Cinq ans après avoir présenté le Little Phatty, Moog décline son petit synthé analogique sous forme de module. Le Slim Phatty serait-il parvenu à totalement démocratiser le son Moog ?
Le Little Phatty est le dernier développement de Bob Moog, disparu en août 2005. C’est Cyril Lance, recruté quelques mois auparavant, qui sera chargé de finaliser l’œuvre du Maître. Les premiers Little Phatty montrent leurs potards au salon de Francfort en mars 2006. On peut assimiler la machine à un croisement de Prodigy et de Source, deux synthés conçus au début des années 80, déclinés du Minimoog D. En effet, si le Little Phatty emprunte au Prodigy les 2 VCO et le look, il s’inspire des mémoires et de la méthode de programmation du Source. C’est fin 2010 que Moog Music annonce un Little Phatty démocratique sous forme de module. Par démocratique, il faut entendre largement sous la barre des 1000 dollars. Le Slim Phatty serait-il le petit synthé des peuples tant attendu ?
Allégé en sucres
Le Slim Phatty est le synthé analogique « poids plume » signé Moog, puisqu’il pèse moins de 3 kilos pour 50 cm environ de large. La construction tout en métal s’avère très solide et même si la tôle est fine, elle ne plie pas. La sérigraphie est assurée par un film type Lexan collé en façade, comme sur tous les produits Moog. Cette face avant compte pas moins de 34 interrupteurs poussoirs à LED (certains bicolores rouge / orange suivant l’état de la machine), 4 gros potards cerclés de 15 diodes rouges indiquant la valeur des paramètres appelés, 2 potards classiques un peu trop sensibles (dédiés l’accordage et au volume), 1 encodeur / poussoir cranté (réglage des valeurs, sélection des programmes, navigation) et 18 LED. On note un certain jeu dans les potards et encodeurs, l’ancrage n’est pas aussi parfait que sur un Voyager. Un LCD 2 × 16 caractères éclairé en bleu clair affiche les paramètres supplémentaires lors de l’édition ou du jeu.
La connectique est située à l’arrière et sur un plan en retrait, ce qui permet une mise en rack parfaite sans aucune gêne des câbles. Il occupe alors 3 unités de haut dans un rack 19 pouces, ni plus, ni moins. Comme toujours chez Moog, les connecteurs sont de très bonne qualité et solidement ancrés à la carcasse par vissage. Il s’agit en l’occurrence d’une prise USB, d’une prise casque, d’une sortie audio mono, d’une entrée audio, de 4 entrées CV / Gate, d’un trio Midi, d’un interrupteur et d’une broche pour prise secteur (alimentation interne universelle, merci…). La prise USB type B est limitée aux signaux Midi ; les entrées CV / Gate permettent de contrôler le Slim Phatty avec un contrôleur analogique externe (genre pédale, synthé modulaire, séquenceur, Theremin…) : elles sont connectées au pitch (CV), filtre (CV), volume (CV) et clavier (Gate). Dommage que Moog ne propose pas en option des sorties CV / Gate comme c’est le cas pour le Little Phatty, cela aurait fait du Slim Phatty le parfait convertisseur USB – Midi – CV / Gate. De même, pourquoi avoir mis la prise casque à l’arrière, alors qu’elle était judicieusement placée devant sur le Little Phatty ?
Facile à comprendre
En utilisation standard, le Slim Phatty repose sur ses supports en caoutchouc, avec un angle à 45° bien pratique pour l’édition. L’ergonomie est très similaire à celle du Little Phatty dont il reprend la façade, en plus concentrée et à l’exception de la prise casque. Les sections sont très facilement repérables et logiquement organisées, avec de gauche à droite : gestion (modes, menus, programmes, accordage), modulation, oscillateurs, filtre, enveloppes et sortie audio. La programmation est une alternative entre le tout analogique (1 bouton – 1 fonction) et l’encodeur central commun. Ici, chacune des 4 principales sections de synthèse offre un certain nombre de boutons de sélection de paramètres et un gros potentiomètre de réglage. Cela va très vite à utiliser et s’avère au final assez efficace. Pour contenter tout le monde, Moog a prévu différents modes de réponse pour les potentiomètres (saut, seuil, relatif) ; seuls les accros aux encodeurs (sans fin) seront déçus, affaire de goût…
Quelques astuces bien utiles sont prévues pour faciliter l’utilisation. Par exemple, lorsqu’on pousse sur l’encodeur situé sous l’écran, on peut passer d’une sous-page menu à une autre ou alors faire défiler les programmes 10 par 10. La sélection des programmes boucle en fin et début, on passe donc sans difficulté du dernier au premier. Dès que l’on bouge une commande, le LCD indique que l’on bascule en édition et le bouton Preset change de couleur ; il suffit alors d’appuyer dessus pour alterner entre le son en mémoire et le son en cours d’édition (fonction Edit / Compare). Par contre, les valeurs des paramètres édités ne peuvent pas être visualisées à l’écran, pfff… Autre astuce, les paramètres de synthèse internes et les CC Midi externes envoyés par les 4 potards principaux peuvent être redéfinis pour chaque programme ; ceci est un moyen simple d’avoir le contrôle de la coupure et de la résonance du filtre sur 2 potards séparés, par exemple.
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Les commandes en façade ne suffisent cependant pas à éditer l’ensemble des paramètres de synthèse stockés avec les programmes : pôles des filtres, choix de certaines sources et destinations de modulation, arpégiateur… Pour cela, il est nécessaire de passer par le menu Preset. On s’y promène grâce aux touches de navigation (Cursor / Enter) et à l’encodeur cranté situé sous le LCD. Pour transposer rapidement sur plus ou moins 2 octaves, on utilise les 2 touches multicolores Octave Down / Up prévues à cet effet. La machine est fournie avec un CD-Rom contenant le manuel en PDF et l’éditeur de gammes microtonales (voir encadré). Pour acquérir l’éditeur PC / Mac (versions VST et stand alone), les cornières de mise en rack ou l’habillage bois, il faudra débourser une poignée de dollars supplémentaires…
Gras double !
Le Slim Phatty est un synthé analogique monophonique qui partage le même moteur sonore que le Little Phatty. Il renferme 100 mémoires utilisateur, déjà programmées d’usine. La qualité sonore est typique Moog, avec la rondeur et le punch si caractéristiques. À nous les basses résonantes, les synchros métalliques et les leads bien saturés. Les programmes d’usine sont d’ailleurs très orientés basse et leads, comme l’illustrent les exemples audio. Le son est généré par 2 oscillateurs analogiques capables d’être accordés sur 9 octaves. Ce sont les mêmes que l’on trouve sur le Voyager, capables de produire des formes d’ondes continuellement variables et modulables simultanément, en passant par les traditionnelles triangles, dents de scie, carrées et rectangles. On peut ainsi créer des PWM en modulant les ondes entre les positions carrée et rectangle, ceci jusqu’à l’extinction du son (largeur d’impulsion nulle). Le second oscillateur peut être désaccordé de quelques centièmes à +/- 7 demi-tons et synchronisé au premier. C’est d’ailleurs la seule interaction possible entre oscillateurs, il n’y pas de modulation en anneau ni de FM. De même, le générateur de bruit brille par son absence dans cette section, le Slim Phatty n’est pas conçu pour faire facilement du vent ! Un paramètre de Glide permet de régler la vitesse de portamento entre 2 notes liées.
Les oscillateurs disposent d’un réglage de niveau séparé avant d’attaquer la section de filtre, où ils sont mélangés avec un éventuel signal externe injecté dans l’entrée audio prévue à cet effet. Le filtre est une échelle de Moog passe-bas, capable de travailler en 1, 2, 3 ou 4 pôles, ce paramètre étant accessible via le menu et mémorisé avec chaque programme. La réponse de ce filtre est on ne peut plus fluide, sur une plage de 20 Hz à 16 kHz. Il faut dire que les CV émis par les 4 potards à LED contrôlent les composants sous forme analogique, avant d’être convertis sous forme numérique pour être stockés en mémoire. Le stockage se fait jusqu’à 4096 valeurs (12 bits), cette précision étant paramétrable par l’utilisateur. En Midi, la conversion numérique – analogique peut se faire sur 7 ou 14 bits (soit 16384 valeurs) ; ceci est d’ailleurs vrai pour toutes les valeurs continues des oscillateurs, filtre et enveloppes. La fréquence de coupure dispose d’un suivi de clavier continu (0 à 100%) et d’une modulation bipolaire par une enveloppe dédiée. À noter que le suivi de clavier est pris en compte par le Glide. Si l’on pousse sur la résonance, le filtre peut entrer en auto-oscillation. Enfin, un paramètre « Overload » (plage continue de 0 à +6dB) permet de créer une boucle de feedback au sein du filtre, allant de la saturation subtile à la distorsion métallique la plus agressive. Sympa !
- bass101:15
- bass200:45
- lead100:22
- lead200:22
- lead arp100:22
- lead arp200:23
- lead solo00:40
- lead seq00:34
- lead n wind00:38
- tempest00:56
Modulations restreintes
Pour moduler le son, le Slim Phatty dispose de 2 enveloppes ADSR préaffectées à la coupure du filtre et au volume final. Les temps varient de 1 milliseconde à 10 secondes. Ces enveloppes sont très rapides, ce qui donne au Slim Phatty un punch très appréciable. La section Modulation permet de connecter une source de modulation à deux destinations, tout en restant dans le domaine analogique. Parmi les sources, on trouve un LFO à 4 formes d’onde (triangle, carrée, dente de scie ascendante, dent de scie descendante), l’enveloppe de filtre, le VCO2, un générateur Sample & Hold, un bruit (ces 2 derniers paramètres sont sélectionnables par le menu)… Le LFO travaille jusqu’à 500 Hz, ce qui permet des effets de modulation type FM (sons de cloche). Il est synchronisable à l’horloge Midi suivant 15 divisions temporelles. Le générateur de bruit permet en partie de contourner l’absence de bruit au stade du VCO, moyennant quelques astuces : VCO2 de destination à niveau non nul (sinon on n’entend pas le bruit), forme d’onde réglée sur impulsion nulle (sinon on entend le VCO pitché), choix judicieux de l’octave du pitch (pour changer la couleur du bruit)…
Parmi les deux destinations, il y a le pitch global, les formes d’onde (pour les 2 VCO simultanés), la coupure du filtre et le VCO2. La première destination est sélectionnée en façade, la seconde via le menu. La quantité de modulation peut être ajustée, la modulation finale étant dosée par la molette de modulation comme sur un Prophet-5. Le contrôle de vélocité est uniquement affecté au filtre, avec une plage de –8 à +8 valeurs, bof… Et donc voilà, c’est tout pour les modulations et c’est loin d’être aussi souple qu’un Voyager, tant en nombre de bus qu’en possibilités de routage. On comprend que les sacrifices soient faits à ce niveau pour rester à un tarif acceptable sans sacrifier la qualité sonore, car ce sont bien les modulations qui complexifient les circuits analogiques tels que celui du Slim Phatty.
Arpèges et Midi
Là où le Slim Phatty fait mieux que le Voyager, c’est au rayon arpégiateur dont ce dernier est dépourvu. Les paramètres, mémorisés avec chaque programme, sont accessibles via le menu. Il n’y a pas de commande directe pour l’arpégiateur si ce n’est la mise en marche et le tempo. Ce dernier peut se synchroniser à la vitesse du LFO, à l’horloge Midi (15 divisions temporelles identiques à celles du LFO), ou être indépendant. Il peut agir sur une plage de –3 à +3 octaves par rapport à la note de référence. Les motifs sont au nombre de 3 (vers le haut, vers le bas ou selon les notes jouées) et couplés aux modes de lecture (en boucle, alterné ou coup unique). Il n’y a pas de mode aléatoire, dommage…
Les notes arpégées peuvent être ou non émises via Midi. Une fonction Latch permet de maintenir l’arpégiateur en marche après relâchement des touches ; on peut même globalement décider si la lecture doit se poursuivre lorsqu’on enchaîne les programmes. Tant qu’on parle d’enchaînement de programmes, signalons qu’on peut organiser les 100 programmes internes suivant 32 Performance Sets, idéal pour retrouver rapidement ses programmes lors d’un concert ou d’une session studio.
Conclusion
Le Slim Phatty est le plus démocratique des synthés signés Moog. Positionné et spécifié à l’opposé du luxueux Voyager XL que nous avons testé récemment, il offre toutefois le son typé Moog en limitant les dégâts financiers de l’acquéreur potentiel. La machine est bien pensée, très facile d’utilisation et facile à transporter. Mais tout cela ne se fait bien évidemment pas sans quelques sacrifices, les principaux étant à notre sens l’absence de générateur de bruit directement accessible et les modulations vraiment très limitées. Ceci dit, pour le musicien studio ou live qui souhaite intégrer à sa panoplie sonore un concentré de Moog sans hypothéquer sa maison ou empiler des modules pour se fabriquer un analogique Moog polyphonique, le Slim Phatty est une proposition à étudier de très près, qui parvient à faire rimer analogique avec démocratique.