Trois ans après l’annonce de son développement, le Pro-800 promet d’offrir le son analogique polyphonique du Prophet-600 dans un module compact affiché à un tarif incroyablement bas, avec des fonctionnalités étendues. Pari réussi ?
Présenté en 1983 par Sequential, le Prophet-600 est une version « abordable » du Prophet-5, intouchable pour le commun des musiciens. C’est aussi l’un des tout premiers synthés à intégrer une interface Midi. Doté d’une polyphonie de 6 voix, il utilise des circuits intégrés pour ses VCO (CEM3340) et ses VCF/VCA combinés (CEM3372), alors que les enveloppes et le LFO sont numériques. Technologie numérique vintage oblige, le synthé manque de punch. Il y a quelques années, un de nos brillants compatriotes, Fabrice Guilhaume alias GliGli, a mis au point un nouvel OS basé sur un module Teensy, prenant la place du processeur Z80 bien essoufflé, améliorant considérablement la partie numérique du synthé : résolution des commandes, vitesse des modulations, ajout de fonctionnalités, réponse aux CC Midi…
Pas étonnant de voir Behringer faire appel à ses talents au début du développement de sa version revisitée au format module du Prophet-600 : le Pro-800. Le synthé devra être « abordable » comme son ancêtre. Mais ce qualificatif n’a plus du tout le même sens de nos jours, si on en croit le tarif bien en dessous du ras des pâquerettes affiché chez les revendeurs. Au point qu’il est presque plus difficile d’en acheter un que de le payer, le constructeur se targuant sur les réseaux d’avoir enregistré 50.000 précommandes auprès de ses revendeurs le premier jour de commercialisation. Au-delà du record, qu’en est-il au plan de la fidélité sonore, de la qualité de construction et de l’ergonomie ?
Boitier polyvalent
Le Pro-800 se présente sous le même format desktop que le Pro-1, à savoir un boitier métallique robuste équipé de flancs en bois, mesurant 43×14 cm et pesant 1,65 kg. Il est donc facilement transportable. On peut également l’intégrer dans un module Eurorack où il occupera 80 HP (on démonte la façade est on branche le câble d’alimentation Eurorack fourni) ou le monter dans un rack 19 pouces 3U en achetant les cornières optionnelles appropriées.
La prise en main est immédiate, surtout si l’on se contente des commandes en façade, quasi identiques à celles du Prophet-600 : à gauche, une membrane intègre un pavé numérique (choix du programme), un LCD à 4 diodes 7 segments (affichage des numéros de programme, paramètres, valeurs), des touches de menus (programme, performance, système, Autotune, séquences, arpèges…) et un encodeur lisse pour l’édition des valeurs. La membrane inspire confiance, avec un clic mécanique franc pour chacune des touches.
Le reste du panneau est occupé par une large surface dédiée aux paramètres de synthèse, groupés par module : oscillateur A, oscillateur B, Poly-Mod, LFO-Mod, Noise, Glide, filtre, ampli. Elle comprend aussi des potentiomètres d’accordage et de volume, totalisant 26 potentiomètres et 15 sélecteurs pour éditer les sons en direct. Les potentiomètres sont résistants et fermes, on sent la qualité de fabrication monter chez le fabricant.
Les yeux les plus affûtés noteront déjà quelques ajouts par rapport au Prophet-600 (voir encadré). La plupart nécessitent hélas d’entrer dans des menus, synonyme de nombreuses combinaisons de touches pénibles à mémoriser (PRESET+0 pour initialiser un son, PRESET+7 pour créer un son aléatoire, appui bref sur PERF pour entrer en mode manuel, etc.). Nous n’avons pas trouvé de fonction Compare. Pire, le manuel multilingue de prise en main est plus que laconique et donne des chiffres parfois contradictoires. À revoir…
Tripes et connectique
En ouvrant le boitier, on découvre deux cartes superposées toute largeur et une petite carte pour la connectique audio arrière reliée par une nappe. La carte supérieure intègre les commandes, le processeur et la connectique avant, alors que la carte inférieure regroupe les 8 voix analogiques bien rangées en colonnes. Elles utilisent des CMS et sont hyper rationalisées. On reconnait immédiatement les circuits intégrés V3340M (clone Cool Audio du VCO CEM3340) et V3320 (clone Cool Audio du VCF CEM3320). Il s’agit donc d’une conception a priori plus proche du Prophet-5 que du Prophet-600, qui utilise un CEM3372 pour ses VCF/VCA, nous y reviendrons.
La connectique est située sur l’avant et l’arrière, un classique sur les modules Behringer compatibles Eurorack. À l’avant, on trouve l’entrée Midi DIN et 4 prises mini-jack : entrée synchro, entrée CV vers le filtre, sortie casque et sortie audio ligne. Sur l’arrière, on trouve une sortie audio en jack 6,35 vissé, une entrée pour pédale de maintien en jack 6,35 vissé, un quadruple sélecteur de canal Midi (1–16), une prise Midi DIN (Out/Thru commutable via le menu), une prise USB-B (notes, PC, CC/NRPN 7/14 bits, Sysex Midi pour l’archivage des programmes et mise à jour du micrologiciel), un bouton poussoir marche/arrêt et une borne pour bloc secteur externe 12VDC/1,2A pas trop cheap, avec son bloc central et son cordon détachable, un élément inhabituel à noter dans cette gamme de prix.
Fidèle au Prophet ?
La mémoire du Pro-800 comporte 400 programmes organisés en 4 banques, accessibles via la touche PRESET (choix de la banque ABCD) et le pavé numérique (sélection de l’un des 100 programmes). On aurait aimé pouvoir faire défiler les sons avec l’encodeur pour aller plus vite. La première banque contient les 100 programmes d’usine du Prophet-600, avec leur petit nom qui défile, mais leur qualité n’est pas vraiment transcendante. Qu’à cela ne tienne, on peut s’en servir comme point de départ ou les effacer pour programmer ses sons, puis archiver tout cela via Sysex. On peut aussi acheter la très bonne banque « The Voices of the Prophets » de DSP Quattro, qui a servi de base aux extraits sonores de ce test. Il est impossible de nommer les sons ; chose curieuse, le nom des programmes d’usine est conservé même quand on les écrase. L’application Synthtribe, téléchargeable sur le site du constructeur, permet de faire quelques réglages système/Midi/arpèges/séquences pour certains additionnels, ainsi que la mise à jour du micrologiciel (1.2.7 installé avec succès), mais ne fait pas office d’éditeur de tous les menus du synthé ni de bibliothécaire, dommage. Dès qu’on bouge une commande, l’écran affiche la valeur du paramètre (par exemple ON/OFF, TRI/PULSE ou 0–999 pour les paramètres continus ; on aurait préféré des valeurs signées pour les paramètres bipolaires comme le désaccordage du VCO2 ou le contour du VCF, genre -500 à +499).
Allez, parlons du son. Le niveau de sortie est bon, la plupart du temps très proche du 0 dB sans ajouter de gain. Le bruit de fond est minimum, on ne s’en plaindra pas. Une fois à température, le synthé tient bien l’accord, sans pour autant être strictement aligné sur toutes les voix : on sent quelques légers flottements çà et là, tant mieux ! L’éventail sonore ne sort pas vraiment des sentiers battus, compte tenu des possibilités de synthèse basiques, comme nous le verrons plus tard. Nous restons bien souvent dans les strings, cuivres, nappes, basses, leads, synchro classiques, ainsi que quelques effets spéciaux obtenus via la Poly-mod. On apprécie toutefois les paramètres supplémentaires comme la réponse à la vélocité et à la pression assignées au filtre, permettant une meilleure expressivité. Nous n’avons pas de Prophet-600 sous la main pour une comparaison directe, nous connaissons toutefois bien le synthé. Cela nous permet d’apprécier le travail des concepteurs dans la reproduction du grain originel et de certains comportements spécifiques, notamment la compensation de la résonance des filtres (nous en reparlerons). Mieux, le Pro-800 est capable de sortir des sons claquants grâce à ses différentes courbes d’enveloppes programmables, on sort de la mollesse typique du Prophet-600, excellent !
- Pro-800_1audio 01 Pressure Brass00:17
- Pro-800_1audio 02 Filtered Brass00:19
- Pro-800_1audio 03 Straight Brass00:10
- Pro-800_1audio 04 Blood Organ00:36
- Pro-800_1audio 05 Bass Backslap00:19
- Pro-800_1audio 06 Impact Bass00:22
- Pro-800_1audio 07 Big Bass00:46
- Pro-800_1audio 08 Soft Impulse00:43
- Pro-800_1audio 09 PWM Strings00:49
- Pro-800_1audio 10 Solo Sync FM00:53
Parcours analogique
Le Pro-800 est un synthétiseur analogique monotimbral polyphonique 8 voix. Les modules sonores sont analogiques et les modulations numériques. La résolution pour le pilotage en tension des modules et la génération des modulations est bien plus élevée que sur le Prophet-600, avec 1000 valeurs pour les paramètres continus ; il n’y a pas le moindre aliasing ou effet de pas. L’architecture est inchangée : pour chaque voix, 2 VCO, 1 bruit, 1 VCF, 1 VCA, 2 enveloppes et 1 LFO global. Les VCO peuvent chacun générer 3 ondes simultanées : dent de scie, triangle et impulsion à largeur variable (de 1 à 99 %). Ils peuvent être accordés sur 4 octaves, par octave, demi-ton ou en continu. Ce choix est à faire via le menu : par défaut c’est par octave et c’est mémorisé par programme, deux mauvaises idées à reconsidérer rapidement. Le VCO B peut être finement désaccordé du VCO A (réglage bipolaire, merci) et le synchroniser (Hard Sync), pour ce son métallique typique quand on module le pitch du VCO A. Avant d’attaquer le filtre, on peut doser les niveaux de chaque VCO et d’un générateur de bruit blanc venu s’inviter à la fête. Pousser les niveaux au-delà de 50 % commence à saturer le VCF, pour un son plus épais, ce que le Prophet-600 de base ne permet pas (sauf à lui ajouter le processeur de GliGli).
Le filtre du Prophet-600 était généré par un circuit intégré comprenant un mixeur d’entrée à 2 voix, un filtre passe-bas 4 pôles à résonance interne compensée et un VCA de sortie, ce qui permettait de simplifier les schémas et réduire les coûts par rapport au Prophet-5. La conception de Behringer est différente, puisqu’elle utilise un mixeur, un VCF et un VCA séparés. Cela complexifie les schémas, qui se rapprochent de ceux du Prophet-5. Le point particulier à vérifier, c’est la reproduction de la compensation de résonance intégrée au CEM3372, alors qu’elle ne l’est pas dans le 3320 utilisé ici. Force est de constater que les développeurs ont ajouté ce qu’il fallait pour la recréer, un excellent point ! Le réglage manuel de la fréquence de coupure est parfaitement lisse. Le contour est bipolaire (merci !) et le suivi de clavier possède trois valeurs (0–1/2–1). Pousser la résonance fait entrer le filtre en auto-oscillation, où il produit une onde sinus bien maitrisée. Après le VCF, on passe dans le VCA final (monophonique) modulé par une enveloppe dédiée. Rien de bien original dans tout ça… Les voix peuvent être jouées à l’unisson (8 voix avec désaccordage et 3 modes classiques de priorité) ou en accords (mémorisés dans chaque programme), sympa.
Modulations variées
Commençons ce tour des modulations par le Glide polyphonique, dont on peut régler la vitesse et le mode (vitesse ou temps constant, accessible par le menu). Vient ensuite le LFO global à cycle libre, capable de produire 6 formes d’ondes (3 groupes de 2 ondes dont S&H et bruit, sélectionnés par le menu). La fréquence peut varier de 0,08 à 20 Hz (2 plages de vitesse sélectionnées par le menu), mais n’est pas synchronisable en Midi. Le LFO peut être assigné aux fréquences des VCO, aux PWM des ondes impulsions et au VCF. Via le menu, on peut décider quels VCO et quelles PWM sont ciblées par le LFO (A&B, A ou B). La quantité de modulation commune aux destinations engagées est dosable à la main et via la molette de modulation. On trouve aussi un vibrato supplémentaire programmable via le menu (vitesse, quantité) assigné à la molette de modulation, bon à prendre…
Il y a deux enveloppes ADSR par voix, la première préassignée au VCF, la seconde assignée au VCA (non débrayable). La modulation de l’enveloppe de VCF est bipolaire, nous l’avons dit. Les enveloppes peuvent fonctionner suivant 4 courbes de réponse (linéaire/exponentielle x lente/rapide), accessibles via le menu, ce qui permet d’apporter un punch non négligeable (surtout depuis l’OS 1.2.7), là où le Prophet-600 est mou du genou. Enfin, la section Poly-Mod permet des modulations polyphoniques, comprenant 2 sources dosables (VCO B et enveloppe de VCF, avec contour bipolaire pour cette dernière) et 2 destinations assignables (fréquence du VCO A et VCF). On apprécie cette section depuis qu’elle a été conçue il y a 45 ans par le regretté Dave Smith pour le Prophet-5, permettant de créer des modulations bien barrées, surtout en utilisant le VCO B comme source dans le domaine audio. Un nouveau tour dans le menu permet de régler l’action de la vélocité sur le VCF et le VCA, puis l’action de la pression sur le VCF, le VCA et la quantité de LFO. C’est très bien, mais ça commence à faire pas mal de paramètres cachés à retenir…
Arpèges et séquences
Comme le Prophet-600, le Pro-800 renferme un arpégiateur basique, dont les réglages sont mémorisés par programme. On choisit le motif d’arpège avec les touches ARP UP-DN (haut, bas, haut & bas, bas & haut), l’ordre des notes avec la touche ARP ASSIGN (comme joué ou aléatoire) et le maintien de lecture avec les touches ARP+REC. Il n’y a pas d’autres réglages, c’est on ne peut plus basique, mais toujours utile.
Le séquenceur est quant à lui capable d’enregistrer 2 séquences polyphoniques globales. L’enregistrement se fait par incrémentation de pas, à concurrence de 400 évènements (notes, silences). Si on dépasse la capacité mémoire, on écrase les pas du début. Les séquences peuvent être lues de 1/4 à 4 fois la vitesse d’enregistrement et sont bouclées là où l’enregistrement s’est arrêté, point barre. Les deux séquences peuvent être engagées en même temps, on peut même faire tourner l’arpégiateur ou jouer par-dessus. Bon, rien de bien nouveau ici par rapport au Prophet-600.
On est très mal…
Lorsque Behringer a annoncé le Pro-800, tout le monde rêvait d’un tarif avoisinant les 600–700 €, sans trop y croire. Certains ne donnaient pas cher de la peau du constructeur, il n’y a qu’à relire les forums et réseaux sociaux. La gestation fut certes longue, mais on peut aujourd’hui se payer un synthé analogique polyphonique à 8 voix pour la moitié de ce prix, avec 400 mémoires, des fonctions Midi complètes et une garantie fabricant de 3 ans. C’est tout simplement inédit, pour ne pas dire ahurissant ! Pour cette somme modique, on a une machine à la construction soignée en tout point, offrant un son analogique classique respectueux du Prophet-600, notamment sa compensation de résonance, avec pas mal d’améliorations fonctionnelles bien senties. Il est facile de créer ses programmes, tant qu’on se limite aux commandes en façade, car le passage par les menus, avec ses nombreuses combinaisons de touches, est aussi indigeste que l’abominable manuel. Un recours à une antisèche s’imposera. Mais ce sont là des griefs presque acceptables quand on rapporte les qualités du synthé au tarif affiché. Une machine idéale pour se lancer dans la synthèse soustractive polyphonique analogique ou compléter un set numérique. Allez, Award Qualité/Prix, patron !