Après le Model D au format module, Behringer présente le Poly D, un synthé compact complet : panneau inclinable, clavier dynamique, paraphonie à quatre VCO, chorus et distorsion analogiques, arpégiateur, séquenceur… et un tarif à tomber !
Personne ne l’a venu venir ! Les premiers K-2 étaient à peine livrés, la TD-3 était tout juste annoncée, la RD-9 était toujours attendue… sans parler des RD-8, Odyssey, Crave fraichement débarqués dans quelques chaumières privilégiées, les UBXA et DS80 sur les écrans des ingénieurs… Et toujours les Pro-1, MS-1, VC340, Model-D, Neutron, DeepMind au catalogue. On a peine à croire que cette gamme touffue a été imaginée et produite en à peine trois ans. Mais que ne fut pas notre surprise lorsqu’un carton trapu et lourd arriva au studio ! « On vous envoie un nouveau produit en pré-test, vous nous direz ce que vous en pensez… », nous avait humblement proposé Luigi, Brand Innovation Leader de Music Tribe. Le carton était minutieusement emmailloté dans un discret papier Craft. Le masque tombé, on découvre le dessin d’un synthé qui n’est pas sans rappeler un célèbre monodique américain produit au début des années 70 ; le plus célèbre d’entre eux, même ! Une chose nous surprend immédiatement dans la section VCO : il y en a quatre ! Et ce nom, là, Poly D, qui nous saute tout de suite aux yeux… Ils l’ont fait ? Ils l’ont fait !
D figuré
Si le Model D avait scrupuleusement cloné le son du Minimoog, le Poly D en reproduit intégralement le design. L’objet est magnifique, avec une construction tout de bois et de métal, un panneau relevable à trois positions et un positionnement similaire des commandes. La machine est toutefois un peu plus compacte, puisqu’elle mesure 65 × 36 × 9 cm (panneau à plat), le clavier étant réduit à trois octaves. Lesté et de résistance progressive à l’enfoncement, il est sensible à la vélocité et à la pression, qu’il peut transmettre en MIDI et via des sorties CV avec potentiomètre de dosage. Cela commence bien ! La qualité de construction est excellente, la plus soignée que nous ayons vue sur un synthé Behringer, encore un poil mieux que le VC340. Il y a même une petite protection pelable sur la plaque alu Poly D et les capuchons des rotatifs. Cette qualité se ressent sur le poids (10,2 kg). Les commandes sont généreuses, bien dimensionnées et bien espacées. La résistance des potentiomètres est parfaite et la réponse des interrupteurs rotatifs impeccable. Même les inverseurs à bascule sont bien francs. Rien à voir avec le module D, on est ici en ligne avec le Minimoog, à ceci près que les commandes ne sont pas fixées à la façade (il y a toutefois un pas de vis donc les puristes pourront sans doute ajouter des écrous).
Au global, on trouve 28 potentiomètres, 8 interrupteurs rotatifs, 24 interrupteurs à bascule et 20 poussoirs de différentes tailles (certains rétroéclairés). Leur disposition est très logique, avec de gauche à droite, modulations, VCO, mixeur, VCF, enveloppes, effets, séquenceur et volumes finaux (sorties audio et casque). Le générateur de La 440 du Model D est passé à la trappe, il restait pourtant un peu de place à droite… À gauche du clavier, on trouve les classiques molettes de modulation (rétroéclairées en rouge suivant leur position), la section LFO (vitesse, forme d’onde), la transposition (+/- une octave) et l’interrupteur de Glide. Inutile de dire que la prise en main est immédiate et l’ergonomie quasi parfaite, les rares fonctions système (canal MIDI, priorité de note, mode de déclenchement des enveloppes, note de référence pour le zéro volt, source d’horloge, réponse des contrôleurs physiques) étant accessibles via Synth Tool, une appli bien conçue, qui détecte automatiquement le Poly D via USB.
Mise à part la prise casque jack 6,35 vissée en façade au-dessus de l’interrupteur secteur, le reste de la connectique est située sur le panneau relevable (comme toute l’électronique de la machine, le reste de la caisse étant vide, mis à part le clavier et les commandes de gauche, comme sur un Minimoog). On trouve quatre entrées CV (modulation, pitch, filtre, volume), une entrée Trigger (vers les enveloppes), une paire de sorties stéréo symétriques, une entrée/sortie synchro, une entrée audio, quatre sorties CV/Trigger (CV vélocité avec potentiomètre, Trigger, CV Pitch, CV pression avec vélocité), un trio MIDI DIN, une prise USB B (MIDI, réglages système, réglages séquenceur) et une borne circulaire pour alimentation externe 12V DC / 1A à centre positif, du type bloc extrême très cheap labellisé TC Electronics, seule verrue sur cet ensemble impeccable ; nous avons suggéré à Behringer de fournir une alimentation externe un peu plus qualitative vu l’excellente construction de la machine. Toute la connectique audio / CV / synchro est au format jack 6,35, merci ! Sur le fond du panneau relevable, on trouve un certain nombre d’ajustables, pour les VCO, le –10V/+10V et les effets analogiques.
Accord D
Le Poly D est un synthé analogique paraphonique à 4 VCO. Il lui faut 10–15 minutes pour se stabiliser, bienvenue dans le monde merveilleux de l’analogique. Le synthé tient bien l’accord, pas besoin de réajuster trop souvent les VCO une fois la machine à température, rien de perturbant. La qualité sonore est top niveau, mais le volume de sortie aurait mérité 10–15 dB de plus. La couleur Minimoog est bien là et c’est encore plus gras avec tous les VCO activés. On a rarement besoin de 3 VCO sur un Minimoog, mais là on en a 4 ! Rien de tel pour créer des Sub VCO de luxe, en passant le 4e VCO à l’octave. Ou encore 2 VCO à peine désaccordés, 1 VCO à l’octave inférieure et 1 VCO à l’octave supérieure. L’autre idée est de passer en mode unisson, en jouant 2 notes : chacune prendra 2 VCO ! Mieux encore, le mode Poly permet de jouer les 4 VCO en paraphonie, chaque note déclenchant un VCO. À nous les accords 4 voix sans retenue !
Le filtre en échelle est musical à souhait, surtout en mode passe-bas. Grâce aux enveloppes très rapides, il est possible de créer des cuivres avec des segments d’attaque et de déclin courts. En connectant directement la sortie CV vélocité à l’entrée CV filtre, puis en dosant la quantité de modulation avec le potentiomètre prévu à cet effet, les sons prennent vie. De même, on peut assigner la pression à l’entrée volume pour créer des nuances subtiles dans les sons tenus. Un peu de chorus analogique stéréo finit par nous convaincre. Autre piste d’exploration qui sort des standards avec le Minimoog, des arpèges à relâchement prolongé, envoyées dans la distorsion analogique, égrenées comme une guitare saturée. Dernière piste intéressante, l’utilisation du séquenceur à pas : les 32 pas, la paraphonie et l’enregistrement de la vélocité permettent de créer des motifs inédits, le Minimoog étant totalement dépourvu de ces fonctionnalités.
Pour ce qui est des sons classiques typés Minimoog, il faut signaler que les niveaux d’entrée dans le VCF sont un peu moins élevés que sur le Model D, il y a donc moins de saturation. Ce choix de conception est lié à l’ajout du 4e VCO et des effets analogiques en sortie de VCA (distorsion et chorus). Conserver les niveaux d’entrée tels quels aurait fait craquer le chorus, ce que certains utilisateurs néophytes auraient pu prendre pour un défaut de conception. La précision du niveau de sortie des VCO est assurée par des circuits V2164 développés par Cool Audio, clones des fameux SSM2164 (VCA de luxe). Pour les mêmes raisons, le circuit de feedback interne a été retiré (sur le module D, il est automatiquement activé quand on ne branche rien à l’entrée audio) : il semble qu’il n’y ait qu’une simple résistance à changer sur la carte pour retrouver la fonction, le circuit d’origine étant toujours là ; avis aux intrépides du fer à souder, au détriment de la garantie.
- PolyD_1audio 01 Singin 1–2–3–401:01
- PolyD_1audio 02 Big4 Bass01:36
- PolyD_1audio 03 Soft Polychorus01:12
- PolyD_1audio 04 Seq PolyHPF00:56
- PolyD_1audio 05 Distorded Reality01:22
- PolyD_1audio 06 VCO4 Mod00:31
- PolyD_1audio 07 Rez Sad00:53
- PolyD_1audio 08 Stormy D00:59
- PolyD_1audio 09 Sauterie Ö quatre00:35
- PolyD_1audio 10 Bye Bye00:25
D doublé
Pour générer le son, le Poly D reprend l’ensemble des modules du Minimoog et en améliore certains, parfois copieusement. On commence par les 3 premiers VCO, capables de générer 6 ondes exclusives : triangle, trapèze, rampe, carré, impulsion large, impulsion étroite. Il n’y a toujours pas de PWM, dommage. Sur le VCO4, l’onde trapèze est remplacée par une dent de scie, idéale pour créer des effets de phase ou des modulations cycliques descendantes via le bus de modulation. Chaque VCO peut être réglé sur 32–16–8–4–2 pieds, plus un mode LO (domaine vibratoire), portant la plage d’oscillation de 0,1 Hz à 20 kHz. Les VCO2–3–4 peuvent être finement désaccordés sur +/- 7 demi-tons (en théorie, car sur notre modèle de test, nous trouvons –9/+8 demi-tons, comme sur le module D d’ailleurs). Le suivi de clavier du VCO4 peut être déconnecté, idéal pour les modulations des autres VCO (cf. chapitre suivant).
Mais la grosse nouveauté par rapport au Model D, c’est la possibilité de jouer les quatre VCO en modes mono, unisson ou paraphonique (terme approprié, vu qu’il n’y a ensuite qu’un VCF et un VCA). En mode unisson, les VCO sont empilés en fonction du nombre de notes jouées : jouer 2 notes empile 2 VCO par note ; jouer 3 notes déclenche 3 × 1 VCO ; en jouer 4 crée un accord à un VCO par note. En mode paraphonique, les VCO sont sollicités un par un, au fur et à mesure (donc pas en cycle), jusqu’à concurrence des quatre (il n’y a qu’un VCO par note quel que soit le nombre de notes jouées, contrairement au mode unisson). Des LED témoin s’allument lorsque les VCO sont sollicités, bien vu.
Un judicieux interrupteur Auto Damp définit la gestion des accords quand on relâche les notes : soit les VCO sont coupés au fur et à mesure, soit ils sont maintenus jusqu’à ce que la dernière note de l’accord soit relâchée ou qu’une nouvelle note soit jouée. Tant qu’on parle d’accords, nous avons suggéré à l’équipe de développement d’ajouter un mode Chords. Via le logiciel Synth Tool, on peut aussi régler la priorité de note (dernière, basse, haute) et le mode de redéclenchement des enveloppes lorsqu’on joue des accords (redéclenchés ou pas, comme sur un bon vieux RS-505). En plus des quatre VCO, on trouve un générateur de bruit commutable blanc/rose et une entrée audio (avec indicateur de saturation par diode). Chaque source dispose d’un interrupteur marche/arrêt et d’un potentiomètre de volume.
D formé
La sortie mono du mixeur attaque ensuite le VCF 4 pôles résonant en échelle de transistors. Contrairement au Minimoog (mais comme sur le module D), le Poly D lui ajoute un mode passe-haut, toujours intéressant pour étendre la panoplie sonore, sans être renversant, comme souvent sur les VCF en échelle de transistors. En plus de son réglage par potentiomètre (sérigraphié –4 / +4 comme sur le Model D), la fréquence de coupure peut être modulée par une enveloppe dédiée (toujours sans inverseur), le bus de modulation (activable par un interrupteur dédié, nous en reparlerons) et le suivi de clavier (réglable avec deux autres interrupteurs sur les valeurs 0–1/3–2/3–3/3). La résonance est capable de faire auto-osciller le filtre au-delà d’un certain seuil, produisant une sinusoïdale pure (qui ne hurle pas quand on pousse le niveau). Cela a tendance à écraser le reste des fréquences (donc les basses) car il n’y a pas de compensation, la conception originelle étant conservée. Enfin, le VCA final peut être modulé par une enveloppe dédiée. Bref, nous sortons enfin des sentiers battus en conservant l’ADN fondateur…
Le Poly D possède deux enveloppes ADSR routées vers les VCO/VCF et le VCA. Les attaques varient de 1 ms à 10 s et les déclins de 4 ms à 35 s. Les temps de relâchement sont réglés en même temps que les temps de déclin. Les segments de relâchement peuvent être activés via un interrupteur à bascule (réglage commun cette fois, comme sur le Minimoog, mais contrairement au module D). La section Controllers est un bus de modulation, assignable au pitch et à la fréquence du VCF (via deux interrupteurs à bascule), par quatre sources mélangeables deux par deux. La quantité de modulation appliquée est dosée par la molette de modulation. Le premier groupe de sources est constitué du VCO4 ou de l’enveloppe de filtre ; le second groupe est constitué du LFO ou du générateur de bruit. Une fois la source sélectionnée dans chaque groupe, on mélange les deux groupes à l’aide d’un potentiomètre de balance. On trouve aussi un potentiomètre réglant la vitesse du Glide. Le LFO offre deux formes d’onde (triangle ou carré) et un potentiomètre de fréquence du LFO (0,05 à 200 Hz). Rien de bien nouveau de ce côté-là.
Dimension D
En sortie de VCA, on trouve une distorsion analogique dont on peut régler la saturation, la tonalité et le volume de sortie. Elle souffle raisonnablement. Elle a aussi tendance à manger les basses sur les sons graves filtrés et créer de la suppression de phase sur les sons ouverts. Par contre, elle devient bien trash avec accords ou des sons aigus ; on peut obtenir des sons de guitares saturés, sympathique pour les arpèges, accords ou solos. Surtout quand on actionne le chorus.
Il s’agit ni plus ni moins que d’un chorus analogique stéréo à BBD cloné du Juno-60, qui fait merveille sur les accords et certaines basses, pour ceux qui aiment l’esprit 80’s. Il offre trois positions : I = lent ; II = un peu plus rapide ; I+II = tremolo stéréo. Le comportement de ces trois modes est identique à celui du Juno-60, impressionnant. Nous avons déjà signalé la présence de bruit sec intermittent de gauche à droite produit par le LFO des BBD, le bruit de fond résiduel permanent est en revanche moins prononcé que sur le Juno-60.
D filé
Behringer a équipé certains de ses synthés purement analogiques d’une section arpégiateur/séquenceur programmable. Le Poly D en bénéficie, pour notre plus grand plaisir. On commence par l’arpégiateur, capable de produire 8 motifs de lecture : en avant, en arrière, alterné, aléatoire, en avant transposé d’une octave vers le haut, en arrière transposé d’une octave vers le haut, en avant transposé d’une octave vers le bas et en arrière transposé d’une octave vers le bas. Nous avons suggéré à l’équipe de développement d’ajouter les modes « ordre joué » et « alterné avec répétition des notes extrêmes ». L’arpège peut être maintenu après relâchement des notes, via la touche HOLD. Le temps de Gate est réglable avec la touche SHIFT et le potentiomètre de Tempo.
Passons au séquenceur, de type polyphonique programmable sur 32 pas. La lecture se fait uniquement en avant, avec possibilité de maintenir le pas en cours avec la touche HOLD ou forcer le redémarrage avec la touche RESET. On peut enregistrer les pas au clavier, avec vélocité, puis les activer/désactiver en mode grille (avec la rangée de 8 touches et la touche PAGE pour changer de section par groupe de 8 pas), que le séquenceur tourne ou pas. Chaque pas est constitué d’une note ou d’un silence. On peut régler la durée de chaque pas (de 1 à 8, la valeur 8 correspondant à une liaison avec le pas suivant), ajouter un accent (avec le bouton éponyme), injecter du Glide (avec le potentiomètre éponyme) ou encore générer des Ratchets (2, 3 ou 4 répétitions rapides de la durée d’un pas, avec la touche SHIFT et le potentiomètre GLIDE). Et pour parachever le groove, rien de tel qu’un peu de Swing, avec la touche SHIFT et le potentiomètre de Tempo. Les séquences sont transposées au clavier et les notes émises en MIDI. Il y a 64 mémoires pour les séquences. Nous avons trouvé la prise en main du séquenceur un peu fastidieuse, car il y a pas mal de combinaisons de touches pour atteindre certaines fonctions, pas toujours sérigraphiées (par exemple SAVE ou RATCHET). L’alternative est de recourir à l’onglet séquenceur de l’appli Synth Tool, capable d’éditer les séquences sous forme graphique (type piano roll) et gérer les mémoires internes (réception/sauvegarde).
Comme en D
Le module D était une excellente surprise, avec le son originel du Minimoog pour une fraction du prix. Le Poly D en remet une couche avec un synthé soigné, confortable, encore plus puissant, incontestablement proche de l’esprit MonoPoly Korg : quatre VCO paraphoniques (vive les accords !), un LFO séparé, une distorsion analogique, un chorus analogique stéréo (qui souffle un peu, par intermittence), un séquenceur programmable, un arpégiateur et un clavier dynamique capable de transmettre ses modulations vers l’extérieur en CV et MIDI. Si le son Moog est fidèlement reproduit, le Poly D reste toutefois un petit peu moins punchy que le Mini, à cause des quatre VCO et du chorus analogique qui limitent le niveau de sortie du mixeur. Du coup, on en perd un peu le caractère saturé. Comme tout synthé analogique pur (VCO-VCF-VCA-enveloppes), le Poly D n’a évidemment pas de mémoires de programmes et ses commandes ne transmettent pas de CC MIDI. On pourra enfin lui reprocher l’alimentation externe trop cheap. En comparant le tarif demandé ($699) au magnifique instrument entre nos mains, le Poly D mérite amplement l’Award qualité/prix Audiofanzine 2019.