On pensait le Neutron constitué de trois quarks colorés, il est en vérité composé de particules sonores élémentaires bien plus petites et nombreuses, appelées modules, reliées par des cordons de brassage qui se connectent et déconnectent à volonté…
Parmi la longue liste de produits en développement annoncés par Behringer à la suite du DeepMind, le Neutron est le deuxième à pointer le bout de ses potentiomètres dans nos vitrines préférées. Depuis son lancement au NAMM 2018, sa disponibilité a été variable tout au long de l’année, si bien qu’il nous a fallu pas mal d’énergie pour capturer le petit boitier rouge allongé à la baie de brassage excentrée. Peu de temps avant de recevoir le Neutron, l’OS V2 et une appli pour faciliter l’édition des fonctions cachées ont été développés, ajoutant bon nombre de fonctionnalités. Raisons largement suffisantes pour passer un peu de temps sur ce synthé semi-modulaire tout à fait original. Et quand on fait le décompte des modules proposés au regard du tarif très serré, spécialité Behringer depuis son arrivée en force sur le marché de la synthèse, difficile de ne pas attraper une poignée de cordons de patch !
Rouge électrique
On ne peut pas dire que le Neutron repique une quelconque charte graphique. Avec sa robe rouge électrique et sa sérigraphie psychédélique, il ne passe pas inaperçu et se distingue par l’originalité de son design. Le marquage est plus visible qu’il n’y parait sur les photos, mais peut s’avérer difficile à lire sous certaines expositions : il faudra prendre ses dispositions. On remarque qu’il n’y a pas de valeurs numériques autour des potentiomètres, ce qui pourrait gêner certaines personnes. Le Neutron a le même profil que le Model D, mais est plus large (42 × 14 × 9 cm) pour 2 kg tout ronds. La façade comprend 36 potentiomètres rotatifs et 7 interrupteurs-poussoir rétroéclairés, suffisamment dimensionnés et espacés pour une bonne prise en main. La disposition un peu chaotique peut au début prêter à confusion : VCO à gauche avec mixeur en haut, filtre à la verticale, LFO en haut au centre, éléments de mixage juste en dessous, délai et overdrive à côté en haut, enveloppes en dessous, VCA à droite, modules complémentaires en dessous… C’est une ergonomie « un bouton pour une fonction », les seules exceptions étant liées aux fonctions ajoutées par l’OS V2, nécessitant des combinaisons de boutons hélas non sérigraphiées en façade.
Impossible de passer à côté de la baie de brassage 32 entrées / 24 sorties au format jack 3,5 mm située en partie droite ; nous y reviendrons en détail plus tard, signalons juste à ce stade que les modules se désalignent entre les entrées et les sorties, ce qui complique un peu leur repérage. On en oublierait presque l’entrée MIDI DIN juste à sa gauche. Le reste de la connectique est situé à l’arrière : sortie audio (jack 6,35 mm TRS symétrique !), entrée audio (jack 6,35 TS), sortie casque (jack 6,35 mm stéréo) avec potentiomètre de niveau, MIDI Thru DIN, MIDI USB2 (Class Compliant), 4 sélecteurs de canal MIDI, un interrupteur secteur et une borne pour alimentation externe 12V DC / 1A (à bloc extrême, cheap et non repérée par une étiquette).
Un mot sur la qualité de construction : elle est très bonne, avec une coque tout en métal, des flancs en bois teinté (mince et tendre) et des potentiomètres à tige métallique bien ancrés (mais pas vissés) offrant une très bonne résistance.
Variété assurée
Le Neutron ne copie aucune machine vintage spécifique. Il s’agit d’un synthé analogique semi-modulaire paraphonique à 2 VCO, 1 VCF, 1 Overdrive, 1 VCA, 2 enveloppes, 1 LFO, ainsi qu’une longue liste de modules que nous détaillerons plus tard. Seules les fonctions globales sont mémorisables ; certaines liées au pitch des VCO, à l’assignation du VCF, au LFO et aux boutons en façade répondent aux Sysex MIDI. C’est donc un synthé très majoritairement analogique qui nous est proposé là. Avec autant de modules (parmi lesquels des VCO à ondes variables et un VCF multimode), il va de soi que la variété sonore est un atout de la machine. Pour en donner un bon aperçu et mettre en avant les petits jeunes, nous avons fait appel à l’ami Philippe « Orfilinn », qui nous a envoyé des exemples sonores concoctés avec son Neutron en une prise ; bravo !
Au-delà des différents basses et leads, le Neutron est parfaitement indiqué pour les sons évolutifs, drones et effets spéciaux. On peut jouer avec le contenu harmonique en modulant les ondes des VCO, en les synchronisant, en poussant le LFO dans l’audio ou en abusant de l’overdrive. Sans oublier les possibilités d’envoyer des sorties de modules chatouiller des entrées improbables. Le mode paraphonique permet de jouer un accord de deux notes ou deux timbres mono en même temps, en jouant sur le chemin emprunté par la sortie de chaque VCO.
- Neutron_1audio Orfilinn 01 Paraphonic+biPW01:03
- Neutron_1audio Orfilinn 02 LFO sur filtre00:55
- Neutron_1audio Orfilinn 03 Arp+BBD+LFO noise00:59
- Neutron_1audio Orfilinn 04 LFO Tremolo+paraphonic01:10
- Neutron_1audio Orfilinn 05 LFO ramp down PWM00:31
- Neutron_1audio Orfilinn 06 S&H+VCF manuel01:27
Qu’en est-il du caractère sonore ? Les VCO sont assez propres et le VCF plutôt crado, ce qui fait un mariage heureux. En écoutant le Neutron tel quel (sans câbler), nous avons trouvé que le son manquait d’aigus et de présence, donc de tranchant. Ce n’est pas une question d’enveloppes, suffisamment rapides. Il apparait que le filtre atténue le signal, même ouvert au maximum, et mange les aigus quel que soit le mode (bande passante de 10 Hz à 15 kHz). Ensuite, le module Overdrive pré-connecté entre le VCF et le VCA atténue lui aussi le signal (même lorsque le Drive est à zéro et que le niveau de sortie est au maximum) et mange aussi un peu d’aigus (même quand le Tone est au centre). On perd ainsi pas mal d’aigus et de niveau entre la sortie mixeur et l’entrée VCA. On peut bypasser l’overdrive avec un cordon de patch si on ne projette pas d’utiliser un certain niveau de Drive, mais cela condamne inutilement la sortie VCF1 et l’entrée VCA. De même, on déplore ces atténuations en cascade quand on utilise des modules externes. Dernier point crucial pour un synthé à VCO, la tenue de l’accordage en cours de session : notre Neutron a été parfaitement stable tout au long du test. Pour les adeptes du multimètre, des Sysex et des ajustables, le mode d’emploi explique comment calibrer la sortie modulaire assignable et le délai BBD…
- Neutron_1audio 01 Bass & BDD00:26
- Neutron_1audio 02 Waves & BDD00:30
- Neutron_1audio 03 Echo Fifths00:31
- Neutron_1audio 04 Soft Sync00:18
- Neutron_1audio 05 Resonator HPF00:43
Modules sonores
Pour générer le son, le Neutron dispose de deux VCO, un VCF, un Overdrive, un VCA et un délai BBD, donc un signal audio 100% analogique. Nous allons dans un premier temps décrire le signal dans l’ordre où il est précablé, mais rien n’empêche de bouleverser l’ordre établi en raccordant les différents modules, ce qui interrompt le signal (nous y reviendrons). Les VCO sont constitués de circuit intégrés V3340, clone maison (Cool Audio) du CEM3340 (celui qui équipe notamment les Pro One / Prophet-5 Rev3 / 10 / T8 / 600, OB-Xa / OB-8, Memorymoog, SH-101 / JP-6, Voyetra-8…). Ceux qui veulent creuser le sujet du clonage peuvent aller voir du côté de ce site, qui liste les différents cloneurs de circuits SSM et CEM.
Revenons à nos VCO, qui offrent les ondes sinus, triangle, dent de scie, carrée et impulsion variable. On peut passer de l’une à l’autre en mode discret ou continu, cette transition ayant une entrée de modulation CV dans la baie de brassage, tout comme la largeur d’impulsion possède la sienne pour l’onde PW, excellent ! On peut accorder les VCO sur 32, 16, 8 pieds. Chaque VCO dispose d’un potentiomètre d’accordage fin pas facile à régler, car il agit en continu sur une plage de plus moins une octave (environ) ; c’est encore pire avec le mode +/- 10 octaves, puisque la plage de réglage du potentiomètre passe à 20 octaves en continu ! Heureusement, on peut déconnecter l’un ou l’autre potentiomètre, ce qui a pour effet d’accorder parfaitement le VCO correspondant. On peut aussi déconnecter le VCO2 du suivi de clavier via le menu système, en le calant sur la dernière note jouée. Les deux VCO peuvent être synchronisés : il s’agit de Soft Sync, qui décroche lorsque la fréquence du VCO maître n’est pas multiple de celle du VCO esclave, comme illustré dans un des exemples sonores.
Il reste à régler la balance entre les deux VCO, le niveau du générateur de bruit blanc et le niveau de l’entrée externe avant d’attaquer le VCF. Ce dernier est de type 2 pôles résonant multimode (passe-bas / passe-bande / passe-haut). La fréquence de coupure varie de 10 Hz à 15 kHz comme déjà dit ; elle est modulable par le suivi de clavier (simple on/off), une enveloppe pré-assignée (potentiomètre unipolaire) et le LFO (potentiomètre unipolaire). Lorsqu’on pousse la résonance, le filtre passe en auto-oscillation et pousse des cris stridents. Cela n’écrase toutefois pas le reste du signal. Le VCF est connecté à un overdrive, dont on peut régler le Drive, la couleur sonore et le niveau de sortie. Nous avons dit que le module atténuait le signal quand le Drive était à zéro, on pensera à la bypasser quand on ne l’utilise pas.
L’overdrive est à son tour connecté à l’entrée VCA, qui dispose d’un potentiomètre Bias permettant de sortir un signal constant (utile pour les drones) en plus du signal passant par l’enveloppe de volume. En sortie de VCA, on trouve un délai analogique à base de BBD ; on peut régler le temps (de 24 à 640 ms), le nombre de répétitions et la balance signal sec / mouillé. Ce délai souffle pas mal suivant le réglage, comme la majorité des BBD, c’est particulièrement audible sur les temps longs où on sent une porte de bruit se fermer en cadence (cf. exemple Waves BBD). De même, on peut le faire saturer si on y entre un signal trop fort, genre la sortie Mix des VCO, voire la sortie du filtre (pourtant déjà atténuée). En réglant des temps courts, on obtient un son de résonateur métallique intéressant.
Modulations pléthoriques
Le Neutron est particulièrement bien équipé au plan des modules dédiés aux modulations. On trouve deux enveloppes, un LFO, un S&H, un portamento (avec temps classique et générateur de rampe) et deux atténuateurs (sans oublier les sommateurs, les multiples et l’inverseur, tout cela sera détaillé au chapitre suivant). On commence par les enveloppes analogiques, de type ADSR, l’une routée au VCF et l’autre au VCA par défaut. Comme déjà dit, elles sont suffisamment claquantes pour produire des sons à transitoires, sans toutefois égaler celles du Model D. Les attaques sont linéaires (0,3 ms à 5 s) et les délais exponentiels (2,4 ms à 10 s).
Passons au LFO numérique, vraiment bien doté, surtout depuis l’OS V2. Il offre 5 formes d’ondes : sinus, triangle, dent de scie, carrée, rampe. Il possède deux fonctions originales pour un LFO : la possibilité de passer progressivement d’une forme d’onde à l’autre et la faculté de moduler cette position via la baie de brassage, comme pour les VCO. On peut aussi changer l’ordre des ondes via l’appli Neutron (cf. ci-après). La plage de fréquence varie de 0,01 Hz à 10 kHz, ce qui est énorme ! Le LFO peut être synchronisé à l’horloge MIDI suivant une bonne vingtaine de divisions ou multiples temporels ; d’autres paramètres sont accessibles via des combinaisons de touches ou l’appli, tels que la phase, le redéclenchement des enveloppes ou encore le suivi de clavier assigné à la fréquence… nous y reviendrons juste après. Le LFO peut moduler les ondes PW par défaut grâce aux potentiomètres atténuateurs, ainsi que la fréquence de coupure du filtre via le potentiomètre de modulation. Un module très bien conçu !
Combi ou appli ?
L’OS V2 a apporté un certain nombre de fonctions additionnelles et une appli dédiée au Neutron (Mac OS 10.6.8 / PC W7) pour faciliter certains paramétrages avec la prise USB. Certaines fonctions sont accessibles via l’appli ou par combinaison de boutons : priorité de note (haute/basse/dernière), Polychain, accordage des VCO, transition des formes d’onde des VCO (continue ou discrète), source de modulation du VCF (aucune / molette / vélocité / pression, merci !), quantité de modulation du VCF, paramètres additionnels du LFO (synchro au tempo, profondeur, mode one shot, suivi de clavier de la fréquence, phase, transition continue ou discrète des formes d’onde, redéclenchement des enveloppes). Aucune de ces fonctions n’est hélas repérée en façade, ce qui oblige un effort de mémoire ou un pense-bête à portée de main. D’autres paramètres sont accessibles uniquement via l’appli ou par Sysex : Autoglide, étendue du pitchbend, point de split du mode paraphonique, ordre des formes d’onde du LFO, phase du LFO et canal MIDI (sélecteurs désactivés sur le panneau arrière).
La fonction Polychain permet d’utiliser plusieurs Neutron en polyphonie. Pour ce faire, on relie les MIDI Thru aux MIDI In des modules en cascade ; on définit ensuite le premier maillon, puis les suivants, tous réglés sur le même canal MIDI, mais avec un numéro ID différent ; jouer plusieurs notes en même temps sollicite chaque module comme une carte voix dans un synthé polyphonique analogique, à la différence près qu’il faut régler chaque Neutron à la main pour avoir le même son, la machine étant incapable d’émettre / recevoir des CC pour ses commandes, vu sa conception quasi intégralement analogique. Le plus délicat sera de régler les VCO, donc les potentiomètres qui, rappelons-le, sont hypersensibles !
Coin des brasseurs
Pour satisfaire le nombre croissant d’amoureux des spaghettis en plastique et cuivre, le Neutron est à la fois semi-modulaire (cf. schéma de précablage interne) et compatible Eurorack. Ce format, inventé par Dieter Döpfer, normalise les dimensions physiques, alimentations, connecteurs entre modules et tensions des CV de notes / CV de commande / Gate / sorties audio. En enlevant 8 vis en façade et en déconnectant deux nappes internes, on peut insérer le module complet dans un rack 3U (il occupe alors 80 HP de large, c’est-à-dire beaucoup, 1 Horizontal Pitch valant 5,08 mm ou 1/5 de pouce) et le connecter au rail d’alimentation via la nappe fournie. Le seul regret ici, c’est la perte de l’entrée audio, de la sortie casque, de la prise MIDI Thru et de l’USB situées à l’arrière. Pas du tout pratique pour le mode Polychain !
Au chapitre de la modularité, nous sommes particulièrement gâtés, puisqu’on trouve en façade pas moins de 32 entrées et 24 sorties au format jack 3,5 mm dans la baie de brassage de droite (rappelons que connecter un cordon interrompt le chemin du signal précablé à ce point). Voici la liste des points de patch. Pour les oscillateurs : entrées CV pitch VCO1, VCO2, VCO1+2, forme d’onde VCO1, forme d’onde VCO2, PW1, PW2 ; sorties audio VCO1, VCO2, Mix VCO et Noise. Pour le VCF : entrées audio VCF, CV sur la fréquence de coupure, CV sur la Résonance ; sorties audio VCF1 (signal filtré du mode en cours), VCF2 (signal filtré du mode suivant). Pour l’overdrive : entrée / sortie audio. Pour le VCA : entrées audio et CV ; sortie audio. Pour le délai : entrées audio et CV sur le temps ; sortie audio post délai (= sortie audio principale).
Poursuivons avec les enveloppes : entrées Gate 1 et 2 ; sorties CV 1 et 2. Pour le LFO : entrées CV fréquence, modulation de forme d’onde (bien vu !), trigger ; sorties bipolaire (-5/+5V) et unipolaire (0/+5V), bien vu là aussi ! Pour le S&H : entrées signal et horloge ; sortie signal. On trouve aussi un module inverseur bien utile (entrée / sortie CV), un Multi (1 entrée vers 2 sorties), deux atténuateurs (2 entrées signal et CV sur le premier, entrée signal seule sur le second, sortie signal sur les deux), un générateur de rampe (entrée / sortie) et deux sommateurs (2 entrées vers 1 sortie chacun). Il existe aussi une sortie MIDI Gate et une sortie assignable à un CV (VCO1, VCO2, vélocité, molette, aftertouch). Bref, le Neutron offre vraiment beaucoup et n’a pas grand-chose à envier à un système modulaire déjà pas mal fourni.
Plus qu’élémentaire !
Le Neutron est un synthé semi-modulaire paraphonique à deux VCO, qui réunit de nombreux modules originaux dans un format compact compatible Eurorack. Fort de ses nombreux points de patch en entrée et en sortie, il se positionne comme concurrent sérieux de systèmes modulaires beaucoup plus chers. Certains arguerons qu’il n’a ni séquenceur ni arpégiateur, mais n’oublions pas qu’on a ici une vingtaine de modules pour le prix d’un module de moyenne gamme. Nous avons toutefois trouvé un certain manque de caractère dans le filtre, avec une tendance à étouffer le son, le privant ainsi d’un certain tranchant. De même, les pertes successives de niveau sonore dans le filtre puis l’overdrive apportent des contraintes. En tout cas, ceux qui peuvent se passer de sons incisifs et qui souhaitent mettre un pied dans le modulaire sans se ruiner trouveront dans le Neutron un allié de tout premier choix.