Présenté à Francfort au printemps, le Bass Station II marque le grand retour de Novation dans la marmite analogique. Voyons si la marque a su conserver sa patte…
Il y a 20 ans, une marque anglaise presque inconnue présente un petit clavier analogique, un peu à contre-courant du marché, baigné par les workstations. Flanqué d’un look un poil gadget, le Bass Station cache bien son jeu, avec un son bien trempé et efficace. Il sera ensuite décliné en racks 1U plus sophistiqués. Puis en 1998, sous la houlette de Chris Huggett à la direction technique (EDP Wasp, OSC Oscar…), Novation prend le virage du numérique avec le magnifique Supernova, qui deviendra une référence en matière de synthé VA ; c’est d’ailleurs le premier synthé qui conserve les réglages d’effets et arpèges des programmes sur chacune des parties en mode multitimbral. La gamme sera largement déclinée sous tous les formats pendant une bonne dizaine d’années, avant que Novation ne soit rachetée par Focusrite en 2004. La marque s’oriente alors vers les interfaces audio et surfaces de commande.
On pensait d’ailleurs la page synthés définitivement tournée, mais fin 2010, contre toute attente, l’Ulranova fait son apparition ; il s’agit d’un synthé accessible, monotimbral, à synthèse VA revitaminée. Il sera à son tour décliné en format mini-touches. Début 2012, dans un revival analogique grandissant, le MiniBrute d’Arturia crée incontestablement l’océan bleu que personne n’avait vu venir. Enfin un synthé analo abordable, compact, original et même capable d’ouvrir l’esprit aux accros de l’écran et de la souris… Arturia prend tout le monde de cours, Moog et Korg en premier… Après le Sub Phatty et le MS20 mini, c’est maintenant au tour de Novation, avant Waldorf, de replonger dans le bain analogique, avec la descendance musclée de son tout premier synthé. Alors, quelles sont les chances du Bass Station II face à une concurrence bien armée ?
Black and blue
Le Bass Station II emprunte à son ancêtre le format clavier 2 octaves, les couleurs bleu et noir ainsi que la construction en plastique. La coque est cette fois bien ferme, sans déformation ; l’ensemble paraît solide. Les potards sont bien ancrés et offrent une parfaite résistance. Rien à redire côté boutons et curseurs d’enveloppe ; les inverseurs ont un peu de jeu au niveau de la tige, mais la partie interrupteur est ferme. On se rassure donc tout de suite quant à la qualité de construction du Bass Station II.
La petite façade est couverte de commandes, tant mieux ! En haut à gauche, on commence par la section numérique avec écran 3 diodes – 7 caractères affichant numéro de programme, valeurs, transposition… c’est là qu’on peut choisir et sauvegarder les sons. Le potard de volume est aussi là, il n’a donc pas été oublié. Les commandes de synthèse sont logiquement réparties sur 2 rangées : l’audio en partie supérieure et les modulations en partie inférieure. On passe ainsi par les oscillateurs, le mixeur et le filtre ; puis l’arpégiateur, le LFO et les enveloppes. Seules exceptions, les deux potards de distorsion et modulation du filtre finissent tout en bas à droite. En tout, ce ne sont pas moins de 24 potards (dont un énorme pour la coupure du filtre), 11 sélecteurs, 13 boutons de toutes formes et 35 diodes qui nous facilitent la vie. À gauche du clavier, les 2 molettes de pitch (à ressort mou) et de modulation (libre) sont rétro-éclairées en bleu électrique du plus bel effet ! Les 25 touches du clavier sont sensibles à la vélocité et à la pression, très agréables au toucher, chapeau !
Le panneau arrière reprend l’ensemble de la connectique, à savoir : sortie audio mono, sortie casque, entrée audio mono (gain réglable en interne de –10 à 60 dB) et connecteur pour pédale de maintien (type interrupteur à détection de polarité automatique à l’allumage). Tout ce beau monde est au format jack 6,35 TS sauf la prise casque, logiquement en TRS. Le son est toutefois mono. Il y a aussi un duo d’entrée / sortie MIDI (notes, CC / NRPN, dumps) et une prise USB 1.1 vers hôte pour le MIDI (en natif, sans pilote) et l’alimentation (5V / 0,5A mini). Cette dernière peut également se faire via la traditionnelle borne pour transfo hélas externe DC 9V / 500 mA, de type bloc mural avec un cordon un peu court ; la bascule entre les sources de courant se fait à l’aide d’un sélecteur à 3 positions (off / transfo / USB). La prise USB ne fait toutefois pas du Bass Station II une interface Midi / USB vers le monde extérieur. Enfin, une attache antivol Kensington est prévue, mais pas la moindre prise CV / Gate en vue, seule omission à notre sens dans un monde analogique parfait.
Ergonomie mitigée
Vu le nombre de commandes directement accessibles en façade, friserait-on la perfection ? Presque… premier reproche d’ergonomie, des fonctions se partagent certaines commandes au sein des différentes sections : c’est le cas des deux oscillateurs, accessibles alternativement via un inverseur ; pour les LFO, délai et vitesse ont les mêmes potards ; pour les enveloppes, on n’a que 4 curseurs partagés : petite consolation, on peut les éditer séparément ou ensemble grâce à un sélecteur. Tout ceci ne facilite pas les réglages en live. Les sauts de valeurs sont garantis, d’autant que les commandes ne répondent que dans ce mode (pas de mode seuil ou relatif). Second reproche d’ergonomie, des commandes additionnelles sont accessibles par maintien de la touche Fonction et appui sur une touche du clavier : c’est le cas pour le réglage des contrôleurs physiques (molettes, vélocité, pression) ou encore pour la synchro des oscillateurs, une fonction loin d’être secondaire qui aurait pu largement trouver sa place dans la section oscillateurs en façade…
Lorsqu’on édite un paramètre « continu », la valeur est immédiatement reflétée par l’afficheur ; 2 diodes indiquent la position de la valeur en cours par rapport à la valeur stockée, bien vu. Bien pratiques eux aussi, les deux boutons de transposition par octave (-5/+4) et celui de transposition directe par demi-ton. Pour appeler l’un des 128 programmes en Ram, on n’a droit qu’à deux boutons de défilement : c’est loin d’être idéal pour aller droit au but, même si le maintien des boutons permet d’accélérer la cadence… Pour sauvegarder un programme édité, on peut écouter le patch de destination avant de l’écraser. On n’a toutefois pas de bouton directs Edit / Compare / Recall, comme on trouve sur certains synthés à mémoires avec une façade plus généreuse. Lorsqu’on allume le Bass Station II, il se place systématiquement sur le programme n°1, quel que soit celui où l’on était avant extinction. Pour terminer ce petit chapitre ergonomie, signalons qu’un mode d’emploi en anglais d’une vingtaine de pages est livré avec la machine (en plus de l’alimentation externe et du cordon USB), mais la version française complète est téléchargeable sur le site du constructeur. Il y en a aussi une en allemand, pour ceux que ça amuse…
Basse tabasse
Lors de la démo privée qui nous avait été faite à Francfort, nous avions retenu un synthé au son saturé, distordu, compressé, agressif… idem pour les premières démos sur la toile. Que ceux qui aiment ce type de son se rassurent, le Bass Station II sait parfaitement les faire, notamment grâce à différentes saturations / distorsions et un limiteur en sortie. Mais que ceux qui aiment les timbres plus ronds, plus chauds et plus gras se rassurent aussi : le Bass Station II est capable de sonorités dans un style plus vintage, comme les analogiques savent si bien le faire. Nous avons insisté sur ce type de son dans nos exemples audio, pour changer un peu par rapport à ce que l’on trouvait sur la toile ; tous les exemples proviennent des 70 sons d’usine plus ou moins retouillés… reprécisons ici que les 128 mémoires sont toutes réinscriptibles.
Par rapport à un synthé vintage à VCO, nous avons beaucoup plus de stabilité, sauf si le paramètre Error est activé (ajout de l’OS 2.5), car le Bass Station II, tout comme ses ancêtres, utilise des DCO parfaitement calibrés. Les basses sont le domaine de prédilection du petit Novation, on s’en serait douté : grasses, rondes, sourdes, agressives, acidulées, pêchues, il sait à peu près tout faire. La vélocité et la pression permettent une expressivité accrue. On sent la puissance du filtre multimode, la résonance déchirante du mode standard, la coloration du mode Acid, la saturation des niveaux préfiltrage, la rapidité des enveloppes… Sur les leads, le Bass Station II ne déçoit pas : tantôt fin, tantôt incisif, tantôt lourd, il est aussi agile dans ce registre. Quelques sons de percussions nous ont également bien plu dans cette panoplie tout à fait complète.
- Bass Station II 1audio Bass 1 00:41
- Bass Station II 1audio Bass 2 00:22
- Bass Station II 1audio Bass 3 00:20
- Bass Station II 1audio Bass 4 00:41
- Bass Station II 1audio Bass 5 00:35
- Bass Station II 1audio Bass 6 01:18
- Bass Station II 1audio Percus 3 pistes 00:18
Hybridation sonore
Le Bass Station II génère un signal audio 100% analogique (oscillateurs – filtre – ampli) sous contrôle numérique (accordage, modulations). Tout commence au sein des oscillateurs. On dispose de 2 DCO et 1 Sub (lié au DCO1) pour bien commencer dans la vie. Chaque DCO a une tessiture de 2 à 16 pieds, avec un accordage sur plus ou moins une octave (au dixième de ton) et un accordage fin sur plus ou moins un demi-ton (au centième). Nouveauté de l’OS 2.5, un paramètre Error permet de simuler les fluctuations des VCO vintage, sur 8 valeurs, sympa ! On trouve 4 formes d’ondes non cumulables par DCO : sinus, triangle, dent de scie et impulsion à largeur variable. Cette dernière peut être réglée en mode manuel (5 à 95% de cycle), ou modulée par le LFO2 ou l’enveloppe de modulation. Le pitch est quant à lui modulable par le LFO1 et l’enveloppe de modulation (donc en même temps si on veut). Toutes les modulations sont bipolaires, certaines avec une résolution de 256 valeurs quand cela est nécessaire. Les 2 DCO peuvent être synchronisés et se moduler en anneau. Depuis l’OS 2.5, on trouve un mode paraphonique dans lequel chaque DCO peut jouer une note différente, excellent ! Un portamento à temps variable est aussi disponible.
Un Sub DCO s’est donc invité à la partie. Il travaille 1 ou 2 octaves sous le DCO1 et offre les ondes sinus, carrée ou impulsion fixe (25% environ). Il y a aussi un générateur de bruit blanc pour faire la fête et l’éventuel signal audio connecté à l’entrée idoine. Tout ce beau monde peut être mélangé avec précision grâce à un mélangeur 6–1 : DCO1, DCO2, Sub, Ring Mod, Bruit et signal externe. Dans la section mélangeur, les sources principales ont leur potard dédié, les sources secondaires doivent partager un sélecteur à 3 positions et un seul potard.
Filtrage multiple
En sortie du mélangeur, le signal tout entier attaque un filtre multimode à pente variable. En fait, il y a deux filtres différents qui ne peuvent hélas fonctionner en même temps : le filtre Classic est le plus souple, puisqu’il travaille en modes passe-bas / passe-bande / passe-haut sur 2 ou 4 pôles. Le filtrage est brillant et la résonance très prononcée, bien trash, pas vraiment stable, allant jusqu’à l’auto-oscillation. Le design du filtre Acid s’inspire quant à lui d’un circuit des 80’s passe-bas 4 pôles en échelle de diodes, apparemment celui de la TB-303. La réponse en fréquence est plus mate et la résonance plus limpide, limitée sous l’auto-oscillation. Pas si acide que cela, mais plutôt musical et bien maîtrisé, du moins tant qu’on ne le sature pas en entrée…
Là où certains affichent un Brute Factor où un Multidrive, le Bass Station II propose une saturation préfiltrage (overdrive) et une distorsion post-filtrage. En conjonction avec le mode Acid, la saturation apporte des résonances supplémentaires : sur une onde dent de scie, on fait émerger une sorte d’onde carrée « par-dessus », idéale pour les basses acidulées, nous y sommes enfin ! La fréquence de coupure peut être modulée par l’enveloppe de modulation, le LFO2 (modulations bipolaires) et le DCO2 (original !). Depuis l’OS 2.5, le suivi de clavier est paramétrable sur 8 valeurs ; 5 ans après la sortie, merci pour cette évolution ! Un bon point : les valeurs continues « critiques » disposent d’une résolution accrue pour éviter les effets de pas. Pour la fréquence de coupure, on tourne par exemple sur 256 valeurs, c’est presque parfait. En sortie de filtre, le signal attaque le VCA ; il y fera connaissance d’une distorsion compensée en niveau, histoire de se salir un peu juste avant de sortir, ainsi que d’un limiteur simple, pour évider de casser les gamelles lorsque le filtre super saturé hyper résonant entre en oscillation…
Modulations astucieuses
Pour faire bouger le son, le Bass Station II propose 2 LFO et 2 enveloppes. Les LFO sont identiques et assignés dans le dur aux modulations. Les paramètres directement accessibles sont classiques : forme d’onde (triangle, dent de scie, carrée, Sample & Hold), vitesse (0 à 190 Hz, c’est-à-dire jusqu’au niveau audio, cool !) et délai. Pour chaque LFO, il y a d’autres paramètres accessibles via la touche Fonction : synchro du tempo à une horloge interne / MIDI, cycle libre ou déclenché, ou encore effet lissant sur la forme d’onde (parce qu’elle le vaut bien !). Le LFO1 peut ainsi moduler le pitch de chaque DCO avec quantités indépendantes ; la quantité de modulation globale peut elle-même être contrôlée par la molette ou la pression. Le LFO2 est assigné à la modulation de largeur d’impulsion de chaque DCO (quantité indépendante) et à la fréquence du filtre ; là aussi, on peut commander la quantité de modulation du LFO2 vers le filtre via la molette.
Un peu moins spécifiées que les LFO, les 2 enveloppes sont de type ADSR, suffisamment rapides pour fabriquer des sons de percussions à transitoires. L’attaque peut varier de 0 à 5 secondes alors que le relâchement va jusqu’à 10 secondes. Trois modes permettent de régir la manière dont chaque enveloppe et le portamento sont déclenchés : simple, multiple ou auto. Depuis l’OS 2.5, les enveloppes peuvent aussi être redéclenchées. Enfin, il reste des possibilités de modulation accessibles via le mode Fonction : la molette peut agir sur la coupure de filtre et sur le pitch du DCO2 (bien vu pour les synchros et aussi pour contrôler la modulation du filtre par le DCO2) ; la pression peut commander la coupure du filtre et la vitesse du LFO2 ; la vélocité peut agir sur chaque enveloppe et donc, par association, sur le pitch, le filtre ou le volume, parfait !
Arpèges et séquences
Le Bass Station II ne serait pas un Novation sans son arpégiateur programmable. Il s’agir d’un module bien fourni, synchronisable à une horloge interne ou MIDI, avec son potard de tempo dédié. Il y a 32 motifs d’arpèges directement accessibles, reprenant diverses signatures rythmiques plus ou moins complexes. L’arpégiateur peut agir sur 1 à 4 octaves, suivant 6 modes de jeu : haut, bas, alternés (x2), comme joué ou aléatoire. On peut même ajouter une certaine quantité de swing.
Mieux, il existe un mode séquenceur (jusqu’à) 32 notes, programmable en pas à pas. 4 séquences utilisateurs peuvent ainsi être mémorisées et rappelées avec n’importe quel programme ; elles restent en mémoire après extinction des feux, merci ! Chaque pas peut contenir une note ou un silence ; les notes consécutives peuvent être liées ou jouées legato. Les séquences peuvent être déclenchées et transposées à la volée via le clavier. Le sélecteur de motifs d’arpèges permet 32 variations de signature temporelle, astucieux. Ah si seulement Novation avait prévu quelques pistes supplémentaires pour les modulations…
- Bass Station II 1audio Old lead 1 00:10
- Bass Station II 1audio Old lead 2 00:17
- Bass Station II 1audio Old lead 3 00:18
- Bass Station II 1audio Pad mono 00:22
- Bass Station II 1audio Sync 1 00:12
- Bass Station II 1audio Sync 2 00:22
- Bass Station II 1audio Voice 00:22
Conclusion
Le Bass Station II est une réussite incontestable. Il a presque tout pour plaire : abordable financièrement, facile à manipuler, agréable à écouter et diversifié au plan sonore. On apprécie tout particulièrement les oscillateurs largement modulables, le filtre multimode, les différentes saturations, les modulations astucieuses et l’arpégiateur / séquenceur bienvenu. On regrette toutefois quelques limitations liées à sa taille : commandes regroupées, tout petit clavier, même s’il est sensible à la vélocité et à la pression, ainsi que le manque de prises CV / Gate. Quoi qu’il en soit, le Bass Station II est une solution de tout premier choix pour qui recherche un synthé analogique monophonique pas cher, compact, avec du caractère et un tas d’astuces. Nous lui décernons l’Award Qualité-Prix 2013.
Téléchargez les fichiers sonores (format WAV)