Lancé en 2014, le Forte connait une nouvelle évolution système majeure, qui le transforme en une puissante workstation. La troisième et la bonne ?
Il y a bientôt 4 ans, Kurzweil présentait une nouvelle série de pianos de scène, sous le vocable Forte. Au départ en version 88 touches lourdes, le Forte est ensuite décliné en version compacte 76 touches lourdes, plus facile à stocker et à transporter, avec ses molettes placées au-dessus du clavier. Parallèlement, l’OS évolue : d’un simple lecteur de samples, de nouvelles fonctions sont ajoutées, telles que la multitimbralité 16 canaux, l’édition complète des modules de synthèse, y compris la modélisation de synthé analogique et d’orgue à roues phoniques. Le Forte devient ainsi un synthé à part entière. On accède également à tous les paramètres d’effets et à leurs modulations. Kurzweil nous gratifie au passage d’un arpégiateur multitimbral ultra performant. En 2016, la V2 active une Flash Ram interne permettant d’importer 3,3 Go de samples additionnels ; le constructeur en profite alors pour étendre la panoplie sonore avec plusieurs banques héritant des séries précédentes : sons orchestraux, guitares & basses électriques, percussions, cuivres, voix… Mais aussi puissant que soit devenu l’arpégiateur, il manque toujours un véritable séquenceur pour être complet. C’est désormais chose faite avec la V3. Sleepless avait testé la V1 dans nos colonnes, le moment est donc venu de faire le point sur cette transformation impressionnante… ou comment métamorphoser un piano de scène en l’une des plus puissantes stations de travail. Le tant attendu K3000 serait-il entre nos mains de manière déguisée ?
Belle bête
C’est grâce aux sociétés Barb and Co (revendeur spécialisé Kurzweil et développeur de banques sons) et Saico (ancien importateur Kurzweil) que nous avons pu tester le Forte 7. Qu’ils en soient sincèrement remerciés. Les commandes sont assez proches de ce qu’on trouve aujourd’hui sur les grosses workstations concurrentes. À gauche, on commence par les deux molettes de pitch / modulation classiques et quatre interrupteurs (transposition par demi-ton, Tap tempo, variation sonore, commutation Leslie…). Juste après le curseur linéaire de volume vient une section pour régler l’EQ 3 bandes et le compresseur globaux, ce qui permet d’ajuster rapidement le son en fonction du lieu où l’on se produit. En se rapprochant du centre, on trouve une section de 9 interrupteurs (4 pour activer/couper les canaux multitimbraux) et 5 assignables ; ils font également office de commandes directes pour le moteur de modélisations d’orgues B3 (activation des chorus, vibrato et percussions). Au-dessous, 9 curseurs linéaires dotés d’une échelle de diodes, très utile pour repérer la position mémorisée lorsqu’elle diffère de la position physique ; selon le mode, ils permettent de contrôler des paramètres de synthèse ou d’effets, les tirettes harmoniques d’orgues modélisés ou le mixage des canaux multitimbraux ; toutes ces commandes sont réassignables à des paramètres ou CC via une page dédiée.
Au centre règne un LCD couleur 480 × 272 points non tactile, indispensable à la navigation et à l’édition. Il surplombe 6 touches logicielles dont le rôle varie suivant la page en cours. De part et d’autre, on trouve 2 touches pour faire défiler les canaux multitimbraux, 10 touches pour rappeler rapidement 500 programmes ou Multi favoris (idéal pour la scène), 4 flèches en croix pour la navigation, un potentiomètre pour ajuster le contraste de l’afficheur, un encodeur type alpha et des touches incrémentation / décrémentation. Sans oublier les touches Save et Exit dont on devine à peu près le rôle. Plus à droite, une petite section de modes : Program, Multi, Global, Storage, là aussi très explicite. Totalement à droite enfin, on trouve le pavé de sélection des sons par numéro de programme ou par catégorie, qui fait également office de clavier alphanumérique pour nommer ou rechercher des programmes. Très utile pour s’y retrouver parmi les 4 096 programmes et 4 096 Multi que peut embarquer la machine…
Le clavier est un Fatar TP/40L (76 touches pour le Forte 7 et 88 touches pour le Forte), à toucher lourd, qui offre une réponse agréable, de dureté medium donc très polyvalente (nous reportons le lecteur au test initial de Sleepless pour les considérations de lest et réponse en vélocité). Il est également sensible à la pression, ce qui ne gâche rien. Le Forte (88 touches) est grand : 138,5 × 39,5 × 14 cm et pèse 21,8 kg. Le Forte 7 est bien plus compact, avec 109,7 × 39,7 × 14 cm et 18,8 kg, ce qui en fait un instrument plus facile à transporter. La qualité de construction est excellente, laissant la part belle au métal, avec des commandes bien ancrées et une réponse très agréable des curseurs et rotatifs.
Côté connectique, le Forte fait partie des synthés plutôt généreux : alimentation interne à détection automatique avec connecteur IEC 3 broches, MIDI In/Out/Thru (Thru commutable en second Out), 2 paires de sorties stéréo (jack 6,35 TRS, conversion DA 24 bits), entrée audio (mini-jack stéréo pour router une source vers des effets dédiés), 5 prises pour pédales (3 interrupteurs dont un Half Damper et 2 pédales continues assignables) et 2 prises USB (MIDI et stockage). La prise casque (jack 6,35) est située à l’avant sur le Forte et à l’arrière sur le Forte 7. Compte tenu du niveau de gamme, quelques regrets à formuler à ce stade : l’absence de sorties audionumériques, de routage de l’entrée audio vers les modules de synthèse et de transfert audio via USB ; et tant qu’on y est, le nombre restreint de sorties stéréo au regard des 16 canaux multitimbraux…
Ergonomie revue
Un mot sur l’ergonomie, puisqu’on est passé d’un piano de scène où le but était de sélectionner des sons et ajuster quelques paramètres, à une puissante workstation, avec accès à tous les paramètres de synthèse, d’effets et de séquences. Et quand on dit tout, c’est tout. Par exemple, imaginons qu’on ait appuyé sur Edit pour modifier un Multi à 16 canaux ; on se place sur le programme d’un canal, on appuie sur F1 (Edit bis) et hop, on saute dans l’éditeur de programme ; là, on peut modifier l’une des 32 couches sonores, c’est-à-dire changer tous les paramètres de synthèse, ou encore entrer dans le Keymap (le multisample) ; pour ce faire, on appuie une deuxième fois sur la touche F1 pour arranger jusqu’à 128 samples stéréo sur toute la tessiture du clavier ; en appuyant encore une fois sur F1, on entre dans l’éditeur de samples, où l’on peut modifier les points de lecture et de bouclage du sample. Lorsqu’on a fini, on remonte le courant avec la touche Exit ; si on a fait une modification, le Forte propose de sauvegarder l’objet modifié en lui attribuant un numéro par défaut (modifiable et nommable). On remonte ainsi jusqu’à notre Multi d’origine, en ayant fait les sauvegardes nécessaires au fur et à mesure. On peut aussi éditer à l’horizontale, en passant par les modulations, les effets, le mixage des canaux. Lorsqu’un niveau d’édition contient plusieurs pages (vu le nombre impressionnant de paramètres), on navigue entre les pages « en série » avec les touches logicielles de gauche et de droite ; lorsqu’un niveau contient plusieurs éléments « en parallèle » (genre 16 canaux pour un Multi ou 32 couches pour un Programme), on passe de l’une à l’autre avec les deux touches Channel/Zone… C’est très bien vu et beaucoup plus simple qu’à la concurrence, même si l’OS ne fait pas toujours la part belle aux éditeurs graphiques, se contentant très souvent de textes et chiffres (sauf pour les assignations clavier, les enveloppes et le mixage).
Dans les modes Program et Multi, il existe deux niveaux de complexité d’édition : Regular et Advanced. En mode Regular, on accède à l’assignation des contrôleurs physiques, à certains paramètres d’effets (chaine, niveau d’envoi, routage), à l’arpégiateur et aux réglages communs (pitchbend, gain de sortie, catégorie de programme, tempérament, mode polyphonique ou mono/legato/portamento). On peut facilement assigner un contrôleur physique à une valeur en se plaçant sur cette valeur dans le menu, puis en actionnant le contrôleur à assigner tout en maintenant la touche Enter. En mode Advanced, on accède à l’ensemble des paramètres de synthèse VAST, synthèse KB3, ainsi que la globalité des effets. La totale, en somme !
Une fois les centaines de pages du manuel lues, les synthétistes de l’extrême pourront se taper d’autres centaines de pages que totalisent le manuel des algorithmes VAST et celui des algorithmes d’effets KSP8. Comme toujours chez Kurzweil, les paramètres sont exprimés dans leur véritable unité (fréquences en Hz, temps en secondes, niveaux en dB…). Très pro !
Si le logiciel a évolué de manière spectaculaire depuis quatre bonnes années comme nous venons de le voir, ce n’est en revanche pas le cas du matériel, à savoir les commandes physiques et la sérigraphie, qui sont restées intactes depuis l’origine. Résultat, les nouvelles fonctions apportées au cours des améliorations successives ne sont pas accessibles directement : ainsi, on ne peut activer/muter directement que 4 canaux (et pas 16) dans un Multi, via 4 touches « zone » ; autre exemple, il n’y a pas de commandes de transport du séquenceur en façade, il faut pour cela passer en mode Global, puis sélectionner le mode Song et utiliser les touches logicielles situées sous l’écran (c’était d’ailleurs déjà le cas pour lancer un arpège lorsque cette fonction est apparue). Ce n’est ni rédhibitoire ni catastrophique, mais c’est à signaler. Et pour ceux que la navigation physique rebute, il existe un éditeur PC/Mac/iPad gratuit signé SoundTower, qui hélas n’a pas vraiment été mis à jour depuis belle lurette.
Nouveautés et héritages
Le Forte offre deux grands types de moteurs sonores : la synthèse VAST (lecture d’échantillons ou modélisation d’oscillateurs analogiques passés dans un tas de modules de traitement) et la modélisation d’orgues Hammond KB3. Le premier moteur est notamment basé sur une grosse Flash Ram PCM de 16 Go, dont environ 12 Go chargés d’usine, composée de plusieurs pianos acoustiques (Steinway D et Yamaha C7, avec modélisation de la résonance sympathique des cordes, ainsi que le piano de l’Artis et le vénérable Triple Piano des série K), des pianos électriques (Rhodes 73 et 77, Wurlitzer, Clavinet D6), un clavecin français, des percussions orchestrales et des sons de cloche (d’autres…) ; s’y ajoute une sélection d’échantillons des modèles précédents de la marque : série PC3 et son extension Kore 64, série K et banques de CD-Rom. Au menu, des cordes et ensembles orchestraux musicaux, des chœurs classiques, des voix jazz expressives (enregistrées avec le groupe Take 6), des cuivres passe-partout, des percussions (acoustiques et électroniques), des guitares (acoustiques et électriques) dont certaines datent un peu, des basses (acoustiques et électriques) franchement réussies et un gros paquet de sons de synthèse extraordinaires, touchant à tous les domaines : synthés vintage analogiques, FM, tables d’ondes…
Le second moteur KB3 modélise le célèbre orgue Hammond B3 et sa cabine Leslie avec beaucoup de réalisme ; grâce aux commandes directes, on accroit ce réalisme en modifiant le contenu harmonique, en ajoutant une percussion, en agissant sur le vibrato et en abusant de la simulation de Leslie associée. On apprécie la musicalité extraordinaire qui se dégage de la machine, surtout quand on connait la taille limitée de la Rom de certains programmes. Cela se fait toutefois sentir au regard des programmes les mieux lotis, en particulier les pianos acoustiques et électriques, nettement au-dessus du lot, rivalisant avec les meilleurs sons du marché (Kronos, Nord Stage…). On apprécie également le soin porté aux modulations, tous les contrôleurs étant la plupart du temps assignés à un paramètre de synthèse ou d’effet. Bref, le son vit, inspire et se place facilement dans un mix.
- Forte V3 1audio 01 D9 01:23
- Forte V3 1audio 02 C7 00:55
- Forte V3 1audio 03 Artis 00:46
- Forte V3 1audio 04 MKI 1 01:21
- Forte V3 1audio 05 MKI 2 01:28
- Forte V3 1audio 06 MKI 3 00:58
- Forte V3 1audio 07 MKII 1 00:49
- Forte V3 1audio 08 MKII 2 01:20
- Forte V3 1audio 09 MKII 3 00:43
- Forte V3 1audio 10 Wrly 1 00:49
- Forte V3 1audio 11 Wrly 2 01:28
- Forte V3 1audio 12 Wrly 3 00:58
- Forte V3 1audio 13 CP80 00:37
- Forte V3 1audio 14 Clav 01:09
- Forte V3 1audio 15 B3 1 01:07
- Forte V3 1audio 16 B3 2 00:57
- Forte V3 1audio 17 Vox 00:56
- Forte V3 1audio 18 Strings 1 01:01
- Forte V3 1audio 19 Strings 2 01:07
- Forte V3 1audio 20 Orch 00:30
- Forte V3 1audio 21 Brass 00:47
- Forte V3 1audio 22 Ww 00:24
- Forte V3 1audio 23 Strat 01:09
- Forte V3 1audio 24 Les 01:25
- Forte V3 1audio 25 AG 00:33
- Forte V3 1audio 26 EB 01:22
- Forte V3 1audio 27 AB 00:23
- Forte V3 1audio 28 Choir 01:04
- Forte V3 1audio 29 Take6 00:33
- Forte V3 1audio 30 Drums 02:29
Chaque programme contient une petite séquence de démonstration pour en découvrir les spécificités ; on trouve aussi quelques démonstrations multitimbrales (morceaux complets). Au global, la machine propose 3 072 programmes et 3 072 Multi utilisateur (24 banques de 128, d’où l’intérêt du classement par catégorie), ce qui est plus que très confortable (au pire il y a le port USB, mais cela ne devrait pas être nécessaire…). En plus de ces programmes, on dispose de 3,3 Go de Flash Ram pour stocker ses propres samples (détails par la suite). Avec la V3, le Forte est livré avec 322 programmes et 186 Multi d’usine (la mémoire max disponible pour les sons d’usine est de 1 024 emplacements dans chacun des modes). Bon à savoir, les clients de Barb and Co se voient fournir l’ensemble des banques sonores maison au format Forte : Electro Drome (64 programmes + 1 kit purs VAST), Vortex Attack (100 programmes + 26 Multi développés initialement pour le PC3), Seventy Three (16 programmes + 26 Mo de samples originaux de Rhodes Mark I), Pulsar (221 programmes + 55 Multi + 20 Mo de samples), Nylon Guitars (25 programmes + 2.7 Mo de samples), Cobalt (76 programmes + 14 partiels d’EP + 35 Multi + 24 gabarits FM construits à partir de 24 algorithmes VAST) et U-Max 101 (76 programmes + 20 Multi + 48 gabarits VA basés sur 24 types de filtre). Les exemples sonores du présent test contiennent 25 démos tirées de ces banques de haute qualité, qui complètent parfaitement la panoplie sonore du Forte, simplifie la vie pour la synthèse FM ou VA (grâce aux gabarits d’algorithmes préparés pour chaque type de synthèse) et démontrent, s’il en était encore besoin, les grandes qualités de designer sonore de Stéphane « Barbenzinc » Garganigo, aussi à l’aise dans la synthèse VAST que dans la préparation du café soluble. Bravo !
- Forte V3 1demo Barbandco 1VAST Sweet Dreams 2 00:13
- Forte V3 1demo Barbandco 2VAST Abba Intro 00:16
- Forte V3 1demo Barbandco 3VAST Gong Synclavier 00:19
- Forte V3 1demo Barbandco 4VAST Synthex Harp 2 00:27
- Forte V3 1demo Barbandco 5VAST Synthex Ring Mod 00:40
- Forte V3 1demo Barbandco 73 Willd Tuning ! 00:20
- Forte V3 1demo Barbandco Cobalt Keysynth 00:36
- Forte V3 1demo Barbandco Cobalt Noisy Blow 00:16
- Forte V3 1demo Barbandco ElectroDrome Belzebuth Lead 00:21
- Forte V3 1demo Barbandco ElectroDrome Ligh Morph 00:28
- Forte V3 1demo Barbandco ElectroDrome Lizard King 00:20
- Forte V3 1demo Barbandco ElectroDrome Sweet Harmonies 00:31
- Forte V3 1demo Barbandco ElectroDrome Tetragon Pad 00:36
- Forte V3 1demo Barbandco Pulsar 106 Pad 00:29
- Forte V3 1demo Barbandco Pulsar Mellow Brass 00:23
- Forte V3 1demo Barbandco Pulsar Shake Bass 00:16
- Forte V3 1demo Barbandco Pulsar Smith System 00:25
- Forte V3 1demo Barbandco Pulsar Sweet memories 00:23
- Forte V3 1demo Barbandco Pulsar T Peaks 00:17
- Forte V3 1demo Barbandco Umax Cut Z Crap 00:19
- Forte V3 1demo Barbandco Vortex Attack Filter Bass 00:16
- Forte V3 1demo Barbandco Vortex Attack Low Strings 00:29
- Forte V3 1demo Barbandco Vortex Attack Noisy Stack 00:21
- Forte V3 1demo Barbandco Vortex Attack Send Me An Angel 00:17
- Forte V3 1demo Barbandco 73 Bells and Tines 00:25
Devenue VAST
À l’origine, le Forte était un piano de scène avec une édition basique des sons et des effets. Au cours du temps, elle devient un puissant synthé modulaire polyphonique 128 voix sur 16 canaux multitimbraux. La partie synthèse repose sur une lecture d’échantillons très avancée et deux types de modélisation : analogique (VA1) et orgues à roues phoniques (KB3), détaillées ci-après. La synthèse VAST a été créée en 1992 pour le K2000. Il s’agit d’une synthèse modulaire, permettant de combiner différents DSP (oscillateurs, filtres, Shapers, distorsions, synchro… au total plusieurs dizaines de modèles) en algorithmes et de les moduler avec une liste impressionnante de sources (enveloppes, LFO, générateurs de fonctions, CC MIDI, contrôleurs physiques). La synthèse s’est approfondie sur le K2600, où il est devenu possible de chainer trois couches de modules (Triple Mode), chacune consommant une ou deux voix de polyphonie (selon que la source sonore de départ est mono ou stéréo). Sur la série PC3, nous sommes passés à 32 couches DSP (Dynamic VAST), chacune pouvant utiliser des algorithmes indépendants en cascade.
Le Forte reprend cette architecture. Chaque couche peut faire appel à un multisample qui passe dans un algorithme, c’est-à-dire un arrangement de modules DSP. Par exemple, un ensemble Pitch / Onde Saw / filtre / Shaper / Ampli. On peut se passer du multisample, puisqu’il existe des modules oscillateurs. Il y a quelques dizaines d’algorithmes initiaux et un peu plus pour les cascades. Les blocs DSP Pitch et Ampli sont toujours présents au début et à la fin de la chaîne d’un algorithme. Le module Pitch gère la hauteur (accordage grossier et fin), le suivi de clavier et le suivi assigné à la vélocité ; le module Ampli gère quant à lui les mêmes variables appliquées au volume.
Mais la synthèse Dynamic VAST, c’est aussi la possibilité de créer ses propres algorithmes de modules DSP, jusqu’à quatre par couche suivant la complexité des modules utilisés en plus des modules Pitch et Ampli. Par exemple, un module oscillateur peut occuper 1 ou 2 unités (suivant qualité) alors qu’un filtre 4 pôles résonant avec séparation en consomme 4. Chaque module DSP dispose de 1 ou 2 entrées et 1 ou 2 sorties. On peut donc connecter un module vers (ou depuis) 1 ou 2 autres modules. Cette connexion peut se faire avec n’importe quel module DSP dans la chaîne, pas forcément avec les modules adjacents, permettant ainsi des combinaisons en série et en parallèle. Très fort ! N’oublions pas que tout cela, c’est pour une seule couche et qu’un programme peut en comprendre 32, énorme ! Chaque couche dispose d’un mode de jeu (mono / poly avec portamento / legato), une fenêtre de tessiture et de vélocité, un sens de lecture des échantillons, un délai, des paramètres de réponse aux contrôleurs physiques, des départs effets, un niveau de sortie, un panoramique, un crossfade… mais ce n’est que le début !
Import – export
Le PC3K intégrait une Flash Ram de 128 Mo pour importer des samples, le Forte pousse à 3,3 Go ! On peut y charger les format WAV, AIFF et Kurzweil (KRZ, K25, K26, PC3). La conversion des samples et Keymaps (multisamples) des séries K se fait à 100%, mais elle tombe à 80% pour les programmes et Setups (Multi). Certains paramètres seront ainsi ignorés : le Sample Skip (permettant, sur les K2500/K2600/K2661, de transposer les samples au-delà d’une octave vers le haut), les programmes KB3 (pour les K2500/K2600/K2661), les programmes Triple Mode (pour les K2600/K2661) et les paramètres d’effets (pour tous les K). Pour ces derniers, c’est vraiment bête, parce qu’il va falloir se taper toute la reprogrammation des effets ! Pour ne pas partir de zéro, Kurzweil offre des banques gratuites téléchargeables depuis son site. Sans oublier les banques commerciales de développeurs de tierce partie, dont celles de Barb Anc Co pour ceux qui n’ont pas acquis leur Forte chez lui, à rapport qualité/prix exceptionnel. Citons également le travail de David Weiser, revendeur Kurzweil aux US et musicien professionnel, ex-sound designer du R&D Kurzweil, qui connait la synthèse VAST comme sa poche.
La conversion des samples et programmes prend un temps fou, la machine défragmentant la Flash Ram à chaque nouvel import. Il faut donc s’organiser un peu et prévoir quelques bières… Une fois en mémoire, les samples et programmes sont traités comme des objets Rom, sans aucune différenciation ni ralentissement du flux de travail. Le Forte représente donc un gros progrès par rapport à ses prédécesseurs et aussi ses concurrents… sauf le Kronos, avec son streaming à partir de SSD, reste largement devant… On peut aussi assembler des samples en Keymaps, qu’ils proviennent de la Rom ou de la Flash Ram. Un Keymap possède plusieurs zones clavier, chacune comprenant un sample avec sa tessiture (sans chevauchement possible au sein d’un même Keymap), sa fenêtre de vélocité interne (8 couches consécutives), sa transposition, son accordage et son volume. Mais ce n’est pas tout, puisque les samples sont éditables à leur tour : note racine, pitch, volume, point de départ alternatif, déclin, release, bouclage, sens de lecture (avant, arrière, bidirectionnel), points de lecture (début, alternatif, fin) et point de bouclage. Tiens, cette fois il n’y a pas d’éditeur graphique des formes d’onde, pas très pratique… De même, il n’y a pas d’édition destructive des samples, de type changement de pitch, compression / expansion temporelle, découpage en tranches, contrairement aux workstations de la série K… il faut pour cela utiliser un éditeur externe (mais pas celui fourni de SoundTower) et importer à nouveau les samples…
Modulations abyssales
Les machines Kurzweil sont réputées pour leurs capacités de modulation hors norme. Le Forte perpétue cette belle tradition, un vrai régal pour les aventuriers de la synthèse. Quels que soient les DSP utilisés dans les algorithmes, on peut en moduler les paramètres en temps réel via des sources, des contrôleurs physiques ou des CC MIDI. Ceci se passe en général avec deux sources distinctes par destination, dont l’une est elle-même contrôlable par une autre source entre deux extrêmes (wobulation). La liste des sources est quasi exhaustive : 2 LFO, 2 ASR, 4 FUN, 3 enveloppes (dont une pré-assignée au volume), tous les contrôleurs physiques, les CC MIDI… Les LFO peuvent se synchroniser à l’horloge MIDI ou osciller entre deux extrêmes contrôlables (jusqu’à 24 Hz, là on aurait aimé plus, il est temps que Kurzweil passe à une nouvelle génération de DSP !). Ils offrent 44 formes d’onde plus ou moins complexes et un réglage de phase.
Les ASR sont des enveloppes à 3 temps (0 à 30 secondes) avec bouclage, qui permettent de moduler des destinations sans monopoliser les enveloppes principales. Poursuivons avec les FUN (abréviation de « fonctions »), qui combinent deux signaux pour en créer un troisième, sur la base de 52 fonctions mathématiques : addition, soustraction, moyennes, comparaison, valeurs absolues, quantification, fonctions trigo, fonctions booléennes… de quoi faire baver les anciens des classes prépa scientifiques. Comme l’écran du Forte a une plus grande surface que ses prédécesseurs, LFO, ASR et FUN sont regroupés sur la même page menu, mais ne bénéficient toujours pas d’édition graphique. Enfin, les 3 enveloppes possèdent 7 segments de temps et niveaux modulables, avec suivi de clavier et nombreuses possibilités de bouclage entre les différents segments. Un paramètre « Impact » permet de booster le niveau des vingt premières millisecondes de l’enveloppe de volume afin d’ajouter du punch sur les transitoires, idéal pour mettre en valeur les attaques…
Effets au sommet
Le PC3K avait plus de puissance que le KSP8, fantastique multi-effet professionnel en rack hélas disparu du catalogue. Ici, c’est encore deux fois plus, puisqu’on peut utiliser 32 effets simultanés, quel que soit le mode de jeu. C’est ce qu’on trouve de plus puissant sur une workstation, même le Kronos est cette fois largué ! Les algorithmes sont équivalents à ceux du KSP8, si bien que le mode d’emploi nous renvoie gentiment au mode d’emploi de ce dernier pour une description complète. Chaque programme offre jusqu’à 8 chaînes d’effets d’insertion et deux chaînes d’effets auxiliaires, avec départs bus réglables. Les effets d’insertion s’appliquent soit à tout le programme, soit à certaines couches au choix (à router vers l’une des 8 chaines d’insertion). Chaque chaîne d’effets auxiliaire peut être appliquée avant ou après effets d’insertion, ce qui offre une souplesse incroyable de routage. Une chaîne peut contenir jusqu’à 16 boîtes d’effets distinctes et 30 destinations de modulation à choisir parmi tous les paramètres d’effets. Parmi les sources, on trouve 2 LFO, 2 ASR et 4 FUN spécifiques aux effets, impressionnant ! L’éditeur permet d’ajouter / supprimer des blocs d’effets à n’importe quel endroit de la chaîne, la seule limite étant la puissance totale (32 unités FX), donc la complexité de chaque effet (1 à 8 unités, les plus fréquents consommant 1 à 3 unités).
Au programme, réverbes (tout type), délais (simples, multiples), EQ (graphiques / paramétriques), processeurs de dynamique (compresseurs, expanseurs, portes simples ou multi-bandes), ensembles (chorus, flanger), filtres, distorsions, Leslie / tremolo / Autopan, modulateurs en anneau, le tout en mono ou stéréo. Fournis par le constructeur comme point de départ, des centaines de chaînes d’effets, d’effets Presets et d’algorithmes, chacun disposant de plusieurs dizaines de paramètres. Côté son, on est au niveau des meilleurs processeurs dédiés de studio, type Lexicon ou Eventide, de l’excellent ! Là où le Forte enfonce le clou, c’est dans ses modes multitimbraux (Multi ou Song), où chaque canal / piste offre une chaîne indépendante de multi-effets d’insertion. Les deux bus auxiliaires sont, eux, communs au programme souhaité. À noter qu’il est possible d’écraser les valeurs de départ et les réglages pré/post stockés dans les programmes, afin d’affiner les réglages. En sortie, le Forte propose une dernière chaîne de traitement globale, composée d’un EQ et d’un compresseur. Enfin, on peut router l’entrée audio stéréo vers les chaines d’effets, comme si c’était un canal sonore interne. Cela peut se faire de manière globale ou pour chaque programme / Multi. Sympa ! Par contre, on ne peut pas envoyer l’entrée audio vers la synthèse VAST, ce n’est pas l’étonnant et regretté Live Mode de la série K qui permettait d’utiliser l’entrée audio comme source de synthèse à part entière.
Arpégiateur multitimbral
Le Forte est équipé d’un puissant arpégiateur, disponible en modes programme et Multi. Dans ce dernier cas, chaque programme possède un arpégiateur indépendant ! L’arpégiateur fonctionne selon deux types très sophistiqués : classique ou Step Sequencer. Commençons par le type classique. On trouve différents modes de jeu : haut, bas, alterné, ordre joué, aléatoire, Shuffle, Walking, avec ou sans glissando… la vélocité et la pression peuvent moduler le son. Après chaque cycle, la hauteur des notes peut être décalée. Lorsqu’on relâche les notes, on peut produire différentes actions : stopper, continuer, ajouter des notes… de quoi se perdre, sans toutefois jamais s’ennuyer.
Si on ne veut pas partir de zéro, vu la pléthore de paramètres (que nous n’avons que très partiellement couverts), on peut choisir un motif Preset. Bien évidemment, différentes signatures temporelles sont prévues et tout ce beau monde se synchronise en MIDI. L’arpégiateur peut affecter les programmes internes ou les instruments reliés en MIDI. Quant au type Step séquenceur, il permet de programmer jusqu’à 48 pas, avec pour chaque pas, un décalage de note, un décalage de vélocité, une durée et une signature temporelle. Bref, un gros morceau cet arpégiateur…
Vitesse démultipliée
Le Forte est (devenu au cours du temps) multitimbral 16 canaux. C’est en mode Multi qu’on gère ces 16 zones MIDI indépendantes en émission / réception. Les faders permettent de mélanger rapidement les volumes et autres paramètres programmés dans la matrice de modulation, les échelles de diodes indiquant les volumes.
Pour chaque canal, on mémorise le programme, le canal MIDI, la destination de l’émission (MIDI, USB, interne), la tessiture, la fenêtre de vélocité, le panoramique, le niveau, les routages vers les effets (avec écrasement possible des paramètres réglés en mode Programme). On trouve aussi tout ce qui concerne la réponse aux contrôleurs physiques : Pitchbend, molette de modulation, curseurs linéaires, pédales, pression, contrôleur de souffle (externe), interrupteur assignable, ruban (externe)… l’éditeur s’avère à ce stade d’une aide précieuse pour visualiser les différentes couches sonores ou les mélanger (on a même le droit à une représentation graphique des couches sur le clavier).
Nous l’avons dit, chaque canal possède son propre arpégiateur, qui peut commander les programmes internes ou des modules externes via MIDI. Chaque canal offre aussi un motif rythmique indépendant, baptisé riff. Un riff est importé à partir des pistes du séquenceur (cf. ci-après). On peut ainsi choisir quelles pistes doivent jouer, les synchroniser au tempo, les déclencher, les transposer (ou non), voire les décaler dans le temps, avec ou sans vélocité. Tout cela se fait dans une zone de tessiture à définir. Au global, le mode Multi offre 3 072 emplacements mémoires pour l’utilisateur et 1 024 en Rom (186 sont occupés à ce stade) ; tout cela pour, rappelons-le, jouer 16 canaux sonores internes, les envoyer vers 32 effets distincts, piloter 16 canaux MIDI externes, tout en lançant 16 arpèges et 16 motifs. Du lourd !
Séquenceur ajouté
Le propos principal de la V3 est de transformer le Forte, déjà devenu synthé à part entière, en puissante workstation. C’est chose faite avec le mode Song, qui intègre un puissant séquenceur MIDI 16 pistes totalement programmable. La résolution est de 960 bpqn, ce qui permet une grande précision. La mémoire est conservée à l’extinction de la machine, Kurzweil étant la première marque à notre connaissance à permettre cela, depuis le K2000. Chaque piste offre les réglages classiques de volume, panoramique, tessiture, avec filtrage des contrôleurs physiques. La capacité mémoire n’est pas précisée, mais on peut sans doute compter sur plusieurs centaines de milliers d’événements, par expérience Kurzweil.
Côté enregistrement et édition, on trouve les classiques du genre : punch in et out, mode boucle et Overdub, quantification à l’entrée et à la sortie, enregistrement multicanal, édition d’évènements détaillée, copie / suppression de parties, comparaison de la séquence initiale / éditée, extension automatique de l’enregistrement sur les pistes déjà bouclées… L’éditeur graphique a un peu été amélioré, avec visualisation des évènement type piano-roll, table de mixage… un effort de design que l’on salue, mais qui reste en deçà du grand écran graphique du Kronos. Nous avons trouvé que le Forte ramait pas mal quand il fallait changer de Song, on sent le processeur à bout de souffle pour charger tous les paramètres disponibles. Ceci dit, c’est bien pratique d’avoir cela sous la main, ne serait-ce que pour emmener sur scène ses séquences et les retoucher au besoin. Comme tous les objets en mémoire, le mode Song offre jusqu’à 3 072 emplacements utilisateur en plus des 1 024 prévus pour les démos / riffs d’usine, ce qui devrait suffire pour une tournée mondiale de plusieurs années…
Conclusion
Avec le Forte V3, Kurzweil réussit un nouveau tour de force. Grâce à ses nouvelles fonctionnalités, sa qualité sonore exceptionnelle, son ergonomie revue et corrigée, sa synthèse toute puissante, ses spécifications techniques poussées, sa belle qualité de construction, il ne lui manque guère que le sampling pour en faire un solide concurrent du Korg Kronos. Mais a-t-on encore besoin de sampler à partir d’un clavier quand on dispose de formidables solutions logicielles et la possibilité d’importer des samples dans une Flash Ram de 3,3 Go ? Celle-ci est d’autant plus utile pour compléter la mémoire d’origine de 12 Go dont la plus grande partie est consacrée aux pianos acoustiques et électriques. Côté matériel, le Forte V3 de 2018 est le même que celui de 2014, d’où un manque de commandes directes pour les fonctionnalités ajoutées au cours du temps.
Il laisse donc toujours une place pour une workstation de l’extrême, le K3000 tant attendu depuis des années. Il lui faudrait alors le sampling intégré (avec éditeur complet des samples et édition en temps réel sur les boucles), une plus grosse banque PCM en streaming (le reste des instruments acoustiques aussi généreux que les pianos), des pistes audio avec traitements temps réel synchronisés au tempo, un écran multitouch avec édition graphique plus poussée, davantage de sorties séparées, l’USB audio et pourquoi pas des pads pour déclencher des boucles MIDI et audio… Ceci dit, le Forte V3 est une magnifique workstation tout en restant un merveilleux instrument de musique, à utiliser sans modération partout où le son prime. Nous lui renouvelons logiquement notre Award Valeur Sûre 2018 !
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