similaire m’est arrivée la première fois que j’ai vu Randy Rhoads. On était allé au concert avec quelques-uns des meilleurs guitaristes de Chicago, l’album Blizzard Of Ozz n’était pas encore sorti, les gars ont joué trente minutes ! Et à un moment du concert, un des guitaristes avec qui j’étais venu est simplement parti. Il ne comprenait pas comment Randy obtenait un tel son. J’ai eu la chance de voir Randy trois fois sur scène, et c’est vraiment mon préféré.
JB – La première fois que j’ai vu AC/DC sur scène, ça a été un moment vraiment marquant aussi.
Trace – Oui ça ne m’étonne pas, ils sont fous. Leurs concerts sont presque des expériences religieuses à part entière [rires]. Quand je vois des fans du groupe venir avec leurs enfants, également fans du groupe, je trouve ça tellement cool !
JB – Parlons un peu de matos ; j’ai vu que tu avais intégré quelques amplis Supro dans le Rig de Joe Perry. Que penses-tu de ces petits amplis ?
Trace – Le Black Magick est l’ampli qu’a utilisé Jimmy Page sur le premier album de Led Zeppelin, c’est avéré, vérifié, prouvé, ce n’est pas une légende. Sa forme très simple permet de traduire avec authenticité et pureté la personnalité du guitariste qui se branche dedans. Ça me rappelle une expérience que j’ai eue avec un grand guitariste pour qui je travaillais et dont je tairai le nom. Habituellement il utilise tous ces effets en racks mais pour un petit concert sur un plateau de TV italienne, il a dû louer un AC-30 et je lui avais amené un mini-pedalboard avec seulement trois pédales. À la fin du concert, il se retourne vers moi et me dit « j’avais oublié à quel point c’était cool un AC-30 avec quelques pédales ! » Alors je lui demande « tu veux qu’on repense entièrement ton Rig ? » Et sa réponse a été « Pourquoi je ferais une chose pareille ? ». Les gens sont différents et fonctionnent différemment. Joe Perry par exemple souhaite avoir un acheminement du signal le plus court possible tout en passant par de nombreux équipements. Son jeu est très particulier, tout comme son rôle dans Aerosmith. Brad Whitford, qui a d’ailleurs joué avec mon groupe quelques temps, est un incroyable guitariste. Je fais souvent une analogie en disant que Brad est l’appareil à gâteau et Joe est le glaçage. [rires] Sans Brad, il n’y a pas de Joe. Je dis tout le temps que Joe est mon guitariste préféré mais également celui que je déteste le plus, dans le même morceau. Il est capable de sortir une phrase démentielle et de jouer la suivante complètement à côté de la plaque. Il est juste passionné et j’adore ça. Un jour en studio, je lui fais comprendre qu’il doit réaccorder sa guitare et il me répond « t’inquiète, je ferai des bends pour être juste, je veux pas perdre le groove et le feeling que j’ai maintenant ». Très peu de guitaristes de nos jours sont passionnés à ce point.
JB – Oui ce sont deux écoles très différentes effectivement. On voit que le jeu de Joe est très passionné et sert la musique quand on le voit jouer de nombreuses guitares très différentes. En as-tu déjà parlé avec lui ?
Trace – Oui je lui ai demandé il n’y a pas si longtemps d’ailleurs ! En fait, en commençant son apprentissage de la guitare, il n’avait pas beaucoup de sous et n’avait qu’une seule guitare. En grandissant et en connaissant le succès qu’il a rencontré avec Aeorsmith, il a pu s’offrir les guitares dont il avait envie. Et il ne s’est pas vraiment retenu [rires]. Je me demande encore comment il passe d’un manche Gibson des années 50 type batte de baseball à un manche de Telecaster des années 60, très fin.
JB – Quand j’ai commencé la guitare, je n’y connaissais rien en matériel. Je ne faisais donc pas vraiment attention aux différences entre telle ou telle guitare vu que je ne connaissais pas ces différences ; on n’y pense pas en fait quand on ne connaît pas les détails.
Trace – Exactement ! Un jour en studio, Joe avait branché trois pédales et je lui dis « Tu fais quoi, elles sont pas dans le bon ordre ! » Il me répondit « Comment ça pas dans le bon ordre…? » Son delay n’était pas en fin de chaîne et cela pouvait poser problème. À la fin de la prise, j’ai remis les pédales dans le bon ordre, le son était presque identique. Il ne réfléchit pas à telle ou telle méthode, il joue à l’instinct, et c’est la même chose pour ses guitares. À l’époque, il achetait des cordes de banjo parce qu’il ne trouvait que ça ! Il jouait avec du tirant 007–038, c’est fou comme les guitaristes s’adaptaient beaucoup plus à l’époque. De nos jours, tu feuillettes le catalogue Ernie Ball et tu as des pages et des pages de références différentes …
JB – Oui les temps ont changé, la consommation également. Les gens sont extrêmement renseignés et savent précisément ce qu’ils veulent et pourquoi ils le veulent.
Trace – Ah ça oui, les temps ont changé. Je me revois encore à côté de la platine vinyle de mes parents en train de ralentir les enregistrements et d’accorder ma guitare plus bas pour essayer d’apprendre tel ou tel solo ! Il n’y avait que cette méthode avant internet, je passais mon temps à enlever et remettre le diamant sur le disque. Ça me prenait des semaines ! Comme les Beatles qui n’hésitaient pas à faire une heure et demie de bus parce qu’ils avaient entendu parler de tel gamin qui connaissait un nouvel accord de guitare.
JB – Revenons au présent et parlons un peu de ton matériel. Quel ampli utilises-tu ?
Trace – Avec mon groupe Letters from Jett on joue une sorte de South Rock, ambiance Lynyrd Skynyrd mais avec une touche Eagles et Tom Petty. Avant de rejoindre le groupe, je l’ai produit ; après les avoir entendus jouer trente secondes, j’ai compris que j’étais en face de quelque chose de costaud. Ils n’en avaient aucune idée, ils viennent d’une petite ville de l’Arkansas et ils jouaient pour se faire plaisir, entre potes. J’ai donc immédiatement accepté de produire leur premier album et c’est moi qui ai joué toutes les parties de guitare. Ils ont fini par virer leur guitariste et m’offrir la place dans le groupe. J’ai accepté de partir en tournée en attendant de commencer à bosser avec Angus, et j’ai finalement joué sur toute la tournée et sur le deuxième album du groupe ! En studio j’utilise beaucoup le Fractal Axe-Fx que j’envoie dans un préampli Neve de 1964. J’ai beaucoup travaillé avec Fractal sur des réponses impulsionnelles. Les gens se demandent souvent pourquoi j’utilise un Fractal, moi, amoureux du Vintage, possesseur d’un Fender Bassman de 1963. Je leur réponds simplement qu’il s’agit d’un outil formidable. Il faut vivre avec son temps [rires]. Neuf fois sur dix, quand je donne le choix aux guitaristes que j’enregistre entre quinze amplis différents et le Fractal à l’aveugle, ils choisissent le Fractal. Et en général, le son que j’ai sur le Fractal m’a demandé dix secondes de manipulation. Alors qu’un placement de micro devant une enceinte peut me demander plus d’une heure et demie ! En concert j’utilise l’ampli que Simon Murton a réalisé pour moi. Simon s’occupe à plein temps de la maintenance électronique des amplis d’AC/DC et possède aussi sa propre marque, Skog. Il s’agit de mon ampli principal, un ampli qu’Angus pourrait jouer. Il possède un côté Marshall Plexi mais avec une légère couleur AC-30. Ma fille l’a ensuite peint ce qui lui confère un look vraiment original. J’ai aussi une tête Orange Overdrive et une tête Bogner en plus de mon super combo Magnatone de 1956. En concert j’utilise cinq enceintes Marshall montées en Celestion Vintage 30. La tête Skog alimente deux enceintes et ma tête Divided by 13 RSA23 alimente deux enceintes également. La dernière enceinte est alimentée par le Fractal. Je n’utilise pas beaucoup de pédales. J’ai la Nobels Overdrive Mini que j’adore pour son côté vintage. TC Electronic est une marque que j’ai découverte et appréciée il y a un moment, j’utilise toujours leurs delay et réverbe en studio. J’ai même été l’un des premiers à faire des Tone Prints, avec Steve Stevens.
JB – Steve Stevens est vraiment un de mes guitaristes préférés, son nouveau groupe est énorme !
Trace – Absolument ! J’ai fait une tournée avec eux, je m’occupais de Geezer Butler, bassiste du groupe. Ils sont tous adorables, on a passé de super moments !
JB – Trace, quelle est ta guitare de prédilection ?
Trace – Je joue une vieille Les Paul Custom noire et une vieille Les Paul Sunburst Standard. J’ai aussi une Telecaster de ’74 et une Gibson ES-339 Custom Shop qui est incroyable. Mon arsenal compte également une Suhr Strat et quelques Duesenberg dont une que je baptise Titanic. Il s’agit d’un prototype que la marque m’a offert pour me remercier de leur avoir présenté Johnny Depp. L’histoire de la 339 est marrante ; elle appartenait à un producteur de disques qui avait besoin que je la répare. Dès le premier accord que j’ai joué dessus, j’ai compris qu’il me la fallait. Je l’ai tanné pendant des années pour qu’il me la vende, la guitare figurant sur tous les disques qu’il a enregistrés, il y tenait énormément. Jusqu’au jour où il m’appelle pour m’annoncer qu’il la vend pour financer un autre instrument. Je lui ai alors échangé la guitare contre un half-stack Mesa/Boogie, un Axe-Fx et une autre guitare. J’ai dû lui donner trois fois la valeur de la guitare avec tout ça [rires] mais ça valait le coup, je la voulais plus que tout. Quand j’ai posé les mains ou les yeux sur un type de matériel que je veux, la plupart du temps je suis obligé de l’acheter [rires].
JB – C’est pareil chez moi [rires] et ça pose souvent problème d’ailleurs ! Il y a des instruments vintage qui te font juste vibrer, et c’est compliqué de partir sans !
Trace – Absolument ! Les arbres qui étaient abattus à l’époque pour construire les premières guitares électriques avaient déjà deux cents ans. Le bois était déjà vieux et bien sec, et ce sont des instruments qui, cinquante, soixante, soixante-dix après, sont vraiment merveilleux et très dynamiques. Alors que de nos jours, les arbres sont plantés pour pousser plus vite qu’à la normale et ils sont abattus alors que le bois est encore humide. Je ne pense pas que des guitares que tu peux acheter aujourd’hui vivront pendant soixante ou soixante-dix ans. On n’entend personne dire « J’ai une Strat de 2005, elle est super !! » [rires].
JB – Oui c’est vrai. J’ai eu la chance de jouer une Telecaster ’52 originale, c’est effectivement une expérience incroyable.
Trace – Ce sont des instruments absolument géniaux. Je suis tombé un jour par hasard sur un mec qui possédait la Telecaster ’52 de Danny Gatton. On n’était pas certains de l’origine de la guitare donc on a retiré le pickguard à la recherche de numéros de série ou marques d’époque permettant de l’authentifier. Une fois le pickguard retiré, quelques médiators de Danny Gatton firent leur apparition, ils étaient passés sous le pickguard et logeaient dans la cavité des micros. Il s’agissait de médiators des années soixante-dix. Nous n’avons pas eu besoin d’aller plus loin pour authentifier cette guitare totalement légendaire et incroyablement résonnante. [rires]
JB – Depuis combien de temps joues-tu de la guitare ?
Trace – J’ai cinquante-six ans, il paraît que je ne les fais pas. Je fais du sport tous les jours, je ne bois pas d’alcool, je ne fume pas et je suis vegan. Je prends soin de moi, je trouve que c’est très important pour faire du bon boulot. Ça fait quarante-cinq ans que je joue, je devrais être le meilleur !! [rires] Mais j’en apprends tous les jours, je continue à découvrir de nouveaux artistes qui m’inspirent et m’ouvrent de nouveaux horizons. J’ai trouvé un bouquin il y a trente-cinq ans qui s’appelle Fretboard Roadmaps qui m’a beaucoup appris sur les accords et leurs renversements. Avant ça, je ne jouais que des barrés, je pensais qu’il n’y avait que ça ! [rires]
JB – Oui c’est sûr, même des guitaristes comme Joe ou Angus apprennent encore tous les jours bien qu’ils figurent au Panthéon des guitaristes.
Trace – Pour ces gars-là, c’est encore autre chose. Ils sont d’excellents compositeurs et s’inspirent de leur environnement, des ambiances dans lesquelles ils sont plongés et de leurs sentiments. Ça aboutit souvent à une bonne chanson. Il faut mettre des sentiments dans la musique. J’ai eu l’occasion d’enregistrer des chanteurs vraiment excellents mais incapables de chanter les chansons des autres, ils n’arrivaient pas à s’engager suffisamment pour obtenir un résultat satisfaisant pour moi. Pour la guitare c’est pareil, à chaque fois que j’attrape le manche de ma Les Paul préférée, c’est comme retrouver un vieil ami, ça créé des sentiments et c’est très inspirant.
JB – Tu sembles réellement engagé dans ton métier et ta conception de la musique est très organique et sensible. C’est un parcours auquel tu te destinais ?
Trace – On a tous eu des groupes quand on était au lycée, toi aussi j’imagine. Au fil du temps, les collègues musiciens se posent, ont des enfants et embrassent une carrière loin de la musique. Moi j’ai jamais perdu l’envie et le plaisir de jouer. Mais non, je ne l’ai pas choisi du tout, il fallait que je le fasse. Quand les gens me demandent comment j’en suis arrivé là, je leur réponds que je ne voulais pas faire ça du tout, au départ je jouais au base-ball et voulais devenir pro [rires]. Mais je ne pouvais pas m’arrêter de jouer de la musique. Quand j’étais en cours, j’y pensais tout le temps, en lisant Guitar Player Magazine au lieu de faire mes devoirs. Je perçois en te parlant que c’est également le cas pour toi [rires].
JB – Effectivement ! [rires]Trace, parlons un peu de ton groupe, Letters from Jett. J’ai vraiment beaucoup aimé les deux albums. La production est super, le son de batterie m’a particulièrement enthousiasmé.
Trace – Merci beaucoup ! C’est vrai qu’on a pas mal bossé sur le son, ça me fait plaisir que tu l’aies remarqué. On veut faire des disques que tu puisses écouter en faisant autre chose, un peu comme musique d’arrière-plan qui rythme l’activité que tu fais en même temps, tout en étant présente et entraînante. On a voulu donner une ambiance vraiment typique du South Rock, avec un très joli son de guitare acoustique. Le chanteur joue de la folk et utilise des guitares Takamine qui sont vraiment géniales. On a utilisé aussi quelques Gibson J-45 pour cette couleur si typique et une douze-cordes Ovation. J’ai souvent tendance à en mettre partout, quitte à retirer des pistes plus tard [rires]. Je préfère avoir trop et ne pas tout utiliser plutôt que de constater qu’il me manque des éléments que j’aurai dû enregistrer. Le premier album du groupe est un des rares disques que j’ai produits dont je suis très fier et auquel je n’ai envie d’apporter aucune modification. Mais on a passé huit mois complets dessus…
JB – Quel conseil donnerais-tu aux jeunes guitaristes pour choisir leur première ou deuxième guitare ?
Trace – Ça peut sembler évident, mais il faut jouer la guitare. Il faut sentir quelque chose se passer quand tu prends l’instrument sur tes genoux et que tu joues avec. J’ai des guitares à $3 000 que je n’aime pas et une autre petite guitare à $50 que je n’arrive pas à lâcher tellement je l’adore [rires]. Il y a énormément d’infos sur internet, sur absolument tout, mais le plus important est de jouer l’instrument et de se faire son propre avis, sa propre expérience. Je vois souvent des articles ou vidéos passer sur le son d’AC/DC avec telle ou telle pédale. Ça me fait de la peine et en même temps ça me passe au-dessus, parce qu’effectivement, qui peut s’offrir une tête Marshall de 1972 … moi je peux [rires] mais ce n’est pas le cas de tout le monde ! C’est marrant, en grandissant, Aerosmith et AC/DC étaient mes deux groupes préférés ! Je me souviens du premier Bootleg d’Aerosmith que j’ai eu entre les mains, j’ai lu et appris par cœur tous les noms des personnes ayant participé au disque. Et maintenant, c’est mon nom qui figure sur les disques d’Aerosmith, j’achète toujours les albums et je suis terriblement fier en voyant mon nom dessus ! [rires]
JB – Pour toi ça restera toujours la Les Paul de toute façon [rires]
Trace – Oui, c’est un instrument extraordinaire qui m’a toujours beaucoup enthousiasmé. Je joue souvent la ’59 de Joe Perry. Pour en avoir joué quelques-unes, celle de Joe est tout simplement hallucinante. De nombreux guitaristes l’ont eue entre les mains et l’ont possédée, Slash en particulier. Mais il connaissait la valeur de cette Les Paul aux yeux de Joe Perry alors il lui a offert. Certainement le plus beau cadeau qu’on puisse recevoir, la guitare est vraiment folle. Quand on la fait bouger un peu, elle voyage dans un coffre fort gardé. Mais cela rejoint ce dont on parlait plus tôt, à cette époque, ils fabriquaient 600 guitares par an … aujourd’hui on est en presque à 400 par jour [rires] !
JB – Trace, merci infiniment pour ce très agréable moment passé avec toi !
Trace – Merci à toi JB, ça m’a fait plaisir, c’est toujours sympa de rencontrer d’autres passionnés de guitare et surtout qui font partager cette passion au plus grand nombre ! Si vous passez par Nashville un jour avec Audiofanzine, n’hésitez pas à venir me voir au studio [rires] !
JB – Avec grand plaisir ! À bientôt !
Interview réalisée les 22 et 23 juin 2020, un grand merci à Jean-Louis Duclaux pour le contact.