Sortis en 1985, le K3 et son expandeur K3m sont les premiers et à ce jour seuls synthés hybrides chez Kawai, avant le virage au tout numérique ; des machines assez méconnues et pourtant dignes d’intérêt. Voyons pourquoi…
Au milieu des années 80, c’est une période charnière entre les technologies analogiques en passe de disparaître (momentanément) et l’avènement du tout numérique. L’analogique s’est énormément intégré pour offrir plus de voix et des coûts réduits, face au numérique qui démocratise la synthèse et incarne l’innovation. C’est à une époque qui s’échelonne entre 1982 et 1989, avec un pic entre 1985 et 1987, que l’on trouve une génération spontanée de machines à générateurs numériques couplés à des VCF/VCA analogiques : pour les échantillonneurs, citons E-mu (Emax, Emulator III succédant à l’E-mu II) et Sequential (Prophet 2000/3000, Studio-440) ; pour les synthés, PPG Wave 2/2.2/2.3, Waldorf Microwave/Wave, Korg DW-6000/DW-8000/EX-8000 et Ensoniq ESQ1/ESQm/SQ-80. Dans cette famille peu nombreuse, le K3 de Kawai apparait comme le concurrent direct des DW Korg…
Clavier et module
Le K3 existe en deux versions : le K3 (tout court) possède un clavier de 61 touches sensibles à la vélocité et à la pression. Il est recouvert d’une membrane de boutons et possède un encodeur rotatif pour l’édition. On remarque immédiatement l’unique molette à gauche du clavier, un pitch bend en fait, la modulation du pitch par le LFO étant assignable à la pression. Il existe également en version rack de 19 pouces et 2U, le K3m. Ce dernier est équipé de véritables boutons poussoirs plus agréables, mais l’encodeur d’édition est remplacé par deux boutons d’édition +/- à répétition automatique, plus précis mais beaucoup moins rapides ; l’idéal aurait été d’avoir les deux sur chaque version…
Quel que soit le modèle, la construction fait une large part au métal, ce qui donne des machines robustes et fiables dans le temps. La prise en main est assez simple : en mode programme, on choisit un son avec l’une des trois rangées de 17 touches ; en mode édition, on appelle un paramètre avec les mêmes touches puis on le modifie avec l’encodeur ou les boutons +/-. Les trois écrans à deux diodes et sept segments affichent respectivement le numéro de programme, le numéro de paramètre en cours et la valeur de ce dernier. Un peu comme sur un DW8000 mais en plus pratique, car les paramètres sont classés par catégorie et s’appellent avec une seule touche (et non un numéro à deux chiffres).
Des touches supplémentaires permettent de sélectionner le mode programme (interne ou cartouche), le mode d’édition (paramètres de programme ou réglages globaux), ou encore de mémoriser un son, transposer la machine, enclencher le portamento ou passer en mode solo. On trouve une interface cartouche et sa petite trappe en façade, le K3 étant à l’origine livré avec une cartouche de programmes réinscriptibles, qui double la mémoire interne.
Outre l’interrupteur de protection mémoire et la prise casque situés à l’avant, le rack dispose d’une diode de contrôle d’activité MIDI. Sur le modèle clavier, la prise casque est placée sur le devant à gauche, bien vu. Tout le reste de la connectique, peu nombreuse, est placé à l’arrière : sorties audio gauche/droite avec sélecteur de niveau (fort/faible), trio MIDI (notes, contrôleurs physiques en nombre limité et dump des mémoires en Sysex) et deux prises pédales (Release et avance programme, en conjonction avec la fonction d’enchaînement de programmes). L’alimentation est interne sur les deux modèles, tant mieux !
Textures sonores
Le K3 est un synthé polyphonique de six voix monotimbral. La mémoire totalise cent programmes, cinquante en interne, cinquante sur cartouche Ram. Le constructeur nous propose une belle panoplie sonore, plus large que les synthés analogiques de l’époque, venant empiéter sur les sons FM façon DX7 et les tables d’onde façon PPG Wave. Parmi ceux-ci, différentes déclinaisons de pianos électriques avec une belle attaque métallique cristalline façon Rhodes, des cuivres subtilement filtrés ou élargis avec le chorus, ainsi que de très belles cordes synthétiques tirant profit de l’effet d’ensemble et de l’excellent filtre analogique, atténuant les hautes fréquences avec un grain très musical. Le K3 renferme aussi un bon paquet d’orgues type B3, Farfisa ou théâtre, imitant l’attaque de percussion, avec simulation de Leslie lent réalisé au chorus stéréo ; les sons d’orgues sont l’un des domaines de prédilection de la machine, indéniablement.
Le K3 permet aussi de réaliser différents types de basses, allant de la basse analogique résonante à la basse slap passée dans le délai, créant un effet de Gate stéréo assez intéressant. Autre domaine de choix, les différents sons de cloches ou de percussions métalliques, où le K3 excelle. Là encore on se croirait sur un PPG Wave, surtout quand on module la balance des deux oscillateurs avec l’aftertouch sur des ondes à résonance vocale. Le niveau de sortie est bon, on peut laisser les gains à zéro la plupart du temps sur la table et le bruit de fond est très bas. Les textures ne sont pas sans rappeler le grain du Korg DW-8000, avec toutefois un filtre plus doux dans l’action et plus soyeux dans le grain. On ne comprend pas certains avis glanés çà et là sur la toile qui jugent le K3 moins analo que le DW-8000, c’est complètement faux. Là où les mauvais côtés du numérique se dévoilent, c’est dans les extrêmes aigus, où le K3 produit presque autant d’aliasing qu’un Prophet-VS.
- K3 1audio 01 EP1 00:26
- K3 1audio 02 EP2 00:48
- K3 1audio 03 EP3 00:17
- K3 1audio 04 Brass1 00:34
- K3 1audio 05 Brass2 00:31
- K3 1audio 06 Strings1 00:34
- K3 1audio 07 Strings2 00:48
- K3 1audio 08 Bass1 00:21
- K3 1audio 09 Bass2 00:16
- K3 1audio 10 Organs 01:17
- K3 1audio 11 Bells 00:30
- K3 1audio 12 Table 00:40
Génération hybride
Le K3 est un synthé hybride, qui traite ses oscillateurs numériques par des VCF (circuits intégrés SSM2044 comme dans les PPG Wave 2.2/2.3) et des VCA. Chacune des six voix est constituée de deux oscillateurs, un filtre passe-bas et un ampli. Les voix sont mélangées pour passer dans un HPF global avant d’être envoyées dans un délai/chorus stéréo analogique. Les formes d’onde sont stockées dans une Rom 8 bits de 64 Ko (2 × 32 Ko). Ce sont des ondes cycliques courtes générées par échantillonnage simple et synthèse additive. La Rom renferme 31 ondes harmoniques (pianos, basses, guitares, orgues, voix, cloches, cuivres, cordes, ondes synthétiques…) et un bruit blanc. Il ne s’agit pas de multiéchantillons dotés d’attaques réalistes et de tenues généreuses, mais des portions de spectres sonores bouclées très court (on peut les écouter à la chaîne à partir de ce lien). L’utilisateur peut aussi programmer sa propre forme d’onde par synthèse additive (voir encadré).
On choisit une onde pour chaque oscillateur, puis on règle la hauteur de l’oscillateur 1 (seize, huit, quatre pieds), le décalage de l’oscillateur 2 (+/- 24 demi-tons et réglage fin) et la balance entre les deux oscillateurs. Kawai n’a pas oublié les réglages d’action de Pitch bend, d’Auto-bend (avec amplitude bipolaire et temps calqué sur le délai du LFO) et de portamento (vitesse). Les oscillateurs ne peuvent interagir et leur mélange attaque directement le VCF. Il s’agit d’un filtre passe-bas résonant à 4 pôles, capable d’entrer en auto-oscillation. La résolution de cent valeurs sur la fréquence de coupure ne permet pas d’éviter les pas audibles, rien d’anormal à l’époque. La coupure est modulable par l’enveloppe dédiée, le suivi de clavier, le LFO, la vélocité et la pression. Basique, le VCA dispose d’un réglage de niveau, d’une seconde enveloppe dédiée et de modulations physiques (nous y reviendrons). Les voix sont enfin mélangées puis filtrées par un HPF global statique avant de rejoindre l’effet final. Elles peuvent être jouées en polyphonie ou empilées à l’unisson, avec priorité à la note haute ou à la dernière note jouée. En revanche, pas de désaccordage des voix dans ce dernier mode…
Modulations simplifiées
Dans le test du DW-8000 de Korg, nous regrettions les limitations au rayon modulations. Le K3 va un peu plus loin que son congénère sur ce point. On a bien un pitch bend mais pas de molette de modulation. Bien que la machine y réponde en MIDI, cette tâche est confiée en interne à la pression, qui peut moduler le VCF, le VCA, la balance entre les oscillateurs (original pour l’époque !) et l’action du LFO. S’y adjoint la vélocité, dont on peut régler l’action sur le VCF et le VCA. Vient ensuite le suivi de clavier, qui peut moduler le VCF et le VCA, de manière séparée et bipolaire. Voilà pour les contrôleurs physiques…
Le K3 offre aussi un LFO et deux enveloppes ADSR. Le LFO possède sept formes d’onde (triangle, dent de scie, rampe, carré, carré inversé, aléatoire et aléatoire chromatique). La vitesse max n’est pas ultra élevée et il n’y a pas de synchro à une quelconque horloge. Le cycle est toujours libre et il n’y a qu’un LFO pour toutes les voix. Outre un réglage de délai (qui détermine aussi le temps d’Auto-bend), on peut doser séparément l’action du LFO sur le pitch, le VCF et le VCA. Les enveloppes (deux par voix) sont quant à elles assignées respectivement au VCF et au VCA. De type ADSR, elles sont assez rapides pour recréer des transitoires de type attaques ou déclins de filtre avec un petit claquement. Voilà, c’est tout pour les modulations !
Effets analogiques
Le K3 est équipé d’un chorus/délai stéréo analogique, généré par deux composants BBD (Bucket Brigade Delay) : MN3009 et MN3011. Ce qui est curieux dans la conception des circuits électroniques, c’est que le chorus gauche utilise le MN3009 alors que le chorus droit utilise un étage du MN3011, le délai utilisant les cinq autres étages. On dispose de sept algorithmes : cinq chorus, tremolo et délai. On trouve différents modes de chorus et des ensemble stéréo façon Roland Dimension D. Le tremolo est très court et fixe. Le délai, de type ping pong, est aussi très court (40 et 60 ms). Il n’y a aucun réglage autre que le choix de l’algorithme, on va donc vite en besogne. En revanche, les résultats sont satisfaisants, avec de la chaleur ou une belle largeur stéréo. Nous avons lu sur certains sites que le chorus était bruyant, ce n’est pas du tout le cas sur notre K3m… sans doute des BBD rincés !
Conclusion
Le K3 fait partie de la petite famille des synthés hybrides vintage, au même titre qu’un PPG Wave, un Waldorf Microwave/Wave, un Ensoniq ESQ-1/SQ-80, un Sequential Prophet-VS ou un Korg DW-8000. C’est de ce dernier qu’il est le plus proche en matière d’ergonomie et de couleur sonore, chacun ayant ses avantages et ses inconvénients. Combinant deux oscillateurs numériques à un VCF résonant et un effet de chorus/délai analogique, il est capable d’emprunter les territoires sonores des synthés analogiques, FM et à tables d’ondes. Il conserve une grande simplicité d’utilisation, même si l’ergonomie pêche par le manque de commandes directes. Limité à six voix de polyphonie, il reste monotimbral et offre un nombre limité de modulations ; on regrette aussi l’absence d’interaction des oscillateurs. Mais sa cote d’occasion, que ce soit au format clavier ou rack, le place parmi les machines encore abordables, mais pour combien de temps ?
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