35 ans après la sortie du Moog Source, la jeune société Baloran pousse le concept à son paroxysme. The River, bien plus qu’un synthé analogique polyphonique multitimbral, est fait de pragmatisme, modestie, talent et innovation. Un instrument hors norme !
Le revival analogique bat son plein. À l’heure du NAMM 2018, les nouveautés continuent à pleuvoir. DSI a présenté le Prophet Rev2 courant 2017, nous venons de tester la toute nouvelle série Prologue signée Korg et Arturia a annoncé une série de semi-modulaires MiniBrute 2… Loin du tumulte californien, c’est quelque part dans les Hauts de France, entre deux terrils, dans une quasi confidentialité, qu’une grosse pépite vient d’être extraite du fond du jardin. On la doit à la SAS Baloran, une jeune entreprise familiale bicéphale, qui nous avait gratifiés il y a quelques temps de The Triko, un triple chorus analogique programmable haut de gamme, testé dans nos colonnes. Habituellement, les concepteurs commencent petit, avec quelques synthés monodiques simples, de petits séquenceurs ou des modules DIY. Là, les choix de Laurent Lecatelier, fondateur et concepteur, par ailleurs membre d’AF, ont été dès le départ très ambitieux. Après trois ans de développement, la présentation au Synthfest 2017 du prototype final et la construction de The Chalet au fond de The jardin de The domicile personnel (histoire de ne pas assembler les synthés dans The garage et The salon), nous avons le plaisir de présenter en exclusivité le test de The River (prononcer Ze Riveur), le premier synthé analogique polyphonique multitimbral multicanal français !
Rivière de diamants
Nous aurons certainement plusieurs fois l’occasion de souligner que le projet est hors norme. Cela commence au premier contact avec la machine, entièrement assemblée à la main, mis à part les composants montés en surface des cartes électroniques, puisque les composants nobles sont traversants et câblés manuellement. The River en impose, avec ses 104 × 52 × 20 cm, ses 26 kg, ses flancs en bois finis par Tamara (Madame Baloran) dans The cuisine, sa tôle laquée, ses nombreuses commandes, son gros radiateur de dissipation et son opulente connectique. La construction est rustique, l’artisanat à l’état brut pour ce lot n°1 qui compte une vingtaine d’exemplaires…
À l’allumage, les poussoirs lumineux et les deux écrans TFT couleur de 160×128 points s’illuminent. On sent tout de suite qu’on va bien s’amuser. The River est en effet conçu pour jouer, piloter, expérimenter : pas moins de 39 potentiomètres, neuf encodeurs lisses, quatre encodeurs poussoirs crantés, 37 boutons poussoirs lumineux et un poussoir simple attendent nos mains fébriles. La qualité est là : rotatifs vissés, capuchons alu, Lexan millimétré, connectique vissée, composants électroniques haut de gamme triés, clavier Fatar TP-8 61 touches (le must en clavier semi-lesté, gamme que l’on retrouve notamment sur le Schmidt EightVoice et le Solaris). Ce dernier est sensible à la vélocité (initiale + relâchement) et à la pression, ce qui permet une expressivité sans pareille sur un synthé analogique.
The River, nous l’avons dit, est conçu pour jouer ; la très grande majorité des fonctions est directement accessible, soit en manipulant les commandes en façade, soit par combinaison de touches clavier. Deux boutons Shift permettent d’accéder aux fonctions secondaires sérigraphiées ; l’un est situé en façade et l’autre au-dessus des molettes de pitch bend / modulation. Un petit pense-bête magnétique amovible rappelle les raccourcis clavier, répétés à l’écran. Il est ainsi très facile d’appeler un son, d’assigner des voix de synthèse aux canaux multitimbraux, de modifier les niveaux / panoramiques / transpositions des voix individuellement, d’entrer dans la synthèse, d’assigner des zones clavier, de configurer le clavier de commandes, de régler les effets, de programmer une séquence, de lancer un arpège… c’est déstabilisant au départ mais ô combien efficace ! « Les écrans sont petits parce qu’on doit pouvoir s’en passer », nous a confié le concepteur. Les potentiomètres répondent en mode saut ou seuil, mais il n’est pas exclu qu’on voie apparaitre des modes alternatifs dans de futures mises à jour d’OS (relatif, jonction…). Pour que l’ergonomie soit parfaite, il manque une fonction Compare et l’affichage des valeurs stockées (en plus de celles en temps réel) ; compte tenu de l’architecture à huit voix indépendantes, cela semble compliqué à ajouter, vu qu’on peut passer d’une voix à l’autre, réassigner des voix à des canaux, des canaux à des zones, etc.
Côté connectique, c’est le feu d’artifice : la prise casque est située à l’avant et dispose de son propre potentiomètre de volume. Tout le reste se passe sur le panneau arrière ; et avec ses 20 cm de haut, on peut en mettre un sacré paquet ! Commençons par la partie supérieure : deux ensembles de sorties stéréo XLR et jack TRS, huit sorties séparées jack TS, deux entrées stéréo jack TRS, deux prises pédales interrupteurs, un trio MIDI, une prise pédale CV et trois prises USB. Ces dernières permettent de mettre à jour les OS des différents organes vitaux (nous verrons plus tard que The River est composé d’éléments distincts qui communiquent), l’une d’entre elles prenant les fonctions MIDI globales (Dump mémoires, émission/réception des CC/NRPN pour toutes les commandes de synthèse) et l’autre les fonctions MIDI de commande (notes, contrôleurs physiques) ; un peu déroutant au début de ne pas tout avoir sur la même prise USB, cela nécessite une certaine gymnastique dans les configurations…
En partie droite, on trouve un impressionnant pavé de trois rangées de huit prises : deux rangées de sorties CV et une rangée de Gate (à la commande de la machine, vendue en direct par Baloran, on peut choisir le type de connectique entre jack 6,35 et jack 3,5 avec des combinaisons possibles pour coller à son système modulaire). Les CV peuvent travailler en V/Octave ou Hertz/Volt (il est possible qu’une mise à jour d’OS permette de régler les pentes pour les synthés qui ne seraient pas calibrés). Les Gate travaillent aussi bien en positif ou négatif. Du coup, The River est une puissante interface MIDI/USB to CV/Gate, capable de piloter des synthés mono, poly ou paraphoniques, quel que soit leur mode de communication. Hors norme ! Enfin, on trouve une fiche IEC trois bornes pour cordon secteur (alimentation interne 120 VA, plus qu’un Memorymoog !). La sérigraphie est inscrite à l’endroit et à l’envers pour faciliter les branchements depuis le devant de la machine. Futé !
Rivière sauvage
La banque sons de The River a été programmée par des amoureux de la synthèse : Laurent lui-même, grand amateur de synthés analogiques d’hier et d’aujourd’hui ; on trouve dans son studio un Moog The Source, un Minimoog, un MatrixBrute, un MicroBrute, un Poly61, un Crumar Multiman S, un Farfisa Synthorchestra, des Vermona et un clone maison de Synthi A… sans parler des machines numériques, synthés et samplers, démontrant un véritable éclectisme. Il a également fait appel aux talents de l’équipe Barb&Co, à savoir Stéphane « Barbenzinc » Garganigo et Laurent « Coyote14 » Pelletier. On leur doit une magnifique banque d’usine (Single, FX et Multi) qui démontre les possibilités étendues de la machine. Un fois n’est pas coutume, ce sont des sons directement exploitables, faits par des musiciens amoureux de la synthèse, pas un remplissage de trucs agressifs et saturés (il y en a aussi). Laurent et Stéphane nous ont fait parvenir des démos de leur banque en cours de construction, que nous avons joints à nos propres sons, pour un total de plus de 70 exemples sonores dans ce test. On peut écrire par-dessus les programmes d’usine et les restaurer plus tard, directement depuis The River pour les Single & FX et via Sysex pour les Multi.
- The River 00 LP Multi 7 01:27
- The River 00 SG Multi 1 01:13
- The River 00 SG Multi 2 00:56
- The River 00 SG Multi 3 00:41
- The River 01 Polysynth2 00:16
- The River 02 Giorgio 01:19
- The River 03 Bellair 00:30
- The River 04 Analopiano 00:37
- The River 06 Percorgan 00:42
- The River 07 Unisson 00:42
- The River 08 Openbass 00:30
- The River 09 Oberbrass 00:35
- The River 10 Brass2 00:27
- The River 11 Sweep 00:32
- The River 12 Solosync 00:34
- The River 13 Strings1 00:43
- The River 14 Strings2 00:40
- The River 15 Softsync 00:27
- The River 16 Memory 00:31
- The River 17 Polysynth 00:34
- The River 18 Padifier 00:41
- The River 19 Blipbass 00:22
- The River 20 Chorale 00:42
- The River LP Multi 3 00:30
- The River LP Multi 4 00:14
- The River LP Multi 6 00:18
- The River LP Single 1 00:22
- The River LP Single 2 00:40
- The River LP Single 3 00:10
- The River LP Single 4 00:30
- The River LP Single 5 00:33
- The River LP Single 6 00:18
- The River LP Single 7 00:50
- The River LP Single 8 00:24
- The River LP Single 9 00:17
- The River LP Single 10 00:21
- The River LP Single 11 00:39
- The River LP Single 12 00:22
- The River LP Single 13 00:28
- The River LP Single 14 00:17
- The River LP Single 15 00:24
- The River LP Single 16 00:34
- The River LP Single 17 00:28
- The River LP Single 18 00:44
- The River LP Single 19 00:46
- The River LP Single 20 00:38
- The River SG Single 1 00:14
- The River SG Single 2 00:18
- The River SG Single 3 00:12
- The River SG Single 4 00:11
- The River SG Single 5 00:14
- The River SG Single 6 00:17
- The River SG Single 7 00:20
- The River SG Single 8 00:18
- The River SG Single 9 00:23
- The River SG Single 10 00:25
- The River SG Single 11 00:22
- The River SG Single 12 00:24
- The River SG Single 13 00:14
- The River SG Single 14 00:13
- The River SG Single 15 00:17
- The River SG Single 16 00:50
- The River SG Single 17 00:32
- The River SG Single 18 00:54
- The River SG Single 19 00:30
- The River SG Single 20 00:23
- The River SG Single 21 00:27
- The River SG Single 22 00:22
- The River SG Single 23 00:17
- The River SG Single 24 00:42
- The River SG Single 25 00:18
Après une période de chauffe de 15 minutes, The River est totalement stabilisé. La machine fonctionne à environ 33–37°, sur le principe du four, qui la rend très peu sensible aux variations de température externe une fois cette fourchette atteinte. Les plus pressés peuvent lancer un Autotune plus tôt, la machine fera l’interpolation pour compenser la montée en température.
La grosse claque ne se fait pas attendre : on note immédiatement la puissance des niveaux audio pour un polyphonique analogique. Mais ce qui frappe, c’est le côté organique et vintage du son ; vivant, chaud, musical, avec un accordage qui laisse une certaine liberté aux oscillateurs. Sur certains synthés analogiques récents, on doit empiler deux ou trois voix pour espérer un peu d’épaisseur ; sur The River, on en a déjà avec un seul VCO ! Ce qui impressionne également, c’est la grande polyvalence : capable de beaux ensembles polyphoniques (cordes, cuivres, nappes), il est aussi à l’aise dans les pianos électriques, les orgues, les basses rondes ou grasses, les leads (ah, ce lead flûté à la sauce Minimoog), les percussions, les tables d’onde et même les effets spéciaux, grâce à des possibilités de modulation bien pensées sur lesquelles nous reviendrons. Une diversité d’autant plus surprenante qu’il n’y a que trois formes d’ondes dans les VCO et un seul type de VCF.
Les attaques d’enveloppe sont franches quand on le souhaite, avec ce clic caractéristique. Certes, on n’est pas au niveau de claquement d’un Pro One ou d’un Minimoog, il faut bien en laisser un peu aux mono… Tout ce beau monde est embelli par le triple chorus analogique intégré et sa réverbe/écho numérique.
Le clavier, très expressif, permet de contrôler certains paramètres en vélocité initiale et au relâchement, tels que les segments AR des enveloppes ; la pression est également mise à l’honneur pour créer des modulations supplémentaires (cycles ou enveloppes AR du DLFO) ; d’ailleurs, une astuce permet de n’envoyer l’aftertouch qu’aux nouvelles notes jouées sans affecter les notes maintenues, très utile pour faire un solo expressif au-dessus d’une nappe. Abusons enfin de la multitimbralité, des quatre couches Split / Layer, avec leurs arpèges ou séquences indépendants, sans oublier le pilotage de machines externes, qu’elles soient purement analogiques, MIDI ou USB. Bref, entre le son et les commandes directes, nous sommes en présence d’un véritable instrument de musique.
Confluents & affluents
The River a une organisation un peu atypique par rapport à ses congénères. C’est un synthé polyphonique et multitimbral huit voix. Il y a donc huit canaux sonores auxquels on assigne une à huit voix comprenant chacune un programme Single (par exemple, une basse à une voix sur le canal 1, une nappe à cinq voix sur le canal 2 et un Lead à deux voix sur le canal 3). Les huit voix passent ensuite dans un effet de type The Triko, où elles sont routées directement vers des sorties individuelles ou traitées par les effets puis envoyées à la sortie stéréo principale. Tout cela constitue un Multi, qui est le mode de fonctionnement de la machine.
En édition, c’est le canal sélectionné qui répond aux commandes en façade ; on peut ainsi basculer immédiatement sur n’importe quel canal. Des raccourcis (Shift) permettent d’éditer certaines fonctions pour toutes les voix du canal correspondant sélectionné (transposition, niveau d’entrée et panoramique dans la section de mixage avant les effets), bien vu !
Après les huit voix assignables aux huit canaux, passons aux couches (Layer). Il s’agit d’un routeur sophistiqué, baptisé The RiverKey, développé à l’origine indépendamment de The River, tout comme l’effet The Triko. Nous détaillerons les fonctions plus tard, mais le principe est grosso modo d’arranger quatre couches indépendantes qui ont leur source (clavier interne, MIDI IN, USB IN), leur zone d’activation (tessiture), leur séquenceur / arpégiateur et leur destination (module sonore interne, MIDI OUT, USB OUT, CV/Gate OUT).
Dans un Multi, on peut par exemple assigner les deux premières couches aux deux premiers canaux internes, tout en pilotant un synthé analogique externe en CV/Gate avec la 3e couche et un synthé MIDI avec la 4e couche. Pour faciliter la vie, la fonction Mode permet de choisir si on entend uniquement le canal sélectionné sur tout le clavier (mode Select), les huit canaux en même temps sur tout le clavier (mode All) ou la configuration The RiverKey avec ses Split/Layer ainsi constitués répartis sur le clavier (mode MIDI). La mémoire interne renferme 160 programmes Single (comprenant les réglages d’effets), 40 programmes d’effets indépendants, 40 programmes Multi et 10 configurations de couches RiverKey. Les Multi mémorisent tous les paramètres de programmes (indépendamment des 160 mémoires Single), les réglages d’effets (imposés par le dernier programme Single chargé) et la configuration RiverKey active (les couches sonores internes/externes avec leur zonage, les arpèges et les séquences). Chose inédite sur les synthés matériels, The River est équipé d’une fonction Auto Save qui mémorise les réglages en cours de l’ensemble des paramètres, en tâche de fond et à intervalles réguliers. Super pratique !
The Source
Au commencement était la voix et The River en comporte huit, inspirées du Moog The Source. L’idée de départ est de conserver le son de l’ancêtre tout en améliorant ses caractéristiques. C’est déjà mission accomplie au plan ergonomique grâce aux commandes directes, alors que The Source était équipé d’une (fragile) membrane avec sélection du paramètre et changement de valeur à l’encodeur optique. C’est également le cas au plan des fonctionnalités, puisque The River ajoute des possibilités de modulations audio et basses fréquences inédites sur l’ancêtre.
Mais remontons à la source du signal, l’origine (la véritable traduction de l’anglais pour The Source) : on commence par deux VCO capables chacun de produire alternativement une onde dent de scie, triangle et impulsion à largeur variable. La largeur d’impulsion peut être réglée manuellement et être modulée par le LFO ; s’y ajoute l’enveloppe de filtre pour le VCO2. Les VCO ont un métrage de 32, 16, 8 ou 4 pieds. Le VCO2 peut être désaccordé du premier par demi-ton sur une octave, ou plus finement par 200e de demi-ton (comme sur The Source). On peut même le déconnecter du suivi de clavier, utile pour la synchro. Il manque toutefois une fonction d’altération de tempérament du clavier pour jouer dans des gammes exotiques.
Le pitch de chaque VCO peut être modulé par le LFO analogique et le LFO numérique (nous y reviendrons). Les VCO peuvent être synchronisés : Hard Sync lorsque les fréquences sont proches et d’interaction double quand elles sont éloignées, générant des décrochages chaotiques ; le VCO2 peut moduler la fréquence de coupure du filtre. Les deux VCO et le générateur de bruit analogique (couleur crème, c’est-à-dire blanc un peu filtré) passent dans une section de mixage avant de rejoindre le VCF. Leurs volumes pré-filtrage peuvent être modulés par le DLFO, bien vu !
Le VCF est la classique échelle en transistors de Moog à quatre pôles ; elle tient son nom du dessin de ses circuits, où quatre ensembles de transistors sont appairés, dessinant ainsi des barreaux d’échelle. Il s’agit d’un filtre résonant capable d’auto-osciller lorsque la résonance atteint 70 à 80% de sa course. Saluons ici la reproduction très précise du filtre de The Source. D’abord, la fréquence de coupure se règle sur 400 valeurs, comme à l’origine, ce qui évite tout effet de pas ; ensuite, le filtre possède cette particularité d’osciller avec une pure sinusoïdale très douce, pas du tout criarde ou agressive, très différente du filtre du Minimoog ou des synthés analogiques contemporains. C’est intéressant de constater à quel point ce filtre se prête parfaitement au jeu polyphonique (en plus du jeu mono). Il est d’une très belle musicalité et est capable de saturer légèrement quand on pousse les niveaux d’entrée de la section de mixage (mais moins que le filtre du Minimoog avec sa possibilité de réinjecter le signal sortant en entrée).
Revenons à notre Cutoff, modulable par le DLFO, le LFO analogique, le suivi de clavier continu et une enveloppe ADSR analogique avec inverseur. La résonance est modulable par le DLFO, excellent ! En sortie, le signal passe par un VCA, qui possède sa propre enveloppe ADSR analogique (plus de détails juste après). Les voix sont alors envoyées dans l’entrée pré-mixage du processeur d’effet, où elles sont routées sèches vers les sorties individuelles, ou mélangées avant d’entrer dans les étages de chorus (plus de détail juste après l’après). Il est possible de passer en mode unisson, avec Detune des voix (potentiomètre d’écartement par rapport au pitch) et placement stéréo individuel. Il existe aussi un mode gérant la priorité de note (dernière note jouée ou suivant l’intervalle, ce qui permet sur un même son de conserver un accord à une extrémité du clavier et jouer une basse ou un lead à l’autre bout, sans vol inattendu de voix).
Torrents bouillonnants
Chaque voix de The River offre des possibilités de modulation plus avancées que The Source, qui pêchait pas mal sur ce plan. La molette de modulation peut agir sur l’action des LFO et DLFO. Le premier est purement analogique et disponible pour chaque voix. La phase de son cycle est toujours libre, ce qui permet des effets de déphasage intéressants en polyphonie, contrairement à la plupart des synthés analogiques qui ont un LFO global pour toutes les voix. Il offre les ondes triangle et carré, un paramètre de délai et une fréquence qui peut atteindre l’audio. Pour chaque voix, il peut affecter le pitch et la PWM de chaque VCO, puis la fréquence de coupure du filtre.
Passons maintenant aux deux enveloppes ADSR purement analogiques, ce qui est rare sur un synthé contemporain, surtout multitimbral ; la première est assignée au filtre et peut aussi moduler le pitch, la largeur d’impulsion du VCO2, utile pour faire varier le contenu harmonique de l’onde en temps réel. La seconde est assignée au VCA. Les temps peuvent être très courts (clic sur les attaques) et monter jusqu’à 15 secondes. Les segments A et R sont respectivement modulables par la vélocité initiale et de relâchement, ce qui rend la machine très expressive. Le niveau d’action des enveloppes est également modulable par la vélocité et l’éventuelle pédale continue raccordée à l’entrée CV. Chaque voix dispose également de son propre Glide, à temps réglable.
Là où The River enfonce le clou, c’est dans son petit séquenceur de mouvement (Motion Seq), lequel permet d’enregistrer la position de certains paramètres, sur 1 à 16 pas. Pour cela, on se met en mode Record, on maintient une touche du clavier, on fait ses réglages et quand on est satisfait, on relâche la touche ; on recommence l’opération à concurrence des 16 pas et dès qu’on a fini, on appuie sur Play. Les paramètres modifiables (uniquement par offset dans l’OS testé) sont le métrage des VCO (rigolo pour créer des pseudo-arpèges), l’intervalle du VCO2, le niveau de chaque VCO, le niveau du bruit, la coupure du filtre et la résonance du filtre : de quoi créer des tables d’ondes basiques ou des effets plus délirants… la vitesse du séquenceur se règle avec la fréquence du DLFO. Point à régler dans un futur OS, empêcher que le mouvement des deux potentiomètres de désaccordage du VCO2 ne fasse varier le tempo. Il manque aussi des fonctions de lissage entre les pas, mais cela n’est pas prévu.
Venons-en enfin au DLFO. Il s’agit d’un générateur numérique de cycles et d’enveloppes, qui cette fois fonctionne non plus par voix, mais par canal. L’intérêt est d’avoir des effets communs à toutes les voix d’un même canal, comme sur les synthés analogiques polyphoniques vintage équipés d’un seul LFO. On commence par choisir la forme d’onde / de profil : modulation, sinus, triangle, carré, rampe, dent de scie, S&H, aléatoire, écho à bande, AR Up, AR Down. La valeur « modulation » crée un niveau de modulation fonction de la position de la molette ; c’est donc une sorte d’enveloppe manuelle ; AR Up et Down sont des enveloppes dont on peut régler les temps d’attaque et de déclin, ainsi que la symétrie. Le cycle du DLFO peut être libre, ou redéclenché à chaque enfoncement de touche ; en revanche, on ne peut le synchroniser au tempo, ce qui est dommage pour un LFO numérique. Une fonction Loop permet de redéclencher les enveloppes à chaque cycle du DLFO ; enfin, un dernier choix combine redéclenchement de cycle et d’enveloppe. La vitesse maximale du DLFO reste dans le Sub-audio, autour de 16 Hz. Une petite matrice permet de doser séparément l’action de quatre contrôleurs vers l’amplitude ou la vitesse du DFLO, suivant un réglage de balance entre ces deux destinations internes. Le DLFO peut moduler séparément le pitch de chaque VCO, le niveau de chaque VCO, le niveau du bruit et la résonance du filtre. Un module très original et parfait complément au LFO analogique !
Les rivières pourpres
The River intègre une carte électronique The Triko, composée d’un triple chorus analogique et d’une unité de réverbération/délai numérique. Par rapport au module The Triko, la carte a été revue et compactée, par l’ajout de CMS pour les parties n’entrant pas dans le son. Ont été conservés en traversants les composants vitaux qui n’ont pas d’équivalents de qualité identique en CMS, telles que les capacités plastiques ou céramiques. Nous allons condenser ici en grande partie le test de The Triko. Les trois chorus sont placés en parallèle et disposent des mêmes paramètres, à quelques exceptions-près. Ils reçoivent le mixage mono de toutes les voix et de l’entrée audio stéréo (les signaux non traités étant mixés en niveaux et panoramiques vers le bus stéréo « Dry »). Pour chacun des trois chorus, on peut régler la forme d’onde (aucune, sinus, triangle, carré, S&H, aléatoire, Tape ou Chorus 2), le retard (2 à 25 ms), la profondeur de modulation, le niveau de sortie (atténuation) et le panoramique. L’onde « Tape » correspond à la modélisation d’un écho à bande. La position « Chorus 2 » permet de synchroniser la vitesse des chorus 1 et/ou 3 à celle du chorus 2 ; le paramètre « Rate » du (ou des) chorus synchronisé(s) devient alors un réglage de déphasage (en degrés). En réglant les phases respectives des chorus 1 et 3 sur 120 et 240° et en choisissant le sinus comme onde du chorus 2, on se rapproche de tri-chorus de fameuses string machines. Sans oublier d’écarter les positions stéréo des chorus extrêmes pour encore plus d’ampleur. Décidément bien spécifié, le chorus 2 dispose d’un circuit de feedback additionnel, permettant de le transformer en flanger. Excellent ! Un LFO global ajoute un signal sinusoïdal aux modulations des chorus, avec profondeur et vitesse programmables. On peut aussi créer une modulation dynamique avec un contrôleur physique au choix (molette de modulation, vélocité, pression, CC MIDI 4–7–11) ou l’enveloppe du signal d’entrée, à assigner à une destination d’effet, avec quantité de modulation paramétrable (uniquement positive). La liste des destinations englobe la profondeur de modulation des chorus, leur vitesse de modulation, les profondeurs et vitesses, le niveau FX global, le niveau Dry global et les 7 paramètres d’effets de la carte numérique FX.
Les sorties stéréo des chorus sont alors mélangées vers le bus de sortie stéréo ou injectées dans l’effet numérique final « FX ». Il s’agit d’un DSP capable de produire 8 algorithmes : écho à bande, délai pingpong, écho clean, réverbe Gate, réverbe Plate, réverbe Small Hall, réverbe Hall et réverbe « Baloran ». On peut atténuer les hautes fréquences grâce à un filtre passe-bas, régler le temps de délai/réverbération, le nombre de répétitions, la forme d’onde de modulation, la vitesse de modulation, la profondeur de modulation et un paramètre spécifique à l’effet : niveau de la seconde tête de lecture pour les échos et pré-délai pour les réverbérations. Le nombre de répétitions permet d’aller jusqu’à l’auto-oscillation et même de la dépasser, un effet bien connu des chambres d’écho à bande ; il agit même sur les algorithmes de réverbe. La modulation dispose des mêmes formes d’onde que les chorus ; les modulations rapides ne sont pas audibles lorsque l’algorithme est une réverbe. Sur un délai, on obtient des effets de pleurage très réalistes. La qualité est de mise, avec goût, variété et musicalité. On ne note pas de bouclage intempestif (sauf quand c’est intentionnel) ou d’agressivité. Même sans filtre passe-bas, la coloration reste belle, pas du tout métallique. Baloran a vraiment bien bossé sur cette partie numérique (autant que sur les parties analogiques), sans tomber dans la démonstration tape à l’œil ou la complexité. Chaque effet chorus et FX dispose de son signal de sortie, avec niveaux et panoramiques indépendants. L’intégration à The River est on ne peut plus réussie, d’autant que les réglages d’effet se mémorisent avec le programme Single ou dans une petite banque séparée. En mode Multi, c’est l’effet du dernier programme chargé qui est retenu, toutes les voix y étant envoyées. Ce qui aurait été idéal, c’est de pouvoir isoler des voix des entrées des effets, tout en les routant vers le signal Dry. Si on veut utiliser certaines voix non traitées, il faudra utiliser les sorties individuelles, justement faites pour cela.
En cascade
Nous voici arrivés à la partie la plus ardue de The River : The RiverKey. Il s’agit, ni plus ni moins, d’un puissant système permettant de gérer quatre couches indépendantes, avec leurs entrées (sources) et leurs sorties (destinations). Pour chaque couche on définit la zone clavier, l’arpégiateur, le séquenceur ; s’y ajoute un CV LFO global… Une partie des commandes est directement programmable à partir de The River et d’une combinaison de touches du clavier. Le paramétrage intégral se fait avec un logiciel dédié (uniquement Windows 7/10 pour le moment), puis les profils ainsi créés sont envoyés à la machine via USB (10 mémoires, ce qui est suffisant pour gérer ses configurations studio ou live). En interne, le profil en cours d’édition est stocké avec le Multi, ce qui permet de retrouver rapidement la configuration intégrale de The River en chargeant un Multi.
Voyons dès à présent les paramètres éditables depuis The River. Commençons par les paramètres accessibles par couche : activation, tessiture (note basse/ note haute), octave, transposition, canal (interne/MIDI/USB), envoi d’horloge et changement de programme MIDI. S’y ajoutent un arpégiateur et un séquenceur. Sur l’arpégiateur, on peut régler le tempo (avec touche Tap), la division temporelle, le motif (11 types mono et polyphoniques), l’octave d’évolution (1 à 5), l’ordre de jeu (haut, bas, aléatoire), le mode Latch et le temps de Gate. Un mode spécial permet de transposer l’arpégiateur en temps réel en ne jouant qu’une note (qui ne sera pas arpégée).
Sur le séquenceur, on peut régler le tempo, la division temporelle, l’ordre de jeu et le temps de Gate ; doté de 48 pas, il se programme en mode pas à pas ou en temps réel. On peut enregistrer d’une à quatre notes par pas, ainsi que des silences (mais pas de liaisons ou Autobend, dommage…) ; en temps réel, la quantification se fait automatiquement suivant le temps de Gate. Une fois la séquence mémorisée, on ne peut plus l’éditer ; il faudrait que Baloran trouve une solution pour naviguer dans les pas et les éditer (a minima hauteur / silence / suppression / insertion). La séquence est transposable en temps réel au clavier ou via la source externe. Tout cela est sauvegardé avec le profil en cours, lui-même mémorisé dans le Multi.
Passons maintenant aux principaux paramètres globaux du profil : courbe de vélocité, courbe de pression, Play/Stop (si des arpèges ou séquences sont actives), tempo (avec touche Tap), Swing et CV LFO. Ce dernier permet d’envoyer un LFO aux sorties CV pour attaquer un module analogique externe ; on peut choisir l’activation, le tempo, la forme d’onde, le niveau de modulation, le décalage vertical de l’onde et le mode de synchronisation de phase (libre ou redéclenché à chaque note).
Les autres paramètres sont uniquement éditables via le logiciel. Voyons-en les principaux, car la liste est longue. On commence par définir la source qui pilote la couche sonore : clavier interne, entrée MIDI ou USB. Puis vient la destination : canaux sonores internes, sortie MIDI, USB ou CV/Gate. Vu qu’on a huit canaux multitimbraux pour quatre couches, nous avons suggéré à Baloran d’inverser l’assignation des destinations internes : choisir dans le canal par quelle couche il doit être piloté, ce qui permettrait d’empiler plusieurs canaux dans une même couche en ne consommant qu’une couche. Ce n’est pas trivial, mais c’est à l’étude… Dans l’éditeur, on définit ensuite le nombre de voix assignées, les filtres MIDI (contrôleurs physiques, CC) et dans le cas des destinations CV/Gate, le mode d’envoi aux jacks de sortie (mono, polyphonique (autant de CV que de Gate) ou paraphonique (plusieurs CV pour une seule Gate), la norme du CV (V/octave ou Hz/V), la polarité du Gate…) L’éditeur affiche en temps réel l’assignation automatique des couches et sources de modulation aux CV/Gate disponibles, pour les quatre couches en même temps, chose qui serait compliquée à faire sur les tout petits écrans de The River. On peut bien sûr modifier les assignations proposées. Enfin, l’éditeur permet de gérer les profils de quatre couches : nom, organisation au sein de configurations (1 à 10 profils), communication avec la mémoire interne de The River. Bref, c’est très puissant !
Les petits ruisseaux…
On manque de superlatifs pour saluer The River. L’engagement de son concepteur est à la hauteur de sa réalisation : un son vintage comme on l’aime, une puissance de feu indéniable, des fonctionnalités très originales, une conception invitant irrésistiblement au jeu et une qualité de réalisation haut de gamme. Sans oublier la modestie et la gentillesse du personnage pour qui le développement n’a pas toujours dû être un long fleuve tranquille. Les quelques reproches adressables à The River ne sont pas rédhibitoires et bon nombre relèvent du domaine logiciel ; on aurait aussi aimé un second filtre mais la polyvalence est toutefois surprenante ; de même, certains regretteront l’absence de routage des entrées audio vers le filtre, ce qui n’est pas évident à gérer en multitimbralité. En souhaitant bonne route à son premier gros bébé avec émotion, Baloran nous a confié avoir voulu concevoir un véritable instrument de musique électronique. Bien plus qu’un instrument de musique, The River est un instrument de plaisir auquel nous décernons un Award Valeur Sûre !
À l’eau Lolo !
Interview de Laurent Lecatelier, fondateur de la SAS Baloran et concepteur de The River
Lors du test de The Triko, Laurent nous avait dit que son rêve était d’avancer sur son projet The River, voire le terminer. C’est maintenant chose faite ; alors faisons le point…
Quand as-tu commencé à réfléchir à The River ?
Les premières réflexions et communications ont commencé en mars 2014. L’achat d’un Moog Source quelques mois auparavant, un énorme coup de foudre pour ce son et l’indispensable maintenance qui accompagne cet instrument m’ont collé le nez dans le manuel de service et m’ont donné l’idée de le rendre polyphonique.
Quelles ont été les grandes étapes du projet ?
D’abord la construction de trois cartes voix et d’un panneau sur des plaques de prototypage, ce qui m’a permis de valider le projet et de publier les premières vidéos et sons sur SoundCloud. Cette phase a été très rapide, à peine trois mois. Un an plus tard, les principales parties étaient validées. Puis ça a été la période The Triko / The Riverkey ; la commercialisation de The Triko a mis en standby The River mais m’a permis de créer la structure Baloran SAS et de financer (un peu) la suite des travaux. Les deux années suivantes ont permis la finalisation du panneau et du premier boitier blanc et rouge, puis la modernisation complète des cartes voix (passage en CMS à l’exception des composants nobles, abandon des CA3080, nouveaux routages… et les mêmes transformations pour The Riverkey et The Triko). L’invitation au SynthFest 2017 m’a plongé dans une période folle dès fin 2016 : nouveau boitier, nouvelle sérigraphie, finalisation de l’architecture, validation des prototypes. Dans la foulée, la commercialisation du premier batch m’a plongé dans une période de folie depuis mi 2017, qui n’a toujours pas ralenti.
Quels synthés t’ont le plus influencé ?
Je ne peux pas dire qu’un synthé m’ait influencé en dehors du Moog Source. Les machines que j’ai gardées le plus longtemps sont le JD800 et l’Ensoniq ESQ 1. C’est plutôt mon incapacité à sortir du rock progressif, psychédélique et électronique des ancêtres qui m’a motivé à rechercher ces sons.
Quelles ont été les principales difficultés à surmonter ?
L’optimisation du pilotage numérique des cartes voix a été un vrai challenge, tout comme la capacité de faire chanter juste huit voix 100% analogiques… La construction du Chalet et sa lasure ont aussi été un grand moment… [NDLR : il s’agit du local d’assemblage au fond du jardin, cf. photo]
Quelles sont tes grandes satisfactions sur ce projet ?
Le son ! Je reste encore des heures à jouer avec The River ! J’ai aussi été très touché par l’accueil du projet dans les communautés francophones, la bienveillance dont j’ai pu bénéficier et bien sûr, les trois jours du SynthFest 2017 durant lesquels je n’ai pas touché terre. Aujourd’hui, même si l’épreuve n’est pas terminée, c’est aussi une réelle fierté de voir les petits pains se multiplier dans le Chalet et d’observer la réaction des visiteurs face à l’instrument ;)
Quels conseils donnerais-tu à ceux qui veulent se lancer dans la construction de machines ?
Difficile de donner des conseils. Il faut juste être prêt économiquement et familialement à affronter cette merveilleuse galère.
On te met souvent en boite pour ton accent anglais… un message à tes fans ?
Il y a déjà 30 ans on se moquait de mon accent, quand je pestais sur le « Note énougue mémori… »
After The River ?
Des vacances avant le lot n°2 ! Puis j’espère rendre prospère l’entreprise Baloran SAS en 2018 afin qu’elle puisse devenir mon activité à temps plein ;) J’ai déjà quelques idées de projets avec toujours cette convergence entre l’analogique et le pilotage numérique…
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