Déclinaison entièrement numérique du fabuleux Quantum, l’Iridium Keyboard se présente sous la forme d’un synthé relativement compact doté d’un clavier à pression polyphonique. Cocktail détonant ?
Présenté pour la première fois lors de la Musikmesse 2017, le Quantum est un fantastique synthé hybride, utilisant simultanément plusieurs moteurs de synthèse, pour certains classiques, pour d’autres inédits, à travers une interface utilisateur somptueuse et une cosmétique luxueuse. Il fait partie des synthés ultra élitistes de la marque, après le Wave et le Q+. Mais l’utilisation de véritables filtres analogiques crée un goulot d’étranglement (en passe d’être contourné), limitant la polyphonie à 8 voix. Si la marque a promis de tout faire pour lever cette contrainte en contournant la partie analogique, elle a en parallèle développé l’Iridium en 2020, une version entièrement numérique qui peut se targuer de produire 16 voix en toute circonstance. Il vient tout juste d’être décliné en version clavier, qui plus est à pression polyphonique, sorte de pied de nez au grand frère. Waldorf nous a gentiment prêté l’un des premiers exemplaires pour un test complet…
Pression polyphonique
L’Iridium Keyboard reprend le même excellent niveau de finition que sa version module : coque métallique anthracite, grand écran tactile couleur bien centré à réponse parfaite, potentiomètres solidement ancrés, encodeurs francs, connectique vissée. Le Quantum reste toutefois un cran au-dessus, dans la hiérarchie du luxe. Le synthé est compact, avec 85 × 36 × 11 cm pour 12 kg, ce que les musiciens itinérants ou contraints en espace apprécieront. Les commandes, globalement moins nombreuses que sur le Quantum, sont logiquement arrangées par section : oscillateurs et mixeur à gauche de l’écran, filtres, processeur de signal, enveloppes, LFO et effets à droite.
À gauche du clavier, on trouve les deux molettes habituelles, deux touches de transposition par octave (+/-3), des touches de fonctions directes (accord, mono, séquenceur/arpégiateur, maintien) et 6 touches macro assignables — hélas globalement — à certaines fonctions (glide, transposition, hauteur, accordage, enregistrement audio, mode programme, saut vers un menu…). Au total, on dénombre 47 potentiomètres, 13 encodeurs-poussoirs et 45 touches rétroéclairées. Le clavier est l’un des atouts indéniables de l’Iridium Keyboard : il s’agit d’un nouveau modèle Fatar TP/8SK à 49 touches, sensible à la vélocité et à la pression polyphonique. Il répond parfaitement et permet une expressivité bien supérieure au Quantum, il n’y a pas photo. L’Iridium Keyboard intègre également la compatibilité MPE. Par contre, 4 octaves, c’est trop juste pour un synthé polyphonique capable de jouer deux timbres séparés, on aurait préféré en avoir une de plus.
Ergonomie exceptionnelle
L’ergonomie est exceptionnelle sur tous les plans : édition directe, choix des modules à éditer (au-dessus de l’écran), chargement/sauvegarde de Presets dans chaque module, édition contextuelle (6 encodeurs), affichage de la valeur stockée/éditée du paramètre en cours, retour à la valeur stockée/initiale de tout paramètre, excellente réactivité de l’écran (sélection, tirer-déplacer), graphismes magnifiques (vibration des ondes, tables d’ondes en 3D, grains mobiles, algorithmes FM, routage des modules, courbes de filtrage superposées, enveloppes dynamiques avec suivi des voix, mouvements du séquenceur en temps réel…). On perd toutefois les diodes témoins arc-en-ciel facilitant l’assignation des potentiomètres, si pédagogiques sur le Quantum. Et toujours pas de mode manuel ou de fonction de comparaison.
La connectique est vissée ou sertie au panneau arrière : sortie casque (jack 6,35) avec mini-potentiomètre de volume, sorties audio stéréo (jacks 6,35 TS), entrées audio stéréo (jacks 6,35 TS pour échantillonner un signal ou le traiter via le moteur granulaire, les filtres ou les effets), prises pour pédales (maintien et continue assignable), 8 prises mini-jack (4 entrées CV, entrée Gate, entrée « start » pour l’arpégiateur ou le séquenceur, entrée/sortie horloge), prise USB vers ordinateur (Midi uniquement, hélas !), prise USB vers contrôleur, connecteur pour carte micro-SD (programmes, échantillons, oscillateurs, tables d’ondes, tables Midi, système), trio Midi DIN et borne type DIN pour adaptateur secteur externe 12V/3A (argh !).
Maîtrise numérique
Au bout d’une quinzaine de secondes, l’Iridium Keyboard nous donne accès à ses milliers de programmes. De nombreux sont déjà préchargés en usine (pas loin de 1.800), dont certains nouveaux tirent parti du clavier à pression polyphonique. Ils ont été développés par des pointures (Kurt Ader, Richard Devine, Matt Johnson, Howard Scarr… et notre ami CO5MA, bravo à lui, une belle reconnaissance de son travail !). On peut sélectionner les sons par numéro, banque, auteur et 4 attributs au choix, mémorisables au moment de la sauvegarde des sons. Pour un rappel direct, par exemple en situation live, on peut organiser ses programmes en favoris (6 onglets de 20 sons). Une fonction permet, au chargement, d’initialiser un programme complet ou l’une des deux couches sonores que peut contenir un programme. Les potentiomètres peuvent répondre dans les modes saut/seuil/relatif. On apprécie leur précision et les trois niveaux de résolution proposés pour chaque paramètre continu. Les commandes en façade transmettent des CC Midi et sont facilement assignables à une source de modulation, nous y reviendrons. De même dans les menus, en maintenant le paramètre voulu, ce qui ouvre une boite de dialogue permettant l’assignation.
La qualité sonore de l’Iridium Keyboard est du même niveau que le Quantum : gros niveaux de sortie, large bande passante, stéréo ample. Les sons sont cristallins, ciselés, précis. Nous avons apprécié les textures évolutives façon PPG, les ensembles de chœurs atmosphériques, les ambiances bien planantes, les différentes percussions modélisées, les tubes soufflés éthérés et les effets spéciaux en tout genre. Un synthé typiquement doué pour la musique Ambient et l’illustration sonore. On en sort aussi quelques sons polyphoniques type VA, mais l’Iridium Keyboard n’a pas l’épaisseur ni les fluctuations naturelles des synthés analogiques polyphoniques, ni le punch d’un mono. Il ne satisfera donc pas les dogmatiques sectaires de l’analogique vintage, bien évidemment ! Par contre, il se mélangera très bien avec des sons denses, leur apportant du tranchant ou des fluctuations subtiles dans les fréquences moins couvertes par ces derniers.
- Iridium Keyboard_1audio 01 Mega Saws00:18
- Iridium Keyboard_1audio 02 Formantic Choir00:32
- Iridium Keyboard_1audio 03 Poly Pressure01:14
- Iridium Keyboard_1audio 04 Tribute 2Giorgio01:42
- Iridium Keyboard_1audio 05 Modulated Split01:18
- Iridium Keyboard_1audio 06 Resonator Whisper01:47
- Iridium Keyboard_1audio 07 Bed & Bottle00:52
- Iridium Keyboard_1audio 08 Multi Synthesis00:59
- Iridium Keyboard_1audio 09 Two Syncs00:35
- Iridium Keyboard_1audio 10 Adios Split00:58
Arborescence générale
L’Iridium Keyboard est un synthé numérique bitimbral polyphonique 16 voix. Chaque programme comprend deux couches sonores, que l’on peut jouer individuellement, de part et d’autre d’un point de séparation programmable ou empilées. Pour chaque couche, on peut régler le volume, le panoramique, la vélocité sur le volume, le gain de l’entrée audio, le routage de l’entrée audio (vers la sortie, les filtres ou les effets de la couche) et le mode unisson (nombre de voix, désaccordage, largeur stéréo, délai). On ne peut éditer qu’une couche à la fois, les touches « Layer 1 » et « Layer 2 » étant exclusives. En séparation, on définit le nombre de voix et la tessiture de chaque couche, ce qui permet de créer des chevauchements ; en empilage, la polyphonie tombe logiquement à huit voix, ce qui reste confortable pour ce type de son.
Pour chaque voix, on trouve 3 oscillateurs, 2 filtres en parallèle (= filtre double), un processeur de signal et un ampli, ainsi qu’un générateur de modulations complexes, 6 enveloppes, 6 LFO et une matrice de modulation. Chaque oscillateur offre le choix entre cinq types de synthèse : tables d’ondes, formes d’ondes, particules, résonateur ou noyau. On dispose de certaines commandes directes, le reste se faisant dans les menus, après sélection du module à éditer au-dessus de l’écran. On peut régler différents paramètres en fonction du moteur sélectionné (voir ci-après) et de la hauteur de l’oscillateur (octave/demi-ton, centième). On passe par le menu pour régler le suivi de clavier sur la hauteur (bipolaire), le volume (précision normale, fine ou superfine), le panoramique (idem), la destination de l’oscillateur (filtre double, processeur de signal, ampli, avec balance entre filtres par paliers de 5 %), le volume des modulations en anneau (1×2 et 2×3), la quantité de pitchbend et la variation de hauteur (simulation des fluctuations des oscillateurs analogiques). Les autres paramètres dépendent du moteur de synthèse. Au plan global, on peut choisir un tempérament parmi une longue liste de Presets ou programmer jusqu’à 8 tempéraments utilisateurs, sympa pour les adeptes des gammes microtonales.
Tables d’ondes
Le premier type d’oscillateur est la table d’ondes, spécialité de la maison Waldorf depuis l’origine, reprenant le flambeau de PPG. Cela consiste à lire des formes d’ondes courtes enchaînées, avec transition plus ou moins douce, en modulant la position de lecture par différentes sources pour créer des évolutions spectrales riches. On peut ainsi jouer des accords parfaitement synchronisés ou complètement barrés, suivant les sources de modulation choisies. Les commandes directes permettent de régler la transposition du spectre sonore, le niveau de bruit, le point de lecture initial dans la table, la saturation et la modulation cyclique de lecture. C’est d’ailleurs surprenant qu’on ne puisse pas changer de table d’onde directement en façade, ce que Waldorf a depuis réglé sur le M en le dotant de doubles encodeurs pour sélectionner la table et le point de lecture.
C’est donc via le menu qu’on choisit la table d’ondes, parmi les 84 tables d’usine (de 14 à 380 ondes environ) et les très nombreuses tables qu’on ne manquera pas de fabriquer. Ensuite, on règle la position initiale de lecture dans la table, la phase initiale, le contenu spectral (transposition du contenu harmonique), la brillance, le suivi de clavier assigné au contenu spectral, le mode de déplacement cyclique dans la table (cycle par voix, cycle global, synchro au tempo, coup unique, pingpong par voix, pingpong global), la qualité (propre, dure ou sale, pour simuler l’aliasing des synthés vintage PPG et Waldorf), le type d’interpolation entre les ondes (avec ou sans fondu), le lissage de balayage (lisse ou granuleux), la saturation (drive, gain) et la vitesse de déplacement cyclique en lecture de la table (positive ou négative). L’écran représente en 3D le spectre de la table d’onde, dans lequel on se balade en changeant la position initiale, magnifique ! Le synthé offre aussi une boite à outils pour créer puis exporter des tables d’ondes. Par exemple, resynthétiser en table d’ondes une phrase tapée au clavier, ou analyser un fichier audio importé, ou encore créer une table de huit ondes à cycle court à partir d’un extrait audio WAV/AIFF, avec un maximum de 1024 samples, ou enfin convertir un fichier WAV/AIFF en table d’ondes à période constante (entre 64 et 4096 samples). Les tables peuvent être importées/exportées avec le lecteur micro-SD. Bravo pour cet éditeur intégré !
Formes d’ondes
Ce deuxième type d’oscillateur est capable d’empiler jusqu’à 8 formes d’ondes sans perte de polyphonie. En façade, on définit le nombre d’ondes empilées (les valeurs décimales représentent des volumes intermédiaires), leur désaccordage, la forme d’onde de base (dent de scie, sinus, triangle, impulsion variable, bruit rose ou bruit blanc), le contenu harmonique et la quantité de synchro avec un oscillateur maître virtuel (ce qui évite de consommer un autre générateur sonore). Le contenu harmonique varie suivant la forme d’onde : avec la dent de scie, on passe progressivement d’une double dent de scie à une simple dent de scie, puis à une onde carrée ; avec le sinus, on passe d’une rampe en pente douce à un sinus, puis à une dent de scie adoucie ; avec le triangle, on passe d’une rampe à un triangle, puis à une dent de scie ; avec l’impulsion, on règle la largeur d’impulsion de quasi 0 à quasi 100 % ; enfin avec les deux bruits, on passe d’un bruit filtré à un bruit non filtré, puis à un bruit à hauteur variable.
Toujours très soigné, l’éditeur central affiche l’onde résultante en temps réel, au fur et à mesure qu’on la façonne, c’est très pédagogique. Via le menu, on accède à des paramètres supplémentaires : largeur stéréo des ondes empilées, désaccordage par demi-ton et par paire d’ondes (1–5, 2–6, 3–7, 4–8) et phase de l’oscillateur (oscillation libre ou début de phase forcé à chaque déclenchement de note). On peut aussi charger, nommer et sauvegarder des ondes dites « Presets », comme avec les tables d’ondes. Voici un moteur très élaboré, qui encore une fois ne se contente pas d’imiter l’existant.
Particules fines
Le troisième type d’oscillateur consiste à manipuler les échantillons, multiéchantillons ou flux audio. Il peut fonctionner en lecture de samples classique, resynthèse granulaire ou synthèse granulaire live (traitement direct d’un signal externe). Les échantillons proviennent de la mémoire interne, de la carte micro-SD, de captures faites à partir de la machine ou de l’entrée audio. On peut éditer les échantillons comme en mode Global (voir encadré). On peut aussi les assembler en multisamples, pour les lire simplement ou les resynthétiser via le mode granulaire. Au menu : choix de l’échantillon, hauteur, tessiture, fenêtre de vélocité. Si on donne à plusieurs échantillons la même tessiture et la même vélocité, on peut alors les alterner suivant différentes règles : ordre croissant, ordre décroissant, pingpong, aléatoire… la concurrence ferait bien de s’en inspirer !
En mode granulaire, les samples, multisamples ou flux audio sont découpés en flux de grains. À partir de la façade, on peut éditer le nombre de flux de grains (1 à 8), le désaccordage des flux, le point de départ de lecture de l’échantillon, la longueur des grains (jusqu’à 250 ms) et la vitesse d’oscillation de lecture (en avant ou en arrière). Via le menu, en mode granulaire, on accède à d’autres paramètres : point de départ aléatoire, Gate (densité des grains), agitation (action aléatoire sur la longueur et la densité des grains), mode de lecture (continu, coup unique, pingpong, global — tout cela modifiable en temps réel sans avoir à redéclencher le son), attaque d’enveloppe, déclin d’enveloppe et largeur stéréo. On peut aussi jouer sur la hauteur des grains : dispersion par rapport à la hauteur centrale, mode de dispersion (différentes règles dont certaines aléatoires ou fixées par demi-ton…). Là encore, on peut charger/sauvegarder des Presets. L’afficheur est une nouvelle fois très didactique pour comprendre ce que l’on fait et comment cela agit sur les échantillons. Un moteur de synthèse réussi et peu banal.
Résonateur physique
Quatrième type d’oscillateur, le résonateur associe une excitation (bruit court, échantillon ou multisample) et un corps de résonance (banque de filtres passe-bande). En façade, on peut directement régler le nombre de répétitions de l’excitation, l’espacement des partiels, la tonalité (filtrage ou accentuation des partiels), la nature de l’excitation (d’une impulsion pour simuler une frappe, à un bruit court pour simuler un souffle) et la résonance des partiels (durée). L’écran affiche le spectre obtenu en temps réel sous forme de série harmonique. Via le menu, on peut régler la quantité de partiels accentués (passage d’un son boisé à un son métallique), la brillance (rapport entre les harmoniques basses et hautes), l’enveloppe d’excitation (AD), l’accélération des répétitions (par exemple pour simuler une bille rebondissante qui finit par s’immobiliser), la balance de filtrage des partiels, le filtrage des hautes fréquences (entre l’excitation et la banque de filtres), la largeur stéréo et le renfort de la fondamentale. Comme toujours, il existe une banque de Presets chargeables et éditables pour créer ses propres résonateurs.
Au sein de l’oscillateur de type résonateur, comme dans le moteur à particules, on peut éditer des échantillons et les assembler en multisamples, pour les utiliser ensuite comme signal d’excitation. La seule différence ici est qu’il n’y a qu’un mode d’alternance pour les samples ayant la même tessiture et la même fenêtre de vélocité. Les sons obtenus avec ce type d’oscillateur varient entre les percussions bois, les percussions métalliques, les tubes soufflés, les bruits de ruissellement… Un oscillateur qui ne demande qu’à être exploré, permettant des sons inhabituels, tantôt organiques, tantôt acoustiques.
Noyaux atomiques
Enfin, l’Iridium Keyboard offre un cinquième type d’oscillateur, basé sur la synthèse à noyaux, comprendre par là une organisation atomique de différentes sources sonores. On dispose de 6 noyaux (mini-oscillateurs) combinables et intermodulables dans l’audio. Il y a deux niveaux d’édition : Template, pour aller vite en utilisant les cinq potentiomètres en façade dans la section oscillateur, qui du coup deviennent contextuels en fonction du gabarit choisi. L’écran affiche alors une page avec les paramètres assignés, que l’on peut alors modifier, pour sauvegarder nos propres gabarits. On peut donc utiliser ce mode en restant en surface et ne jamais se perdre.
Le second niveau d’édition, fort justement appelé « Edit », permet quant à lui d’entrer dans l’infiniment petit. On peut arranger les 6 noyaux en algorithmes (façon DX7), avec 3 sources de modulation par noyau (un noyau peut être modulé par 1 à 3 autres noyaux dans l’audio). Il y a plusieurs types de modulation : phase (DX7), FM linéaire, Ring Mod, AM et point de lecture de table d’ondes. En modulation de phase et d’amplitude, on peut définir un niveau de feedback pour chaque noyau. L’écran affiche l’algorithme formé en direct, avec tous les routages et modulations créés. On peut aussi assigner les 5 potentiomètres en façade à 6 paramètres simultanés par potentiomètre (macro façon matrice de modulation avec, par cordon, choix du paramètre et quantité de modulation bipolaire). L’édition au niveau du noyau se fait par onglets doubles, ce qui permet de passer facilement d’un noyau à l’autre dans une page de paramètres donnée (forme d’onde, modulations, enveloppe et niveau). Dans la page de forme d’onde, on choisit le type d’onde : sinus, rampe, dent de scie, carré, bruit blanc, bruit rose, résonateur, table d’ondes interne. On peut définir le point de lecture initial d’une table d’ondes, sa phase, son niveau (volume et/ou modulation suivant que le noyau est une source et/ou une modulation) et son type de hauteur (ratio constant, permettant d’obtenir des harmoniques ou des partiels, fréquence fixe). Dans la page de modulation, on définit les routages des 3 noyaux sources de modulation pour le noyau en cours. Dans la page d’enveloppe, on règle l’enveloppe de niveau (volume et/ou modulation) du noyau, de type AD1D2 avec suivi de clavier. Enfin dans la page de niveau, on contrôle le niveau, la réponse en vélocité, le suivi de clavier et le panoramique. Un moteur de synthèse à part entière là encore, qui permet aussi d’importer des banques de 32 programmes de DX7 via Sysex. Elle n’est pas belle, la vie ?
Filtre double
La section filtres de l’Iridium Keyboard diffère de celle du Quantum : les deux VCF ont été remplacés par deux filtres numériques multimodes résonants stéréo en parallèle (= filtre double). Leurs fréquences de coupure et résonances respectives peuvent être liées ou indépendantes, suivant leur arrangement : Single (premier filtre seul activé), Boost (second filtre non résonant, fréquence inférieure et liée à celle du premier), Twin Peaks (distance constante entre les fréquences de coupure et les résonances des deux filtres), Escaping (séparation des fréquences augmentant avec la fréquence du premier filtre), Opposition (fréquence du second filtre évoluant en opposition à celle du premier), Endless (Twin Peaks puis Opposition quand la fréquence du second fixe arrive au maximum), Independent (réglages séparés des deux fréquences et des deux résonances), Linked (comme précédemment, sauf que la première fréquence contrôle la deuxième). Chaque filtre offre 6 modèles déclinés en différents modes : variables d’état (LP/BP/HP x 2/4 pôles x 3 niveaux d’entrée classique/saturé/sale = 18 modes), pente variable suivant la résonance (LP/HP x 2/4 pôles x 3 niveaux = 12 modes), Largo (18 modes), Nave (18 modes), PPG Wave 3.V (LP x 2/4 pôles x 3 niveaux = 6 modes) et Quantum (6 modes).
Les filtres, quel que soit le type, peuvent entrer en auto-oscillation. Tous les réglages continus proposent, ici encore, trois modes de résolution : normal, fin et superfin. En façade, on peut directement régler la fréquence de coupure, la résonance et le type de chaque filtre, ainsi que leur lien. Il n’y a aucun effet de pas sur les fréquences de coupure, la résolution est de l’ordre du millième. Via le menu, on peut régler l’action du suivi de clavier/de l’enveloppe/de la vélocité sur la fréquence, ainsi que le volume et le panoramique de chaque filtre. L’écran affiche en temps réel les courbes de réponse des filtres de manière très fluide, que l’on peut éditer par tirer-déplacer ; il permet également de visualiser le routage des différents composants sonores, oscillateurs, filtres, processeur de signal, ampli, effets… très didactique !
Processeur de signal
La section de traitement audio ne s’arrête pas là, puisqu’elle intègre également un processeur de signal. Il peut être placé avant, après ou en parallèle des filtres doubles. Très polyvalent, il est capable de produire différents Drive, Bit Crusher et des filtres numériques élaborés. En façade, on peut régler le type d’effet et deux paramètres liés au mode choisi, le reste se fait par le menu. Pour les modèles de Drive, on peut choisir différents modèles de circuits : transistor, lampe, micro électrostatique, diode et Crunch (un Waveshaper à base de FM). On trouve aussi un algorithme de gain avec phase inversable. Viennent ensuite deux filtres en peigne (positif et négatif), dont on peut régler la fréquence et la réinjection. Pour le Bit Crusher, on peut modifier la résolution et la fréquence d’échantillonnage en temps réel.
Pour les filtres, on accède à différents modèles issus des synthés de la marque. D’abord, les Nave et Largo en modes passe-bas, passe-bande, passe-haut et réjection 2 ou 4 pôles. Ensuite, le PPG Wave 3.V en modes passe-bas 2 et 4 pôles. Quel que soit le mode de filtre, on peut régler la fréquence de coupure et la résonance en façade ; par le menu, on accède à des paramètres supplémentaires, comme le routage des oscillateurs et des différents filtres. La qualité de ces traitements est variée et colorée, ils représentent un bon complément aux filtres doubles, constituant ainsi une solide section qui font sortir l’Iridium Keyboard du lot.
Modulations, partie 1
Waldorf s’est fait une spécialité des matrices de modulation, depuis le tout premier Microwave de 1989. L’Iridium Keyboard ne déroge pas à la règle. Le Glide dispose d’un mode de déclenchement (permanent ou entre notes liées) et d’un réglage de temps, modulable via la matrice de modulation, ce qui permet de générer des effets complexes de portamento. On trouve ensuite 6 LFO identiques, dont les 2 premiers possèdent des paramètres accessibles en façade (fréquence — de 4 minutes à 100 Hz — et quantité). Les réglages additionnels se font via le menu : forme d’onde (sinus, carré, triangle, dent de scie, rampe, S&H), synchronisation à l’horloge, déformation d’onde en continu (compression pour le sinus, morphing sur le triangle, largeur d’impulsion du carré, repliement pour les ondes dent de scie, déformation des bords pour le S&H), fondu d’entrée, fondu de sortie, synchronisation entre les voix, lissage d’onde, phase, délai et cibles directes.
On passe au modulateur complexe (« Komplex Modulator » en VO), un super LFO à deux formes d’ondes simultanées, idéal pour les pads et les drones. On peut régler la fréquence, le mélange des deux ondes, leurs modulations et l’entropie (modulation aléatoire à chaque cycle) ; l’écran affiche la courbe de modulation obtenue. On peut ensuite l’éditer sur 32 pas : niveau et courbe de liaison au pas suivant (linéaire, saut discret, cosinus, dent de scie). De nombreux réglages supplémentaires sont disponibles, identiques aux LFO. Viennent ensuite 6 enveloppes, dont deux offrent des paramètres accessibles en façade (filtre n° 1 et ampli). Les trois premières sont préassignées au filtre double et à l’ampli, mais peuvent être reroutées. Le menu permet d’éditer tous les paramètres sous forme de 6 onglets (comme pour les LFO) : segments DADSR, variation de phase (pour simuler un synthé analogique vintage), formes des courbes ADR, bouclage (AD ou ADSR), redéclenchement (simple, multiple), cibles directes. Là encore, l’écran affiche la courbe d’enveloppe en temps réel, on peut tirer dessus et on voit chaque voix la parcourir, ludique et pédagogique ! Les temps varient de 0 à 60 secondes, très confortable.
Modulations, partie 2
Enfin, on trouve une matrice de modulation à 40 cordons, pour relier 47 sources à 191 destinations. Pour chaque cordon, on choisit la source, la destination, la quantité de modulation (bipolaire), le contrôleur de modulation de côté et la quantité d’action dudit contrôleur. Les commandes en façade permettent d’assigner facilement une destination à une source qui y est représentée (enveloppe, LFO). Toutefois, le Quantum faisait beaucoup mieux en la matière, grâce à des commandes plus nombreuses dotées de diodes multicolores pour repérer immédiatement les destinations et les sources assignables. Avec l’Iridium Keyboard, passer par le menu permet toutefois d’aller vite : la page de la matrice affiche la liste déroulante des cordons et les quantités de modulation sous forme de barres rouges ou vertes selon le signe ; on choisit le cordon à éditer via un encodeur et on accède à tous les paramètres grâce aux autres encodeurs contextuels. On peut muter ou supprimer un cordon à tout instant.
Parmi les sources disponibles : les LFO, les enveloppes, le modulateur complexe, les contrôleurs physiques (dont la pression polyphonique et l’axe Y du MPE), plusieurs CC Midi, un générateur aléatoire, un pad virtuel X/Y sur l’écran, les 8 lignes de modulation du séquenceur de paramètres et les 4 entrées CV. Parmi les destinations : la hauteur globale ou par oscillateur, le niveau de chaque oscillateur, les paramètres des oscillateurs (quasi tous), les filtres et le processeur de signal (tous les paramètres y compris les niveaux et panoramiques), le volume, le panoramique, les segments de chaque enveloppe, la vitesse et le gain de chaque LFO, les paramètres du modulateur complexe, le temps de Glide, certains paramètres d’effets et certains paramètres de l’arpégiateur et du séquenceur. Kolossal ! Nous avons apprécié la possibilité de moduler le numéro de table d’ondes, une fonction peu commune, surtout que le résultat est très bien maitrisé, sans effets indésirables.
Décade d’effets
Un programme comprenant deux couches sonores, Waldorf a eu la bonne idée de les doter chacune d’une chaine distincte de cinq multieffets en série. Dommage qu’on ne puisse les router différemment. Autre limitation, il n’y a qu’une seule instance possible par type d’effet dans les cinq blocs (on ne peut pas avoir deux chorus, par exemple). En façade, on peut directement éditer deux paramètres pour les deux premiers effets, c’est peu ! La liste des algorithmes assignables à chaque bloc est confortable : phaser (différents types dont ceux du Nave et du PPG Wave 3.V, de 2 à 16 étages), chorus (2 à 8 étages), flanger, délai stéréo (avec synchro au tempo), réverbe (différentes couleurs), EQ paramétrique 4 bandes, saturation (modélisation de transistor, lampe, micro électrostatique, diode et Crunch) et compresseur (très complet, avec tous les paramètres souhaitables pour ce type d’effet, sauf une entrée de modulation latérale).
On a le plus souvent 10 paramètres éditables par effet, la plupart étant des destinations de la matrice de modulation, bravo ! Nos effets préférés sont le chorus, profond et épais, ainsi que la réverbe, précise et longue. Le phaser est sympa en version PPG, métallique en version Nave, tout comme le flanger. Il n’y a pas de modélisations de pédales vintage à l’horizon, tant pis. L’unique sortie stéréo empêche d’avoir des traitements séparés par couche sonore ou de récupérer séparément une couche non traitée, dommage. Au plan global enfin, on a un compresseur à réglage unique et un amplificateur de basses (simple marche/arrêt). Parfois utile, parfois pas du tout en fonction des sons, c’est d’autant plus dommage qu’ils soient globaux.
Arpégiateur et séquenceur
Les deux couches sonores d’un programme possèdent chacune un arpégiateur ou un séquenceur à pas exclusifs. Commençons par l’arpégiateur. On peut maintenir les accords (touche « Chord ») et ajouter des notes à l’accord maintenu (touche « Latch »). Dans ce dernier mode, appuyer sur une note déjà maintenue la retire de l’accord. Les paramètres disponibles sont le tempo, la division temporelle, le swing, le motif rythmique (31 types avec différentes accentuations), la durée avant redéclenchement, le temps de Gate de relâchement, le sens de lecture (haut, bas, haut et bas, haut et bas avec répétition, bas et haut, bas et haut avec répétition, aléatoire), l’octave (1 à 4), le tri des notes (comme joué, ordre inversé, croissant ou décroissant suivant la hauteur de note, croissant ou décroissant suivant la vélocité, accord), le mode de restitution de la vélocité (toutes le notes jouées, première note jouée, dernière note jouée).
Pour ceux qui préfèrent les motifs programmés aux arpèges jouées, l’Iridium Keyboard offre un séquenceur mono à 32 pas. Pour chaque pas, on définit la note, la longueur, la vélocité, ainsi que 8 lignes de mouvements assignables via la matrice de modulation. La programmation peut se faire directement à l’écran, en dessinant le motif à la main et en l’éditant ensuite avec précision. On peut activer un pas, le muter (le rendre inactif sans l’effacer) ou doubler sa longueur (le pas suivant est sauté mais reste en mémoire). Par contre, on ne peut pas lier deux pas, créer des effets d’Autobend ou des Ratchets. L’écran peut afficher les pas 1–32 (pour une vision globale), 1–16 ou 17–32 (pour une vision plus fine). On peut aussi entrer les notes directement au clavier. Là encore, l’Iridium Keyboard permet de sauvegarder et charger des Presets de séquences. Le sens de lecture est modifiable : avant, arrière, pingpong, alterné et coup unique. De même, on peut définir à quel endroit la séquence commence quand on appuie sur une nouvelle touche : au début, en cours, à un pas aléatoire. Les séquences sont directement transposables au clavier ou à l’écran via des pads virtuels. Il est même possible de choisir un tempérament et une note racine. Les autres paramètres (tempo, division temporelle, swing…) sont communs à ceux de l’arpégiateur. Signalons que les notes arpégées ou séquencées peuvent être transmises en Midi/USB.
Conclusion
L’Iridium Keyboard est un synthé ultra puissant, capable de générer une panoplie très vaste de sonorités grâce à ses différents moteurs de synthèse, pour certains peu ordinaires. Les textures évolutives et pseudoacoustiques sont sa spécialité. Le son est singulier, précis, chirurgical même, mais rarement banal. La qualité de construction est haut de gamme et l’interface utilisateur somptueuse. C’est un synthé de recherche très puissant qui invite à aller dans le détail, en comprenant ce qu’on fait, en acceptant de se perdre parfois. Doté d’un peu moins de commandes directes que le Quantum, il intègre en revanche un clavier à pression polyphonique qui change beaucoup de choses dans l’expressivité, d’autant qu’on peut l’assigner à une infinité de paramètres. C’est sur ce point que la différence avec son grand frère est la plus spectaculaire. On se prend alors à rêver d’un Iridium Keyboard à 5 octaves ou d’un Quantum équipé d’un clavier à pression polyphonique. En somme, le haut de gamme idéal Waldorf n’existe pas encore, ces deux beaux synthés pour designers sonores avertis se le disputent, chacun avec ses atouts et ses contraintes. Choix cornélien s’il en est et Award Valeur Sûre pour l’Iridium Keyboard.