Présenté au NAMM 2020, le Wavestate intègre la synthèse à séquences d’ondes V2.0 dans un synthé compact, abordable et orienté temps réel. Le bon spot pour les surfeurs ?
Il y a tout juste 30 ans, Korg présentait le Wavestation, un synthé innovant mélangeant synthèse vectorielle et séquences d’ondes. La machine s’inspirait à la fois des tables d’ondes des PPG Wave et de la synthèse vectorielle du Prophet-VS. L’équipe de développement de l’époque comptait d’ailleurs dans ses rangs Dave Smith et John Bowen, pour ne citer que les plus célèbres, aux côtés de Dan Phillips. Très innovant, le Wavestation produisait des textures évolutives sans fin assez inédites. Seuls bémols, une Rom de samples limitée (2 ou 4 Mo suivant le modèle, toutefois extensible par cartes Rom), une interface austère et des filtres non résonants. Cela limitait à la fois l’intégrité capillaire des programmeurs et la couleur sonore de la machine.
Malgré quelques déclinaisons, les stations de travail très en vogue à l’époque ont mené la vie dure à ce synthé aussi original que spécialisé. Il aura fallu attendre l’Oasys puis le Kronos pour que Korg remette de la table et du vecteur dans ses ondes. Le temps a passé et aujourd’hui, c’est l’analogique qui semble dominer sur toutes les gammes de prix, jusqu’au jour où tout passera, tout lassera et tout cassera. C’est sans doute ce qu’a pensé Korg en développant le Wavestate, remettant au goût du jour une synthèse alternative aux sempiternels VCO-VCF-VCA, qui ont trop repris de fourrure du troupeau. Et quand on sait qu’une partie de l’équipe de l’époque (dont John Bowen) a collaboré au développement de la machine avec le département R&D de Korg US R&D (Dan Phillips en tête, cf. interview en fin de test), on ne peut que s’attendre au meilleur…
Wave esthète
Le Wavestate est un synthé compact contenu dans une coque en plastique évidée et une façade en alu, ce qui lui permet d’afficher moins de 3 kg sur la bascule. La construction est relativement correcte, avec des potentiomètres non vissés en façade offrant une résistance agréable et des boutons francs. Le clavier 37 touches de taille standard est sensible à la vélocité initiale et de relâchement, mais pas à la pression, dommage. Sa qualité est moyenne, il est assez bruyant et un peu mou, plus proche d’un Kross que d’un Kronos. Si la grande façade du Wavestation était dépourvue de potentiomètres, années 90 oblige, le petit panneau du Wavestate est en revanche couvert de commandes. On dénombre 23 potentiomètres rotatifs (modes saut ou relatif), 1 encodeur, 47 boutons rectangulaires, 16 boutons carrés rétroéclairés, 2 molettes et 1 bâton de joie sans ressort sur une surface de 57 × 34 cm. Leur arrangement sort de la logique LFO – oscillos – filtre – ampli – enveloppes. Certaines commandes partagent plusieurs instances de modules (enveloppes, LFO) et/ou cumulent deux fonctions (avec touche SHIFT). Quatre touches directes simplifient le choix des couches pour édition/activation/coupure. Lorsqu’on coupe une couche, il faut rejouer une note pour la faire repartir ; un mode de réactivation sans redéclenchement serait le bienvenu. La programmation des séquences d’ondes est facilitée par un accès direct aux différentes lignes de pas, grâce à 7 touches de lignes de séquence, 16 touches de pas et 8 potentiomètres de modulation en temps réel (gris clair) ; ces derniers transmettent et reçoivent des CC MIDI (en plus des contrôleurs physiques traditionnels, joystick compris bien sûr), nous y reviendrons.
On n’échappe toutefois pas au recours à l’écran OLED monochrome graphique 128 × 64 points. La navigation est assez simple, par pages menu, via deux touches <>, un encodeur cranté et la touche ENTER. L’encodeur est sensible à la vitesse de rotation et peut sauter plusieurs pas en conjonction avec la touche ENTER, bien vu ! La plupart des pages affiche l’ensemble des paramètres accessibles, les recours à l’ascenseur sont rares ; le cas échéant, on peut filtrer la liste déroulante. D’autres points d’ergonomie sont à mentionner : l’écran affiche les séquences d’onde et les courbes d’enveloppe en temps réel ; on peut sélectionner les sons par catégorie et les trier par ordre alphabétique (A-Z ou Z-A) ; les valeurs sont exprimées dans leur véritable unité (dB, demi-tons, secondes, Hz…) ; il existe une touche d’aide contextuelle ; on a toujours une Performance initialisée en tête de liste ; il y a une fonction Compare (aussi accessible au moment de sauvegarder) ; on trouve aussi une fonction de création aléatoire : on peut choisir à quel niveau, sur quels paramètres et avec quelle intensité elle agit ; dans le mode utilitaire, on contrôle les voix actives, le vol de voix, la charge du CPU et sa température (autour de 35° pendant le test, comme dans un The River !). Bref, on sent que le département R&D Korg a bien réfléchi à l’ergonomie.
Terminons ce premier tour du propriétaire par la connectique, minimaliste, située intégralement sur le panneau arrière : prise casque stéréo (jack 6,35), paire de sorties stéréo (jacks 6,35 TRS symétriques, ah oui !), prise pour pédale de maintien (jack 6,35 simple), prise USB type B (MIDI uniquement, class-compliant), entrée/sortie MIDI, interrupteur secteur et borne pour alimentation externe (12 V DC à centre positif avec bloc à l’extrémité bien cheap). On a vu plus généreux…
Grosse mémoire
Il faut compter une bonne quinzaine de secondes pour que le Wavestate démarre. La machine est livrée avec 240 Performances, 740 programmes et 1 000 séquences d’ondes Presets. La limite de capacité mémoire n’est pas fixe mais gérée sous forme de base de données, représentant quelques dizaines de milliers d’emplacements partagés, suivant ce que l’on décide de sauvegarder, de quoi assouvir notre excitation médullaire pendant les longs mois d’hiver, en attendant que l’anticyclone des Açores reprenne force et vigueur. Les programmes et séquences d’ondes sont sauvegardés au sein des Performances, mais on peut le faire séparément si ça nous fait plaisir, au risque de dupliquer des éléments un peu partout. Une fonction DELETE permet ensuite de faire le ménage dans la base de données, au cas où. Bien pensé ! Pour les adeptes de la scène, Korg a pourvu sa machine de listes de favoris, pointant vers 64 numéros de Performance, accessibles rapidement avec la rangée de 16 touches ; le nombre maximum de listes n’est pas défini, là non plus, mais partagé avec l’énorme capacité mémoire globale. Cette mémoire interne, tout comme l’édition des sons, est gérée par un éditeur bibliothécaire externe fourni par Korg.
Le niveau de sortie est parfait et le bruit de fond absent. Les paramètres continus semblent globalement fluides (on reparlera du filtre plus tard). On apprécie la transition douce entre les sons, sans coupure. Le processeur en a visiblement sous le capot ! Les Presets fournis mélangent un peu de tout : boucles technoïdes qui tabassent, pads évolutifs progressifs, textures chaotiques étranges, voix d’outre-tombe, cloches du jugement dernier, drones indescriptibles. On trouve aussi des multisamples d’instruments acoustiques, pas faciles à jouer avec le clavier réduit ; ils bénéficient de quatre couches de vélocité pour les plus définis. Leur qualité est du niveau d’une honnête station de travail, c’est plus que du dépannage. La mémoire interne inclut 2 319 multiéchantillons plus ou moins complexes, totalisant un peu plus de 2 Go. Le Wavestate semble plus polyvalent que le Wavestation, ne serait-ce que par la banque d’ondes, la polyphonie, le filtre multimode résonant à modélisation et la section effets solide. Les ambiances sont très large bande, ça descend bas et ça monte haut. Les enveloppes ont une plage d’action très vaste, permettant des sons impactants ou des apparitions et disparitions très lentes.
- Wavestate_1audio 01 Bubble Echoes00:36
- Wavestate_1audio 02 Tech Stacks00:50
- Wavestate_1audio 03 Ratchet Arp00:57
- Wavestate_1audio 04 Assam Split01:08
- Wavestate_1audio 05 Aurorum Vectoris01:51
- Wavestate_1audio 06 C.H.U.G01:54
- Wavestate_1audio 07 Arped Vector00:32
- Wavestate_1audio 08 Mixed Vector01:24
- Wavestate_1audio 09 West Theremin00:51
- Wavestate_1audio 10 Rezy Fifths00:39
- Wavestate_1audio 11 Gamelles00:48
- Wavestate_1audio 12 APiano01:20
- Wavestate_1audio 13 EPiano00:46
- Wavestate_1audio 14 Strings Vector01:01
- Wavestate_1audio 15 Allez au dodo !01:17
- Wavestate_1audio 16 Bonne nuit hein…01:44
Principes de base
Le Wavestate cumule le séquencement d’ondes, la lecture d’échantillons et la synthèse vectorielle. La polyphonie est de 64 voix stéréo sur 4 canaux multitimbraux. Les sons sont organisés en Performances, contenant chacune quatre couches de programmes (ABCD), une enveloppe vectorielle pour les mélanger et deux effets maîtres (réverbe, EQ). Chaque programme fait appel à une séquence d’onde ou un multiéchantillon, un filtre, un ampli, des générateurs de modulation, une matrice de modulation et trois effets. Pour chaque couche, on définit le numéro de programme, son volume, sa tessiture, sa vélocité (avec fondus hauts et bas pour les deux). Cela se fait à l’écran ou directement au clavier, merci. On peut aussi transposer par octave/demi-ton/centième, ajouter un facteur aléatoire dans le pitch, définir le type de déclenchement (à l’enfoncement ou au relâchement de touche, sympa !) et forcer le maintien de note.
Vient alors l’assignation des voix : mono avec priorité de jeu et unisson (nombre de voix, désaccordage, épaisseur et largeur stéréo), poly (avec empilage ou redéclenchement d’une même note, utile pour les percussions), allocation (dynamique ou statique de 1 à 64 voix). On passe ensuite aux contrôles : canal MIDI de réception (global ou 1–16), réception de la pédale de maintien, réception de CC MIDI. L’organisation des pages menu est assez logique, c’est bien plus simple que sur le Jupiter-Xm, puisque qu’il y a très peu de pages déroulantes, comme nous l’avons dit, et beaucoup moins de réglages par page. Au plan global de la Performance, on peut paramétrer le volume, la transposition, le tempo et le tempérament clavier (10 Presets + une note de référence).
À table !
Plutôt que partir de formes d’ondes basiques, nous avons vu que le Wavestate utilisait des multiéchantillons mono/stéréo ou des séquences d’ondes programmables. Une séquence d’onde consomme deux voix (c’est lié aux transitions programmables), alors qu’un multiéchantillon stéréo n’en consomme qu’une. En mode multiéchantillon, le Wavestate se comporte comme un simple Rompler. Certains échantillons proviennent du Prophet-VS, du Wavestation (y compris les cartes d’extension PCM), du Krome, du Kronos et de Pluginguru (John Lehmkuhl). D’autres sont inédits. Au programme, des pianos acoustiques, électriques, orgues, guitares, basses, cordes, chœurs, cuivres, bois, instruments du monde, percussions, attaques courtes, effets et ondes synthétiques variées. Les plus gros multiéchantillons sont déclinés en quatre couches de vélocité, le Wavestate n’a donc pas pour objectif de remplacer une station de travail haut de gamme. Depuis la V2 de l’OS, il est possible de créer ses propres samples et multisamples sur un éditeur externe, Sample Builder, puis de les importer dans le Wavestate, à concurrence de 4 Go, bravo !
Passons aux séquences d’ondes, autrement dit le cœur du réacteur. Une séquence d’ondes est organisée en 7 lignes de 64 pas, chaque ligne gérant des paramètres différents, comme le numéro de multisample, le pitch, le volume, la durée, etc. Chaque ligne a ses propres points de lecture, points de bouclage, modes de bouclage, nombres de répétitions et types d’incrémentation de pas. Il existe même un facteur de probabilité qu’un pas soit activé ou non (0 à 100%). Ce paramètre est modulable, comme la plupart des paramètres du Wavestate, ce qui ne manque pas de pimenter les séquences. Les concepteurs étant vraiment brillants, ils ont même prévu des règles pour éviter que des pas soient indéfiniment dégommés ou absorbés par les précédents, le but étant quand même de produire du son. On imagine déjà le nombre infini de combinaisons rien qu’en changeant les paramètres de bouclage et de probabilité d’une ligne. L’édition est assez simple : on choisit la ligne avec l’un des 7 boutons dédiés, puis le pas avec la rangée de 16 touches. L’écran affiche (parfois sur plusieurs pages) les paramètres du pas en cours, qu’il suffit alors d’éditer en navigant un peu ou avec des commandes dédiées. On peut changer de ligne en restant sur un pas ou changer de pas en restant sur une ligne. On peut aussi isoler un pas (le lire en boucle), ou encore couper / copier / coller / insérer / ajouter des pas dans une ligne. C’est bien plus intuitif que sur le Wavestation ! Ce qu’il manque, c’est la possibilité de sélectionner plusieurs pas (à la main, sous forme de motifs rythmiques, ou pour tous les pas utilisant le même échantillon) pour éditer un même paramètre d’un coup (genre changer tous les kicks d’une séquence).
Entrons dans les détails des lignes : 1) Ligne maîtresse : elle définit au bout de combien de temps ou de boucles le cycle de la séquence globale recommence (ceci est aussi paramétrable suivant les nouvelles notes jouées). 2) Ligne Timing : son rôle est de régler les temps de transition entre les pas (durée ou données rythmiques contrôlées par le tempo), avec réglages de temps, swing, courbe de fondu. 3) Ligne Sample : c’est là que l’on assigne un multisample au pas et qu’on définit ses paramètres essentiels, tels que mode de transposition (on change de sample dans le multisample ou on conserve le sample de la note), accordage (avec possibilité de figer le pitch), volume, début de lecture d’onde (8 points prédéfinis). 4) Ligne Pitch : elle permet de transposer tout le multisample sur plus ou moins deux octaves. 5) Ligne Shape : son rôle est de créer une enveloppe de contour simplifiée pour le pas en cours, agissant sur le volume ou le pitch. 6) Ligne Gate : on y définit le temps de porte du pas. 7) Ligne Step Sequence : très intéressante, cette ligne permet d’assigner une source de modulation pour contrôler des paramètres de synthèse en temps réel, avec des facteurs aléatoires.
Dans chaque ligne, on peut choisir l’un des 1 000 Presets, pour ne pas partir de zéro. Il s’agit de phrases rythmiques, lignes de percussions, transitions douces, balayages de synchro, tables façon PPG… il y en a pour tous les goûts ! Là encore, le nombre maximal de séquences d’ondes utilisateur n’est pas défini (mais il est énorme), rappelons-nous aussi qu’on peut aussi les sauvegarder au sein des performances, indépendamment. Avant de terminer ce point, précisons que la synthèse à séquences d’ondes ne permet pas de décorréler la hauteur de vitesse de lecture des samples isolés, cela n’a donc aucun rapport avec la synthèse Variphrase des V-Synth Roland. Elle ne permet pas non plus de faire interagir les ondes en audio (synchronisation, modulation en anneau, FM…).
Filtre boosté
On peut régler le pitch d’une séquence d’onde ou d’un multiéchantillon par octave, demi-ton ou centième. On définit ensuite la pente de suivi de clavier et le portamento : mode de déclenchement, constante de vitesse (temps ou pente), durée. Viennent ensuite les modulations directes : LFO dédié, enveloppe dédiée, vélocité sur l’enveloppe, pitchbend (positif/négatif). Passons maintenant au filtre. Le Wavestation ne disposait que d’un filtre rudimentaire sans résonance. Le Wavestate remet les choses au goût du jour. Le filtre (toujours numérique) est maintenant de type multimode résonant. On trouve les modes LPF/BPF/HPF/Notch en 2 et 4 pôles, multi-filtre, Polysix LPF 4 pôles, MS-20 LPF 2 pôles et MS-20 HPF 2 pôles. Le multi-filtre permet de passer progressivement entre deux profils de filtrage, tout en dosant les trois niveaux de sortie des étages LPF/BPF/HPF et le signal non filtré. Bien vu ! Les filtres modélisés sur le MS-20 sont évidemment capables d’auto-osciller de manière outrancière. Suivant le type de filtre, on peut ajuster les basses, booster ou compenser le pic de résonance, régler le niveau d’entrée dans le filtre pour le rendre plus ou moins instable, ou encore doser le niveau de sortie du filtre.
Petite ombre à ce tableau idyllique, la fréquence de coupure du filtre se règle par demi-ton. Cela génère des pas parfois audibles, lorsqu’on tourne très lentement le potentiomètre de Cutoff sur des pads doux, ce qui laisse entrevoir qu’il y a un algorithme de lissage en arrière-plan pour atténuer l’effet. À l’usage, compte tenu du caractère spécifique des séquences d’ondes qui ont tendance à sectionner le son, cela ne pose pas vraiment de problème. On peut aussi utiliser l’encodeur si on peut aller tout doucement, la résolution passant alors au centième ! La coupure du filtre est directement modulable par le LFO, l’enveloppe (bipolaire), la vélocité sur l’enveloppe et le suivi de clavier (générateur complexe à plusieurs segments). En bout de chaine, on trouve la section d’amplification : volume, modulation par le LFO, vélocité et suivi de clavier (générateur complexe à plusieurs segments, là aussi). La modulation du volume par l’enveloppe n’est pas directement dosable, il faut pour cela passer par la matrice de modulation. Viennent enfin les réglages du panoramique : position stéréo, modulation par un LFO et modulation aléatoire. Tout cela est très complet.
Modulations totales
Chaque couche sonore dispose de 4 LFO, 3 enveloppes ADSR, 1 enveloppe vectorielle (avec 4 sorties de modulation ABCD), 2 processeurs de modulation et 2 suiveurs de clavier complexes. Les LFO sont préassignés au pitch, au filtre, au volume et au panoramique. Leur vitesse peut être synchronisée au tempo ou osciller librement entre 0,001 et 32 Hz. On dispose de 18 formes d’onde plus ou moins complexes (élémentaires, vibrato, à pas, bend guitare, aléatoires). On peut aussi régler la phase, le décalage vertical, le fondu d’entrée, l’adoucissement de l’onde et le mode de cycle (libre ou forcé). Les (3) enveloppes sont de type ADSR (avec Sustain bipolaire pour les enveloppes de filtre et de pitch). Les segments de temps vont de 0 à 90 secondes (!). Leur courbe peut varier entre linéaire, exponentielle et logarithmique. Le cycle peut être redéclenché par une source assignable ou une note. Les processeurs de modulation permettent d’alterner, décaler, quantifier, étaler, incurver, adoucir, sommer une ou plusieurs modulations.
Passons maintenant à la matrice de modulation. Le nombre de maximum cordons n’est pas défini, Dan Phillips nous a dit que le Preset qui détenait le record avait 180 cordons, en plus des modulations directes (genre Vélocité sur Volume). Amazing ! Chaque cordon comprend une première source, une intensité de modulation bipolaire, une seconde source multipliée à la première et une destination. L’assignation des sources et destinations est très intuitive, via les commandes directes, les contrôleurs physiques (y compris la vélocité clavier), les CC MIDI ou les menus (en dernier recours, lorsque les paramètres à assigner y sont cachés). Des pages MOD permettent de visualiser et éditer les routages et quantités de modulation. La liste pouvant être longue, une fonction permet de filtrer les modulations par type. Parmi les contrôleurs physiques, revenons sur les huit potentiomètres situés en façade. On peut les assigner par couche et par Performance, ce qui représente 40 destinations ! À la fois conçus pour l’édition et les modulations en temps réel, leurs valeurs et leurs assignations sont stockées dans chaque Performance. Mieux, ces potentiomètres sont eux-mêmes modulables (matrice, CC MIDI) et transmettent des CC MIDI (librement assignables pour les 40 !). Côté destinations, tout ou presque est assignable, y compris au sein des effets et pour chaque pas de chaque ligne de chaque séquence d’onde, ce qui fait plus de 1 000 destinations potentielles par Performance. De sérieuses améliorations par rapport au Wavestation d’origine !
Vagues d’effets
Les sections effets de qualité ne sont plus réservées aux stations de travail haut de gamme. Le Minilogue en avait fait la démonstration, c’est au tour du Wavestate. Chaque couche sonore dispose de trois effets indépendants : Pre-FX, Mod-FX et délai. Pour chacun, on choisit l’algorithme et l’un des Presets associés (pour ne pas partir de zéro), puis on règle les paramètres. On peut ainsi ajuster les différents niveaux (entrée, balance, sortie) et trois paramètres assignés à des potentiomètres dédiés. Parmi les algorithmes Pre-FX, citons un décimateur (effet numérique lo-fi), des EQ, des compresseurs, un modulateur en anneau, un tremolo et un Waveshaper. Parmi les algorithmes Mod-FX, citons des chorus, phaser, flanger, phaser, wah wah. Certains effets sont des modélisations de célèbres produits vintage sur lesquels Korg a une certaine expérience. Enfin, il reste à choisir et paramétrer le délai, de type LCR, stéréo, inversé ou encore écho à bande. La qualité sonore est excellente, on sent la maîtrise de longue date de Korg dès qu’il s’agit d’effets.
Au niveau global de la Performance, on trouve deux effets maîtres : réverbe et EQ 4 bandes semi-paramétriques. Il y a deux grandes familles de réverbes, basées sur une quarantaine de Presets éditables, là encore avec réglage des niveaux et trois paramètres variables. La réverbe est très bonne, on peut vraiment embellir les sons en utilisant les différents modes. On aimerait d’ailleurs en avoir plus (inversions, portes, plaques…). Logiquement, il y a moins d’algorithmes et d’occurrences que sur une station de travail, mais les choix faits par Korg sont judicieux et offrent un bon rapport puissance / ergonomie. Autre point remarquable, les effets sont dynamiques, puisqu’on peut assigner les paramètres éditables via la matrice de modulation. Super !
Arpèges en couche
Sur chacune des quatre couches sonores, on peut activer un arpégiateur. Si on se rappelle les événements déclenchables via les notes dans les séquences d’ondes, l’arpégiateur prend du coup une dimension supplémentaire, bien au-delà du simple égrenage répétitif de notes suivant un accord. Pour commencer, on trouve les motifs haut, bas, alterné (2 types) et ordre joué. La résolution va de 1/32T à 1/4 de note et le swing de –100 à +100%. Les notes peuvent être arpégées sur 1 à 4 octaves, avec un temps de Gate de 0 à 100%, tout cela en synchronisation avec les séquences d’ondes si on le souhaite. Sans oublier le mode Latch qui permet de garder ses mains pour d’autres tâches. Réponse anticipée à une question que ne manqueront pas de poser les esprits les plus évolués (ou tordus), l’arpégiateur transmet-il les notes en MIDI ? Réponse, non, fichtre ! Autre réponse à une question pertinente (que ne manquera pas de poser l’ami Pico), l’arpégiateur scanne-t-il les notes si on joue en dehors de la tessiture définie pour la couche sonore ? Réponse, non, il ne scanne que dans la zone de tessiture active, pour chaque partie. Alors, heureux ?
Waving goodbye
Le Wavestate est un synthé compact en taille et en prix. Il offre des sonorités évolutives impressionnantes, démonstratives, mais pas toujours faciles à placer dans un mix. Il améliore le concept du Wavestation en matière d’ergonomie, de polyphonie, d’échantillons, de synthèse et d’effets. Il perd toutefois les empilages à 8 programmes de 4 couches et le grand clavier très qualitatif. Est-ce gênant ? Concernant le clavier, oui si on aime jouer à deux mains avec expressivité sans compromis ; non si on préfère tripoter les boutons en plaquant un accord (ou une note si on est DJ ?). Concernant les Performances, c’est supportable, car les gros empilages qui gigottent trop finissent par être compliqués à utiliser. Rappelons-nous que les quatre couches sonores sont librement assignables en tessiture, vélocité et MIDI.
Tous ces arbitrages permettent de proposer une interface compréhensible, sans menus interminables, avec des fonctions bien pensées et une prédilection pour le temps réel. Vu la capacité mémoire, il ne faut pas hésiter à programmer ses propres sons et importer ses propres multisamples, avec un ou deux petits Random quand l’inspiration vient à manquer. Nous avons au passage suggéré à Korg d’ajouter la possibilité de réactiver une couche sans avoir à la redéclencher (comme si la fonction Mute générait un CC7=0 plutôt qu’un Note Off) et de sélectionner plusieurs pas (à la main ou sous forme de motifs) pour éditer un même paramètre (genre changer tous les kicks d’une séquence à la volée).
Suivant le succès du Wavestate, il y aura peut-être de la place pour un modèle plus haut de gamme, construit avec des matériaux plus qualitatifs, un grand clavier répondant à la pression, davantage de commandes directes et des sorties séparées. Raison de plus pour féliciter Korg pour ce nouveau synthé qui sort des sentiers battus, applaudir l’ajout de l’import de samples dans la V2 et souhaiter au Wavestate une pleine réussite, en studio comme sur scène.
Interview de Dan Phillips, R&D Korg USA, chef du projet Wavestate
Dan, quels sont les moments les plus importants de ta vie ?
La naissance de ma fille et avant cela, mon mariage ! Professionnellement, je considère plusieurs produits avec affection. Il y a le Wavestation SR, qui est le tout premier produit auquel j’ai contribué. Il y a aussi l’OASYS PCI, un véritable travail d’amour. Je suis également très fier de ce que nous avons créé dans le Kronos, particulièrement le MOD-7, un de mes synthés préférés. J’ai aussi eu l’opportunité de travailler pour certains de mes héros musiciens, comme Peter Gabriel, un grand honneur. Et pour être honnête, ce dernier NAMM, avec la présentation du Wavestate, a été vraiment satisfaisant.
Quel a été ton rôle dans ce projet ?
Nous avons une petite équipe au R&D Korg ici, et la plupart d’entre nous cumule des rôles multiples dans cette collaboration. Pour le Wavestate, j’ai joué un tout premier rôle dans l’invention du Wave Sequencing V2.0, les spécifications produit, la conception du panneau avant et de l’ergonomie des pages menu, le management des banques sons et l’écriture du manuel – mais le reste de l’équipe a également contribué à tout cela. J’ai aussi édité les polices en bitmap pour l’afficheur.
Comment est né le projet ?
Il y a quelques années, nous avions commencé à discuter de la création d’instruments à partir d’une pure approche Korg R&D. Le Président Seiki Kato suggéra alors un nouveau Wavestation comme point d’inspiration. Le Wavestation était le premier synthé sur lequel j’avais travaillé chez Korg, mon petit chouchou, donc cela m’a semblé un excellent point de départ. Nous avons donc réfléchi à ce que devait être un Wavestation du 21e siècle. Évidemment il devait sonner magnifiquement, faire des choses qu’aucun autre instrument ne pouvait faire, y compris le Wavestation d’origine. Il devait être repensé plutôt que simplement recréé. Il devait produire des séquences d’ondes plus abordables, plus immédiates, plus sympathiques que l’approche « tableur » des interfaces précédentes. Le Wavestate et le Wave Sequencing 2.0 ont été le fruit de cette approche.
Quelques mots sur le développement ?
La chose la plus cool avec le Wavestation, à mon sens, est qu’il faisait appel à une partie logicielle pour les fonctionnalités impossibles à créer par la partie matérielle. Korg avait développé un ensemble de puces pour le successeur du M1 : une pour produire 32 voix en lecture d’échantillons, l’autres pour générer 32 filtres. Elles firent leur apparition plus tard sur le 01/W et d’autres produits basés sur une architecture lecture de samples + synthèse. Mais, pour le Wavestation, les ingénieurs ont eu recours au logiciel pour assembler des paires d’oscillateurs capables de produire des fondus-enchainés successifs, afin de créer des sons vraiment différents.
Quels sont les différences entre les deux projets, en trente ans ?
Évidemment il y a des différences fonctionnelles et esthétiques, reflétant les valeurs de chaque époque. Le Wavestation avait un panneau avant lisse avec une interface utilisateur concentrée sur l’écran et très peu de commandes temps réel, comme la plupart des synthés de cette époque. Le Wavestate, en contraste, se concentre sur l’interface physique, avec de nombreux boutons, et beaucoup moins sur l’écran. Pour aller plus loin dans cet esprit, le Wavestate met vraiment l’accent sur l’interaction temps réel avec le son, ce que le Wavestation ne pouvait pas faire. Pourtant, les objectifs de base sont les mêmes : créer un instrument avec lequel les gens ont un rapport profond, et qui produit des sons nouveaux et captivants.
D’un point de vue technique, nos ressources sont tellement plus puissantes maintenant ! Au lieu de puces distinctes pour l’audio, plus un processeur central pour le système et le contrôle (séquençage des ondes, enveloppes, LFO, etc.), c’est un seul processeur qui gère maintenant l’ensemble, avec de nombreuses améliorations en termes de fidélité audio et de fonctionnalités. Nous avons deux fois plus de voix, par ailleurs bien plus gourmandes en calculs : oscillateurs anti-aliasing bien meilleurs, filtres beaucoup plus agréables, enveloppes et LFO beaucoup plus rapides / fluides, sept fois plus d’effets (en utilisant des algorithmes plus puissants), etc.
Le Wave Sequencing 2.0 a de grosses exigences en temps réel pour le système, ce qui aurait été bien trop lourd pour le processeur du Wavestation ; le tout avec un tas de modulations simultanées. De même, la mémoire et le stockage se sont améliorées de façon exponentielle, de sorte que le Wavestate est livré avec une bibliothèque d’échantillons littéralement 1 000 fois plus grande que celle du Wavestation, et il n’y a aucune limitation pratique sur le nombre de sons pouvant être stockés en interne (le Wavestation original ne pouvait contenir que 64 séquences d’ondes en RAM et 32 en ROM). Nous pouvons maintenant nous permettre tout ce luxe grâce aux puces modernes. Bien sûr, tout cela n’aurait aucun sens sans l’intelligence des ingénieurs pour utiliser toute cette puissance !
Qu’est-ce qui rend le Wavestate si unique ?
La différence fondamentale réside dans le concept des lignes de séquences. À l’origine, chaque pas inclut un multisample, un pitch, une durée, etc. C’est un évènement complet, qui joue de la même manière à chaque fois. Le Wave Sequencing 2.0 sépare le timing, la séquence d’échantillons et la séquence de pitch, de telle sorte que chacun soit manipulable indépendamment. Sont aussi inclus des formes d’enveloppe, des temps de porte et des paramètres de séquences à pas. Chacun de ces paramètres représente une ligne, avec ses propres points de début, fin et bouclage.
À chaque fois qu’une séquence avance, les différentes lignes sont combinées pour créer la sortie. Par exemple, à chaque fois qu’il est rejoué, un sample peut être assorti à différentes durées, pitch, formes, longueurs de porte et valeurs de pas. On peut moduler les points de départ, fin, bouclage de chaque ligne séparément pour chaque note, en utilisant la vélocité, les enveloppes, les potentiomètres de modulation ou d’autres contrôleurs. Chaque note d’un accord peut jouer quelque chose de différent !
Chaque ligne (multisample, timing, pitch, forme, porte, séquence à pas) possède son propre ensemble de Presets, issus des 1 000 séquences d’ondes incluses dans les programmes d’usine. On peut mélanger des Presets dans différentes lignes, et en assemblant les pièces, créer quelque chose de complètement nouveau (ou laisser le générateur aléatoire agir à notre place !). Les Presets, en conjonction avec les commandes du panneau avant, transforment le séquençage d’ondes en un process intuitif, physique et exploratoire.
Le concept de lignes est en partie inspiré de composeurs de musique sérielle du 20e siècle tels que Pierre Boulez. Être capable de tout jouer en temps réel, chaque chose arrivant séparément pour chaque note, nous amène à un niveau supérieur (à noter que de nombreuses séquences d’ondes n’ont pas de mélodies marquées dans leur ligne de pitch, jusqu’à ce que le musicien les joue au clavier).
Nous avons aussi ajouté différents facteurs aléatoires, comme autre moyen d’obtenir des résultats inattendus, organiques. D’abord, pour chaque ligne, l’ordre des pas peut être aléatoire à chaque boucle ; on peut varier l’étendue des pas aléatoires avec les potentiomètres et d’autres commandes temps réel. Ensuite, chaque pas de chaque ligne possède une probabilité à régler entre 0 et 100%. À chaque fois que le système s’apprête à utiliser un pas, cette probabilité est calculée. Si la probabilité n’est pas atteinte, le pas est sauté. Et cette probabilité est modulable indépendamment pour chaque pas ! Enfin, tout cela peut être utilisé en synergie avec les arpégiateurs. Chaque nouvelle note arpégée peut bouger vers un nouveau pas, tout en utilisant les contrôleurs pour la modulation et la randomisation des points de bouclage. Cela produit des effets vraiment sympas et utiles.
Résultat final : des sons organiques, toujours évolutifs, contrôlables en temps réel.
Quelles difficultés as-tu rencontrées et comment les as-tu résolues ?
Le plus difficile a été de définir le produit la première fois. Nous avons dû trouver une idée qui remplissait un tas de critères différents : enthousiasmante pour l’équipe R&D Korg, réalisable avec nos ressources et pertinente par rapport au marché dans l’esprit des différents services de l’entreprise. Et, bien sûr, créer quelque chose que je voudrais personnellement utiliser. Heureusement, je pense que c’est ce que nous avons fait avec le Wavestate !
Quels ont été les moments les plus drôles et les plus intenses avec l’équipe R&D ? Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Même le plus récent de l’équipe est là depuis plus de dix ans, certains d’entre nous travaillent ensemble depuis trente ans (cela inclut certains designers sonores qui ont travaillé sur le Wavestate, tels que John Bowen, John « Skippy » Lehmkuhl et Peter Schwartz). Donc nous nous connaissons plutôt bien. Nous nous marrons bien ! Nous sommes tous musiciens, chacun tourne ou enregistre, donc chacun a des perceptions pratiques sur les instruments que nous concevons. Nous opérons avec un état d’esprit scientifique ; nous sommes tous ouverts au challenge, à l’argumentation et à la critique, car ce sont les feux de la forge qui créent les résultats finaux les plus solides.
Est-ce que tu travailles sur de nouveaux synthés ?
Oui, absolument, mais je ne peux hélas pas en dire plus !
Que fais-tu en dehors de ton métier à la R&D Korg ?
Nous adorons cuisiner ma femme et moi. Nous passons l’essentiel de notre temps libre avec notre adorable fille bientôt âgée de trois ans. L’année dernière, j’ai joué du piano, de la batterie et des percussions sur le dernier album de mon amie Natalie D-Napoleon et je joue de temps en temps mes propres compositions dans un club local. J’enregistre aussi des chansons satiriques / comiques pour les fêtes, dans lesquelles je mélange des paroles de fête sur mes reprises de chansons pop synthétiques préférées. Des trucs barrés !