Mass Hysteria est un des principaux porte-drapeaux du métal français, et ce depuis plus de 20 ans. C’est notamment un style personnel mélangeant influences néo-métal, industrielle, thrash et électro qui a permis à la formation de s’imposer pour de bon dans l’hexagone et les pays francophones dès la sortie de son second opus Contraddiction. Mass Hysteria a tout connu, de la consécration rapide des débuts en passant par une période plus délicate il y a dix ans, jusqu’à la belle reconquête de son public. Pour évoquer la méthode Mass, nous avons sollicité Yann Heurtaux, fidèle au poste de guitariste depuis 1995 ainsi que le guitariste/producteur Frédéric Duquesne, qui a intégré quant à lui le groupe en 2015. Deux profils différents et complémentaires avec un but commun : jouer comme un seul homme !
Yann comment as-tu débuté la guitare ?
Yann Heurtaux : Enfant j’écoutais les disques de mon père et notamment ceux d’Elvis Presley. Ça me passionnait même si j’ai commencé en premier lieu à m’intéresser au sport. Je faisais par exemple beaucoup de tennis et la musique était quelque chose que j’aimais en parallèle. Puis je ne sais plus trop pourquoi, mais à l’anniversaire de mes treize ans, j’ai souhaité que mes parents m’offrent une guitare. Je pense que la découverte d’AC/DC, Metallica et Slayer n’est pas étrangère à cela ! À partir de ce moment, je me suis identifié à James Hetfield et Kerry King.
Comment tout a commencé pour toi Fred ?
Frédéric Duquesne : Lorsque j’avais 4 ou 5 ans, on m’a offert un album d’AC/DC que j’écoutais dans un mange-disque. Je pense que cela m’a marqué inconsciemment comme tous les gamins qui écoutent cette musique pour la première fois, mais je ne me mets pas à la guitare tout de suite pour autant, car j’ai un père qui en joue et pendant des années je le vois faire des gammes de jazz et je trouve cela insupportable. Nous n’aimions pas trop ça à la maison, car on ne le voyait pas assez, il s’enfermait dans sa piaule pour faire ses gammes. Puis pendant les années lycée, j’ai des copains qui me proposent de les rejoindre si jamais je me mets à la basse : « rejoins-nous, on fait du punk, du métal, tout ça ! ». Là je me dis : « ah bon ? Je peux avoir une place dans un groupe ?". Du coup ça me tente et je me mets à la basse, puis je passe assez vite à la guitare. Ça reste simple, juste des potes qui font du bruit dans un garage pour le fun. J’ai poursuivi mes études tout en continuant à jouer un peu dans ma chambre, puis j’ai rencontré sur Paris un mec avec qui j’ai formé notre premier groupe, Watcha, un peu par hasard. Et là, entre 20 et 25 ans, c’est devenu beaucoup plus sérieux.
Yann Heurtaux : Tu n’avais rien connu d’autre avant Watcha ?
Frédéric Duquesne : À part mon expérience avec mes potes dans un garage, non, et ça ne volait pas très haut. Dans mon école d’ingé-son j’ai rencontré un mec qui allait devenir le chanteur de Watcha (ndlr : Butcho Vukovic). On a fait ensemble un projet de fin d’année qui a bien marché et on a décidé de continuer. On forme un groupe qui prend vite de l’ampleur, ce que nous n’avions pas prévu du tout ! Tout un engrenage se crée et ça te met des paillettes dans les yeux, bien sûr. Concernant la guitare, nous sommes loin d’être des guitar heroes, nous ne fantasmons absolument pas sur ces mecs-là, nous sommes davantage intéressés par nos parties rythmiques et le fait de tenir notre rôle, car nous savons bien le faire, mais nous ne pourrons jamais jouer comme John Petrucci et consort. Nous ne sommes pas du genre à passer sept heures par jour sur notre instrument.
Justement, il y a deux guitaristes rythmiques dans Mass Hysteria. Yann, vu qu’il n’y a pas de soliste et étant donné que tu as vu se succéder plusieurs guitaristes à tes côtés au fil des années, n’as-tu jamais été tenté de tenir ce rôle seul ?
Yann Heurtaux : C’est une histoire de goût en fait. Quelque part Mass Hysteria a un style à la Rammstein sur les riffs, et eux aussi utilisent deux guitares. Si tu en enlèves une, leur son n’est plus le même. Lorsque deux guitaristes jouent la même partie, cela te donne un côté stéréo/mur de son que tu n’obtiendras que de cette façon. C’est comme ça que je vois les choses. Il me manque toujours ce petit truc lorsque j’écoute les groupes qui sont en trio guitare/basse/batterie, en retirant le chanteur. Dans Rage Against The Machine ça ne me dérange pas, mais leur son est bien spécifique. Pareil pour faire du Led Zeppelin, ça ne me choque pas non plus. Mais pour jouer notre style de musique, pour moi il faut deux guitares.
Frédéric Duquesne : C’est essentiel dans ce style de doubler les parties de guitare et d’ailleurs dans les groupes du genre où il y a un seul guitariste, ils doublent quand même en studio. Ceci étant dit, il y a plusieurs façons de le faire. Tu peux prendre deux très bons musiciens qui ne parviendront pas très bien à se doubler. Il faut avoir un peu la même horloge, comme ça lorsqu’un mec fait un pan gauche/droite dans la façade d’une salle ou en studio, cela crée une sorte de chorus que l’on ne peut pas obtenir avec une seule guitare. Notre job, c’est de faire ça bien !
Yann Heurtaux : Ça me rappelle lorsque nous sommes partis en tournée au Québec avec Aqme. Notre autre guitariste à l’époque (ndlr : Nicolas Sarrouy, de 2007 à 2014) fait un malaise sur une date, et je me retrouve à assurer le concert tout seul. Le batteur d’Aqme me dit alors : « mec, vous sonnez dix fois mieux comme ça ». Sauf qu’il faut remettre les choses en perspective, et je n’ai rien contre Nico, mais comme le disait Fred à l’instant, il faut avoir le même sens du timing et nous n’avions pas ça avec Nico. Nous n’étions pas forcément bien calés ensemble, tandis qu’avec Fred… L’autre jour nous jouions des riffs tous les deux, sans batteur ni personne d’autre, et nous étions naturellement synchro sans rien calculer. J’avais la même relation niveau timing avec Olivier (ndlr : Coursier, guitare de 2000 à 2007), le guitariste qui précédait Nico, mais je n’ai jamais connu ça avec ce dernier. C’était toujours plus compliqué, car nous n’avions pas la même façon d’aborder le temps. Il était toujours un petit peu plus derrière par rapport à moi.
Surtout qu’il y a des samples dans Mass Hysteria et niveau timing vous devez jouer de manière métronomique, n’est-ce pas ?
Frédéric Duquesne : Nous jouons littéralement au métronome, car Raphaël (ndlr : Mercier, batterie) a les machines et le clic dans le casque, et nous le suivons !
Yann Heurtaux : Au début nous avions quelqu’un qui s’occupait des samples (ndlr : Pascal Jeannet de 1995 à 2000), mais lorsqu’il est parti et qu’Olivier est arrivé à la guitare, ce dernier s’y connaissait bien dans le domaine et a donc également assuré cette tâche. Nous n’avons pas eu besoin de reprendre quelqu’un d’autre.
Vous n’avez jamais été tentés par les solos ?
Yann Heurtaux : Je le dis très sincèrement, je n’ai jamais vraiment bossé cet aspect du jeu et je n’ai pas le niveau pour faire des solos intéressants. Ça ne m’a jamais botté, je ne peux que faire deux ou trois plans simples. Le truc c’est qu’en matière de solo métal, lorsque j’écoute un groupe comme Necrophagist, je me dis que derrière ça je ne peux décemment pas faire de solo. Cela ne serait pas assez pertinent. Pour moi, soit tu as le niveau et tu fais un truc mortel, soit tu te concentres sur tes rythmiques. Puis j’ai toujours été davantage fan des rythmiques de James Hetfield que des guitaristes solistes. Après je ne dis pas que je ne peux pas jouer de solo, je pourrais en faire, mais cela ne serait pas assez intéressant.
Frédéric Duquesne : Il y a bien une partie dans notre dernier album Matière Noire (2015) où il y a un peu de ça, mais c’était histoire de s’amuser. Mass Hysteria c’est une musique sautillante où cela n’a pas trop sa place. Ça ne fait pas partie du concept, ce n’est pas l’endroit.
Fred, lorsque tu produis un groupe à qui il manque un guitariste, comme cela s’est produit avec Bukowski et Mass Hysteria, tu finis par l’intégrer. Peux-tu revenir sur ce genre de situation ?
Frédéric Duquesne : Tu fais entrer des gens dans ton studio, puis une complicité se crée, et quand le courant passe vraiment bien il m’est effectivement arrivé deux fois de partir avec le groupe derrière (rires) ! Après, on se connaissait depuis très longtemps avec Mass Hysteria, même si tout bien réfléchi, nous nous sommes véritablement rencontrés pendant l’enregistrement de Une Somme de Détails (2007), car nous ne nous croisions pas tant que ça à nos débuts, bien que Watcha et Mass Hysteria étaient sur le même label Yelen Musiques. Mais nous ne trainions tout simplement pas ensemble. On a fini par véritablement se connaitre quand on a enregistré ensemble, ils savaient que je me chargeais déjà de mettre en boite les disques de Watcha et je pense que cela s’est fait comme ça.
Yann Heurtaux : Je regrette surtout de ne pas avoir bossé avec Fred plus tôt. Nous étions déjà en contact pour l’album noir (ndlr : l’éponyme Mass Hysteria paru en 2005), mais je dois avouer que je suis très friand des productions américaines et je n’avais sans doute pas suffisamment prêté attention au travail de Fred à l’époque. Pour l’anecdote, sur l’album noir nous voulions faire quelque chose de résolument plus rock, mais nous voulions malgré tout que cela reste puissant. Nous avions à l’époque contacté le producteur américain Matt Hyde, qui avait mis en boite God Hates Us All (2001) de Slayer, ou tout du moins c’est ce que l’on croyait ! En fait notre manageur de l’époque contacte un certain Matt Hyde… mais lorsqu’il débarque, nous constatons que ce n’est pas le bon ! C’était un homonyme (ndlr : il y a également un producteur anglais qui s’appelle Matt Hyde) ! On mange avec lui, et très vite il nous embrouille en insistant sur le fait qu’il veut absolument faire l’album avec nous. Il n’était pas encore très connu, il était simplement assistant de Colin Richardson à l’époque. Il avait seulement un album de pop à son actif et on s’est laissé berner en lui faisant confiance. Malheureusement, il nous a massacré l’album. J’adore les chansons, mais je ne peux absolument pas l’écouter tellement je trouve la production horrible.
Frédéric Duquesne : Personnellement je serai moins catégorique, je ne la trouve pas si horrible que ça.
Yann Heurtaux : Le problème c’est que notre public a tellement détesté ce disque qu’il estimait que cela aurait dû être un projet parallèle. Moi je l’aime vraiment, je trouve les chansons assez profondes et avec Fred à la production, cela aurait pris tout son sens, les chansons auraient pu être mortelles !
Quand tu arrives à la production Fred, ton job est de succéder à Colin Richardson qui avait produit Contraddiction (1999) et De Cercle En Cercle (2001), et qui avait bien évidemment donné satisfaction, n’est-ce pas ?
Frédéric Duquesne : Mon job à ce moment-là consistait à ressembler aux productions américaines sans en avoir le budget, en faisant ça dans une cave avec un Pro Tools. Il fallait parvenir à créer l’illusion. Le problème est qu’aucun groupe français n’avait les moyens de se payer les plus grands producteurs anglo-saxons, à l’exception de Mass Hysteria qui avait bossé avec Colin Richardson. Nous, avec Watcha, nous n’avions pas le succès de Mass et par conséquent pas la même économie derrière. Il fallait que l’on apprenne à se débrouiller davantage. Il m’est arrivé d’entrer en studio avec un mec qui avait l’habitude de travailler pour Noir Désir. Et là tu te frottes à un choc de culture, à un conflit de générations. Le résultat ne correspond pas du tout à ce que tu attends. C’est ce qu’il nous est arrivé avec Watcha pour notre troisième album (ndlr : Mutant). Tu as quelques notions d’enregistrement et tu finis par te dire que tu vas réaliser les maquettes toi-même. Puis, quand ça commence à bien sonner, tu as les gens de chez Yelen qui commencent à te dire qu’on va arrêter d’aller voir ce mec qui fait du rock traditionnel français et que c’est toi qui va mettre l’album en boîte. On m’a littéralement poussé sur la console et en me disant : « maintenant c’est toi aux manettes !". Nous n’avions pas les moyens de pouvoir nous payer les producteurs américains et anglais comme Mass Hysteria. Il fallait se débrouiller et c’est comme cela que je m’y suis mis…mais nous n’avons toujours pas plus de moyens. Je te rassure (rires) !
Lorsque tu intègres le groupe, tu en es à ton quatrième enregistrement avec eux. La transition s’est-elle faite le plus simplement du monde ?
Frédéric Duquesne : Oui tout s’est fait très naturellement. Lorsque j’ai intégré les répètes, la musique était déjà composée, ne restait plus qu’à caler les machines en studio. Mass Hysteria existe depuis 23 ans et je connais le groupe depuis 20 ans. Lorsque tu connais les morceaux par cœur et que tu aimes le groupe, c’est assez instinctif, mais ce n’est pas si facile pour autant. Beaucoup peuvent penser qu’il est assez simple de jouer du Mass Hysteria à la guitare, mais en réalité cela représente pas mal de boulot, notamment pour que nous nous doublions à la guitare à la perfection. Il faut avoir un petit truc pour le faire correctement. Puis entre les vieux morceaux, les nouveaux et ceux du milieu, il y a toute une palette de choses différentes qu’il n’est pas forcément évident d’intégrer d’emblée. Avec Thomas (ndlr : Zanghellini, basse) nous avons dû apprendre quarante morceaux d’un coup, ce qui fait beaucoup de structures différentes à digérer pour des gens comme nous qui sommes loin d’être des requins de studio !
Lorsque tu intègres justement une formation vieille de plus de 20 ans, est-ce qu’on te laisse carte blanche niveau matos, ou y a-t-il certaines choses imposées comme au niveau de la tête d’ampli par exemple ?
Frédéric Duquesne : J’ai été assez libre. J’utilise encore le baffle de Nico à vrai dire, mais j’ai changé la tête en ramenant mon 5150 III d’EVH. J’ai la tête de Nico, un Mesa Boogie Dual Rectifier à deux canaux, en spare.
Idem chez Bukowski ?
Frédéric Duquesne : Non, dans Bukowski j’utilisais une tête Diezel qui a un son moins chimique, plus chaud. Ca colle beaucoup mieux au style moins clinique et plus rock ’n’ roll de Bukowski avec qui je préférais utiliser ce genre de texture sonore, car le 5150 sonne direct très métal. Ça cisaille fort ! Ce n’est pas une tête qui a une âme absolue on va dire. Dans Mass, je l’utilise pour mélanger mon son à celui de Yann, pas pour être tout fort devant dans le mix en lead. Il y a deux guitares dans Mass Hysteria, mais en réalité elles servent à produire un seul son. Utiliser exactement le même matos pour l’un et l’autre aurait beaucoup moins d’intérêt, nous préférons avoir un rendu plus complémentaire. Après on ne se prend pas trop la tête là dessus non plus. J’ai essayé avec la Diezel, ça ne collait pas, j’ai pris le 5150, c’était très bien et voilà !
Certes, mais Mass Hysteria n’a rien d’un groupe lo-fi. Le son est moderne et travaillé…
Frédéric Duquesne : Oui, après il y a aussi l’ingé-son qui a sa part de travail. Une chose est sûre : nous sommes pro-amplis à lampes ! J’ai essayé les amplis à modélisation type Kemper et Axe-FX. Je les ai achetés, j’ai passé des heures à tourner les boutons dans tous les sens pour essayer d’obtenir le son d’un vrai ampli, mais à chaque fois que je comparais avec mon ampli juste à côté, j’aimais toujours moins le rendu de celui à modélisation.
Revenons sur les baffles, qu’utilisez-vous ?
Frédéric Duquesne : Des baffles Marshall montés en Celestion V30, très classiques dans le style.
J’ai pu voir des Torpedo Live (ndlr : simulateur de baffles) dans vos racks. Quel est leur rôle vu que vous utilisez de vrais baffles ?
Frédéric Duquesne : C’est pour l’ingé-son en façade qui aime bien avoir un signal niveau ligne sous la main. Il mélange cette simulation avec le signal de la prise micro du baffle qui a un rendu plus organique, et il ajuste selon les soirs et les différentes salles.
Yann Heurtaux : C’est là qu’on voit la différence entre moi et Fred. Lui, c’est un vrai geek alors que moi, bien que j’utilise un Torpedo, je n’ai qu’une vague idée de ce que c’est. Je ne l’utiliserais pas si je n’avais pas du monde autour de moi.
Frédéric Duquesne : Le Torpedo Live c’est bien, c’est une bonne simulation de baffles, cela te donne un signal qui ne bouge pas. De plus en plus de groupes l’utilisent, cela devient classique, mais ça ne vit pas autant qu’un ampli qui ressort sur un vrai baffle. Disons que pour Sylvain, notre ingé-son en façade, cela simplifie les choses. Personnellement, je ne suis pas encore totalement convaincu, mais je le laisse faire son travail ! (ndlr : Sylvain nous confiera en off se servir également du Torpedo Live pour balancer un signal de guitare « propre » dans le casque du batteur Raphaël Mercier. Il utilise la simulation de cab EVH).
Vous n’avez pas le moindre pedalboard, aucun effet ?
Frédéric Duquesne : Aucun effet mis à part le NS-2 de Boss. Il nous faut un noise gate car lorsque l’on joue trop fort cela peut vite partir en larsen. C’est vraiment nos deux sons, panoramique gauche/droite, et après on fait le reste.
Yann Heurtaux : Personnellement, je n’ai jamais eu le moindre effet. Mais comme je le dis souvent, les machines ont un rôle très important dans Mass Hysteria. Lorsque Kerry King de Slayer joue un solo, il enclenche souvent sa Wah-Wah, ce qui ajoute une saveur différente. L’équivalent chez nous ce sont les samples. Il faut bien que l’ingé-son s’assure que le sample soit assez fort dans le mix au bon moment pour que la guitare, moins importante sur certaines parties, soit reléguée au second plan. La plupart de nos gimmicks résident dans les samples. J’ai toujours mis un point d’honneur là-dessus. C’est ce qui a toujours fait notre personnalité.
Frédéric Duquesne : Puis c’est pratique pour un ingé son car une fois que les guitares sont calées, ça ne bouge plus. Les machines font le boulot, il n’a pas à penser à rehausser la guitare sur telle ou telle partie, et après c’est Mouss (ndlr : Kelai, chant) qui fait la dynamique. C’est aussi ce qui fait que ça sonne gros tout le temps, car il n’y a pas plein d’étages de son à gérer, différents départs d’effets et tout un tas d’autres trucs.
Comment utilises-tu ton 5150 ?
Frédéric Duquesne : Je suis sur le canal rouge, le canal lead. Il faut faire attention aux aigus sur un 5150, car le rendu peut vite devenir acide ! Du coup je ne dépasse jamais 15 h pour les aigus et les médiums et en revanche je pousse à fond les basses, car c’est une tête qui n’a pas beaucoup de grave, ce qui n’est pas plus mal pour une tête d’ampli guitare d’ailleurs. Je n’utilise pas beaucoup de gain, car j’aime bien sentir la corde. Je n’aime pas trop les gros nuages de saturation.
Yann, cela fait une éternité que tu utilises le Dual Rectifier de Mesa Boogie. Tu dois le connaitre par cœur, n’est-ce pas ?
Yann Heurtaux : Je suis très attaché à ce son et j’ai beaucoup de mal à m’en défaire. Pourtant il m’arrive d’entendre d’autres trucs, comme le 5150, et apprécier son rendu sonore. Mais le problème c’est qu’autant je peux kiffer l’écouter, autant je ne vais pas aimer jouer dessus. Ça peut paraitre bizarre, mais c’est comme ça.
Frédéric Duquesne : C’est normal en même temps vu que tu as le même son depuis 25 piges.
Yann Heurtaux : Je me suis simplement mis au Dual Rectifier à l’époque, car c’était le son de Korn. Je voulais essayer et je m’y suis très vite habitué. Pourtant, j’avoue que parfois j’entends un groupe dont j’adore le son et je vois qu’ils jouent sur des 5150. Nous avons même failli être endorsés pour ce modèle. On nous a prêté des têtes, mais au bout de deux ou trois semaines, je me suis rendu à l’évidence : je n’arrive pas à jouer avec.
Frédéric Duquesne : C’est très différent au niveau du son. Le 5150 n’est pas moelleux du tout. Ça cisaille fort, ça change d’un Dual Rectifier.
Yann Heurtaux : Puis j’aime le côté qui cut tout de suite dans le Mesa Boogie. Avec le 5150, j’ai constamment des problèmes de larsen en plus.
Frédéric Duquesne : Le 5150 possède plus de médiums, donc ça peut partir plus vite en larsen, contrairement au Dual Rectifier qui est beaucoup plus creusé.
Yann Heurtaux : Je ne m’y connais pas beaucoup en matos. Il faut que ça soit simple. Il faut qu’en deux ou trois réglages, j’aie trouvé un son qui me plaise. Des mecs comme Fred me sont très utiles pour pouvoir affiner certaines choses. Mais si tu me mets sur une tête où je ne trouve pas rapidement un son qui me convient, ça ne fera pas l’affaire. Alors que si ça me plait d’emblée, c’est bon. Je n’ai pas envie de me dire : « tiens, untel a un bon son, je vais essayer d’avoir le même matos que lui », car après je ne serai pas à l’aise dessus. Je préfère donc rester fidèle à mon Dual Rectifier. En revanche, en louant du matériel, il m’est déjà arrivé de tomber sur des Dual Rectifier que je préférais au mien, par exemple sur une tournée au Québec. Elles n’ont pas toutes le même son. Je me souviens également d’un Triple Rectifier qui avait un son mortel, exactement comme je le voulais. Mais je suis quand même pleinement satisfait par mon exemplaire.
Frédéric Duquesne : De toute manière, quelle que soit celle que tu vas choisir, cela restera malgré tout une super tête. Ce n’est pas pour rien que tu les vois partout depuis trois décennies. C’est bien conçu, ça marche bien. Par contre il faut quand même jouer un style bien adapté au Dual Rectifier. Il ne faut pas forcément faire des choses trop techniques dessus, car c’est un son assez gras, avec un bas très fourni, donc dès que t’attaques un peu fort dessus, cela ne va pas être aussi précis que d’autres amplis. Mais pour Mass Hysteria, ça fonctionne parfaitement.
Yann, il est intéressant de voir que tu n’as jamais changé d’ampli, sachant que Mass Hysteria est passé par des phases assez différentes niveau style et son de guitare au cours de sa carrière. Au départ vous faisiez un métal groovy, métissé par beaucoup d’autres influences. Ensuite, vous avez pris un tournant plus rock, et depuis quatre albums vous êtes plus métal que jamais avec un côté thrash très prononcé…
Yann Heurtaux : Ce qui a défini Mass Hysteria, aussi bien dans le son que dans le style, est le fait de m’avoir débauché alors que je jouais dans un groupe de death metal. J’adorais ce que faisait Mass Hysteria, c’était très indus à l’époque et ça me plaisait vraiment. Quand j’ai intégré le groupe, je me demandais comment j’allais pouvoir convenir à ce style, mais ils m’ont tout de suite dit qu’ils voulaient que je conserve mon son death metal. Je me suis vite rendu compte que dans Mass Hysteria, il n’y avait pas un seul membre qui écoutait la même chose et qu’il fallait un peu essayer de satisfaire tout le monde. C’est ça qui a créé notre synergie et notre originalité. Tu as Mouss qui arrive avec son chant qui n’a rien à voir avec du métal, moi qui au contraire ne propose que des riffs métal, le mec qui faisait nos samples qui était à fond dans l’indus, etc. Et en plus de tout cela, il fallait obligatoirement ajouter un esprit positif à l’ensemble, car c’est ce que Mouss voulait. En tout cas à l’époque, car depuis il s’est sans doute un petit peu noirci.
On écoutait pas mal de trucs électro aussi. Je voulais vraiment incorporer mes influences comme Prong et Helmet à ce que nous faisions. Je n’allais quand même pas composer comme dans un groupe de death métal pour Mass Hysteria. Ça n’aurait pas collé. Nous sommes donc partis sur des riffs très répétitifs auxquels nous voulions ajouter un côté dansant et puissant. Nous demandions à notre sampleur de balancer des intros techno. Il est vrai que nous n’avons jamais été aussi métal que depuis nos derniers albums, mais c’est parce qu’il y avait beaucoup de colère en nous après l’album noir. Nous avons perdu notre public avec cet album, bien qu’il se soit bien vendu, mais clairement pas aux mêmes personnes. Avec Raphaël, nous sommes les plus branchés métal dans le groupe, et nous avions alors insisté pour reconquérir notre public et revenir à ce que nous savions faire de mieux. Puis je trouve que ce que nous faisons en ce moment, un métal plus méchant influencé par Slayer, Slipknot et Hatebreed, conjugué avec le chant de Mouss, ça colle parfaitement à l’identité de Mass Hysteria. Notre musique est très noire aujourd’hui, mais Mouss contrebalance avec le soleil qu’il ramène.
Mais dans toutes ces différences d’époque et de style, n’as-tu jamais eu à changer quoi que ce soit au niveau de ton amplification ? Car le son de guitare est tout de même différent selon les albums…
Yann Heurtaux : Non, je n’ai même pas vraiment changé mes réglages à vrai dire. Je suis fan du son Rectifier, mais il faut savoir que lorsque tu travailles avec Colin Richardson, ce dernier veut absolument t’enregistrer avec son Peavey 5150. Il a une seule tête comme ça, et il impose que tous les groupes qu’il enregistre l’utilisent. C’est avec cette tête qu’il a enregistré Machine Head, Fear Factory et cie. J’ai enregistré Contraddiction (1999) avec la même tête qu’eux. Je voulais absolument utiliser la mienne pourtant, mais le mec finit par te prouver qu’il a raison, un peu comme Fred fait avec nous aujourd’hui en studio (rires) ! Après je suis un peu chiant, car je n’ai pas beaucoup de connaissance dans le domaine et il faut vraiment me démontrer les choses de façon concrète, sinon je ne suis pas d’accord. C’est un peu comme avec la photo. Tu as des mecs qui n’ont aucune connaissance technique, mais qui ont l’œil pour apprécier les bonnes photos. Moi c’est pareil. Je n’ai aucune prétention particulière, mais il faut vraiment que cela me plaise à l’oreille pour me convaincre. C’est pour ça qu’avec Fred, nous prenons beaucoup de temps à faire des essais pour trouver notre son avant d’être pleinement satisfaits même si cela prend beaucoup de temps.
Frédéric Duquesne : Personnellement je ne trouve pas que nous y passions tant de temps que ça. Depuis qu’on se connait et que nous faisons des albums ensemble, nous n’avons jamais utilisé la même recette. Nous avons déjà mélangé du Mesa Boogie avec du Diezel. Du Diezel avec du 5150. Sur le dernier album nous jouons sur des Marshall.
Yann Heurtaux : J’aime beaucoup d’ailleurs le son de guitare que nous avons sur le dernier album avec les Marshall.
Frédéric Duquesne : Plus je vieillis et plus je m’oriente vers des choses plus dynamiques et moins saturées. Sinon, en studio, on quadruple les pistes de guitares. Nous avons utilisé des JCM 900 sur l’album. Après, quelle que soit la tête Marshall que tu utilises, tu retrouves vite le grain caractéristique de la marque dès que le son commence à tordre.
Une préférence niveau médiator ?
Yann Heurtaux : On utilise des 0,88 mm. Lorsque je ne suis pas occupé par Mass Hysteria, je redescends en bas de l’échelle de l’intermittent du spectacle en faisant des plans roadies sur des concerts. J’ai plein de potes qui font ça et ça me permet de faire quelques piges. Je ne suis pas spécialement collectionneur de médiators, mais en travaillant sur des concerts, tu ramasses parfois le médiator d’untel ou d’untel. Une fois, j’ai ramassé ceux de System Of A Down qui sont très pointus et que je n’aime pas du tout. On va dire que les médiators de base sont plutôt ronds à l’extrémité. Je me suis toujours dit qu’il me fallait quelque chose d’intermédiaire et tu vas rigoler, mais dès que j’ai vu les médiators utilisés par le guitariste de Julien Doré, j’ai su que c’était ce qu’il me fallait ! Du coup j’ai fait faire les mêmes pour Mass Hysteria. J’adore cette forme (ndlr : qui semble être de type tortex TIII), car tu as une bonne accroche sur les aller/retours. L’extrémité un petit peu plus pointue, j’adore vraiment ! Après niveau épaisseur je peux jouer entre 0,88, 1,00 ou 1,14 mm. Un peu plus épais j’aime bien encore, mais je ne peux pas descendre sous 0,88 mm.
Vous devez jouer assez bas niveau accordage, non ?
Frédéric Duquesne : On utilise quatre accordages différents : Mi standard, Drop D, Drop C# et Drop C.
Yann Heurtaux : On traverse les époques dans notre set et on utilise donc tous ces accordages différents (ndlr : Mass Hysteria a accordé ses guitares de plus en plus bas au fil de sa carrière, du premier album en Mi jusqu’aux albums plus récents en Drop C ou Drop C#).
Frédéric Duquesne : Nous utilisons une guitare pour chaque accordage, en gardant la même pour le Mi et le Drop D, avec un spare à chaque fois. Nous avons donc six guitares chacun.
Plusieurs tirants de corde pour garder des tensions comparables selon l’accordage ?
Yann Heurtaux : Je joue en 13–56 sur toutes mes guitares, même celles accordées en Mi.
Frédéric Duquesne : Ça peut paraitre fort comme tirant, mais il ne fait pas de solo et n’utilise donc pas beaucoup les cordes aiguës qui sont les plus raides. Personnellement, je joue sur du 11–56 pour tous les accordages à l’exception du Drop C où j’utilise du 11–58.
Parlons guitare. Qu’utilises-tu Fred ?
Frédéric Duquesne : Je joue sur un peu de tout chez ESP. De l’ESP Custom Shop jusqu’aux LTD en passant par du ESP standard (ndlr : modèle Eclipse). Pour mes guitares principales, j’utilise plutôt du Custom shop d’ESP sauf en drop C# où j’utilise une LTD qui fait bien le boulot.
Il est justement intéressant de voir que tu mélanges des guitares de la même marque, mais dans des gammes de prix variées allant des onéreuses Custom Shop ESP jusqu’aux modèles plus « low cost » de LTD.
Frédéric Duquesne : Pour être franc, je n’ai pas les moyens de m’acheter six guitares Custom Shop. J’ai un deal avec ESP, mais je ne suis pas endorsé à 100 %. Je paye une partie de mes guitares et franchement une LTD suffit largement pour faire du live. Il ne faut pas oublier que l’on arrive dans des salles où il y a parfois une réverbe naturelle énorme. Il y a certaines salles où tu pourrais te pointer avec la meilleure guitare du monde que tu ne pourrais pas en tirer le meilleur. Et pour ce que nous jouons, il n’est pas très utile d’utiliser les modèles les plus haut de gamme. Avant j’utilisais des micros actifs, mais j’aime moins ça aujourd’hui et du coup mes six guitares sont désormais équipées du micro passif SH-6 de Seymour Duncan que je préfère, le trouvant plus dynamique.
Yann tu es désormais chez Ibanez, pourquoi ce changement ?
Yann Heurtaux : J’ai longtemps joué sur Gibson. J’en ai toujours pas mal chez moi. J’ai plusieurs modèles de SG, de la Voodoo à la 61 Reissue. J’ai de l’Explorer, de la Flying V et surtout ma Les Paul, qui s’est malheureusement fait briser le manche à deux reprises et qui est maintenant rangée définitivement au garage. On m’a dit que si le manche se cassait une troisième fois, elle serait foutue pour de bon et je n’ai vraiment pas envie qu’elle finisse comme ça, car j’y tiens trop. Elle a fait tellement de tournées de Mass Hysteria et j’ai enregistré tous nos albums avec, jusqu’au dernier.
Puis j’ai eu ce deal avec Ibanez qui m’est un peu tombé dessus par hasard. Le truc c’est qu’aujourd’hui, Gibson ne te donne plus rien. Nous sommes dans une dynamique où bien que nous soyons des musiciens pros, nous avons besoin que l’on nous fournisse du matériel. On ne peut pas se permettre de tout acheter. Chez Gibson, quand je vois ce qu’André Brodsky, et c’est vieux ce que je raconte, pouvait me faire, me proposer 50 % de remise sur la gamme, cela représentait encore une grosse somme d’argent pour les modèles que je voulais puisque j’étais intéressé par les Les Paul Custom noires. J’adorais ce mec cela dit, aucun problème avec lui. Mais aujourd’hui, je ne peux plus me permettre d’acheter une Gibson qui, malgré les 50 %, va me coûter 3 000 euros. Mon ancien manageur a donc tapé à la porte d’Ibanez au moment même où le mec de Shaka Ponk les quittait. Ibanez pouvait prendre un nouveau deal à 100 % à ce moment-là et visiblement mon ancien manageur a tapé à la porte quand il fallait ! Je me suis super bien entendu d’emblée avec Flo Sliwa chez Ibanez et je ne pourrais pas être plus satisfait. J’adore les modèles et je suis quelqu’un de très difficile après être passé chez Gibson. Je ne veux pas avoir du gratuit pour avoir du gratuit. On a eu toutes sortes de deals au fil des ans. On en a eu avec Yamaha, ça ne me plaisait pas. Avec Jackson, mais je n’aimais pas non plus. Chez ESP le problème c’est qu’on te propose des modèles, mais lorsque tu en demandes un on te répond : « ah non, ça ne va pas être possible, etc.. ». Donc moi ça ne m’intéresse pas. Je suis resté longtemps avec mes Gibson sans le moindre deal. Mais l’offre que m’a fait Ibanez était mortelle et je ne pouvais que l’accepter ! Et puis ils savent te prouver qu’ils te prennent au sérieux. Il y a un bon échange. Ils m’ont donné trois Ibanez Prestige (ndlr : plus précisément le modèle ARZ6UC Prestige) qui sonnent super bien même si j’ai changé les micros chevalet en mettant des EMG (ndlr : en lieu et place du Nailbomb de Bare Knuckle). Je suis un peu vieille école avec ça, mais j’aime trop le tranchant de ces micros. D’ailleurs Colin Richardson accepte de t’enregistrer seulement si tu utilises ce type de micro et depuis cette époque je suis resté bloqué là-dessus. Je suis très content de mes nouvelles guitares et je remercie haut et fort Flo de chez Ibanez !
Ton Ibanez reprend les caractéristiques principales d’une Gibson Les Paul n’est-ce pas ?
Yann Heurtaux : Oui, carrément. De toutes les guitares que j’ai essayées, une fois branchée, c’est celle qui se rapproche le plus de ma Les Paul.
Frédéric Duquesne : Elle tient bien l’accord en plus, et son manche est un peu plus long qu’une Les Paul, ce qui est appréciable pour les accordages bas (ndlr : effectivement l’Ibanez a un diapason de 25,1" contre 24,75" chez Gibson, 24 frettes au lieu de 22, et un chevalet/cordier Tight-Tune).
Merci à Sophie Brandet pour les photos live de Yann Heurtaux et Frédéric Duquesne.