Après la synthèse à séquences d’ondes revisitée, Korg présente un nouveau synthé FM évolué, avec une approche ergonomique pensée pour faciliter l’édition. Allez hop, opérons !
Les principes de la synthèse FM ont été posés dans les années 70 par John Chowning, professeur à l’université de Stanford. Démocratisée par le DX7 en 1983, elle a été déclinée dans de nombreux synthés, cartes sons et logiciels. Yamaha a évidemment développé le concept, enrichissant son moteur de nouveaux algorithmes, ajoutant des formes d’ondes complexes et passant à la multitimbralité. Après une période plus calme, Korg a réintroduit la synthèse FM dans le Kronos, avec une puissante version modulaire capable d’utiliser des samples. Puis ce fut au tour de Yamaha de réintégrer un gros moteur FM dans ses dernières stations de travail, Montage et MODX.
Si l’ergonomie du DX7 représente le principal point rebutant de la FM, force est de constater que les dernières stations de travail, avec leurs grands écrans tactiles et leurs commandes directes plus nombreuses, n’ont pas totalement réussi à la vulgariser, car elles ont aussi amené plus de fonctionnalités et de complexité. Elektron a, pour sa part, proposé une boite à groove FM : le Digitone. Plus récemment, les Français de Kodamo ont jeté un pavé dans la mare avec l’EssenceFM, un module très tactile conjuguant à merveille ergonomie et puissance, respirant l’intelligence à chaque étape de l’édition. Au NAMM 2020, Korg avait exposé le prototype de l’Opsix, un synthé FM dont la taille et la sérigraphie n’étaient pas sans rappeler un certain DX7. Mais c’est un Opsix beaucoup plus compact que nous venons de recevoir en avant-première (OS 1.0), embarquant un moteur FM survitaminé…
Petit trapu
L’Opsix n’est pas un gros guerrier gaulois mais un petit synthé trapu de même format que le Wavestate. Très compact, il est constitué d’une façade en alu bleuté, vissée à une coque évidée en plastique noir. Cela lui permet de ne pas dépasser les 3 kg sur la bascule pour 57 × 34 cm, ce qui en fait un bon candidat pour le live. La qualité de construction est assez inégale : la coque semble fragile sous les touches, le clavier 3 octaves est mou et claquant. Transposable sur +/-2 octaves, il répond à la vélocité initiale et de relâchement, mais pas à la pression. Les 7 potentiomètres (non vissés), les 6 curseurs, les 7 encodeurs et les 40 boutons-poussoirs offrent une réponse satisfaisante, tout comme les deux molettes assignables (pitchbend et modulation). Beaucoup de commandes sont rétroéclairées avec des couleurs variables suivant le contexte. Les 16 boutons du séquenceur peuvent éblouir, heureusement que l’on peut régler l’intensité des LED !
La structuration de la façade est assez inhabituelle : à gauche, une section de mixage à 6 potentiomètres et 6 curseurs permet de régler le pitch (le mode) et le volume (l’onde) des 6 opérateurs (fonctions secondaires). Au centre, un écran graphique OLED affiche les paramètres sous forme de pages menu ; il fait aussi office d’oscilloscope et d’analyseur de spectre, très didactique.
À droite, 6 encodeurs lisses permettent d’éditer 6 paramètres contextuels par page. Deux touches sont prévues pour naviguer dans les menus, deux autres pour alterner les opérateurs. On peut aussi appeler 12 ensembles de pages avec 6 boutons dédiés (opérateurs, modulations, filtres, effets, séquences, global, etc.). En bas, la rangée de 16 touches permet de programmer les pas du séquenceur. Les fonctions de retour au programme d’origine, initialisation, création aléatoire (programmes et/ou séquences, avec de nombreux critères et filtres) sont présentes, mais pas la comparaison, dommage. Globalement, l’ergonomie est très bonne, mais cela reste moins sexy que chez Kodamo.
La connectique est regroupée sur le panneau arrière. Plutôt minimaliste, elle comprend une prise casque stéréo (jack 6,35), une paire de sorties stéréo (jacks 6,35 symétriques, la classe !), une entrée pour pédale de maintien (jack 6,35), une prise USB-B (class-compliant MIDI mais pas audio, hélas), les entrée/sortie MIDI DIN, un interrupteur secteur et une borne pour alimentation externe (12 V DC à centre positif avec bloc à l’extrémité, toujours aussi cheap). Exactement comme sur le Wavestate, en somme…
Territoires sonores
Il faut environ 10 secondes à l’Opsix pour démarrer, ce qui est très correct. Il est livré avec 250 programmes d’usine (dont des gabarits pour ne pas partir de zéro) et 250 mémoires utilisateur. Chaque programme mémorise ses propres séquences. Korg a pensé aux adeptes de la scène, en prévoyant 4 banques de 16 favoris. La taille mémoire est donc ici figée, contrairement à celle du Wavestate. L’Opsix ne peut pas exporter ses banques en Sysex, il doit passer par un bibliothécaire disponible sur le site Korg (format de fichier propriétaire, dommage). L’Opsix peut en revanche importer directement des banques de 32 programmes de DX7 via Sysex. Elles se chargent dans la mémoire interne à partir d’un index défini à chaque opération. Les paramètres du moteur de synthèse de l’Opsix étant pour certains différents de ceux du DX7, la reproduction n’est pas toujours identique et nécessite parfois de retravailler un peu les sons (suivis de clavier, enveloppes).
L’écoute des sons démontre des niveaux de sortie très variables d’un programme à l’autre, mais la plupart du temps très corrects. Aucun bruit de fond n’est à déplorer, même à l’autre bout du stade, merci à la connectique symétrique. On constate assez vite toute l’étendue du panel sonore : non seulement des sons typés FM (pianos électriques cristallins, cuivres expressifs, guitares pincées, cloches de toute taille, orgues doux ou saturés, percussions accordées ou sans fondamentale, bruits, effets spéciaux…), des imitations de synthés analogiques (basses résonantes, nappes profondes, strings amples, Supersaw techno…), mais aussi des sons plus inhabituels (formants de voix, mouvements sonores évolutifs, tables d’ondes type PPG, rythmiques complexes façon beat box). Certaines sonorités ont un caractère organique très singulier. Grâce aux commandes directes, on peut agir sur les opérateurs avec effet immédiat, sans passer par les menus, et ainsi générer rapidement de nombreuses déclinaisons plus ou moins éloignées du son initial. C’est impressionnant l’étendue sonore possible avec quelques retouches de-ci de-là. L’idéal aurait été une fonction de prises de vue instantanées à la volée.
- Opsix_1audio 01 FM EPiano00:39
- Opsix_1audio 02 Hybrid Bass00:14
- Opsix_1audio 03 Slap Bass00:34
- Opsix_1audio 04 MS Bass00:57
- Opsix_1audio 05 Slider Organ100:54
- Opsix_1audio 06 Slider Organ201:00
- Opsix_1audio 07 FM Pad00:52
- Opsix_1audio 08 Razor Clav00:52
- Opsix_1audio 09 FM Guitar101:07
- Opsix_1audio 10 FM Guitar200:58
- Opsix_1audio 11 Big Saw00:55
- Opsix_1audio 12 Holly Choir00:52
- Opsix_1audio 13 Deep Throat00:43
- Opsix_1audio 14 Soft Pads02:02
- Opsix_1audio 15 Huge Things00:39
- Opsix_1audio 16 Maverick Bells00:48
- Opsix_1audio 17 Theremoricone00:31
- Opsix_1audio 18 Drum & Bass01:05
- Opsix_1audio 19 Beat Box00:41
- Opsix_1audio 20 Lunar Mood01:42
Au-delà de la FM
L’Opsix est un synthé numérique monotimbral, capable de produire 24 à 32 voix de polyphonie suivant la puissance sollicitée. Chaque voix fait appel à 6 opérateurs organisés en algorithmes (40 Presets et un programmable, voir ci-après). L’algorithme définit à la fois l’organisation des opérateurs (arborescence) et leur rôle (porteur ou modulateur).
On connait bien la synthèse type DX avec ses opérateurs FM à ondes sinus. L’Opsix va beaucoup plus loin, puisqu’il permet de changer le type de synthèse de chaque opérateur, en proposant la modulation de phase (FM classique), la modulation en anneau, le filtrage simple (12 types de filtres), le filtrage FM (12 types identiques) et le repliage d’onde. Pour mieux comprendre la structure de chaque type de synthèse, on pourra se reporter aux schémas joints au test. Tout cela ouvre immédiatement des horizons bien plus vastes que la « simple » FM. Mieux, on peut choisir une forme d’onde pour chaque opérateur, parmi 21 types : sinus, sinus 12 bits, sinus 8 bits, triangle, dent de scie, dent de scie HD, carrée, carrée HD, additive Saw3, additive Sqr3, additive Tri3, additive 12345, additive 1+2, additive 1+3, additive 1+4, additive 1+5, additive 1+6, additive 1+7, additive 1+8, bruit S/H et bruit blanc. De quoi changer radicalement le spectre sonore !
Suivant le type de synthèse, on accède à des paramètres supplémentaires, tels que la largeur d’onde, le feedback, la profondeur de modulation en anneau, le type de filtre, la fréquence de coupure, la résonance, le seuil de repliage d’onde, le décalage… tout cela est modulable en temps réel, comme nous le verrons plus tard. Pour chaque opérateur, on peut régler la fréquence (transposition, grossière, fine) en ratio (fréquence variable) ou en valeur absolue (fréquence fixe), les modulations de fréquences directes (LFO1, enveloppe 1, vélocité), le niveau (valeur absolue, enveloppe ADSR dédiée avec courbe ajustable sur les segments DR, suivi de clavier avec point central et courbes variées) et les modulations directes du niveau (LFO1 avec source de contrôle d’intensité, vélocité). On a même trouvé un paramètre de verrouillage de phase par opérateur (zéro, libre, aléatoire), histoire d’ajouter un peu plus de piment.
Filtres modélisés
Le filtre de l’Opsix est dérivé de celui du Wavestate. Il s’agit d’un filtre multimode résonant numérique. On trouve les modes LPF/BPF 2 et 4 pôles, BP/BR 1 et 2 pôles, MS-20 LPF/HPF 2 pôles et Polysix LPF 4 pôles. Suivant le mode, la fréquence de coupure varie de 6 Hz à 24 kHz (filtres génériques) ou de 13 Hz à 21 kHz (filtres modélisés MS-20 et Polysix). La précision n’est pas indiquée mais on décompte environ 200 pas, donc cela s’apparenterait à du demi-ton compte tenu des plages de fréquences. C’est insuffisant pour éviter les escaliers sur les mouvements très lents d’encodeur, mais il semble plus que probable qu’un algorithme de lissage soit présent en tâche de fond, produisant une réponse parfaitement fluide sur les mouvements rapides. Les filtres modélisés sur le MS-20 sont évidemment capables d’auto-osciller de manière outrancière comme on les aime, le filtre du Polysix étant, quant à lui, beaucoup moins turbulent.
La fréquence de coupure peut directement être modulée par une enveloppe dédiée (avec contrôle d’intensité par une source tierce), un suiveur (deux pentes autour d’un point central), un LFO dédié (avec contrôle d’intensité par une source tierce). La comparaison avec le Wavestate s’arrête là, puisqu’il n’y a pas de filtre à morphing, d’ajustement des graves, de compensation de la résonance ou de dosage des niveaux en entrée/sortie. En sortie de filtre, le signal passe dans les effets (nous y reviendrons). Il existe également une enveloppe de volume simplifiée spécifique (AD/R) curieusement placée dans la page Home/Algorithme, ainsi qu’un réglage de feedback et un mode basse résolution (production d’aliasing comme sur les synthés FM devenus vintage). Quelques mots rapides sur l’assignation des voix (poly, mono, mono legato), le portamento (continu avec réglage de temps) et l’unisson (2 à 8 voix, avec désaccordage et élargissement stéréo pour des sons bien épais). Ah tiens, nous n’avons pas trouvé de réglage de tempérament clavier, dommage pour les adeptes du microtonal et des gammes exotiques.
Modulations matricielles
Chaque voix offre 3 LFO, 3 enveloppes (en plus des enveloppes individuelles de niveau des opérateurs et de l’enveloppe de volume) et une matrice de modulation. Les LFO possèdent chacun 23 formes d’ondes variées (dont un vibrato type guitare, des ondes en escalier, des ondes positives et des générateurs aléatoires en temps ou niveau). La vitesse varie de 0,01 à 100 Hz ou de 1/48 à 4/1 (en mode synchronisation). Il existe plusieurs manières de redéclencher le cycle : par voix, globale ou libre. De même, on trouve les paramètres de phase et de fondu (0 à 5 secondes). Le premier LFO est préassigné aux pitchs (global et par opérateur) et aux niveaux (par opérateur), le deuxième au filtre (fréquence de coupure), alors que le troisième est libre d’assignation.
Les enveloppes sont de type ADSR. La première est préassignée au pitch (par opérateur), la deuxième au filtre (fréquence de coupure), alors que la troisième est libre d’assignation. Un paramètre de courbe permet de déformer les segments DR (11 valeurs allant de linéaire à exponentiel). Les temps varient de 0 à 90 secondes, ce qui est vraiment énorme comme plage. On déplore juste l’absence de bouclage de segments, une prochaine fois peut-être ?
Passons à la matrice de modulation. Baptisée Virtual Patch, elle propose 12 cordons pour connecter une source à une destination, ainsi qu’une source tierce contrôlant l’intensité de modulation (bipolaire). Parmi les sources, citons les contrôleurs physiques, le numéro de note, la vélocité initiale, la vélocité de relâchement, les enveloppes, les LFO, la pression (MIDI) et les CC (positifs / bipolaires). Parmi les sources tierces (modulation d’intensité), citons les contrôleurs physiques, le clavier, les enveloppes et les LFO. Pour les destinations, on a droit à presque tous les paramètres de synthèse (globaux ou par opérateur), le pitch, le volume, le panoramique, le tempo, le portamento, l’unisson, les enveloppes, les LFO, les paramètres d’effets, les paramètres d’arpège et le swing du séquenceur… une longue liste !
Triples effets
Depuis longtemps, Korg intègre de bons effets à ses synthés, quel que soit le niveau de gamme. L’Opsix est doté de 3 multieffets placés en série à la sortie du filtre. Chacun offre 30 algorithmes variés avec 4 paramètres éditables par effet. On trouve des effets d’ensemble (chorus, unisson, phaser, autopan, flanger, haut-parleur tournant), wah-wah, exciteur, EQ, distorsion, simulateur d’ampli, décimateur, compresseur, différents délais et différentes réverbes. Certains effets basés sur les temps sont synchronisables au tempo, merci ! Suivant le type d’effet, le premier paramètre éditable est souvent un dosage sec/mouillé ou un niveau d’effet. Comme évoqué précédemment, les paramètres d’effets sont assignables à des sources via la matrice de modulation. Au global, cette section est moins puissante que celle du Wavestate, mais somme toute solide.
Arpèges et séquences
Pour animer le son, l’Opsix propose un séquenceur et un arpégiateur. Le séquenceur est placé en amont de l’arpégiateur, ce qui permet au premier d’agir sur le second, bien vu ! L’arpégiateur, assez basique, offre 7 motifs : ordre joué, haut, bas, pendulaire, alterné avec répétition, aléatoire et trigger (accords staccato). Outre la division temporelle de l’horloge globale / MIDI, on peut régler le temps de porte et la plage de transposition (1 à 4 octaves). Un mode Latch est prévu pour faire tourner l’arpège tout en relâchant les notes, ce qui permet de boire un coup en se grattant la tête. Mauvaise nouvelle, les notes arpégées ne sont pas transmises en MIDI, on attend une correction rapide sur ce point…
Passons au séquenceur à pas. Mémorisé dans chaque programme, il se limite à 16 pas. La lecture est lancée par la touche idoine ou le clavier. Dans ce dernier cas, la séquence est transposable en temps réel. Le hic, c’est qu’elle repart systématiquement au début à chaque note jouée, ce qui en restreint l’usage. On a différents sens de lecture : en avant, en arrière, alterné avec répétition, symmétrie vers le centre, notes paires/impaires, aléatoire. Très bien ! Sans oublier le petit coup de swing. La programmation peut se faire en pas à pas ou en temps réel, sur chacune des 6 pistes de notes (avec un peu d’astuces sur les opérateurs FM, on peut créer des motifs de type beat box). Elle concerne le numéro de note, le décalage de lecture au sein du pas, la vélocité et le temps de porte (de 0 à la liaison). Les notes séquencées sont cette fois transmises en MIDI. Mieux, le séquenceur offre 6 pistes de mouvements, programmables / éditables en temps réel / pas à pas, avec des fonctions utilitaires fort… utiles. Les valeurs modulables sont nombreuses : tous les paramètres de synthèse y compris ceux de l’algorithme utilisateur, les effets, l’arpégiateur, le séquenceur, le MIDI. Il est possible de lisser les valeurs entre les pas suivant différentes courbes, si on n’aime pas les escaliers. Un bon séquenceur auquel il ne manque qu’un mode de transposition au clavier sans retour en début de motif et le double de pas.
Verdict
L’Opsix est arrivé au studio discrètement, sur la pointe des opérateurs. Dès l’allumage, on en a pris plein les mirettes, avec toutes ces diodes multicolores parfois violentes. Une fois atténuées, nous avons découvert une surface de contrôle bien pensée, permettant d’agir au cœur du réacteur, en obtenant rapidement une grande variété des timbres sortant des sentiers battus de la FM. Les réglages directs des opérateurs à gauche et les commandes contextuelles à droite, combinés à une navigation intuitive et des représentations spectrales didactiques, invitent à pousser ce moteur FM survitaminé à base de modulation en anneau, de filtre FM et de repliage d’ondes. Ajoutons à cela un bon filtre multimode, une section effets généreuse et un séquenceur à mouvements bien pensé. On regrette toutefois la monotimbralité du moteur, la qualité du clavier et la connectique un poil chiche. Ceci posé, l’Opsix nous fait découvrir bien plus que la FM sous un angle nouveau. Il réveillera avantageusement un set un peu trop orienté analogique.
Tarif conseillé : 699 € TTC