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Interview / Podcast
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Interview d’Arnaud Bascuñana & Ludovic Egraz - Unis pour la guitare

Lundi soir. Rendez-vous m’est donné devant le Studio180 à Paris. Arnaud ouvre la grande porte vitrée et nous descendons ensemble. Une SSL 4000E est là pour nous accueillir, Ludovic nous rejoint en régie et on commence à discuter guitares, matos et bien sûr, le projet United Guitars qui a réuni les deux hommes.

Interview d’Arnaud Bascuñana & Ludovic Egraz : Unis pour la guitare

JB – Arnaud, peux-tu détailler le proces­sus d’en­re­gis­tre­ment des guitares du projet United Guitars et surtout les diffé­rentes tech­niques utili­sées ?

Arnaud – Bien sûr ! La contrainte que je me suis fixée au départ était très simple. Je souhai­tais que chaque guita­riste enre­gistre sur son maté­riel, avec ses habi­tudes. J’ai souhaité travailler de cette façon pour ne pas désta­bi­li­ser les guita­ristes en leur ajou­tant une contrainte maté­rielle mais égale­ment pour gagner du temps. On a procédé par ateliers pendant l’en­re­gis­tre­ment, toutes les enceintes étaient regrou­pées dans une seule et même cabine afin de pouvoir passer d’un ampli à l’autre très rapi­de­ment. L’en­ceinte qui accom­pagne ma tête Marshall JMP de 1980 a été beau­coup utili­sée, elle est équi­pée de hauts-parleurs Rola G-12/65, l’en­ceinte JCM Slash équi­pée des premiers Celes­tion Heri­tage 30 a égale­ment été beau­coup jouée sur l’al­bum. La marque française KelT était parti­cu­liè­re­ment bien repré­sen­tée égale­ment avec de nombreuses enceintes 2×12 dans la cabine. 

Studio180-6Ludo – Oui effec­ti­ve­ment, Axel Bauer s’est déplacé avec son ampli KelT signa­ture et l’en­ceinte 2×12 qui l’ac­com­pagne. Il s’agit d’une réplique d’une enceinte Port City qu’Axel affec­tionne tout parti­cu­liè­re­ment.

Arnaud – Julien Bitoun est égale­ment venu avec son ampli signa­ture KelT, le Blue Waffle, et son enceinte 2×12. Quelle que soit la confi­gu­ra­tion de l’en­ceinte, je choi­sis d’en­re­gis­trer seule­ment un haut-parleur. On a suffi­sam­ment de problèmes de phase en utili­sant deux micros, pas la peine d’en rajou­ter en repiquant plusieurs haut-parleurs. S’ils sont diffé­rents comme c’est le cas dans le 2×12 d’Axel Bauer, je repique bien sûr les deux haut-parleurs. En termes de place­ment et de choix de micros, je choi­sis unique­ment la proxi­mité avec le fameux couple Shure SM57 et Senn­hei­ser MD-421, ces deux micros étant très complé­men­taires. Quand le 421 s’écrase dans les médiums, le SM57 a au contraire une légère bosse dans les médiums. Pour United Guitars je n’ai utilisé que les préam­plis de la SSL afin de garan­tir une unité sonore et une cohé­rence. Nous avons égale­ment utilisé l’Axe Fx-III mais de manière très old-school.

Ludo – Effec­ti­ve­ment, nous ne sommes jamais rentrés dans l’Axe EDIT.

Arnaud – Je l’ai câblé en analo­gique dans la mesure où mon système entier est synchro­nisé sur une horloge numé­rique et l’Axe Fx utilise sa propre horloge. Je voulais éviter de mélan­ger plusieurs horloges. Même chose avec le Kemper d’ailleurs.

Ludo – Oui et c’est très impor­tant de le souli­gner ; nous avions quelques guita­ristes dans l’équipe, comme Pierre Danel et Quen­tin Godet, qui ne jouent jamais avec un ampli.

Arnaud – Et cela contri­bue d’ailleurs gran­de­ment à leur son et leur façon de jouer ! Bien que vu leur niveau, ils pour­raient faire sonner n’im­porte quoi [rires].

Ludo – Pour Youri De Groote, c’était diffé­rent. Il joue sur une tête Brunetti qui est son ampli préféré et qu’il trans­porte rare­ment de peur de l’abi­mer. Il a donc effec­tué un profil très précis de l’am­pli à l’aide du Kemper qui sonne vrai­ment comme l’am­pli origi­nal. À l’écoute, impos­sible de savoir qu’il s’agit d’un Kemper. J’étais telle­ment impres­sionné par le Kemper que je l’ai moi-même utilisé pour la ryth­mique de mon morceau, un preset « Metal » d’ori­gine sur le Kemper.

Arnaud – Oui, en plus on a enre­gis­tré tes ryth­miques à un horaire très tardif, plus que d’ha­bi­tude on va dire [rires]. On a câblé un ampli et avions un souci avec une pédale qui provoquait un gros buzz. Youri a alors proposé son Kemper qui était déjà câblé et le son corres­pon­dait à ce qu’on cher­chait. Peu importe la tech­nique que l’on utilise, il faut que ça fonc­tionne immé­dia­te­ment, surtout sur un gros projet comme United Guitars. Il faut privi­lé­gier la perfor­mance du guita­riste et ne pas passer trop de temps à se perdre dans des tech­niques trop complexes de prise de son. C’est en cela que j’adore travailler avec des bécanes comme l’Axe Fx ou le Kemper qui te permettent d’avoir un bon son immé­dia­te­ment, sans forcé­ment se créer des presets et passer des heures à éditer le moindre effet.

Ludo – Oui tout à fait ; et un autre avan­tage de ces machines réside dans leur poly­va­lence. Tu es en train de faire des prises et tu as besoin d’un AC-30, le temps de le sortir, de le câbler, ton idée de base a disparu. Avec l’Axe Fx ou le Kemper, une simple pres­sion sur un bouton suffit à chan­ger de son.

Arnaud – Du coup je note, ache­ter un AC-30 pour le prochain disque [rires].

JB – Ludo, j’ima­gine qu’il s’agit d’une première expé­rience pour toi de rassem­bler autant de guita­ristes autour d’un projet commun. Comment s’est déroulé le casting ?

Studio180-29Ludo – Avec Guitare Xtreme, nous avions réalisé un premier projet colla­bo­ra­tif avec huit guita­ristes dont Jean Fontany et MattRach. Ce premier morceau colla­bo­ra­tif a donc été un premier pas. Peu après cette première expé­rience, nous avons réitéré le projet mais dans un registre Blues/Rock avec Fred Chape­lier, Axel Bauer, Fabrice Dutour et d’autres. C’était dans un contexte un peu roots, on était filmés ; Axel voulait même refaire une vidéo colla­bo­ra­tive dans les studios Ferber où il a enre­gis­tré son dernier album live. C’est ma compagne, Olivia de Misti­roux produc­tions, qui m’a aiguillé sur le projet du disque. Elle a élaboré un plan et m’a demandé de faire le casting et de monter le projet. Le casting n’était pas parti­cu­liè­re­ment diffi­cile ; je voulais des guita­ristes de noto­riété diffé­rente, d’âges diffé­rents et de tendances diffé­rentes afin d’avoir un panel très large. Je ne voulais pas simple­ment rassem­bler des tueurs de la guitare et les faire jouer sur des backing tracks pas sexy. On a alors décidé de créer des morceaux origi­naux et c’est devenu la partie la plus diffi­cile. On a commencé le projet juste avant les grandes vacances, donc au moment où tout le monde a autre chose à faire [rires]. J’ai donc contacté tous ces guita­ristes en leur deman­dant de pondre un morceau de folie pour dans un mois. Le casting à propre­ment parler s’est fait natu­rel­le­ment. Grâce aux deux précé­dents projets colla­bo­ra­tifs dont je t’ai parlé, Axel et Fabrice étaient déjà très enthou­siastes, Fred Chapel­lier égale­ment. À travers Guitare Xtreme, j’ai été amené à rencon­trer Jean Fontany, Yoann Kempst qui étaient égale­ment très embal­lés par le projet. J’ai pu discu­ter avec Neogeo­Fa­na­tic au Guitar­Fest et nous avons tout de suite bien accro­ché.

JB – Arnaud, de nombreux styles s’en­tre­croisent tout au long du disque, peux-tu nous expliquer ta façon de procé­der à l’en­re­gis­tre­ment et au mixage ?

Arnaud – J’ai bien sûr regroupé les morceaux qui appar­te­naient au même style musi­cal mais une des grandes réus­sites de ce projet est que chaque musi­cien a apporté sa couleur et son propre style. La batte­rie par exemple a été trai­tée diffé­rem­ment selon les styles bien sûr mais la perfor­mance du batteur et sa façon de frap­per sera forcé­ment diffé­rente du blues au métal. Bien que la batte­rie et les tech­niques d’en­re­gis­tre­ment soient iden­tiques, les sons seront forcé­ment diffé­rents d’un morceau à l’autre. Et c’est encore plus vrai pour la guitare où le son utilisé t’em­mène direc­te­ment vers un style parti­cu­lier. Quelques prises de guitare ont été effec­tuées en amont dans la mesure où plusieurs guita­ristes disposent de home studios de qualité. 

Ludo – Neogeo a fait un peu les deux d’ailleurs. Sur le disque figurent quelques éléments ryth­miques qu’il avait réali­sés chez lui sur son Axe Fx, mais certaines de ses parties ont été enre­gis­trées ici avec des amplis.

Studio180-22Arnaud – Je suis égale­ment parti­san de me rappro­cher le plus possible à la prise, du son défi­ni­tif. Je traite énor­mé­ment à la prise. Trai­ter une guitare à la prise passe aussi par le réglage de l’am­pli, étape sur laquelle il faut obli­ga­toi­re­ment passer un peu de temps. Il vaut mieux prendre le temps de bien régler le niveau de gain, la présence et l’éga­li­sa­tion de l’am­pli plutôt que trai­ter avec des égali­sa­tions lourdes au mixage et risquer de causer des problèmes de phase. Quand on touche à l’éga­li­sa­tion, on change forcé­ment la phase de la bande de fréquences concer­née. En réalité, plus tu types la prise, plus vite le mix se construit. C’est de cette manière que j’ai travaillé pour United Guitars. Plus tu places le musi­cien dans une bonne situa­tion d’écoute, meilleure sera son inter­pré­ta­tion à la prise. Je fais souvent une analo­gie avec la photo où tu prends bien le temps de construire ton cadre, de choi­sir ton ouver­ture, déter­mi­ner le niveau de grain. Il ne faut pas oublier qu’on marque des moments ; et plus le moment est pris vite, plus la spon­ta­néité se ressent sur l’al­bum. Tu sais, il y a telle­ment de tech­niques diffé­rentes qu’on peut vite s’y perdre et rater la bonne inter­pré­ta­tion donc j’aime typer les prises le plus possible, pour les batte­ries aussi. Je me laisse de la marge sur les réverbes et la compres­sion bien que chaque micro de la batte­rie ait un compres­seur sur sa tranche de console. La compres­sion te permet bien sûr de gagner des déci­bels, mais égale­ment de créer de la matière et de la vie. Et quand tu mets ça dans les oreilles de ton batteur, il sent diffé­rem­ment ses ghost notes, même chose pour une ryth­mique de guitare ou une cocotte. Pour les sons satu­rés, j’avoue me prendre la tête depuis 20 ans [rires]. Je n’ai pas encore trouvé de recette miracle que j’uti­lise systé­ma­tique­ment. Je compresse plutôt au mix qu’à la prise, la satu­ra­tion étant une forme de compres­sion. Au mix je place un compres­seur sur chaque tranche, pas forcé­ment pour compres­ser mais plus pour colo­rer. Je suis fan du LA-2A en plug-in et en hard­ware, pour les guitares satu­rées, j’adore le DBX 160 qui n’est pas très cher mais sonne très bien. Pour les sons clairs, le 1176 fait très bien l’af­faire ; j’ai même investi dès sa sortie dans le Cali76 en version pédale que l’on peut utili­ser dans un envi­ron­ne­ment de studio grâce à ses entrées/sorties au niveau ligne. Sur une ambiance mono de batte­rie, je l’uti­lise systé­ma­tique­ment. Ça fait vrai­ment partie des trai­te­ments dont je ne peux plus me passer, dès que je l’en­lève, il me manque quelque chose. 

JB – Tu disposes de plusieurs cabines dont une assez grande. Ya-t-il eu des prises « live » pour United Guitars ?

Arnaud – Oui, Manu Liver­tout, Julien Bitoun, « Satu­rax » et Richard Daudé. Donc 4 prises « live » avec batte­rie, basse et guitare ryth­miques défi­ni­tives. 

Ludo – Julien a même été jusqu’à enre­gis­trer son solo en live égale­ment, c’est le seul.

Studio180-26Arnaud – Person­nel­le­ment, je viens de cette école donc c’est un procédé qui ne m’ef­fraie pas du tout. Encore une fois, ça fait partie de la photo et il y a tout le monde dans le cadre [rires]. Certains diront que c’est sans filet. C’est partiel­le­ment vrai grâce aux tech­niques d’aujour­d’hui qui permettent d’iso­ler un maxi­mum d’élé­ments tout en main­te­nant cet effort collec­tif « live ». La basse par exemple était en DI donc pas d’am­pli qui pollue le son de batte­rie. J’ai utilisé une DI Heri­tage Audio qui est une copie de 1073 de Neve. Il faut égale­ment être le plus prag­ma­tique possible. On n’a pas utilisé trois stacks Marshall trois corps [rires]. On a utilisé des amplis plus petits mais qui ont l’avan­tage d’être pous­sés, ce qui fait vivre la pièce diffé­rem­ment. En jouant un énorme palm-mute sur des power chords par exemple, ça va compres­ser les overheads. Et ce phéno­mène s’am­pli­fie avec d’ex­cel­lents musi­ciens comme on avait sur United Guitars. Quand tout se compresse au même moment, on obtient ce gros son si carac­té­ris­tique. Dans 99% des cas, je suis parti­san de la prise « live ». Même pour des musi­ciens d’un niveau moindre d’ailleurs. Il vaut mieux les mettre dans un contexte de répé­ti­tion afin qu’ils soient à l’aise. Beau­coup de disques ont été réali­sés de cette manière et pas que garage ! [rires]. Il ne faut pas perdre de vue la fina­lité qui est de jouer ses morceaux sur scène. Et je ne vois pas bien pourquoi on surpro­dui­rait un album pour fina­le­ment se retrou­ver sur scène pour propo­ser un résul­tat moins produit. Il ne faut pas tomber non plus dans l’ex­cès inverse évidem­ment sinon on ne quadru­ple­rait pas les guitares dans tous les sens comme on aime tous le faire [rires]. 

Ludo – L’in­verse peut être vrai égale­ment. Regarde un groupe comme AC/DC avec l’al­bum Back in Black. Pour égaler le son de scène en studio, il y a eu de véri­tables prises de têtes et des tech­niques utili­sées beau­coup plus complexes que ce qu’on pense. 

Arnaud – Il y a toujours des procé­dés de studio qu’on ne peut jamais repro­duire sur scène. Très simple­ment, l’uti­li­sa­tion des micros par exemple. Tu ne verras pas, sauf sur des vieux enre­gis­tre­ment de Led Zep, un couple de Neumann U67 sur la batte­rie [rires]. Mais en tout cas, quand tu écoutes un album d’AC/DC, la ryth­mique est jouée ensemble. Tu entends des gens qui jouent ensemble. Pour parler d’un style plus chirur­gi­cal, je pense que la batte­rie du Black Album (Metal­lica) sonne comme elle sonne parce que tu as quatre mecs qui jouent ensemble. On peut le voir sur le docu­men­taire 1 an et demi dans la vie de Metal­lica, c’est cette éner­gie commune qui cana­lise la façon de jouer et donc le son. Même si les guitares ont été refaites par la suite.

Ludo – Je crois que ce docu­men­taire a suscité ta voca­tion [rires]

Arnaud – Oui c’est une des vidéos qui a été déci­sive pour moi, où je me suis dit « je veux faire comme ce gars aux cheveux longs blonds qui dit aux gens comment faire pour que ça sonne mieux » [rires]. Bob Rock est vrai­ment un produc­teur génial. 

JB – Ça a marché avec Mötley Crüe aussi ! [rires]

Arnaud – Mais oui, sur le Black Album, malgré une click track program­mée dans tous les sens, si tu n’as pas tes deux potes qui lâchent le même palm mute au même moment, ton break ne sera pas joué de la même façon, c’est très clair. C’est vrai­ment ce que j’es­saie de créer au moment des prises « live », bien que je n’aie pas la préten­tion de produire quelque chose du niveau du Black Album. De toute façon, jamais je ne passe­rai neuf mois à la produc­tion d’un disque.

Ludo – ah, ça dépend du budget du prochain United Guitars ! [rires]

Arnaud – C’est vrai qu’au début du projet, on nour­ris­sait l’es­poir de pouvoir tout enre­gis­trer en « live » et sur bande. Ç’au­rait été presque impos­sible, on n’au­rait pas pu décor­tiquer chaque solo sur le magnéto, on aurait sans doute trans­féré le tout sur Pro Tools à un moment ou à un autre. De plus, la person­na­lité de chaque guita­riste s’ex­prime à travers son jeu, et même si deux guita­ristes jouent le même bend en même temps, les deux ont beau être parfaits, quand tu les mets ensemble, il y aura une sorte de disso­nance dans la mesure où ils ne jouent pas de la même façon. Ça peut être déce­vant pour certains guita­ristes d’ailleurs. Travailler sur bande signi­fie pas de touche « Undo » égale­ment ; ça peut être un bon moyen de pous­ser les musi­ciens dans leurs retran­che­ments. Et c’est une tech­nique qui au fil des albums enre­gis­trés dans le monde, s’est révé­lée très effi­cace pour ce fait, pour défi­nir un cadre et une méthode de travail très exigeants. 

Studio180-20Ludo – Oui, regarde un batteur qui va jouer tout seul, c’est la même chose qu’un comé­dien qui va jouer devant un fond vert. Bien sûr avec l’ex­pé­rience, certains musi­ciens et comé­diens y arrivent très bien. 

Arnaud – Puis de nos jours, déve­lop­per un « gros » son en studio n’est pas si compliqué. En adop­tant la démarche et le parti pris de tout trig­ger, de reca­ler la moindre attaque et d’ef­fec­tuer du travail très chirur­gi­cal. 

Ludo – C’est le produc­teur de Deftones qui dit qu’il est impos­sible de nos jours, de produire un album de rock sans y incor­po­rer des samples pour gonfler la batte­rie, dosés de manière très homéo­pa­thique …

Arnaud – Je pense qu’on prend le problème à l’en­vers en enre­gis­trant des disques dans des condi­tions qui ne sont pas bonnes, dans des pièces beau­coup plus petites que celle-là. On peut voir de plus en plus de simu­la­tions de pièces dont les algo­rithmes sont calcu­lés et réali­sés dans les plus grandes cabines des plus grands studios pour avoir un son qui se rappro­chera de ce qui se fait dans ces gros studios juste­ment.

Ludo – Il y a aussi le fait que beau­coup de groupes arrivent en studio avec des pré-prod réali­sées avec d’ex­cel­lents logi­ciels de batte­rie qui sonnent vrai­ment bien et ton boulot à ce moment-là est de propo­ser quelque chose d’en­core mieux.

Arnaud – Bien sûr, mais n’est-il pas possible de déga­ger davan­tage de person­na­lité en réflé­chis­sant vrai­ment sur l’ins­tru­ment ? Par exemple en utili­sant telle ou telle caisse claire, en lui appliquant un réglage parti­cu­lier … je pense que si. Certains s’y sont risqués et se sont vautrés : Metal­lica avec St Anger par exemple, album pour lequel j’ai un profond respect. Tout est aussi une histoire de style. Led Zeppe­lin par exemple est un groupe que tu ne peux pas sur-maste­ri­ser, sur-produire. Il y a beau­coup de dyna­mique dans les morceaux et il faut la conser­ver à tout prix, c’est l’es­sence du style. J’ai­me­rais bien savoir comment sonnera le métal dans 10 ou 15 ans.

Ludo – Ramm­stein se met à travailler sur la psycho-acous­tique en jouant sur les phases ou en mixant les guitares avec du bruit rose pour leur donner plus d’am­pleur. Ils repro­duisent cet effet en live pour tapis­ser tout le mix d’une grosse nappe de guitares à chaque accord.

JB – Les quelques disques de métal que j’ai récem­ment décou­verts m’ont donné à penser qu’on tendait vers une norma­li­sa­tion du son et de la produc­tion, c’est dommage non ?

Ludo – Dans le cas de Periphery par exemple, le batteur et le guita­riste, Matt et Micha, possèdent une start-up par l’in­ter­mé­diaire de laquelle ils produisent des packs de batte­ries et guitares que d’autres groupes de Djent moins connus utilisent très souvent. Le son dans le métal tend donc à être plus linéaire, oui. Mais regarde, à l’époque de Jimmy Page, tout le monde utili­sait des amplis Marshall et des sons ambiants, et force est de consta­ter que pas mal de groupes de cette époque sonnaient de manière simi­laire.

Arnaud – Bien sûr, ce n’était pas néces­sai­re­ment mieux avant [rires]. On a toujours utilisé les tech­niques que l’on a à dispo­si­tion à l’ins­tant T. C’est pour cette raison égale­ment qu’en termes de réverbe, on est tous fans des années 80 [rires]. Mais il y a encore des amplis fabu­leux qui existent, des batteurs qui existent. Je connais­sait déjà Yann Coste, un des batteurs de United Guitars. Je l’avais déjà mixé et connais­sais son jeu. Je ne connais­sais pas Morgan Berthet en revanche qui est LE batteur moderne par excel­lence dans son approche de l’ins­tru­ment et sa tech­nique. Avec ce genre de batteur, tu peux réus­sir à te passer de trig. 

Ludo – Oui c’est vrai, quand Morgan joue, tu as l’im­pres­sion immé­diate que c’est déjà un peu produit. Yann Coste dégage une matière un peu plus brute qui mérite effec­ti­ve­ment d’être retaillée. Mais quel groove …

Arnaud – Oui, Morgan a un jeu très chirur­gi­cal, chaque ghost note est là, chaque ouver­ture de char­ley est milli­mé­trée. 

Studio180-28JB – Ludo, tu nous parlais des amplis KelT tout à l’heure ; je sais que Thierry, concep­teur des amplis KelT était présent pendant l’en­re­gis­tre­ment, peux-tu expliquer son rôle ?

Ludo – Au départ j’aime son boulot et j’aime beau­coup Thierry égale­ment. Il était présent pendant le tour­nage de la vidéo Guitare Extreme dont je t’ai parlé. Il a colla­boré avec Axel Bauer sur son ampli signa­ture (le KelT AB). J’ai suivi la construc­tion et la nais­sance de son ampli phare, le Mostro qui est entre un Plexi et un Soldano. C’était donc un petit clin d’œil de l’avoir en studio avec nous et il est venu avec deux Mostro, l’AB (signa­ture Axel Bauer) et celui de Julien Bitoun, le Blue Waffle. Il était un peu sono­ri­sa­teur en fait, c’est comme ça que je l’ap­pe­lais [rires]. Il était dans la cabine avec tous les amplis, et selon ce que souhai­tait chaque guita­riste, il bran­chait l’am­pli de son choix et notait les réglages quand le son était bon. Thierry est un mec qui fait les amplis comme on faisait avant, sans circuit imprimé avec des compo­sants surdi­men­sion­nés et de très bonne qualité. L’avoir avec nous au studio était une façon de mettre en valeur son travail. 

JB – Est-ce que le Marshall JMP et le Mesa Boogie Recti­fier ont trouvé leur place sur le disque égale­ment ?

Ludo – Oui sur mon morceau, sur les parties théma­tiques et le solo ainsi que sur le morceau de Robin. 

JB – J’ima­gine que pas mal de pédales sont égale­ment sur le disque, Ludo, peux-tu nous en citer quelques-unes ?

Ludo – Yvan avait de la Doc Music Station, de la Wampler pour sa fuzz. J’ai utilisé la pédale construite par Arnaud et une Val Martins sur le morceau de Fred Chapel­lier. Robin a utilisé des pédales Anasounds, Julien et Axel avaient amené leur pedal­board. Axel était d’ailleurs étonné que les guita­ristes ne délirent pas plus avec les effets [rires]. C’est le seul à avoir cher­ché des sons un peu parti­cu­liers, globa­le­ment les autres ne sont pas des savants fous qui tournent des boutons.

Arnaud – Julien Bitoun a un peu ce côté-là quand même quand il bidouille ses fuzz [rires].

JB – Le premier opus étant main­te­nant terminé, un deuxième CD est-il en prévi­sion ?

Ludo – On va déjà s’oc­cu­per de vendre le premier [rires] et de le faire tour­ner sur scène. J’ai égale­ment d’autres projets satel­lites qui tournent autour de United Guitars. Mais dans l’idéal oui, ça me plai­rait beau­coup d’en faire un par an. J’ai beau­coup aimé le mélange de genres et surtout le mélange de noto­rié­tés. C’est super de se dire que plusieurs guita­ristes pas très connus du grand public puissent être placés sur le devant de la scène aux côtés de musi­ciens comme Gus G. Ça les valo­rise et c’est ce que je voulais. 

JB – Arnaud, au fil de l’en­re­gis­tre­ment où tu as pu passer de l’Axe Fx au Kemper en passant par les vrais amplis, as-tu préféré une tech­nique aux deux autres ? 

Studio180-11Arnaud – Je reste parti­san du vrai ampli si j’ai le bon ampli sous la main. Tu n’as pas d’AC-30 qui sonne bien, si tu as un Kemper avec un super profil d’AC-30 ou un Axe Fx avec une bonne simu­la­tion, ça le fait. Un ampli comme le JMP que je connais parfai­te­ment n’a pas encore trouvé son équi­valent en numé­rique. J’ai eu l’oc­ca­sion d’ef­fec­tuer un compa­ra­tif entre un Fender Black­face d’époque et un profil Kemper. Il y a bien sûr un son que j’ai préféré en les écou­tant seuls. Mais je ne suis pas persuadé que dans un mix on recon­naisse l’un ou l’autre. Mais les Kemper et Axe Fx fonc­tionnent mons­trueu­se­ment bien en se basant sur des amplis qui existent déjà. Si tu as l’am­pli origi­nal bien sûr c’est mieux mais il faut que toute la chaîne soit parfaite. Sans parler de la guitare, si tu n’as pas le bon micro, le bon préam­pli, la bonne pièce, les conver­tis­seurs ou la bonne bande, le résul­tat sera meilleur avec une simu­la­tion. Avec ce genre d’ap­pa­reils, on a des sons qui sont déjà produits ce qui laisse peu de place à la bidouille. C’est aussi le gros inté­rêt de ces machines-là mais ça doit faire partie d’un tout. Il ne faut pas perdre de vue que ce sont des outils qui doivent servir quelque chose à savoir un propos artis­tique. Et il ne faut pas se voiler la face non plus, dispo­ser de vrais amplis coûte très cher en main­te­nance. 

Ludo – Yvan Guille­vic me disait juste­ment que de nouveaux produits sont déjà en concep­tion, basés sur le prin­cipe du « deep lear­ning » qui est une tech­nique d’ému­la­tion sonore qui utilise le même genre de circuits que les réseaux neuro­naux du cerveau. On arri­vera donc à des compor­te­ment de satu­ra­tion qui seront iden­tiques voire supé­rieurs à ce qu’on peut entendre à travers un ampli. Le débat n’aura donc plus lieu d’être. On utili­sera les amplis pour leurs quali­tés premières en fait, sur scène ou pour des styles où la pres­sion acous­tique a une grande impor­tance, mais pas pour la produc­tion d’un disque. Déjà aujour­d’hui, tu peux profi­ter d’un larsen avec l’Axe FX. Je pense que d’ici 5/6 ans on aura des Axe FX VIII complè­te­ment déli­rants. En revanche, on entend quand même le côté « machine ». Axel Bauer en a acheté un et il m’avait confié qu’il avait failli le renvoyer au bout d’une semaine [rires]. Effec­ti­ve­ment, tu passes d’un Vox à un Marshall à un Mesa à un Fried­man mais tu te rends compte que la base est la même. Il s’agit du même socle filtré diffé­rem­ment. 

Studio180Arnaud – Je le répète encore une fois, ces machines sont terri­ble­ment effi­caces. Et souve­nez-vous de ce qu’on pensait du POD à sa sortie [rires]. C’était trop bien ! Mais j’au­rais du mal à me passer de mon vieux JMP. Le rapport entre amplis et Kemper/Axe Fx est le même qu’entre les péri­phé­riques de mixage et les plug-ins. J’ai un EQ GML 8200 [voir photo, NdR] conçu par l’in­ven­teur de l’EQ para­mé­trique et qui m’a coûté un bras. J’ai le même en plug-in, qui fonc­tionne aussi bien, mais ce n’est évidem­ment pas la même chose. Le son est sensi­ble­ment le même mais la recherche et l’ap­proche ne sont pas les mêmes. Le rapport au plug-in est très visuel et tu sais exac­te­ment quelle fréquence tu touches contrai­re­ment à la vraie version qui laisse plus la place aux oreilles. 

Ludo – Oui c’est sûr. Mais en jouant dans la régie à travers les enceintes de moni­to­ring, c’est très diffi­cile de recon­naître un ampli ou un Kemper. 

Arnaud – Bien sûr ! Même des vieux de la vieille tournent régu­liè­re­ment sur Axe Fx. On parlait de Metal­lica tout à l’heure, ils ne tournent qu’avec des Axe Fx. Mega­deth aussi. À l’in­verse, tu as des guita­ristes comme Mark Tremonti qui refuse caté­go­rique­ment de jouer sur Axe Fx ou Kemper.

Ludo – Il y a aussi le côté psycho­lo­gique. Si on te dit que tu joues sur ton JMP, tu enten­dras ton JMP. On faisait une expé­rience inté­res­sante à l’époque, on bandait les yeux des guita­ristes qui essayaient les instru­ments. Les résul­tats étaient très éton­nants !

Arnaud – JMP ou Kemper de toute façon, il ne faut pas oublier le début de la chaîne : l’in­ten­tion de jeu. À partir du moment où tu as ça, tu peux coller presque n’im­porte quoi derrière, ça sonnera.

Ludo – Complè­te­ment ! À l’image de Meshug­gah qui a réampé toutes leurs guitares dans un plug-in gratuit (AmpRack). Toutes leurs attaques, toutes leurs phrases sont réflé­chies et calées et ils savent très préci­sé­ment ce qu’ils veulent obte­nir. 

Arnaud – C’est un outil pour construire leur son mais est-ce un outil pour défi­nir leur jeu ? 

Ludo – Leur son très parti­cu­lier condi­tionne bien évidem­ment leur style de jeu pour moi. C’est effec­ti­ve­ment une histoire de style. Tu peux utili­ser l’Axe Fx de manière complè­te­ment déca­lée aussi. Adrian Belew  (guita­riste de King Crim­son ayant joué avec Bowie) l’uti­lise comme ça ; il consi­dère qu’il y a suffi­sam­ment de maté­riel guitare pour produire des sons de guitare. Dans l’Axe Fx, en rentrant dans le module de Flan­ging par exemple, tu as accès à 150 para­mètres diffé­rents … qui a envie de passer des heures à régler un flan­ger ?

Arnaud – Oui c’est la méthode de l’Even­tide H3000 [il se lève et allume le H3000, NdR]. Tu as les para­mètres de base et les para­mètres avan­cés. C’est super mais c’est une vraie prise de tête [rires]. Plus sérieu­se­ment, les Kemper et Axe Fx sont des outils très très puis­sants et très inté­res­sants.

JB – Eh bien merci infi­ni­ment Messieurs pour ce bon moment avec vous !

Arnaud – Merci à toi JB, c’était sympa de rece­voir Audio­fan­zine au studio !

Ludo – Oui merci à toi et bonne écoute du disque !

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