Noël approche et, fidèle au rythme de son calendrier de sortie, Steinberg nous présente la nouvelle mouture de son logiciel phare. Reste à voir si cette cuvée 2017 a les arguments pour se faire une place au pied du sapin.
Nous ne reviendrons évidemment pas au cours de ce test sur l’histoire de Cubase ni sur ses nombreuses qualités. Vous pouvez pour cela vous référer aux nombreux tests que nous lui avons consacrés au fil des versions et nous nous concentrerons dans ce banc d’essai sur les seuls apports de cette version 9 qui fait la part belle à l’ergonomie avec l’apparition, pour commencer, de la Lower Zone.
Évidemment, comme d’habitude avec les STAN, vous pouvez choisir de découvrir tout cela en vidéo ou en texte. La vidéo c’est ici :
Et le texte ? Devinez !
Aller plus bas
Sous le nom énigmatique de Lower Zone se cache le simple fait de pouvoir ancrer (docker diraient les anglicistes) la plupart des interfaces d’édition dans la partie inférieure de la fenêtre principale. Comme dans Live ? Oui. Comme dans Reaper ? Oui. Comme dans Studio One ? Oui. Et comme dans bien d’autres logiciels encore. Même si le système est bien réalisé et s’accompagne d’un nouveau jeu d’icônes permettant d’escamoter ou d’afficher cette zone ainsi que les colonnes droite et gauche respectivement dévolues à la Media Bay et à l’inspecteur de pistes, on ne hurlera donc pas au génie face à ce qui est plus une mise à niveau ergonomique par rapport à la concurrence qu’une véritable innovation. Avouons toutefois que cette Lower Zone est bien pratique et simplifie vraiment la gestion des fenêtres qui tendaient à se multiplier dans Cubase, tout en offrant un espace de travail beaucoup plus efficace lorsqu’on travaille sur un écran unique, à plus forte raison quand on utilise le petit écran d’un ordinateur portable.
À elle seule et bien qu’elle ne fouette pas trois pattes à une brique, cette avancée pourrait mériter la mise à jour pour les utilisateurs de la 8.5 qui gagneront ainsi en productivité. Mais cette version 9 a encore bien des choses à offrir comme un nouveau type de piste baptisé Sample Track.
Simple sampleur
Le principe de la Sample Track est simple : si vous glissez un conteneur ou un fichier audio depuis votre projet ou la Media Bay, celui-ci devient automatiquement un échantillon au sein d’un petit sampler rudimentaire. C’est ainsi que votre fichier audio est transposé sur toute l’étendue du clavier et qu’il est immédiatement jouable comme n’importe quel instrument.
Ne vous attendez à rien de folichon tout de même puisque le système de transposition comme la qualité des algos de pitch shifting cantonnent l’outil à des choses bien synthétiques… sans qu’on vous donne trop d’outils côté synthèse. Outre le paramétrage des points d’entrée et de sortie du sample, vous pourrez ainsi jouer sur le volume, le pitch ou un filtre multimode résonant au moyen d’enveloppes ADSR, sur les formants au moyen d’un potard, et inverser la lecture du sample d’un simple clic. Et c’est tout ? Oui. Pas de LFO qui permette de moduler quoi que soit, pas de prise en compte de la vélocité, pas d’effet : on est dans du basique de chez basique et si cela profite à la simplicité d’utilisation, on regrettera que Steinberg ne soit pas allé un peu plus loin dans sa conception, surtout que, là encore, ce genre d’outil existe depuis belle lurette chez la concurrence (Ableton Live, Studio One, FL Studio, Logic, Reaper, etc.) et qu’on aurait adoré disposer d’un sampler de poche un peu plus évolué comme le pourtant déjà vieux EXS24. Or, si l’on peut rebalancer d’un simple clic le contenu du sampler dans GrooveAgent LE, GrooveAgent ou HALion, rappelons que seul le premier et le plus rudimentaire de ces trois softs est fourni avec Cubase. Dommage. Précisons également que Steinberg n’a pas prévu le fait de glisser un conteneur MIDI lié à un instrument virtuel pour pouvoir le sampler vite fait bien fait. Il faudra donc bouncer et glisser. Dommage encore.
On regrette d’autant plus de ne pas pouvoir faire intervenir d’effets sur le sample que Cubase se dote de plusieurs nouvelles fonctions très intéressantes dans le domaine des effets et traitements.
À vos rangs FX !
Cette nouvelle mouture est en effet l’occasion pour l’éditeur de nous proposer quelques nouveaux plug-ins et de mettre un coup de plumeau sur quelques interfaces. Mis en avant par Steinberg, Frequency est un EQ autrement plus complet que ce qu’on trouve habituellement dans les STAN. Ce dernier propose en effet des fonctions qu’on ne trouverait jusqu’ici que dans les plug-ins de tierce partie. Outre un mode à phase linéaire, le plug se voit doté de la possibilité d’écouter la bande sélectionnée en solo, d’un clavier de piano permettant de repérer les fréquences face aux notes, et de la possibilité de travailler différemment l’EQ des deux canaux d’un signal stéréo, en mode traditionnel ou M/S. Un vrai bon outil donc, auquel ne manque vraiment qu’un mode ´EQ dynamique’ et l’affichage de courbes provenant d’autres pistes pour nous faire oublier les concurrents de tierce partie dans lesquels nous sommes nombreux à avoir déjà investi.
Même chose pour le Maximizer qui fait également son apparition dans cette version et qui, ne nous le cachons pas, n’a d’autre but que de bien compresser votre mix et de sacrifier vos nuances sur l’autel de la loudness war.
Rien à dire de ce point de vue : proposant un mode vintage et un mode moderne, le plug est simple à configurer et s’avère efficace, mais face à cet outil à l’usage controversé, c’est plutôt la refonte de l’Autopan qui a retenu notre attention parce qu’avec son système de courbe et son interface claire, c’est un outil à la fois intuitif et très puissant pour animer la plus morne des boucles.
Précisons que Steinberg a profité de l’occasion pour mettre à jour l’interface graphique de ses traitements dynamique : Brickwall Limiter, Compressor, Expander, Gate et Envelope Shaper. Rien à dire sur cette refonte plutôt bienvenue et nécessaire pour l’usage des logiciels via les écrans tactiles. En revanche, on ne s’empêchera de souligner que, comme il en a un peu trop souvent l’habitude, Steinberg en a gardé sous la pédale : nous proposer du M/S sur le nouvel EQ, c’est bien. Mais pourquoi diable n’est-ce pas le cas de tous les plug-ins proposés (quand ça a du sens bien sûr) à commencer par ces traitements dynamiques ? Gageons que cela permettra à peu de frais de proposer une ‘exciting new feature’ dans Cubase 9.5 ou 10 ; et c’est vraiment agaçant. Précisons aussi que les développeurs ne sont visiblement pas des plus à l’aise avec les rendus de courbes, que ce soit dans Autopan ou Frequency : l’aliasing graphique fait un peu amateur en regard de ce qu’on trouve chez Fabfilter par exemple.
L’éditeur se rattrape toutefois avec une nouvelle fonctionnalité relative aux instruments virtuels : les audio-ins. Grâce à cette dernière, il est possible d’utiliser les étages de traitement des instruments virtuels gérant une entrée latérale via la norme VST3. De fait, vous pouvez désormais utiliser RetroAnalogue de deux nouvelles façons : soit comme une sorte de super vocoder, soit comme un multieffet (en désactivant la section LFP), ce qui s’avère bien sympathique à l’usage. Seule limitation à cela, il faut que les instruments soient pensés pour cela, ce qui, à ma connaissance, n’est encore le cas d’aucun plug-in de tierce partie. Espérons que les U-He, Xfer ou Native Instruments s’intéresseront à cette possibilité qui promet énormément.
On finira au rayon plug-ins en saluant le départ du Bridge maison qui permettait d’utiliser les vieux plug-ins 32 bits, et l’arrivée d’un dispositif nommé Sentinel qui se charge de déterminer quels plug-ins sont susceptibles de poser des problèmes de stabilité, et de les mettre sur une liste noire. Rien ne vous empêche de les utiliser, bien sûr, mais vous voilà prévenu. Tout cela va dans le bon sens selon moi dans la mesure où le Bridge de Steinberg n’a jamais été de grande qualité par rapport aux très recommandables jBridge et 32 Lives (mais il faudra remettre la main au porte-monnaie, d’où la consignation de ce détail dans les points négatifs du test), tandis que le principe de liste noire poussera les éditeurs à être plus scrupuleux avec la compatibilité Cubase, ce qui est une excellente chose pour les utilisateurs. Accessoirement, le fait que le logiciel soit désormais 64 bits du moteur jusqu’au bout des plug-ins est un gage de stabilité : il faudra voir cela sur la longueur, mais nous n’avons pas eu un plantage durant nos essais, et c’est un détail qui compte !
La plus belle promesse de cette version 9 est toutefois ailleurs : cachée sous les faders de la console du logiciel…
Cubase History Z
Combien de fois n’avons-nous pas pesté de ne pouvoir annuler une modification dans la table de mixage : on a l’idée d’un traitement particulier, on suit l’idée et l’on s’aperçoit après avoir mis 8 nouveaux plug-ins en Insert, rajouté deux bus auxiliaires et changé les niveaux de 18 tranches que cela n’était pas judicieux. Combien de fois n’avons nous pas non plus eu un accident de molette malencontreux, changeant le niveau d’une piste ou celui d’un envoi sans qu’on s’en rende tout de suite compte ?
Avec l’historique de console, Steinberg nous permet d’en finir avec ces turpitudes puisque la console, comme le reste du logiciel, offre désormais un historique permettant de voir toutes les actions effectuées dans la console et de pouvoir revenir à un état antérieur. C’est vraiment une belle avancée en termes de productivité, d’autant que cet historique se fait discret et ne s’affiche que si vous le demandez, d’autant qu’il consigne aussi toutes les modifications de réglages que vous pouvez réaliser dans vos plug-ins.
Bref, ce serait un coup de maître si ce nouvel outil n’était pas frappé d’une grosse limitation : l’historique de console n’est pas sauvegardé avec votre projet, ce qui diminue de moitié son intérêt. En effet, s’il n’est pas trop dur de se rappeler ce qu’on a fait 5 minutes avant pour le défaire ensuite, le problème est plus épineux lorsqu’on essaye de revenir sur des manipulations qu’on a faites la veille, ou même le matin avant la pause déjeuner. Et c’est précisément là que l’historique de console aurait eu son intérêt et qu’il ne sert pas à grand-chose finalement, à moins de laisser son ordinateur allumé et le projet ouvert en continuité, en priant pour qu’aucun plantage ne survienne (cette version de Cubase semble très stable, mais tout de même)… Bref, l’idée est excellente, mais sa réalisation est perfectible et on espère que Steinberg aura à coeur d’améliorer cela autrement que dans une mise à jour payante.
Ça marque bien
Mieux maîtrisés en termes de mise en oeuvre, bien que plus anecdotiques, les pistes marqueurs font leur apparition avec la possibilité de démultiplier les marquages possibles sur un même projet, et de se servir de ces derniers au moment de l’export. La fonction ne sera pas utile à tous les musiciens, mais elle changera la vie de ceux qui font du son à l’image ou encore les compositeurs de musique de jeux vidéo. Dans ces domaines particuliers, les clients ne réclament pas en effet un simple rendu d’une composition dans son intégralité, mais aussi des extraits précis de cette dernière : juste l’intro, ou le thème, la reprise, etc. Et c’était un pensum jusqu’ici de devoir faire les exports en déplaçant pour chaque fichier les locateurs. Désormais avec les pistes marqueurs, tout cela est grandement simplifié et c’est une très bonne chose.
Puisqu’on en est à parler boulot, précisons aussi que Steinberg a revu les interfaces de sa surcouche d’outils collaboratifs. C’est ainsi que débarque la version 4 de VST Connect SE (outil de prise à distance), offrant un login simplifié et un système plus pratique pour trouver des camarades de jeu, tandis que VST Transit (outil permettant de partager un projet) prend visiblement en charge les VST de tierce partie. Pourquoi visiblement ? Parce que malgré nos tentatives, nous ne sommes pas parvenus à réaliser la chose. Il faut dire que nous n’avons pas diablement insisté non plus, les interfaces des deux logiciels étant un brin trop complexes par rapport à une bonne vieille Dropbox et un petit Skype. Accordons le bénéfice du doute à l’éditeur en soulignant que ces évolutions vont dans le bon sens. On aimerait juste que Steinberg ait à coeur de simplifier tout cela pour le rendre vraiment attractif…
Et pour quelques Mo de plus…
On en arrive déjà à la fin de ce banc d’essai puisque toutes les nouveautés ou presque ont été abordées. Pour faire complet, soulignons que Cubase accepte désormais le branchement à chaud de périphériques USB et qu’il se voit livré avec une collection de boucles nommées Production Grooves qui, sans être inintéressante, n’a rien de bien excitant non plus.
Et puis c’est tout !
Conclusion
Apportant un ensemble hétérogène d’améliorations, cette version 9 n’a rien d’une mise à jour majeure du célèbre séquenceur, dans la mesure où son plus grand apport tient dans l’apparition de la Lower Zone, une organisation d’interface qu’on trouve chez quantité de concurrents depuis belle lurette. Pour le reste, entre vraie bonne idée pas aboutie (l’historique de console dépourvu de sauvegarde) et nouveautés qui ne seront pas utiles à tout le monde (nouvel EQ, Sampler Track, pistes marqueurs), ce Cubase Pro 9 n’est sans doute pas un mauvais bougre, mais il peine à faire rêver. Les cubasiens zélés devront donc voir midi à leur porte pour savoir si cette Pro 9 vaut les 100 euros qu’elle réclame depuis la 8.5… et les 200 euros depuis la 8. Car oui : les prix ont augmenté.
Reste à parler de Cubase plus globalement pour ceux qui ne seraient pas déjà utilisateurs et qui envisageraient de l’acheter en version complète. Il faudrait être de bien mauvaise foi pour ne pas reconnaître que Cubase Pro 9 est un excellent logiciel qui, parce qu’il offre un ensemble complet d’outils bien pensés au sein d’un cadre cohérent, satisfera le compositeur comme le producteur ou l’ingé son, quel que soit le genre de musique qu’ils affectionnent. C’est pour cela que le logiciel s’en tire finalement avec 4 étoiles quand cette mise à jour n’en vaudrait sans doute que 3.
C’est qu’on a connu Steinberg plus créatif et audacieux par le passé, tandis que le logiciel, à 580 euros, figure parmi les plus chers du marché sans que rien ne justifie vraiment ce prix. Certes, Cubase jouit de quelques excellentes fonctions que les autres n’ont pas (Chord Track, Control Room, fonction d’harmonisation, éditeur logique), mais il a aussi bien des lacunes par rapport à ses rivaux (pas d’objets audio, de meta-effets ou de meta-instruments, pas d’édition polyphonique, eLicencer contraignant et n’apportant… RIEN !) et s’avère laborieux sur bien des pans de son ergonomie (configuration des entrées/sorties toujours aussi pénible, impossibilité de colorer les tranches de console, organisation de l’interface limitée, problèmes de gestion d’écrans sous Mac, etc.). Soulignons-le enfin : à l’heure où la plupart des éditeurs concurrents font des efforts pour séduire leurs utilisateurs et leur faire aimer la marque en proposant de vraies mises à jour gratuites (et pas seulement des bugfixes), Steinberg compte probablement parmi les moins généreux du marché, clairement plus proche dans son attitude d’un Avid que d’un Cockos. Sans crier au scandale, on espère donc mieux de la version 9.5.