Alors que l’offre des synthés d’entrée de gamme n’a jamais été aussi florissante, Korg lance un synthétiseur « de performance » orienté jeu live, où le maître mot est incontestablement spontanéité et temps réel. Voyons tout cela en détail…
Par un gris samedi d’automne, 15 heures, dans la fumée épaisse de l’obscur studio de répète, une voix éraillée s’élève derrière la batterie…
« Eh dis donc, quand t’auras fini d’appuyer sur tes boutons et ton écran tactile couleur, tu pourras peut-être balancer tes accords de Rhodes et ton solo de synthé, hein !? »
– Euh, ben ça vient ça vient, voilà voilà, il faut juste que j’insère un programme sur le 2e canal et que je fasse un split, ensuite je réglerai mes départs d’effets parce que, tu comprends, l’overdrive est sur le piano mais il me faut un petit délai pour le solo…
– Ah ouais, un petit délai, ça fait 10 plombes que tu règles ton bousin et on n’en est qu’au 5e morceau, il en reste 25 à caler et on doit tout démonter dans 2 heures, rouler 100 bornes, installer le matos, faire les balances et être fin prêt pour envoyer ce soir à 21 heures…
– Voilà, ça y est, je suis prêt. Trois, quatre, dzoiiiiiiing !!!
– Rhô p’tain, c’est quoi cet accord, tu sais bien qu’on est en La# sur « Hall bâille maille self » !
– Abenzut, j’ai oublié de transposer, je déteste le La#, y’a trop de touches noires, attendez les gars, j’appuie sur « Edit », je vais à la page transpo, ouh là là c’est laquelle déjà… sur le MkII c’était la 8e à droite en descendant de 3 arborescences, mais sur le MkIII, c’est…
– Ah là j’vais l’tuer lui, avec ses touches noires et blanches, ses câbles qui pendouillent partout, ses stands tout tordus qui arrachent le skaï de ma Lada, ses…
Voici les déboires qui touchent bien des claviéristes, lorsque leur belle workstation dernier cri n’est pas encore maîtrisée malgré des semaines de dur apprentissage. La sophistication a pris le dessus sur la spontanéité ! Mais quelle alternative trouver, à part empiler les synthés pour avoir tout sous la main et faire ses splits et layers en moins de temps qu’il ne faut à Keith Emerson pour descendre un clavier de 5 octaves, ou à Jim Morrison pour descendre 5 verres de Bourbon… Le PS60 de Korg se présente comme la réponse à ce type de problème : compact, immédiat, bien tarifé, bourré de sons prêts à l’emploi et pour les plus difficiles, largement éditable. Allez hop, en marche !
Double six
Le PS60 se présente sous la forme d’un clavier 5 octaves très compact, puisque le joystick de Pitchbend / modulations cher à Korg est placé au-dessus des touches. Faible largeur, donc, mais aussi faible poids, puisque la construction est tout en plastique, avec une finition gloss du plus bel effet sur une large bande transversale. Revers de la médaille, il faut protéger la machine pour la balader sur les routes, car c’est loin d’être un tank… La façade avant est bien garnie et de conception plutôt inhabituelle. De gauche à droite, on trouve le joystick flanqué d’une touche Hold, permettant de conserver la valeur de sa position sur l’axe de modulation, permettant de neutraliser l’effet du ressort de rappel qui ramène le bâton de joie toujours bien au centre. Viennent ensuite le bouton de volume et une touche dédiée à la commutation du simulateur de Leslie, pour les sons d’orgue utilisant cet effet. Hélas cette destination est fixe… Vient ensuite une série de touches pour la transposition par octave ou demi-ton vers le haut ou vers le bas, bien vu ! Juste au-dessus, on trouve un pavé de commandes pour stocker / appeler les Performances en 2 appuis maximum. Plus au centre, un petit LCD gris bleu 2 × 16 caractères bien contrasté surplombe des touches de sélection de mode de jeu et d’édition.
Mais la section un peu originale est sans conteste la partie droite du panneau de commandes. Celle-ci permet, à la volée, de sélectionner, activer / couper et mixer 2 ensembles de 6 couches sonores séparées. Pour cela, on dispose de 6 potards rotatifs, 12 touches de changement de programmes, 6 touches d’activation / coupure de canal, d’un sélecteur d’édition rapide de 4 paramètres (volume, octave, 2 départs effets) et d’un pavé dédié au split. On peut empiler rapidement 6 couches de programmes. Si l’on active la touche Split, on dispose de 2 ensembles de 6 couches de part et d’autre du point de split. Les 6 parties sont classées par catégorie : pianos acoustiques, pianos électriques, orgues, cordes, cuivres et synthés. Toujours plus à droite, on trouve 9 potards et 2 boutons permettant d’éditer directement les 2 effets maîtres et l’EQ global, histoire de coller à l’ambiance du moment. Dès qu’on est satisfait du résultat, on peut sauvegarder tout ça en 2 temps 3 mouvements. Inutile de le dire, la prise en main est immédiate et l’ergonomie réussie. Mais comme nous allons le voir plus tard, le PS60 ne se contente pas d’être un clavier de scène spontané, c’est aussi un synthé à part entière.
Jetons maintenant un rapide coup d’œil sur le panneau arrière, assez dépouillé : prise pour alimentation externe (on reste en entrée de gamme), interrupteur marche / arrêt, sortie stéréo analogique, prise USB vers ordinateur, potard de réglage du contraste du LCD, entrée / sortie Midi et duo d’entrées pour pédales multifonctions. Rien de bien transcendant de nos jours… Ah oui, la prise casque au format mini-jack 3,5’’ est sur le devant, sympa ! Pour terminer cette inspection des lieux, un petit mot sur le clavier 5 octaves sensible à la vitesse de frappe, mais pas à la pression : il est de bonne facture, de type semi-lesté, avec un niveau de qualité supérieur à ce qu’on trouve à la concurrence dans cette gamme.
Panoplie sonore
Le PS60 utilise une synthèse à lecture d’échantillons dérivée de la série M3/M50, motorisée par une Rom PCM compressée équivalente à 49 Mo, travaillant sur 16 bits / 48 kHz. La polyphonie maximale est de 120 voix et la multitimbralité de 12 canaux simultanés. La machine fonctionne en permanence en mode Performance, c’est-à-dire un arrangement de 1 ou 2 fois 6 couches sonores. Chaque couche est constituée de l’un des 512 programmes internes, dont 440 sont préchargés d’usine. Chaque programme dispose d’un petit riff de démonstration, à choisir parmi 383 motifs non programmables. Les exemples audio joints à ce test sont tirés de ces riffs, qui permettent d’avoir un aperçu rapide de ce que la bécane a dans le ventre, fortement connoté pop / rock.
On trouve quelques pianos acoustiques multisamplés, déclinés en différentes variantes de pianos stéréo (avec ou sans pédale de Sustain et différents tempéraments d’accordage) et un piano issu du M1 : des sons typiques d’anciennes générations de workstations Korg, qui n’égalent pas les multisamples des workstations actuelles. Les multisamples de pianos électriques sont bien meilleurs, avec notamment 2 Fender et 1 Wurlitzer échantillonnés sur 3 niveaux de dynamique. Les Clavinet s’en sortent honorablement, notamment grâce à la section effets. Les orgues électriques sont au nombre de 8 et permettent de couvrir la plupart des registres, du jazz le plus enfumé au gospel le plus envoûtant, en passant par le rock bien saturé.
On trouve 2 sections de cordes tirées des précédentes workstations maison : un ensemble stéréo très ample et une petite section un peu agressive. Les chœurs ont été bien traités, avec 4 multisamples pop et classiques déclinés en 3 variantes. Les cuivres sont de qualité variable : du bon côté, la section stéréo pop, les sons de trompette, trombone, cors français, flûte et clarinette. Du mauvais, les 3 saxophones agonisants. Si la catégorie guitares & basses ne fait pas partie des 6 catégories sonores listées en façade, on trouve toutefois des basses & guitares acoustiques et électriques. Les basses sont plutôt bien réussies mais les guitares sont décevantes : attaques sans vie, tenues courtes, points de montage audibles. Les excellents effets de simulation d’ampli parviennent à sauver la mise… Viennent pour terminer une cinquantaine de formes d’ondes variées, avec différentes déclinaisons de dents de scie, sinus, impulsions et ondes numériques DWGS & VS, comme quoi les traditions ont la vie dure chez Korg. En revanche, pas le moindre kit de batterie à se mettre sous la dent ; dommage, c’est pourtant parfois bien pratique…
- PS60 sons apiano00:46
- PS60 sons epiano01:09
- PS60 sons synthpoly01:43
- PS60 sons synthbass01:28
- PS60 sons organ01:23
- PS60 sons synthmono00:37
- PS60 sons strings00:39
- PS60 sons brass01:02
- PS60 sons woods00:47
- PS60 sons voices00:54
- PS60 sons aebass00:49
- PS60 sons guitars01:34
Editeur interne
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Si la prise en main directe est on ne peut plus simple, l’édition interne n’est en revanche pas très aisée avec le petit écran et les 4 touches de navigation. Les pages de menu sont organisées en plusieurs niveaux d’arborescence et même s’il y a des petits repères graphiques sous forme de flèches d’orientation, on peut vite se perdre. Tous les paramètres des programmes et Performance ne sont pas directement accessibles depuis le PS60 ; pour descendre dans le détail ultime, il faut utiliser l’éditeur logiciel fourni (voir encadré).
L’édition des programmes laisse apparaître une architecture sonore à peu de choses près équivalente à un M3/M50, hormis l’édition des kits de percussions absente sur le PS60. Un programme est constitué de 1 à 2 couches « oscillateur -> filtre -> ampli ». Chaque oscillateur peut utiliser jusqu’à 4 multisamples mono ou stéréo, avec crossfade programmable. Hélas, on ne peut sélectionner ni arranger les 136 multisamples en Rom PCM depuis le PS60, une restriction sévère qui nécessite de passer par l’éditeur externe. La fréquence peut être modulée par l’enveloppe de pitch, 2 LFO, les contrôleurs physiques et CC Midi. Chaque oscillateur dispose de sa propre tessiture et fenêtre de vélocité. Le signal passe alors dans la section filtre, très musclée, avec différentes configurations : passe-bas 4 pôles, multimodes 2 pôles (haut, bas, bande, réjection) en série ou en parallèle. Les filtres sont largement modulables (coupure et résonance), avec des points de modulations multiples, une enveloppe dédiée et un générateur de tracking. Là encore, l’accès aux filtres est limité depuis le PS60. Le signal est ensuite traité par la section ampli, là encore largement modulable. Un programme peut ainsi contenir 8 couches sonores, 4 filtres, 5 LFO, 5 enveloppes, 4 générateurs de tracking, sans oublier les modulations multiples, le portamento et le tempérament de clavier. C’est en mode programme que l’on règle également l’effet d’insertion (détails plus loin).
Performances scéniques
Le mode Performance permet de mémoriser le mixage, l’offset de certains paramètres de synthèse et les réglages Midi des 2 séries de 6 couches sonores. Rappelons qu’en mode split, on peut placer jusqu’à 6 couches de part et d’autre du point de split. Le problème est qu’il n’y a qu’un seul point, ce qui signifie qu’on ne peut pas régler la tessiture (ni la fenêtre de vélocité) de chaque canal, contrairement à une workstation. On ne peut donc qu’empiler « bêtement » les couches. Chacune offre des paramètres de tonalité et de timbre : à commencer par des offsets de réglages faits en mode programme : filtre (coupure, résonance, intensité de l’enveloppe), vélocité sur l’amplitude et ADSR (réglages communs aux 2 enveloppes de filtre et d’ampli) ; viennent ensuite le volume, le panoramique, les 2 départs vers les effets maîtres, le pitch, le portamento, le pitch-bend et le Midi (canal, filtrage des contrôleurs, mode local). Ce dernier point fait du PS60 un petit clavier de commandes plutôt sympa. Ah ! Si seulement on avait pu régler une tessiture pour chaque canal ! Tous ces paramètres sont éditables en interne ou via le logiciel fourni.
Quel que soit le mode d’édition (interne ou externe), il est impossible de modifier un programme en détail dans son contexte de Performance. Lorsqu’on appuie sur la touche [Edit], les 6 boutons des canaux activés clignotent, forçant l’utilisateur à n’en choisir qu’un pour l’édition. Tous les autres canaux sont alors coupés et le programme du canal choisi est alors disponible avec un volume calé à 127. Une sérieuse limite des workstations Korg depuis le M1, mis à part le 01/W qui, moyennant une combinaison de touches, permettait d’éditer un programme au sein d’une Combi multitimbrale (souvenir de 20 ans !). Au final, on peut stocker 20 Performances, 15 étant déjà préchargées d’usine. C’est très insuffisant à notre sens, même pour un clavier de scène à l’ergonomie bien fichue où on peut facilement changer et remixer les programmes.
Effets musclés
Le PS60 dispose de 5 multieffets d’insertion, 2 effets maîtres et 1 EQ global, directement issus des M3/M50. Chaque canal dispose de son propre effet d’insertion, sauf la section Strings qui doit se contenter des effets maîtres. Contrairement aux M3/M50, on ne peut pas utiliser les 5 effets d’insertion sur le même programme. Les effets d’insertion sont les plus musclés du lot, tant en quantité d’algorithmes (64) que de paramètres éditables (de 5 à 25) – tous les paramètres sont accessibles depuis l’éditeur logiciel. On y trouve différents traitements dynamiques stéréo (compresseur, limiteur, porte, exciter), EQ, wah-wah, filtres, décimateur, simulateurs d’ampli, phaser, tremolo ainsi que des combinaisons. S’y ajoutent 2 effets vibrato / chorus et Leslie réservés au canal Organ (rappelons que le canal Strings est dépourvu d’effet d’insertion). Certains paramètres sont modulables en temps réel, avec source au choix parmi les principaux contrôleurs physiques ou Midi.
Viennent ensuite les 2 effets maîtres stéréo, offrant nettement moins de paramètres : 1 effet d’ensemble (4 algorithmes : chorus, flanger, chorus / flanger vintage, phaser) et réverbe / délai (hall, plate, room, délai). Chacun a 3 paramètres éditables depuis la façade, que ce soit en interne ou depuis l’éditeur externe : vitesse, profondeur et feedback pour l’effet d’ensemble ; temps, feedback et niveau pour l’effet réverbe / délai. Les 2 effets maîtres sont routables en série ou en parallèle, avec dosage du niveau d’insertion du premier dans le second. Enfin, l’EQ global est de type 3 bandes totalement paramétriques, dont seuls les niveaux sont éditables en façade, mais tous les paramètres accessibles via les menus et l’éditeur logiciel. La qualité sonore de l’ensemble de cette section effets est excellente, on sent l’expérience de la marque sur les effets intégrés aux workstations.
Conclusion
Au final, le PS60 propose un concept intéressant à un prix très abordable. Question sons, nous sommes dans une sélection pop / rock plutôt honnête, qui ne rivalise toutefois pas avec les grosses workstations ou claviers de scène haut de gamme. Idem pour l’accès à l’ensemble des paramètres de synthèse, qui nécessite un logiciel externe, bien heureusement fourni. Mais face à toutes ces machines de luxe sophistiquées, le PS60 prend immédiatement le dessus dès lors qu’il s’agit d’empiler, splitter, mixer et modifier rapidement différentes couches sonores en live. De quoi séduire le musicien itinérant qui ne veut ruiner ni ses économies, ni son dos !