Lundi soir. Rendez-vous m’est donné devant le Studio180 à Paris. Arnaud ouvre la grande porte vitrée et nous descendons ensemble. Une SSL 4000E est là pour nous accueillir, Ludovic nous rejoint en régie et on commence à discuter guitares, matos et bien sûr, le projet United Guitars qui a réuni les deux hommes.
JB – Arnaud, peux-tu détailler le processus d’enregistrement des guitares du projet United Guitars et surtout les différentes techniques utilisées ?
Arnaud – Bien sûr ! La contrainte que je me suis fixée au départ était très simple. Je souhaitais que chaque guitariste enregistre sur son matériel, avec ses habitudes. J’ai souhaité travailler de cette façon pour ne pas déstabiliser les guitaristes en leur ajoutant une contrainte matérielle mais également pour gagner du temps. On a procédé par ateliers pendant l’enregistrement, toutes les enceintes étaient regroupées dans une seule et même cabine afin de pouvoir passer d’un ampli à l’autre très rapidement. L’enceinte qui accompagne ma tête Marshall JMP de 1980 a été beaucoup utilisée, elle est équipée de hauts-parleurs Rola G-12/65, l’enceinte JCM Slash équipée des premiers Celestion Heritage 30 a également été beaucoup jouée sur l’album. La marque française KelT était particulièrement bien représentée également avec de nombreuses enceintes 2×12 dans la cabine.
Ludo – Oui effectivement, Axel Bauer s’est déplacé avec son ampli KelT signature et l’enceinte 2×12 qui l’accompagne. Il s’agit d’une réplique d’une enceinte Port City qu’Axel affectionne tout particulièrement.
Arnaud – Julien Bitoun est également venu avec son ampli signature KelT, le Blue Waffle, et son enceinte 2×12. Quelle que soit la configuration de l’enceinte, je choisis d’enregistrer seulement un haut-parleur. On a suffisamment de problèmes de phase en utilisant deux micros, pas la peine d’en rajouter en repiquant plusieurs haut-parleurs. S’ils sont différents comme c’est le cas dans le 2×12 d’Axel Bauer, je repique bien sûr les deux haut-parleurs. En termes de placement et de choix de micros, je choisis uniquement la proximité avec le fameux couple Shure SM57 et Sennheiser MD-421, ces deux micros étant très complémentaires. Quand le 421 s’écrase dans les médiums, le SM57 a au contraire une légère bosse dans les médiums. Pour United Guitars je n’ai utilisé que les préamplis de la SSL afin de garantir une unité sonore et une cohérence. Nous avons également utilisé l’Axe Fx-III mais de manière très old-school.
Ludo – Effectivement, nous ne sommes jamais rentrés dans l’Axe EDIT.
Arnaud – Je l’ai câblé en analogique dans la mesure où mon système entier est synchronisé sur une horloge numérique et l’Axe Fx utilise sa propre horloge. Je voulais éviter de mélanger plusieurs horloges. Même chose avec le Kemper d’ailleurs.
Ludo – Oui et c’est très important de le souligner ; nous avions quelques guitaristes dans l’équipe, comme Pierre Danel et Quentin Godet, qui ne jouent jamais avec un ampli.
Arnaud – Et cela contribue d’ailleurs grandement à leur son et leur façon de jouer ! Bien que vu leur niveau, ils pourraient faire sonner n’importe quoi [rires].
Ludo – Pour Youri De Groote, c’était différent. Il joue sur une tête Brunetti qui est son ampli préféré et qu’il transporte rarement de peur de l’abimer. Il a donc effectué un profil très précis de l’ampli à l’aide du Kemper qui sonne vraiment comme l’ampli original. À l’écoute, impossible de savoir qu’il s’agit d’un Kemper. J’étais tellement impressionné par le Kemper que je l’ai moi-même utilisé pour la rythmique de mon morceau, un preset « Metal » d’origine sur le Kemper.
Arnaud – Oui, en plus on a enregistré tes rythmiques à un horaire très tardif, plus que d’habitude on va dire [rires]. On a câblé un ampli et avions un souci avec une pédale qui provoquait un gros buzz. Youri a alors proposé son Kemper qui était déjà câblé et le son correspondait à ce qu’on cherchait. Peu importe la technique que l’on utilise, il faut que ça fonctionne immédiatement, surtout sur un gros projet comme United Guitars. Il faut privilégier la performance du guitariste et ne pas passer trop de temps à se perdre dans des techniques trop complexes de prise de son. C’est en cela que j’adore travailler avec des bécanes comme l’Axe Fx ou le Kemper qui te permettent d’avoir un bon son immédiatement, sans forcément se créer des presets et passer des heures à éditer le moindre effet.
Ludo – Oui tout à fait ; et un autre avantage de ces machines réside dans leur polyvalence. Tu es en train de faire des prises et tu as besoin d’un AC-30, le temps de le sortir, de le câbler, ton idée de base a disparu. Avec l’Axe Fx ou le Kemper, une simple pression sur un bouton suffit à changer de son.
Arnaud – Du coup je note, acheter un AC-30 pour le prochain disque [rires].
JB – Ludo, j’imagine qu’il s’agit d’une première expérience pour toi de rassembler autant de guitaristes autour d’un projet commun. Comment s’est déroulé le casting ?
Ludo – Avec Guitare Xtreme, nous avions réalisé un premier projet collaboratif avec huit guitaristes dont Jean Fontany et MattRach. Ce premier morceau collaboratif a donc été un premier pas. Peu après cette première expérience, nous avons réitéré le projet mais dans un registre Blues/Rock avec Fred Chapelier, Axel Bauer, Fabrice Dutour et d’autres. C’était dans un contexte un peu roots, on était filmés ; Axel voulait même refaire une vidéo collaborative dans les studios Ferber où il a enregistré son dernier album live. C’est ma compagne, Olivia de Mistiroux productions, qui m’a aiguillé sur le projet du disque. Elle a élaboré un plan et m’a demandé de faire le casting et de monter le projet. Le casting n’était pas particulièrement difficile ; je voulais des guitaristes de notoriété différente, d’âges différents et de tendances différentes afin d’avoir un panel très large. Je ne voulais pas simplement rassembler des tueurs de la guitare et les faire jouer sur des backing tracks pas sexy. On a alors décidé de créer des morceaux originaux et c’est devenu la partie la plus difficile. On a commencé le projet juste avant les grandes vacances, donc au moment où tout le monde a autre chose à faire [rires]. J’ai donc contacté tous ces guitaristes en leur demandant de pondre un morceau de folie pour dans un mois. Le casting à proprement parler s’est fait naturellement. Grâce aux deux précédents projets collaboratifs dont je t’ai parlé, Axel et Fabrice étaient déjà très enthousiastes, Fred Chapellier également. À travers Guitare Xtreme, j’ai été amené à rencontrer Jean Fontany, Yoann Kempst qui étaient également très emballés par le projet. J’ai pu discuter avec NeogeoFanatic au GuitarFest et nous avons tout de suite bien accroché.
JB – Arnaud, de nombreux styles s’entrecroisent tout au long du disque, peux-tu nous expliquer ta façon de procéder à l’enregistrement et au mixage ?
Arnaud – J’ai bien sûr regroupé les morceaux qui appartenaient au même style musical mais une des grandes réussites de ce projet est que chaque musicien a apporté sa couleur et son propre style. La batterie par exemple a été traitée différemment selon les styles bien sûr mais la performance du batteur et sa façon de frapper sera forcément différente du blues au métal. Bien que la batterie et les techniques d’enregistrement soient identiques, les sons seront forcément différents d’un morceau à l’autre. Et c’est encore plus vrai pour la guitare où le son utilisé t’emmène directement vers un style particulier. Quelques prises de guitare ont été effectuées en amont dans la mesure où plusieurs guitaristes disposent de home studios de qualité.
Ludo – Neogeo a fait un peu les deux d’ailleurs. Sur le disque figurent quelques éléments rythmiques qu’il avait réalisés chez lui sur son Axe Fx, mais certaines de ses parties ont été enregistrées ici avec des amplis.
Arnaud – Je suis également partisan de me rapprocher le plus possible à la prise, du son définitif. Je traite énormément à la prise. Traiter une guitare à la prise passe aussi par le réglage de l’ampli, étape sur laquelle il faut obligatoirement passer un peu de temps. Il vaut mieux prendre le temps de bien régler le niveau de gain, la présence et l’égalisation de l’ampli plutôt que traiter avec des égalisations lourdes au mixage et risquer de causer des problèmes de phase. Quand on touche à l’égalisation, on change forcément la phase de la bande de fréquences concernée. En réalité, plus tu types la prise, plus vite le mix se construit. C’est de cette manière que j’ai travaillé pour United Guitars. Plus tu places le musicien dans une bonne situation d’écoute, meilleure sera son interprétation à la prise. Je fais souvent une analogie avec la photo où tu prends bien le temps de construire ton cadre, de choisir ton ouverture, déterminer le niveau de grain. Il ne faut pas oublier qu’on marque des moments ; et plus le moment est pris vite, plus la spontanéité se ressent sur l’album. Tu sais, il y a tellement de techniques différentes qu’on peut vite s’y perdre et rater la bonne interprétation donc j’aime typer les prises le plus possible, pour les batteries aussi. Je me laisse de la marge sur les réverbes et la compression bien que chaque micro de la batterie ait un compresseur sur sa tranche de console. La compression te permet bien sûr de gagner des décibels, mais également de créer de la matière et de la vie. Et quand tu mets ça dans les oreilles de ton batteur, il sent différemment ses ghost notes, même chose pour une rythmique de guitare ou une cocotte. Pour les sons saturés, j’avoue me prendre la tête depuis 20 ans [rires]. Je n’ai pas encore trouvé de recette miracle que j’utilise systématiquement. Je compresse plutôt au mix qu’à la prise, la saturation étant une forme de compression. Au mix je place un compresseur sur chaque tranche, pas forcément pour compresser mais plus pour colorer. Je suis fan du LA-2A en plug-in et en hardware, pour les guitares saturées, j’adore le DBX 160 qui n’est pas très cher mais sonne très bien. Pour les sons clairs, le 1176 fait très bien l’affaire ; j’ai même investi dès sa sortie dans le Cali76 en version pédale que l’on peut utiliser dans un environnement de studio grâce à ses entrées/sorties au niveau ligne. Sur une ambiance mono de batterie, je l’utilise systématiquement. Ça fait vraiment partie des traitements dont je ne peux plus me passer, dès que je l’enlève, il me manque quelque chose.
JB – Tu disposes de plusieurs cabines dont une assez grande. Ya-t-il eu des prises « live » pour United Guitars ?
Arnaud – Oui, Manu Livertout, Julien Bitoun, « Saturax » et Richard Daudé. Donc 4 prises « live » avec batterie, basse et guitare rythmiques définitives.
Ludo – Julien a même été jusqu’à enregistrer son solo en live également, c’est le seul.
Arnaud – Personnellement, je viens de cette école donc c’est un procédé qui ne m’effraie pas du tout. Encore une fois, ça fait partie de la photo et il y a tout le monde dans le cadre [rires]. Certains diront que c’est sans filet. C’est partiellement vrai grâce aux techniques d’aujourd’hui qui permettent d’isoler un maximum d’éléments tout en maintenant cet effort collectif « live ». La basse par exemple était en DI donc pas d’ampli qui pollue le son de batterie. J’ai utilisé une DI Heritage Audio qui est une copie de 1073 de Neve. Il faut également être le plus pragmatique possible. On n’a pas utilisé trois stacks Marshall trois corps [rires]. On a utilisé des amplis plus petits mais qui ont l’avantage d’être poussés, ce qui fait vivre la pièce différemment. En jouant un énorme palm-mute sur des power chords par exemple, ça va compresser les overheads. Et ce phénomène s’amplifie avec d’excellents musiciens comme on avait sur United Guitars. Quand tout se compresse au même moment, on obtient ce gros son si caractéristique. Dans 99% des cas, je suis partisan de la prise « live ». Même pour des musiciens d’un niveau moindre d’ailleurs. Il vaut mieux les mettre dans un contexte de répétition afin qu’ils soient à l’aise. Beaucoup de disques ont été réalisés de cette manière et pas que garage ! [rires]. Il ne faut pas perdre de vue la finalité qui est de jouer ses morceaux sur scène. Et je ne vois pas bien pourquoi on surproduirait un album pour finalement se retrouver sur scène pour proposer un résultat moins produit. Il ne faut pas tomber non plus dans l’excès inverse évidemment sinon on ne quadruplerait pas les guitares dans tous les sens comme on aime tous le faire [rires].
Ludo – L’inverse peut être vrai également. Regarde un groupe comme AC/DC avec l’album Back in Black. Pour égaler le son de scène en studio, il y a eu de véritables prises de têtes et des techniques utilisées beaucoup plus complexes que ce qu’on pense.
Arnaud – Il y a toujours des procédés de studio qu’on ne peut jamais reproduire sur scène. Très simplement, l’utilisation des micros par exemple. Tu ne verras pas, sauf sur des vieux enregistrement de Led Zep, un couple de Neumann U67 sur la batterie [rires]. Mais en tout cas, quand tu écoutes un album d’AC/DC, la rythmique est jouée ensemble. Tu entends des gens qui jouent ensemble. Pour parler d’un style plus chirurgical, je pense que la batterie du Black Album (Metallica) sonne comme elle sonne parce que tu as quatre mecs qui jouent ensemble. On peut le voir sur le documentaire 1 an et demi dans la vie de Metallica, c’est cette énergie commune qui canalise la façon de jouer et donc le son. Même si les guitares ont été refaites par la suite.
Ludo – Je crois que ce documentaire a suscité ta vocation [rires]
Arnaud – Oui c’est une des vidéos qui a été décisive pour moi, où je me suis dit « je veux faire comme ce gars aux cheveux longs blonds qui dit aux gens comment faire pour que ça sonne mieux » [rires]. Bob Rock est vraiment un producteur génial.
JB – Ça a marché avec Mötley Crüe aussi ! [rires]
Arnaud – Mais oui, sur le Black Album, malgré une click track programmée dans tous les sens, si tu n’as pas tes deux potes qui lâchent le même palm mute au même moment, ton break ne sera pas joué de la même façon, c’est très clair. C’est vraiment ce que j’essaie de créer au moment des prises « live », bien que je n’aie pas la prétention de produire quelque chose du niveau du Black Album. De toute façon, jamais je ne passerai neuf mois à la production d’un disque.
Ludo – ah, ça dépend du budget du prochain United Guitars ! [rires]
Arnaud – C’est vrai qu’au début du projet, on nourrissait l’espoir de pouvoir tout enregistrer en « live » et sur bande. Ç’aurait été presque impossible, on n’aurait pas pu décortiquer chaque solo sur le magnéto, on aurait sans doute transféré le tout sur Pro Tools à un moment ou à un autre. De plus, la personnalité de chaque guitariste s’exprime à travers son jeu, et même si deux guitaristes jouent le même bend en même temps, les deux ont beau être parfaits, quand tu les mets ensemble, il y aura une sorte de dissonance dans la mesure où ils ne jouent pas de la même façon. Ça peut être décevant pour certains guitaristes d’ailleurs. Travailler sur bande signifie pas de touche « Undo » également ; ça peut être un bon moyen de pousser les musiciens dans leurs retranchements. Et c’est une technique qui au fil des albums enregistrés dans le monde, s’est révélée très efficace pour ce fait, pour définir un cadre et une méthode de travail très exigeants.
Ludo – Oui, regarde un batteur qui va jouer tout seul, c’est la même chose qu’un comédien qui va jouer devant un fond vert. Bien sûr avec l’expérience, certains musiciens et comédiens y arrivent très bien.
Arnaud – Puis de nos jours, développer un « gros » son en studio n’est pas si compliqué. En adoptant la démarche et le parti pris de tout trigger, de recaler la moindre attaque et d’effectuer du travail très chirurgical.
Ludo – C’est le producteur de Deftones qui dit qu’il est impossible de nos jours, de produire un album de rock sans y incorporer des samples pour gonfler la batterie, dosés de manière très homéopathique …
Arnaud – Je pense qu’on prend le problème à l’envers en enregistrant des disques dans des conditions qui ne sont pas bonnes, dans des pièces beaucoup plus petites que celle-là. On peut voir de plus en plus de simulations de pièces dont les algorithmes sont calculés et réalisés dans les plus grandes cabines des plus grands studios pour avoir un son qui se rapprochera de ce qui se fait dans ces gros studios justement.
Ludo – Il y a aussi le fait que beaucoup de groupes arrivent en studio avec des pré-prod réalisées avec d’excellents logiciels de batterie qui sonnent vraiment bien et ton boulot à ce moment-là est de proposer quelque chose d’encore mieux.
Arnaud – Bien sûr, mais n’est-il pas possible de dégager davantage de personnalité en réfléchissant vraiment sur l’instrument ? Par exemple en utilisant telle ou telle caisse claire, en lui appliquant un réglage particulier … je pense que si. Certains s’y sont risqués et se sont vautrés : Metallica avec St Anger par exemple, album pour lequel j’ai un profond respect. Tout est aussi une histoire de style. Led Zeppelin par exemple est un groupe que tu ne peux pas sur-masteriser, sur-produire. Il y a beaucoup de dynamique dans les morceaux et il faut la conserver à tout prix, c’est l’essence du style. J’aimerais bien savoir comment sonnera le métal dans 10 ou 15 ans.
Ludo – Rammstein se met à travailler sur la psycho-acoustique en jouant sur les phases ou en mixant les guitares avec du bruit rose pour leur donner plus d’ampleur. Ils reproduisent cet effet en live pour tapisser tout le mix d’une grosse nappe de guitares à chaque accord.
JB – Les quelques disques de métal que j’ai récemment découverts m’ont donné à penser qu’on tendait vers une normalisation du son et de la production, c’est dommage non ?
Ludo – Dans le cas de Periphery par exemple, le batteur et le guitariste, Matt et Micha, possèdent une start-up par l’intermédiaire de laquelle ils produisent des packs de batteries et guitares que d’autres groupes de Djent moins connus utilisent très souvent. Le son dans le métal tend donc à être plus linéaire, oui. Mais regarde, à l’époque de Jimmy Page, tout le monde utilisait des amplis Marshall et des sons ambiants, et force est de constater que pas mal de groupes de cette époque sonnaient de manière similaire.
Arnaud – Bien sûr, ce n’était pas nécessairement mieux avant [rires]. On a toujours utilisé les techniques que l’on a à disposition à l’instant T. C’est pour cette raison également qu’en termes de réverbe, on est tous fans des années 80 [rires]. Mais il y a encore des amplis fabuleux qui existent, des batteurs qui existent. Je connaissait déjà Yann Coste, un des batteurs de United Guitars. Je l’avais déjà mixé et connaissais son jeu. Je ne connaissais pas Morgan Berthet en revanche qui est LE batteur moderne par excellence dans son approche de l’instrument et sa technique. Avec ce genre de batteur, tu peux réussir à te passer de trig.
Ludo – Oui c’est vrai, quand Morgan joue, tu as l’impression immédiate que c’est déjà un peu produit. Yann Coste dégage une matière un peu plus brute qui mérite effectivement d’être retaillée. Mais quel groove …
Arnaud – Oui, Morgan a un jeu très chirurgical, chaque ghost note est là, chaque ouverture de charley est millimétrée.
JB – Ludo, tu nous parlais des amplis KelT tout à l’heure ; je sais que Thierry, concepteur des amplis KelT était présent pendant l’enregistrement, peux-tu expliquer son rôle ?
Ludo – Au départ j’aime son boulot et j’aime beaucoup Thierry également. Il était présent pendant le tournage de la vidéo Guitare Extreme dont je t’ai parlé. Il a collaboré avec Axel Bauer sur son ampli signature (le KelT AB). J’ai suivi la construction et la naissance de son ampli phare, le Mostro qui est entre un Plexi et un Soldano. C’était donc un petit clin d’œil de l’avoir en studio avec nous et il est venu avec deux Mostro, l’AB (signature Axel Bauer) et celui de Julien Bitoun, le Blue Waffle. Il était un peu sonorisateur en fait, c’est comme ça que je l’appelais [rires]. Il était dans la cabine avec tous les amplis, et selon ce que souhaitait chaque guitariste, il branchait l’ampli de son choix et notait les réglages quand le son était bon. Thierry est un mec qui fait les amplis comme on faisait avant, sans circuit imprimé avec des composants surdimensionnés et de très bonne qualité. L’avoir avec nous au studio était une façon de mettre en valeur son travail.
JB – Est-ce que le Marshall JMP et le Mesa Boogie Rectifier ont trouvé leur place sur le disque également ?
Ludo – Oui sur mon morceau, sur les parties thématiques et le solo ainsi que sur le morceau de Robin.
JB – J’imagine que pas mal de pédales sont également sur le disque, Ludo, peux-tu nous en citer quelques-unes ?
Ludo – Yvan avait de la Doc Music Station, de la Wampler pour sa fuzz. J’ai utilisé la pédale construite par Arnaud et une Val Martins sur le morceau de Fred Chapellier. Robin a utilisé des pédales Anasounds, Julien et Axel avaient amené leur pedalboard. Axel était d’ailleurs étonné que les guitaristes ne délirent pas plus avec les effets [rires]. C’est le seul à avoir cherché des sons un peu particuliers, globalement les autres ne sont pas des savants fous qui tournent des boutons.
Arnaud – Julien Bitoun a un peu ce côté-là quand même quand il bidouille ses fuzz [rires].
JB – Le premier opus étant maintenant terminé, un deuxième CD est-il en prévision ?
Ludo – On va déjà s’occuper de vendre le premier [rires] et de le faire tourner sur scène. J’ai également d’autres projets satellites qui tournent autour de United Guitars. Mais dans l’idéal oui, ça me plairait beaucoup d’en faire un par an. J’ai beaucoup aimé le mélange de genres et surtout le mélange de notoriétés. C’est super de se dire que plusieurs guitaristes pas très connus du grand public puissent être placés sur le devant de la scène aux côtés de musiciens comme Gus G. Ça les valorise et c’est ce que je voulais.
JB – Arnaud, au fil de l’enregistrement où tu as pu passer de l’Axe Fx au Kemper en passant par les vrais amplis, as-tu préféré une technique aux deux autres ?
Arnaud – Je reste partisan du vrai ampli si j’ai le bon ampli sous la main. Tu n’as pas d’AC-30 qui sonne bien, si tu as un Kemper avec un super profil d’AC-30 ou un Axe Fx avec une bonne simulation, ça le fait. Un ampli comme le JMP que je connais parfaitement n’a pas encore trouvé son équivalent en numérique. J’ai eu l’occasion d’effectuer un comparatif entre un Fender Blackface d’époque et un profil Kemper. Il y a bien sûr un son que j’ai préféré en les écoutant seuls. Mais je ne suis pas persuadé que dans un mix on reconnaisse l’un ou l’autre. Mais les Kemper et Axe Fx fonctionnent monstrueusement bien en se basant sur des amplis qui existent déjà. Si tu as l’ampli original bien sûr c’est mieux mais il faut que toute la chaîne soit parfaite. Sans parler de la guitare, si tu n’as pas le bon micro, le bon préampli, la bonne pièce, les convertisseurs ou la bonne bande, le résultat sera meilleur avec une simulation. Avec ce genre d’appareils, on a des sons qui sont déjà produits ce qui laisse peu de place à la bidouille. C’est aussi le gros intérêt de ces machines-là mais ça doit faire partie d’un tout. Il ne faut pas perdre de vue que ce sont des outils qui doivent servir quelque chose à savoir un propos artistique. Et il ne faut pas se voiler la face non plus, disposer de vrais amplis coûte très cher en maintenance.
Ludo – Yvan Guillevic me disait justement que de nouveaux produits sont déjà en conception, basés sur le principe du « deep learning » qui est une technique d’émulation sonore qui utilise le même genre de circuits que les réseaux neuronaux du cerveau. On arrivera donc à des comportement de saturation qui seront identiques voire supérieurs à ce qu’on peut entendre à travers un ampli. Le débat n’aura donc plus lieu d’être. On utilisera les amplis pour leurs qualités premières en fait, sur scène ou pour des styles où la pression acoustique a une grande importance, mais pas pour la production d’un disque. Déjà aujourd’hui, tu peux profiter d’un larsen avec l’Axe FX. Je pense que d’ici 5/6 ans on aura des Axe FX VIII complètement délirants. En revanche, on entend quand même le côté « machine ». Axel Bauer en a acheté un et il m’avait confié qu’il avait failli le renvoyer au bout d’une semaine [rires]. Effectivement, tu passes d’un Vox à un Marshall à un Mesa à un Friedman mais tu te rends compte que la base est la même. Il s’agit du même socle filtré différemment.
Arnaud – Je le répète encore une fois, ces machines sont terriblement efficaces. Et souvenez-vous de ce qu’on pensait du POD à sa sortie [rires]. C’était trop bien ! Mais j’aurais du mal à me passer de mon vieux JMP. Le rapport entre amplis et Kemper/Axe Fx est le même qu’entre les périphériques de mixage et les plug-ins. J’ai un EQ GML 8200 [voir photo, NdR] conçu par l’inventeur de l’EQ paramétrique et qui m’a coûté un bras. J’ai le même en plug-in, qui fonctionne aussi bien, mais ce n’est évidemment pas la même chose. Le son est sensiblement le même mais la recherche et l’approche ne sont pas les mêmes. Le rapport au plug-in est très visuel et tu sais exactement quelle fréquence tu touches contrairement à la vraie version qui laisse plus la place aux oreilles.
Ludo – Oui c’est sûr. Mais en jouant dans la régie à travers les enceintes de monitoring, c’est très difficile de reconnaître un ampli ou un Kemper.
Arnaud – Bien sûr ! Même des vieux de la vieille tournent régulièrement sur Axe Fx. On parlait de Metallica tout à l’heure, ils ne tournent qu’avec des Axe Fx. Megadeth aussi. À l’inverse, tu as des guitaristes comme Mark Tremonti qui refuse catégoriquement de jouer sur Axe Fx ou Kemper.
Ludo – Il y a aussi le côté psychologique. Si on te dit que tu joues sur ton JMP, tu entendras ton JMP. On faisait une expérience intéressante à l’époque, on bandait les yeux des guitaristes qui essayaient les instruments. Les résultats étaient très étonnants !
Arnaud – JMP ou Kemper de toute façon, il ne faut pas oublier le début de la chaîne : l’intention de jeu. À partir du moment où tu as ça, tu peux coller presque n’importe quoi derrière, ça sonnera.
Ludo – Complètement ! À l’image de Meshuggah qui a réampé toutes leurs guitares dans un plug-in gratuit (AmpRack). Toutes leurs attaques, toutes leurs phrases sont réfléchies et calées et ils savent très précisément ce qu’ils veulent obtenir.
Arnaud – C’est un outil pour construire leur son mais est-ce un outil pour définir leur jeu ?
Ludo – Leur son très particulier conditionne bien évidemment leur style de jeu pour moi. C’est effectivement une histoire de style. Tu peux utiliser l’Axe Fx de manière complètement décalée aussi. Adrian Belew (guitariste de King Crimson ayant joué avec Bowie) l’utilise comme ça ; il considère qu’il y a suffisamment de matériel guitare pour produire des sons de guitare. Dans l’Axe Fx, en rentrant dans le module de Flanging par exemple, tu as accès à 150 paramètres différents … qui a envie de passer des heures à régler un flanger ?
Arnaud – Oui c’est la méthode de l’Eventide H3000 [il se lève et allume le H3000, NdR]. Tu as les paramètres de base et les paramètres avancés. C’est super mais c’est une vraie prise de tête [rires]. Plus sérieusement, les Kemper et Axe Fx sont des outils très très puissants et très intéressants.
JB – Eh bien merci infiniment Messieurs pour ce bon moment avec vous !
Arnaud – Merci à toi JB, c’était sympa de recevoir Audiofanzine au studio !
Ludo – Oui merci à toi et bonne écoute du disque !