Déclinaison entièrement numérique du fabuleux Quantum, l’Iridium Keyboard se présente sous la forme d’un synthé relativement compact doté d’un clavier à pression polyphonique. Cocktail détonant ?
Présenté pour la première fois lors de la Musikmesse 2017, le Quantum est un fantastique synthé hybride, utilisant simultanément plusieurs moteurs de synthèse, pour certains classiques, pour d’autres inédits, à travers une interface utilisateur somptueuse et une cosmétique luxueuse. Il fait partie des synthés ultra élitistes de la marque, après le Wave et le Q+. Mais l’utilisation de véritables filtres analogiques crée un goulot d’étranglement (en passe d’être contourné), limitant la polyphonie à 8 voix. Si la marque a promis de tout faire pour lever cette contrainte en contournant la partie analogique, elle a en parallèle développé l’Iridium en 2020, une version entièrement numérique qui peut se targuer de produire 16 voix en toute circonstance. Il vient tout juste d’être décliné en version clavier, qui plus est à pression polyphonique, sorte de pied de nez au grand frère. Waldorf nous a gentiment prêté l’un des premiers exemplaires pour un test complet…
Pression polyphonique
L’Iridium Keyboard reprend le même excellent niveau de finition que sa version module : coque métallique anthracite, grand écran tactile couleur bien centré à réponse parfaite, potentiomètres solidement ancrés, encodeurs francs, connectique vissée. Le Quantum reste toutefois un cran au-dessus, dans la hiérarchie du luxe. Le synthé est compact, avec 85 × 36 × 11 cm pour 12 kg, ce que les musiciens itinérants ou contraints en espace apprécieront. Les commandes, globalement moins nombreuses que sur le Quantum, sont logiquement arrangées par section : oscillateurs et mixeur à gauche de l’écran, filtres, processeur de signal, enveloppes, LFO et effets à droite.
Ergonomie exceptionnelle
L’ergonomie est exceptionnelle sur tous les plans : édition directe, choix des modules à éditer (au-dessus de l’écran), chargement/sauvegarde de Presets dans chaque module, édition contextuelle (6 encodeurs), affichage de la valeur stockée/éditée du paramètre en cours, retour à la valeur stockée/initiale de tout paramètre, excellente réactivité de l’écran (sélection, tirer-déplacer), graphismes magnifiques (vibration des ondes, tables d’ondes en 3D, grains mobiles, algorithmes FM, routage des modules, courbes de filtrage superposées, enveloppes dynamiques avec suivi des voix, mouvements du séquenceur en temps réel…). On perd toutefois les diodes témoins arc-en-ciel facilitant l’assignation des potentiomètres, si pédagogiques sur le Quantum. Et toujours pas de mode manuel ou de fonction de comparaison.
Maîtrise numérique
Au bout d’une quinzaine de secondes, l’Iridium Keyboard nous donne accès à ses milliers de programmes. De nombreux sont déjà préchargés en usine (pas loin de 1.800), dont certains nouveaux tirent parti du clavier à pression polyphonique. Ils ont été développés par des pointures (Kurt Ader, Richard Devine, Matt Johnson, Howard Scarr… et notre ami CO5MA, bravo à lui, une belle reconnaissance de son travail !). On peut sélectionner les sons par numéro, banque, auteur et 4 attributs au choix, mémorisables au moment de la sauvegarde des sons. Pour un rappel direct, par exemple en situation live, on peut organiser ses programmes en favoris (6 onglets de 20 sons). Une fonction permet, au chargement, d’initialiser un programme complet ou l’une des deux couches sonores que peut contenir un programme. Les potentiomètres peuvent répondre dans les modes saut/seuil/relatif. On apprécie leur précision et les trois niveaux de résolution proposés pour chaque paramètre continu. Les commandes en façade transmettent des CC Midi et sont facilement assignables à une source de modulation, nous y reviendrons. De même dans les menus, en maintenant le paramètre voulu, ce qui ouvre une boite de dialogue permettant l’assignation.

- Iridium Keyboard_1audio 01 Mega Saws00:18
- Iridium Keyboard_1audio 02 Formantic Choir00:32
- Iridium Keyboard_1audio 03 Poly Pressure01:14
- Iridium Keyboard_1audio 04 Tribute 2Giorgio01:42
- Iridium Keyboard_1audio 05 Modulated Split01:18
- Iridium Keyboard_1audio 06 Resonator Whisper01:47
- Iridium Keyboard_1audio 07 Bed & Bottle00:52
- Iridium Keyboard_1audio 08 Multi Synthesis00:59
- Iridium Keyboard_1audio 09 Two Syncs00:35
- Iridium Keyboard_1audio 10 Adios Split00:58
Arborescence générale
Pour chaque voix, on trouve 3 oscillateurs, 2 filtres en parallèle (= filtre double), un processeur de signal et un ampli, ainsi qu’un générateur de modulations complexes, 6 enveloppes, 6 LFO et une matrice de modulation. Chaque oscillateur offre le choix entre cinq types de synthèse : tables d’ondes, formes d’ondes, particules, résonateur ou noyau. On dispose de certaines commandes directes, le reste se faisant dans les menus, après sélection du module à éditer au-dessus de l’écran. On peut régler différents paramètres en fonction du moteur sélectionné (voir ci-après) et de la hauteur de l’oscillateur (octave/demi-ton, centième). On passe par le menu pour régler le suivi de clavier sur la hauteur (bipolaire), le volume (précision normale, fine ou superfine), le panoramique (idem), la destination de l’oscillateur (filtre double, processeur de signal, ampli, avec balance entre filtres par paliers de 5 %), le volume des modulations en anneau (1×2 et 2×3), la quantité de pitchbend et la variation de hauteur (simulation des fluctuations des oscillateurs analogiques). Les autres paramètres dépendent du moteur de synthèse. Au plan global, on peut choisir un tempérament parmi une longue liste de Presets ou programmer jusqu’à 8 tempéraments utilisateurs, sympa pour les adeptes des gammes microtonales.
Tables d’ondes
C’est donc via le menu qu’on choisit la table d’ondes, parmi les 84 tables d’usine (de 14 à 380 ondes environ) et les très nombreuses tables qu’on ne manquera pas de fabriquer. Ensuite, on règle la position initiale de lecture dans la table, la phase initiale, le contenu spectral (transposition du contenu harmonique), la brillance, le suivi de clavier assigné au contenu spectral, le mode de déplacement cyclique dans la table (cycle par voix, cycle global, synchro au tempo, coup unique, pingpong par voix, pingpong global), la qualité (propre, dure ou sale, pour simuler l’aliasing des synthés vintage PPG et Waldorf), le type d’interpolation entre les ondes (avec ou sans fondu), le lissage de balayage (lisse ou granuleux), la saturation (drive, gain) et la vitesse de déplacement cyclique en lecture de la table (positive ou négative). L’écran représente en 3D le spectre de la table d’onde, dans lequel on se balade en changeant la position initiale, magnifique ! Le synthé offre aussi une boite à outils pour créer puis exporter des tables d’ondes. Par exemple, resynthétiser en table d’ondes une phrase tapée au clavier, ou analyser un fichier audio importé, ou encore créer une table de huit ondes à cycle court à partir d’un extrait audio WAV/AIFF, avec un maximum de 1024 samples, ou enfin convertir un fichier WAV/AIFF en table d’ondes à période constante (entre 64 et 4096 samples). Les tables peuvent être importées/exportées avec le lecteur micro-SD. Bravo pour cet éditeur intégré !
Formes d’ondes
Toujours très soigné, l’éditeur central affiche l’onde résultante en temps réel, au fur et à mesure qu’on la façonne, c’est très pédagogique. Via le menu, on accède à des paramètres supplémentaires : largeur stéréo des ondes empilées, désaccordage par demi-ton et par paire d’ondes (1–5, 2–6, 3–7, 4–8) et phase de l’oscillateur (oscillation libre ou début de phase forcé à chaque déclenchement de note). On peut aussi charger, nommer et sauvegarder des ondes dites « Presets », comme avec les tables d’ondes. Voici un moteur très élaboré, qui encore une fois ne se contente pas d’imiter l’existant.
Particules fines
En mode granulaire, les samples, multisamples ou flux audio sont découpés en flux de grains. À partir de la façade, on peut éditer le nombre de flux de grains (1 à 8), le désaccordage des flux, le point de départ de lecture de l’échantillon, la longueur des grains (jusqu’à 250 ms) et la vitesse d’oscillation de lecture (en avant ou en arrière). Via le menu, en mode granulaire, on accède à d’autres paramètres : point de départ aléatoire, Gate (densité des grains), agitation (action aléatoire sur la longueur et la densité des grains), mode de lecture (continu, coup unique, pingpong, global — tout cela modifiable en temps réel sans avoir à redéclencher le son), attaque d’enveloppe, déclin d’enveloppe et largeur stéréo. On peut aussi jouer sur la hauteur des grains : dispersion par rapport à la hauteur centrale, mode de dispersion (différentes règles dont certaines aléatoires ou fixées par demi-ton…). Là encore, on peut charger/sauvegarder des Presets. L’afficheur est une nouvelle fois très didactique pour comprendre ce que l’on fait et comment cela agit sur les échantillons. Un moteur de synthèse réussi et peu banal.
Résonateur physique
Au sein de l’oscillateur de type résonateur, comme dans le moteur à particules, on peut éditer des échantillons et les assembler en multisamples, pour les utiliser ensuite comme signal d’excitation. La seule différence ici est qu’il n’y a qu’un mode d’alternance pour les samples ayant la même tessiture et la même fenêtre de vélocité. Les sons obtenus avec ce type d’oscillateur varient entre les percussions bois, les percussions métalliques, les tubes soufflés, les bruits de ruissellement… Un oscillateur qui ne demande qu’à être exploré, permettant des sons inhabituels, tantôt organiques, tantôt acoustiques.
Noyaux atomiques
Le second niveau d’édition, fort justement appelé « Edit », permet quant à lui d’entrer dans l’infiniment petit. On peut arranger les 6 noyaux en algorithmes (façon DX7), avec 3 sources de modulation par noyau (un noyau peut être modulé par 1 à 3 autres noyaux dans l’audio). Il y a plusieurs types de modulation : phase (DX7), FM linéaire, Ring Mod, AM et point de lecture de table d’ondes. En modulation de phase et d’amplitude, on peut définir un niveau de feedback pour chaque noyau. L’écran affiche l’algorithme formé en direct, avec tous les routages et modulations créés. On peut aussi assigner les 5 potentiomètres en façade à 6 paramètres simultanés par potentiomètre (macro façon matrice de modulation avec, par cordon, choix du paramètre et quantité de modulation bipolaire). L’édition au niveau du noyau se fait par onglets doubles, ce qui permet de passer facilement d’un noyau à l’autre dans une page de paramètres donnée (forme d’onde, modulations, enveloppe et niveau). Dans la page de forme d’onde, on choisit le type d’onde : sinus, rampe, dent de scie, carré, bruit blanc, bruit rose, résonateur, table d’ondes interne. On peut définir le point de lecture initial d’une table d’ondes, sa phase, son niveau (volume et/ou modulation suivant que le noyau est une source et/ou une modulation) et son type de hauteur (ratio constant, permettant d’obtenir des harmoniques ou des partiels, fréquence fixe). Dans la page de modulation, on définit les routages des 3 noyaux sources de modulation pour le noyau en cours. Dans la page d’enveloppe, on règle l’enveloppe de niveau (volume et/ou modulation) du noyau, de type AD1D2 avec suivi de clavier. Enfin dans la page de niveau, on contrôle le niveau, la réponse en vélocité, le suivi de clavier et le panoramique. Un moteur de synthèse à part entière là encore, qui permet aussi d’importer des banques de 32 programmes de DX7 via Sysex. Elle n’est pas belle, la vie ?
Filtre double
Les filtres, quel que soit le type, peuvent entrer en auto-oscillation. Tous les réglages continus proposent, ici encore, trois modes de résolution : normal, fin et superfin. En façade, on peut directement régler la fréquence de coupure, la résonance et le type de chaque filtre, ainsi que leur lien. Il n’y a aucun effet de pas sur les fréquences de coupure, la résolution est de l’ordre du millième. Via le menu, on peut régler l’action du suivi de clavier/de l’enveloppe/de la vélocité sur la fréquence, ainsi que le volume et le panoramique de chaque filtre. L’écran affiche en temps réel les courbes de réponse des filtres de manière très fluide, que l’on peut éditer par tirer-déplacer ; il permet également de visualiser le routage des différents composants sonores, oscillateurs, filtres, processeur de signal, ampli, effets… très didactique !
Processeur de signal
Pour les filtres, on accède à différents modèles issus des synthés de la marque. D’abord, les Nave et Largo en modes passe-bas, passe-bande, passe-haut et réjection 2 ou 4 pôles. Ensuite, le PPG Wave 3.V en modes passe-bas 2 et 4 pôles. Quel que soit le mode de filtre, on peut régler la fréquence de coupure et la résonance en façade ; par le menu, on accède à des paramètres supplémentaires, comme le routage des oscillateurs et des différents filtres. La qualité de ces traitements est variée et colorée, ils représentent un bon complément aux filtres doubles, constituant ainsi une solide section qui font sortir l’Iridium Keyboard du lot.
Modulations, partie 1
On passe au modulateur complexe (« Komplex Modulator » en VO), un super LFO à deux formes d’ondes simultanées, idéal pour les pads et les drones. On peut régler la fréquence, le mélange des deux ondes, leurs modulations et l’entropie (modulation aléatoire à chaque cycle) ; l’écran affiche la courbe de modulation obtenue. On peut ensuite l’éditer sur 32 pas : niveau et courbe de liaison au pas suivant (linéaire, saut discret, cosinus, dent de scie). De nombreux réglages supplémentaires sont disponibles, identiques aux LFO. Viennent ensuite 6 enveloppes, dont deux offrent des paramètres accessibles en façade (filtre n° 1 et ampli). Les trois premières sont préassignées au filtre double et à l’ampli, mais peuvent être reroutées. Le menu permet d’éditer tous les paramètres sous forme de 6 onglets (comme pour les LFO) : segments DADSR, variation de phase (pour simuler un synthé analogique vintage), formes des courbes ADR, bouclage (AD ou ADSR), redéclenchement (simple, multiple), cibles directes. Là encore, l’écran affiche la courbe d’enveloppe en temps réel, on peut tirer dessus et on voit chaque voix la parcourir, ludique et pédagogique ! Les temps varient de 0 à 60 secondes, très confortable.
Modulations, partie 2
Parmi les sources disponibles : les LFO, les enveloppes, le modulateur complexe, les contrôleurs physiques (dont la pression polyphonique et l’axe Y du MPE), plusieurs CC Midi, un générateur aléatoire, un pad virtuel X/Y sur l’écran, les 8 lignes de modulation du séquenceur de paramètres et les 4 entrées CV. Parmi les destinations : la hauteur globale ou par oscillateur, le niveau de chaque oscillateur, les paramètres des oscillateurs (quasi tous), les filtres et le processeur de signal (tous les paramètres y compris les niveaux et panoramiques), le volume, le panoramique, les segments de chaque enveloppe, la vitesse et le gain de chaque LFO, les paramètres du modulateur complexe, le temps de Glide, certains paramètres d’effets et certains paramètres de l’arpégiateur et du séquenceur. Kolossal ! Nous avons apprécié la possibilité de moduler le numéro de table d’ondes, une fonction peu commune, surtout que le résultat est très bien maitrisé, sans effets indésirables.
Décade d’effets
On a le plus souvent 10 paramètres éditables par effet, la plupart étant des destinations de la matrice de modulation, bravo ! Nos effets préférés sont le chorus, profond et épais, ainsi que la réverbe, précise et longue. Le phaser est sympa en version PPG, métallique en version Nave, tout comme le flanger. Il n’y a pas de modélisations de pédales vintage à l’horizon, tant pis. L’unique sortie stéréo empêche d’avoir des traitements séparés par couche sonore ou de récupérer séparément une couche non traitée, dommage. Au plan global enfin, on a un compresseur à réglage unique et un amplificateur de basses (simple marche/arrêt). Parfois utile, parfois pas du tout en fonction des sons, c’est d’autant plus dommage qu’ils soient globaux.
Arpégiateur et séquenceur
Pour ceux qui préfèrent les motifs programmés aux arpèges jouées, l’Iridium Keyboard offre un séquenceur mono à 32 pas. Pour chaque pas, on définit la note, la longueur, la vélocité, ainsi que 8 lignes de mouvements assignables via la matrice de modulation. La programmation peut se faire directement à l’écran, en dessinant le motif à la main et en l’éditant ensuite avec précision. On peut activer un pas, le muter (le rendre inactif sans l’effacer) ou doubler sa longueur (le pas suivant est sauté mais reste en mémoire). Par contre, on ne peut pas lier deux pas, créer des effets d’Autobend ou des Ratchets. L’écran peut afficher les pas 1–32 (pour une vision globale), 1–16 ou 17–32 (pour une vision plus fine). On peut aussi entrer les notes directement au clavier. Là encore, l’Iridium Keyboard permet de sauvegarder et charger des Presets de séquences. Le sens de lecture est modifiable : avant, arrière, pingpong, alterné et coup unique. De même, on peut définir à quel endroit la séquence commence quand on appuie sur une nouvelle touche : au début, en cours, à un pas aléatoire. Les séquences sont directement transposables au clavier ou à l’écran via des pads virtuels. Il est même possible de choisir un tempérament et une note racine. Les autres paramètres (tempo, division temporelle, swing…) sont communs à ceux de l’arpégiateur. Signalons que les notes arpégées ou séquencées peuvent être transmises en Midi/USB.
Conclusion