Pour ce premier numéro de Derrière le son, nous vous donnons rendez-vous aux studios Ferber, pour un entretien avec l'homme aux multi-casquettes Olivier Leducq, qui du haut de ses 34 ans détient déjà un joli palmarès. Du regretté Christophe à Julien Doré en passant par Big Flo & Oli, cet amoureux du son à participé à l'élaboration de nombreux albums, mais également au développement du label Cosmos Records. Installez-vous confortablement, et partons ensemble Derrière le son d'Olivier Leducq.
Salut, est-ce que tu peux te présenter rapidement ?
Salut à toutes et à tous ! Salut aux lecteurs d’Audiofanzine !
Je suis Olivier Leducq j’ai 34 ans, et je suis ingénieur du son, réalisateur, producteur. J’ai un studio à Paris dans les mythiques studios Ferber que je partage avec mon ami Charles Souchon et sa famille. Je suis lecteur d’Audiofanzine depuis très très longtemps et je suis ravi de l’invitation !
Comment es-tu arrivé dans la musique ? Quel est ton parcours ?
Je fais de la musique depuis très longtemps. Tout petit je prenais des cours de piano, de violon, j’ai fait un peu de solfège. Je n’étais pas très doué ni en solfège, ni en instrument, mais j’avais l’oreille absolue depuis mes quatre ans. Je sentais que j’étais lié à la musique.
J’ai fait beaucoup de choses avant de me lancer dans une carrière d’ingénieur du son. J’ai étudié la philosophie, j’ai fait un peu de musicologie et j’ai fini par faire la SAE. J’ai eu la chance de faire un stage chez Antoine Gaillet qui a réellement changé ma vie, car j’ai pu voir un des meilleurs travailler, y croiser de super artistes et me faire plein de copains. J’ai été son assistant pendant quelques années. C’était une expérience incroyable. J’ai vraiment eu de la chance, car Antoine était quelqu’un de très ouvert, très drôle, incroyablement travailleur et déterminé. Je pense qu’on avait une relation maitre-élève et j’ai quasiment tout appris de lui. Je n’ai pas appris de techniques particulières, mais j’ai appris à voir ce qui est important, à avoir une rigueur implacable, à être capable d’être cool et de plaisanter, mais en même temps avoir une mentalité de sportif de haut niveau. On a arrêté de travailler ensemble, car on était tous les deux au bout d’un cycle: lui pensait à orienter différemment sa vie dans la musique et moi je bouillonnais d’émancipation.
Qu’est ce qu’il s’est passé après que vos chemins se sont séparés ?
J’ai donc monté ma société, essayé d’acheter des machines, de m’équiper comme je pouvais et surtout gardé un contact avec les gens qui comptaient pour moi. C’était vertigineux de me dire que j’étais libre, dans la nature, et de devoir foncer. C’est un vertige auquel les écoles ne te préparent pas vraiment et c’est assez regrettable. Je devais gagner ma vie, mais je ne savais même pas combien demander pour un mix ! J’y suis arrivé petit à petit, en aidant mes amis à faire du son, en mixant pour des potes – qui sont des super artistes.
J’ai également eu la chance de m’être lié d’amitié avec des directeurs artistiques de maisons de disques qui m’ont branché sur des projets. J’ai tout pris, tout accepté et j’ai essayé de donner le meilleur de moi-même à chaque fois. J’ai bien sûr essuyé énormément d’échecs ! Je pense qu’il faut être un peu fou dans ce métier, car il faut continuer à foncer et à grandir en allant d’échec en échec. La gestion de l’échec est super importante dans la carrière d’un ingénieur du son parce qu’il faut faire l’exercice un peu contre-intuitif de tirer les leçons d’une situation tout en se disant que ça doit nous glisser dessus et pas ne pas nous miner. Et c’est ce que j’ai appris avec Antoine: on fait un métier très psychologique, on aide les artistes à accoucher de leurs oeuvres et plus le temps passe, plus on se rend compte que la technique est secondaire. Le goût esthétique et la psychologie sont encore plus importants.
Pour revenir à mon histoire, j’ai donc monté ma société Salomon Productions et mon label Cosmos Records et la liste des artistes avec lesquels j’ai travaillé s’allonge toujours plus (Tiste Cool, David Okit, Noroy, les Amants, Ben Mazue, Deluxe, Christophe, Shaggy, DJ Arafat, Cali, Luidji, Big Flo et Oli, Miossec, Joy D, Kyan Khojandi, Joyce Jonathan, Julien Doré, Zaz, Léa Paci, etc.)
Actuellement, quelle est ta principale casquette ?
Je fais principalement du mix en ce moment, mais je fais aussi de la réalisation, de l’enregistrement et de la production.
C’est délicat, car à l’heure actuelle, j’ai l’impression que chaque domaine repousse les limites des autres et que parfois les frontières se confondent : les artistes sont de plus en plus des producteurs, les producteurs sont de plus en plus mixeurs, les mixeurs sont de plus en plus réalisateurs, ingénieurs de mastering, etc. On déborde un peu les uns sur les autres et ce n’est pas inintéressant ! Par conséquent mon rôle va souvent plus loin que le mixage quand je mixe, au-delà de l’enregistrement quand j’enregistre, etc. Bien entendu je sais rester à ma simple fonction quand il le faut. Pour être plus précis dans mon exemple, les labels ou les artistes viennent de plus en plus me voir en amont des projets, pour me faire écouter où ils en sont. Je donne parfois des indications qui vont m’aider au mix et qui peuvent même influencer la direction d’un album. Tout ça se fait très naturellement et puis c’est vraiment dans mon intérêt qu’un album sonne bien, soit bien produit, que les sons et que les prises soient cool. Même avec une toute petite expérience de mixage tu te rends bien vite compte que plus tes sources, ton arrangement et que l’âme de la chanson sont bien, plus ton travail sera agréable, valorisant et valorisé!
Je suis aux Studios Ferber ! J’ai la chance d’avoir une cabine là-bas. Ça s’est fait très naturellement avec le soutien de Jean-Christophe Le Guennan, le manager des lieux et l’amitié avec Ours (Charles Souchon). Je suis tombé amoureux de Ferber lors d’un enregistrement pour la Nouvelle Star quand j’étais avec Antoine Gaillet et quand j’accompagnais Julien Doré sur un tournage de Dix Pour Cent. C’est un lieu exceptionnel et quand tu pousses la porte tu as l’impression de marcher dans les pas de ceux qui t-ont précédé. Au sous-sol tu as quelques belles cabines avec que des gens super sympas ( notamment celle de Renaud Letang). Notre cabine avec Charles est de taille moyenne, un peu biscornue, parfaitement imparfaite, je l’appelle le bateau pirate. On m’a, à quelques occasions, proposé des cabines plus grandes, plus belles, avec des LED et du tissu partout, mais pour l’instant je préfère cette ambiance de chambre d’ado, un peu bricolée. Je pense que l’environnement à une grande importance. Tu me mets dans une cabine toute noire avec des lumières bleues dans un sous-sol où je ne croiserais personne, je ne pense pas que mes albums ne sonneraient pas pareil. Je suis attaché à la technique, mais dans mon travail j’essaie toujours de faire primer l’émotion et le sensoriel sur la perfection technique.
Est-ce que tu peux nous en dire plus sur la configuration de ton « bateau pirate » ?
Ma configuration en mix est un peu spéciale. J’utilise toujours les mêmes machines et je n’ai pas de patch. Tout est branché dans un ordre précis que j’ai affiné au fur et à mesure, en fonction de ce que je ressentais, en fonction du niveau que les machines peuvent encaisser, etc. Alors oui il y a la contrainte de l’ordre des machines, etc. Mais c’est mon workflow et j’aime cette façon de travailler.
J’ai un Mac Pro qui fait tourner un Pro Tools Ultimate. J’ai une interface Orion 32 HD qui sort 24 sorties analogiques vers ma console SPL NEOS où j’ai un contrôle sur les fader, les pans, les mutes, etc. Tout part dans mon compresseur Fearn VT7 qui est en insert avec lequel je compresse un tout petit peu. Le Fearn fait quelque chose de magique, très transparent, mais organique, fluide, j’adore. Tout revient dans la console et repart vers un Tegeler Creme. Là je rajoute souvent un peu de bas et de haut. Je ne me sers quasiment jamais du compresseur. Ensuite tout part vers un Overstayer MAS avec lequel je génère un peu de distorsion harmonique. C’est une étape assez critique qui me permet de sculpter la manière dont le son se présente. Je peux faire quelque chose de très étroit et lo-fi, quelque chose de très large, quelque chose de très près.
Cela me permet de définir le canvas de mon son. Ensuite le signal va vers mon compresseur SSL G Series vintage (que j’ai acheté à Dominique Blanc-Franquard et qui fut pas mal de temps chez Philippe Zdar). Avec le SSL je compresse un tout petit peu. J’ai souvent essayé d’utiliser un système qui me permettait de mettre un coupe-bas sur le signal de sidechain mais je préfère quand tout le signal (donc surtout le bas) déclenche la compression. Il faut que l’aiguille « danse » avec la track. Une fois sorti du compresseur le signal va vers mon PEQ-1 de Charter Oak pour un dernier coup d’égaliseur. J’ai aussi un niveau dans lequel je rentre dedans que j’aime bien. Cette machine a des transformateurs et réagit un peu différemment selon le niveau d’entrée. Je rentre un tout petit peu plus fort que je devrais et je baisse le niveau de sortie. En général le Charter Oak me permet d’ajouter des fréquences autres que celles du Crème et les courbes sont différentes, très musicales et il y a un côté organique que j’aime beaucoup. Une fois passée par l’égaliseur je convertis le tout avec mon Qes Labs PAD-2 (un convertisseur de fou créé par Valério Ricelli à Naples). Sinon j’ai une autre option qui est mon convertisseur AD8 de JCF Audio qui est complètement différent, très organique lui aussi, mais avec une autre présentation du son.
Aussi dans ma chaine je n’utilise que de super câbles (du Grimm Audio, du Vovox). Même mes câbles secteur sont des Vovox ou des Wireworld.
Et pour ce qui est de ton système d’écoute ?
Au niveau du monitoring, j’utilise des Focal SM9 sur de très bons pieds Sound Anchors. C’est très important d’avoir un bon découplage des enceintes. Mon contrôleur de volume est un MC1.1 de Dutch Audio, qui est passif et très transparent. La conversion est assurée par mon Trinnov ST2 Pro qui sert également à corriger la pièce. J’ai aussi dans les deux coins de ma pièce 12 Basstraps Hofa et des PSI Audio AVAA. J’ai aussi des panneaux « broad-bands » sur les côtés que j’ai fabriqués avec mon père.
J’utilise énormément mon enceinte Auratone 5C en mono quand je mix. Je pense que je travaille autant en mono qu’en stéréo. Je commence mon mix assez fort sur les SM9 pour m’assurer du bas, bien me rendre compte des textures et des éventuels problèmes et ensuite je passe sur mon Auratone pour 50% du travail, d’autant plus pour les automations et les placements. J’écoute à des volumes assez hétérogènes, mais je sais ce que je cherche dans un certain volume. Parfois j’écoute très très bas avec les Focal, juste pour me rendre compte de certaines attaques, de certains placements, parfois j’écoute très fort. J’adore me lever, danser, m’allonger par terre. Je pense qu’il faut vivre le mix avec son corps. Je sais par exemple si j’ai assez de bas en posant mes mains sur mon bureau, en sentant mon siège vibrer un peu. Il faut mixer pour l’esprit et pour le corps. Plus le temps passe et plus j’apprends à écouter avec mon corps. Parfois je me lève et je touche la membrane du haut-parleur et je vois ce que fait une inversion de phase sur un kick par exemple.
Quelle est ta pièce hardware favorite et pourquoi ? Quelle est celle que tu utilises le plus et pourquoi ? Ton TOP 3 ?
C’est une question difficile. Je me souviendrai toujours du jour où j’ai entendu pour la première fois des Focal SM9. Je pense que rencontrer sa paire d’enceintes est une étape importante dans la vie d’un ingénieur du son. C’est comme un pilote de Formule 1 qui trouve la bonne écurie. Il y a un mariage physiologique qui doit se faire. C’est un peu comme tomber amoureux. J’ai eu une grande émotion qui ne m’a plus quitté.
Ensuite je pense que le Trinnov Audio ST2 Pro est vraiment quelque chose sans lequel je ne peux plus travailler (rires). La conversion est hyper transparente, mais surtout l’effet de correction est bluffant. Alors bien sûr beaucoup d’acousticiens n’aiment pas le principe d’une correction numérique, mais cela facilite énormément mon travail. Je veux que mes mix soient les plus flexibles en termes de support d’écoute.
Ensuite l’Auratone est un outil formidable, car quand tu comprends ce qu’apporte le travail monophonique dans tes mixes c’est une révolution. Après il faut un bon ampli et je suggère de découpler autant que faire se peut une enceinte aussi basique soit-elle. Pour te donner une idée, j’ai mixé Paradis, le dernier album de Ben Mazue, à 70% sur une Auratone. Enfin la dernière pièce que j’adore est mon convertisseur Qes Labs Pad-2 de Valério Ricelli. Je pense que ça m’a aidé à trouver mon esthétique.
Quel est ton plug-in favori et pourquoi ? Quel est celui que tu utilises le plus et pourquoi ? Ton TOP 3 ?
Je ne vais pas être très original. J’utilise énormément l’égaliseur logiciel Pro-Q2 de FabFilter. C’est très ergonomique, très peu gourmand en ressources et c’est beau ! Ensuite j’utilise beaucoup le 1176 d’Universal Audio (le Legacy Black) et j’aime bien leur Neve 1084. En général j’aime beaucoup Universal audio. Et bien sûr la collection Waves. J’aime bien le H-Delay et le Renaissance Equalizer qui a un truc magique.
Quel est, selon toi, le hardware ou software le plus sous-estimé et pourquoi ?
Le paradoxe dans ce métier c’est que plus le temps passe plus tu as de l’argent pour t’acheter des trucs chers, mais en même temps plus tu es conscient que c’est surtout le goût et l’esthétique qui priment (rires). En software je dirais l’automation et le clip gain. C’est très important de comprendre ce que fait un gain en termes de stabilité, de construction, d’émotion. Donc le gain est pour moi la chose la plus mésestimée, c’est notre baguette de chef d’orchestre.
Au niveau du hardware j’aime beaucoup les petites enceintes (JBL, Bose, etc.). Pour ce qui est des effets externes, tout a été dit. Les petites réverbes numériques bas de gamme ou même les simulations de réverbes à ressorts sont inimitables en plug-in.
Quel est l’instrument ou toute autre pièce hardware que tu rêves de t’offrir ?
J’aimerais bien tester un compresseur de chez Analogue Tube. C’est une société anglaise qui refait des Fairchild à l’identique. Je suis aussi curieux de tester une belle paire de Pultec ou un égaliseur PEQ1 de Lang Electronics. Sinon une console de chez JCF Audio ou une Rupert Neve Designs ou encore une belle réverbe à plaque !
Est-ce qu’il y a un conseil ou autre que tu as reçu un jour et qui a changé ta façon de voir ou de faire les choses ?
Ce qui m’a formé ce n’est pas les conseils, mais c’est les critiques. En y réfléchissant une critique c’est un conseil dont tu dois trouver la solution tout seul pour en faire un conseil à toi même ! Ce sont les échecs qui m’ont formé. Le fait de faire, de refaire, de refaire, de changer d’approche, etc. Beaucoup de ce que j’ai appris, je l’ai appris comme ça. Et après il y a les encouragements. J’ai eu la chance d’avoir été assistant de quelqu’un d’hyper exigeant, mais qui m’a aidé à prendre confiance en moi. Ça prend du temps de se sentir légitime, mais un jour ça arrive.
Est-ce que toi tu aurais un conseil à donner ?
Je pense qu’il faut savoir écouter. Travailler son oreille est quelque chose de très important. Écouter, écouter, écouter. J’ai quelques conseils pratiques pour les jeunes ingénieurs du son qui nous lisent : tout d’abord, écoutez de vrais instruments. Quelque chose qui m’a beaucoup aidé c’est d’écouter des reviews de guitares, d’amplis, de pédales, de réverbes, etc. Au fil du temps l’oreille commence à extraire des nuances qu’on n’aurait jamais imaginées. Quand j’étais plus jeune, j’avais du mal à faire la différence entre une Fender Stratocaster, une Gibson, entre un médiator épais ou fin, entre une plate ou un hall. Tout ça se travaille.
Il y a une chaine Youtube qui s’appelle SoundPureStudios qui fait la démonstration d’instruments de musique, des guitares, des pianos, des micros, etc. Mettez un casque et écoutez ! Il en existe des milliers comme ça. Ensuite je vous conseille de vous intéresser à la musique classique et aux chefs d’orchestre. Par exemple, regardez les conférences en ligne de Benjamin Zander du Boston Philarmonique ! Regardez ce qu’un chef d’orchestre apporte à la musique, cela se rapproche beaucoup de ce que peut faire un mixeur (sur les placements, la dynamique, le rythme et la réflexion d’ensemble sur une oeuvre). Prenez une oeuvre classique et écoutez toutes ses interprétations, vous entendrez un « mixage » différent fait en direct par le chef d’orchestre.
Ensuite, soyez organisés. L’organisation c’est ce qui fait la différence entre un amateur et un professionnel. L’organisation des sessions, des backups, des recalls, la manière de nommer les sessions est quelque chose de très important. Par exemple j’ai un dossier avec les sessions, un dossier « sound sources » avec ce que les gens m’ont envoyé, un dossier pour les recalls, un dossier pour les retours masters, etc. Et plein de trucs de bon sens comme bien orthographier le nom d’un artiste avant de lui envoyer un mix (rires).
Quelle est ta plus grande fierté ?
Avoir réalisé mon rêve de vivre de la musique et de faire de la musique avec des gens que j’admire. C’est dur, mais ça en vaut la peine. Parfois dans la vie on est « choisi » par une force plus grande que nous, comme en amour par exemple et on peut se sentir choisi par la musique ou par autre chose (l’aventure, l’entrepreneuriat, la danse, la mode, etc.). La difficulté c’est en un sens de choisir de vivre en accord avec la force qui nous a choisie.
Quels sont tes projets, dans un futur proche ou éloigné ?
Plein de trucs !
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Travaillez, travaillez, kiffez et lisez Audiofanzine !
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Crédits photos : Hushman